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14/10/2022 | FRANCE | N°19/04755

France | France, Cour d'appel de Rennes, 2ème chambre, 14 octobre 2022, 19/04755


2ème Chambre





ARRÊT N°514



N° RG 19/04755

N° Portalis DBVL-V-B7D-P6A7





(1)







M. [L] [T]

Mme [V] [K] épouse [T]



C/



Caisse de Crédit Mutuel CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 5]



















Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée















Copie exécutoire délivrée



le

:



à :

- Me POSTOLLEC

- Me CHAUDET







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur...

2ème Chambre

ARRÊT N°514

N° RG 19/04755

N° Portalis DBVL-V-B7D-P6A7

(1)

M. [L] [T]

Mme [V] [K] épouse [T]

C/

Caisse de Crédit Mutuel CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 5]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me POSTOLLEC

- Me CHAUDET

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Juillet 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [L] [T]

né le [Date naissance 1] 1956 à [Localité 9]

[Adresse 6]

[Localité 5]

Madame [V] [K] épouse [T]

née le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 8]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Karine POSTOLLEC, postulant, avocat au barreau de SAINT-MALO

Représenté par Me Frédéric DEMARIGNY de la SELARL A.M.E., plaidant, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 5]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Cyril TOURNADE de la SELARL NMCG, plaidant, avocat au barreau de NANTES

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre de crédit immobilier acceptée le 24 décembre 2007 et réitérée par acte authentique du 8 janvier 2008, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] (ci-après le Crédit mutuel) a, en vue de financer l'acquisition et la rénovation d'un immeuble à usage locatif, consenti à la SCI La Maison du lac (la SCI) un prêt de 540 000 euros au taux de 5 02 % l'an révisable, remboursable en 288 mensualités après un différé de remboursement de 12 mois.

Par actes sous seing privé du 12 décembre 2007, Mme [V] [K], gérante de la SCI, et M. [L] [T], son époux et associé de la SCI, (les époux [T]) se sont portés cautions solidaires de cet engagement dans la limite de 648 000 euros.

Prétendant que les échéances de remboursement avaient été laissées impayées après août 2013, le prêteur s'est prévalu de la déchéance du terme au 20 mars 2014 et, après avoir vainement mis en demeure les cautions d'honorer leur engagement par lettre recommandée du 20 mars 2014, il les a, par acte du 11 mars 2015, fait assigner en paiement des sommes restant dues après encaissement de règlements provenant de la vente amiable des biens financés.

Les cautions ont invoqué la prescription de l'action du prêteur, la nullité et la disproportion de leurs engagements de caution, le manquement du prêteur à son devoir de mise en garde ainsi qu'à son obligation d'information des cautions, et le caractère excessif de l'indemnité de clause pénale.

Par jugement du 25 février 2019 rectifié le 27 mai 2019, le tribunal a :

débouté les époux [T] de leur demande d'irrecevabilité tirée de la prescription,

dit que le Crédit mutuel doit être déchue de son droit aux intérêts du 5 août 2013 au 20 mars 2014, et du 31 mars 2009 au 20 mars 2014,

condamné solidairement les époux [T], sous réserve de la déchéance du droit aux intérêts sus-visée, à payer au Crédit mutuel la somme de 313 142,84 euros, avec intérêts au taux de 5,02 % sur la somme de 278 103,63 euros du 27 février 2017 jusqu'au complet règlement,

débouté les époux [T] du surplus de leurs demandes,

ordonné l'exécution provisoire du jugement,

débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que chaque partie supportera la moitié des dépens.

Les époux [T] ont relevé appel de ces jugements le 15 juillet 2019, pour demander à la cour de l'infirmer et de :

à titre principal, juger l'action du Crédit mutuel prescrite depuis le 5 avril 2011, ou à défaut depuis le 5 avril 2014,

à titre subsidiaire, prononcer la nullité des actes de cautionnement solidaire du 12 décembre 2007,

débouter en conséquence le Crédit mutuel de ses demandes,

à titre subsidiaire, juger le cautionnement des époux [T] disproportionné et déchoir le Crédit mutuel de la faculté de s'en prévaloir,

à titre subsidiaire, condamner le Crédit mutuel au paiement de la somme de 313 142,84 euros du fait de la violation par la banque de son devoir de mise en garde tant à l'égard de la SCI que des époux [T],

à titre plus subsidiaire, juger que le Crédit mutuel ne justifie pas du quantum de sa créance et débouter en conséquence la banque de son action en paiement dirigée contre les époux [T],

à titre plus subsidiaire encore, fixer le quantum de la créance du Crédit mutuel à la somme de 173 900,57 euros en principal,

fixer l'indemnité d'exigibilité à un euro ou, subsidiairement, à 12 173,03 euros,

prononcer la déchéance du droit du prêteur aux intérêts pour manquement à son obligation d'information annuelle des cautions, et décharger les époux [T] du paiement de ces intérêts,

juger que le Crédit mutuel n'a pas informé les cautions de la défaillance de la SCI et décharger les époux [T] des pénalités ou intérêts de retards échus,

en tout état de cause,condamner le Crédit mutuel au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Ayant formé appel incident, le Crédit mutuel demande quant à lui à la cour de :

à titre principal, confirmer la décision attaqué en ce qu'elle a :

débouté les époux [T] de leur demande d'irrecevabilité tirée de la prescription,

débouté les époux [T] du surplus de leurs demandes,

réformer partiellement la décision attaqué en ce qu'elle a :

dit que la banque devait être déchue de son droit aux intérêts du 5 août 2013 au 20 mars 2014, et du 31 mars 2009 au 20 mars 2014,

condamné solidairement les époux [T], sous réserve de la déchéance du droit aux intérêts, à payer à la banque la somme de 313 142,84 euros, avec intérêts au taux de 5,02 % sur la somme de 278 103,63 euros, du 27 février 2017 jusqu'au complet règlement,

débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que chaque partie supportera la moitié des dépens,

débouter les époux [T] de leurs demandes,

condamner solidairement les époux [T] au paiement de la somme de 313 142,84 euros, avec intérêts au taux de 5,02 % sur la somme de 278 103,63 euros du 27 février 2017 jusqu'au complet règlement,

à titre subsidiaire, condamner solidairement les époux [T] au paiement de la somme de 173 900,52 euros, avec intérêts au taux de 5,02 % du 27 février 2017 jusqu'au complet règlement, outre la somme de 34 886,21 euros au titre de l'indemnité d'exigibilité,

s'il était fait droit à la demande de déchéance du droit aux intérêts, limiter la déchéance du droit aux intérêts à la période allant :

du 5 août 2013, date du premier incident de paiement non régularisé, au 20 mars 2014, date de la mise en demeure par laquelle les cautions étaient avisées des impayés, au titre des dispositions de l'article L. 341-1 du code de la consommation,

du 31 mars 2009, date à laquelle aurait dû intervenir l'information annuelle, au 20 mars 2014, date de la mise en demeure par laquelle les cautions étaient avisées des sommes dues, au titre des dispositions de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier,

en tout état de cause, condamner solidairement les époux [T] au paiement d'une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour les époux [T] le 7 juin 2022 et pour le Crédit mutuel le 11 mai 2022, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 23 juin 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la prescription de l'action de la banque

Pour invoquer la prescription de l'action du Crédit mutuel, les époux [T] font valoir que le délai applicable, de deux ans en application de l'article L. 137-2 du code de la consommation auquel les parties auraient entendu soumettre leurs relations contractuelles, ou en tous cas de cinq ans en application de l'article 2224 du code civil, aurait commencé à courir à compter du premier incident de paiement du 5 avril 2009, de sorte que la prescription était acquise au jour de l'assignation introductive d'instance du 26 février 2015.

Il résulte de l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation que l'action en paiement du prêteur exercée contre un particulier emprunteur au titre d'un prêt immobilier se prescrit par deux ans, commençant à courir, s'agissant d'une dette payable par termes successifs, à compter de la date d'exigibilité de chacune des échéances de remboursement impayées et, pour le capital restant dû après déchéance du terme, à compter de la date de cette dernière.

Cependant, il est de principe que ce texte est inapplicable à l'action de la banque contre les cautions, la première ne fournissant aucun produit ni service aux secondes.

En outre, il est également de principe que les cautions ne peuvent, pour prétendre à l'extinction de leur obligation en application de l'article 2313 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, opposer au créancier la prescription de son action contre le débiteur principal fondée sur l'article L. 218-2 du code de la consommation, la qualité de consommateur de ce dernier étant une exception qui lui personnelle, et non une exception inhérente à la dette.

Au surplus, la prescription biennale du code de la consommation ne peut être invoquée que par un consommateur, lequel est nécessairement une personne physique, de sorte qu'à supposer même que les parties au contrat de prêt aient entendu soumettre celui-ci aux dispositions du code de la consommation régissant les crédits immobiliers, l'article L. 218-2 ne serait pour autant nullement pas applicable à l'action en paiement d'une banque au titre d'un prêt consenti à une SCI.

Le délai de prescription applicable est en réalité celui de l'article L. 110-4 du code de commerce, de dix ans ramenés à cinq ans par la loi du 17 juin 2008.

Il en résulte que l'action en paiement du capital restant dû ne peut être prescrite, le Crédit mutuel s'étant prévalu de la déchéance du terme le 20 mars 2014 et ayant assigné les époux [T] le 11 mars 2015.

En outre, quand bien même la SCI aurait connu des incidents de paiements dès avril 2009, les époux [T] ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe, du défaut de régularisation postérieure de cet incident.

Il ressort au contraire de l'analyse du tableau d'amortissement et du décompte de créance du prêt que le premier incident de paiement, non intégralement régularisé avant déchéance du terme, ne remontre qu'au 5 septembre 2013 puisqu'il est réclamé le paiement du capital restant dû au jour de la déchéance du terme du 20 mars 2014 ainsi qu'une somme de 23 453,36 euros (7 663,03 + 15 790,33) au titre des échéances échues impayées hors assurance, soit l'intégralité des mensualités du 5 octobre 2013 au 5 mars 2014 et une partie de celle du 5 septembre 2013.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription a donc été à juste titre écartée par le premier juge.

Sur la nullité des cautionnements

Pour solliciter l'annulation de leurs engagements de caution, les époux [T] font valoir que la clause dactylographiée de solidarité du cautionnement, aux termes de laquelle 'le présent cautionnement est un cautionnement personnel solidaire sans bénéfices de discussion et de division au profit de la caution', n'est pas conforme au formalisme imposé par l'article L. 341-3 du code de la consommation, et serait de surcroît contradictoire dans la mesure où un cautionnement est nécessairement consenti au profit d'un créancier, et non d'une caution.

Cette clause de renonciation aux bénéfices de discussion et de division n'est pourtant pas équivoque, ce qui est mentionné comme 'au profit de la caution' étant précisément le bénéfice de discussion et de division, et non le cautionnement lui-même.

Au surplus, il ressort de l'article L. 341-3 devenu L. 331-2 du code de la consommation que le formalisme de la stipulation de solidarité avec renonciation au bénéfice de discussion ne porte que sur la mention manuscrite qui a en l'espèce été correctement rédigée par chacun des époux [T], et non sur les clauses dactylographiées des conditions générales du contrat de cautionnement.

C'est donc là encore à juste titre que le premier juge a rejeté la demande d'annulation des cautionnements.

Sur la disproportion

Aux termes de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.

Le Crédit mutuel prétend à tort que l'exception de disproportion soulevée par les époux [T] serait prescrite faute d'avoir été invoquée dans les cinq ans de leurs engagements de caution.

En effet, il est de principe qu'il s'agit d'un moyen de défense échappant à la prescription.

Il ressort par ailleurs des fiches de renseignements patrimoniaux établies le 2 décembre 2007 par chacun des époux [T] que ceux-ci sont mariés sous le régime de la séparation de biens et avaient toujours un enfant à charge.

M. [T] y indiquait être sans revenus et déclarait être propriétaire, au travers d'une SCI, de la moitié de la valeur d'un immeuble de 190 000 euros sur lequel il restait à rembourser une somme de 178 614 euros au titre du prêt contracté pour en financer l'acquisition, de sorte que sa part sur la valeur nette ressortait à 5 693 euros.

Il ajoutait assumer le remboursement d'un prêt automobile générant une charge annuelle de 4 594 euros et être déjà engagé en qualité de caution à hauteur de 40 000 euros.

Ainsi, son engagement de caution, consenti dans la limite de 648 000 euros portant l'encours des cautionnements à 688 000 euros, était manifestement disproportionné à son patrimoine estimé à 5 693 euros et à son absence de revenus au moment de son engagement de caution du 12 décembre 2007.

À cet égard, c'est à tort que le premier juge a considéré que, du fait de leur engagement solidaire, la valeur du patrimoine revendiqué par l'épouse suffisait à écarter la disproportion de l'engagement du mari, alors que ceux-ci sont mariés sous le régime de la séparation de bien et que la proportionnalité de leurs engagements de caution doit en conséquence être appréciée distinctement au regard de leurs seuls biens et revenus propres.

Mme [T] indiquait quant à elle bénéficier d'un revenu annuel de 48 063 euros, avoir investi à hauteur de 24 000 euros dans l'immobilier de bureaux et être propriétaire en propre d'une maison et de gîtes d'une valeur globale de 850 000 euros sur lesquels il restait à rembourser une somme de 304 470 euros au titre des prêts contractés pour en financer l'acquisition, de sorte que leur valeur nette ressortait à 545 530 euros.

Elle précisait aussi être propriétaire, au travers d'une SCI, de la moitié de la valeur d'un immeuble de 190 000 euros sur lequel il restait à rembourser une somme de 178 614 euros au titre du prêt contracté pour en financer l'acquisition, de sorte que sa part sur la valeur nette ressortait à 5 693 euros.

Elle ajoutait assumer le remboursement de trois emprunts immobiliers générant une charge annuelle de 28 209 euros, déjà déduits de ses revenus à hauteur de 14 733 euros, et être en outre engagée en qualité de caution à hauteur de 40 000 euros.

Ainsi, son engagement de caution, consenti dans la limite de 648 000 euros portant l'encours des cautionnements à 688 000 euros, était manifestement disproportionné à son patrimoine estimé à 575 223 euros (545 530 + 5 693 + 24 000) et à ses revenus annuels nets, déduction faite de la charge de remboursement de ses emprunts, de 34 587 euros (48 063 - 13 476), soit 2 882 euros par mois, au moment de son engagement de caution du 12 décembre 2007.

Le Crédit mutuel, auquel il incombe d'apporter cette preuve, soutient que la situation financière des époux [T] leur aurait cependant permis de faire face à leurs engagements au moment où ils ont été appelés à les honorer.

À cet égard, au jour de l'assignation du 11 mars 2015, il leur était réclamé le paiement d'une créance de 313 142 euros, outre les intérêts au taux de 5,02 % sur le principal de 278 103 euros.

M. [T] bénéficiait à cette date, selon son avis d'impôt sur les revenus de l'année 2015, d'un revenu salarial annuel de 14 081 euros outre 5 249 euros de revenus fonciers, soit, au total, 19 330 euros par an et 1 610 euros par mois.

Son épouse lui a fait donation le 21 mai 2008 de diverses parcelles incluant une grange d'une valeur totale de 80 000 euros.

Il détenait en outre la totalité des parts d'une SASU 'L'Arpenteur des sens' exploitant des gîtes et chambres d'hôtes au capital social de 25 000 euros et dont l'exercice 2015 était déficitaire.

Par ailleurs, il possédait toujours au 11 mars 2015, au travers d'une SCI, la moitié de la valeur d'un bien immobilier estimé en 2007 à 190 000 euros et pour l'acquisition duquel avait été contracté un emprunt immobilier de 180 000 euros au taux de 4,57 % l'an remboursable en 20 ans, de sorte que le capital restant dû en 2015 peut être évalué à une somme de l'ordre de 120 000 euros et qu'ainsi sa part sur la valeur nette du bien ressortait alors à environ 30 000 euros.

Au regard de ces observations, rien ne démontre que la situation de M. [T] lui permettait de faire face à son engagement de caution au moment où il a été appelé à l'honorer.

Dès lors, le Crédit mutuel, qui ne peut se prévaloir de ce cautionnement, sera débouté de ses demandes formées contre M. [T], le jugement attaqué étant réformé en ce sens.

Selon son avis d'impôt sur les revenus de l'année 2015, Mme [T] bénéficiait quant à elle, au moment de l'assignation du 11 mars 2015, d'un revenu salarial et de pensions de retraite de 28 948 euros par an, outre 7 580 euros de revenus fonciers, soit, au total, 36 528 euros par an et 3 044 euros par mois.

S'il doit toujours être tenu compte de l'encours de cautionnement à hauteur de 40 000 euros, la charge de remboursement de son encours de crédit n'était plus que de 25 668 euros par an, soit 2 139 euros par mois, puisque l'un des prêts était arrivé à son terme contractuel en décembre 2014.

Elle possédait toujours également au 11 mars 2015, au travers d'une SCI, la moitié de la valeur nette d'un bien immobilier dont l'évaluation avait été précédemment arrêtée à 30 000 euros.

En outre, elle déclarait en 2007 un actif immobilier propre d'une valeur globale de 850 000 euros sur lesquels il restait à rembourser une somme de 304 470 euros au titre des prêts contractés pour en financer l'acquisition, de sorte que leur valeur nette ressortait à 545 530 euros.

Depuis lors, elle a fait donation à son conjoint d'une partie de ces biens à hauteur de 80 000 euros en 2008, mais le capital restant dû sur les prêts ayant servi à en financer l'acquisition, pris en compte à hauteur de 304 470 euros au moment de l'engagement de caution pour l'estimation de la valeur nette des immeubles, était notablement moindre en 2015, l'un des trois prêts étant arrivé à son terme en décembre 2014 et les autres ayant continué à être remboursés durant huit ans.

Par ailleurs, si, selon compromis de vente du 25 février 2016, Mme [T] a cédé à son conjoint une autre partie substantielle de biens immobiliers moyennant le prix de 400 000 euros, cette vente, postérieure à l'assignation du 11 mars 2015 par laquelle le Crédit mutuel appelait les cautions à honorer leurs engagements, n'a pas à être prise en compte dans l'évaluation de l'action patrimonial de Mme [T] au moment où elle est appelée à honorer son engagement de caution.

L'appelante en déduit toutefois que son actif patrimonial aurait eu, en 2015, une valeur bien moindre que celle de 850 000 euros retenue dans la fiche de renseignements patrimoniaux, mais, s'il est plausible que sa valeur ait subi un certain tassement au moment de la crise du secteur de l'immobilier de la fin des années 2000, le Crédit mutuel fait valoir à juste que l'évaluation de 2016 ne peut être retenue, dès lors qu'elle a été réalisée dans le contexte d'une vente entre conjoints et qu'une partie de la vente a eu lieu sous la forme de cession de droits indivis, et non en pleine propriété.

Il s'évince en conséquence de ce qui précède que la situation patrimoniale de Mme [T] lui permettait de faire face à ses obligations, réduites à 313 142 euros outre les intérêts contractuels, au moment où elle a été appelée à les honorer par assignation du11 mars 2015, de sorte que le Crédit mutuel peut se prévaloir de son engagement de caution.

Sur la mise en garde

Comme le rappelle exactement Mme [T], il est de principe que la banque dispensatrice de crédit est tenue, à l'égard d'une caution non avertie, d'un devoir de mise en garde portant à la fois sur l'inadéquation de sa situation financière à son engagement de caution ainsi que sur le risque né d'un endettement excessif de l'emprunteur au regard de ses capacités de remboursement.

Le Crédit mutuel lui oppose la prescription de son action en responsabilité, soutenant que le délai de la prescription quinquennale aurait commencé à courir à compter de l'engagement de caution du 12 décembre 2007.

À cet égard, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme [T] ne s'est pas bornée à invoquer le manquement de la banque à son devoir de mise en garde comme moyen de défense afin de conclure au rejet des prétentions adverses, mais a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts qui se trouve donc bien soumise à la prescription.

En revanche, le point de départ du délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce applicable aux actions en responsabilité exercées contre une banque, de dix ans ramenés à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, n'a commencé à courir qu'à compter du jour où la caution a connu ou aurait dû connaître le dommage invoqué, c'est à dire, de jurisprudence établie, à compter de la sommation d'avoir à honorer son engagement.

Dès lors, Mme [T], qui n'a été mise en demeure d'honorer son engagement de caution que par lettre recommandée avec avis de réception du 20 mars 2014, était parfaitement recevable à former sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts par conclusions du 12 juillet 2016.

Cependant, le Crédit mutuel fait valoir avec raison que Mme [T] était une caution avertie.

Elle était en effet la gérante fondatrice de la SCI emprunteuse dont elle détenait 50 % du capital social, créée en 1999 avec pour objet social l'acquisition et la gestion d'un patrimoine immobilier.

Dirigeante de société depuis plus de neuf ans et âgée de 55 ans au moment de l'opération litigieuse consistant à acquérir et aménager un ensemble immobilier à usage locatif comprenant une maison principale divisée en trois appartements et une ancienne grange à diviser en quatre appartements, elle avait en outre acquis la compétence et l'expérience du financement de ce type d'opérations immobilières pour avoir, au travers de sa SCI, déjà réalisé au moins une opération de même nature.

Étant par ailleurs observé qu'elle ne prétend pas, et démontre moins encore, que le Crédit mutuel aurait eu, sur l'opération financée ou sa situation financière, des informations qu'elle aurait elle-même ignorées, sa demande en paiement de dommages-intérêts a été à juste titre rejetée par le premier juge.

Sur la déchéance du droit du prêteur aux intérêts

Il résulte de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à la cause que les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente, le défaut d'accomplissement de cette formalité emportant, dans les rapports entre la caution et le créancier, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information, et les paiements effectués par le débiteur principal étant réputés affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.

D'autre part, il résulte de l'article L. 341-1 devenu L. 333-1 et L. 343-5 du code de la consommation, dans leur rédaction applicable à la cause, que toute personne physique qui s'est portée caution est informée par le créancier professionnel de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l'exigibilité de ce paiement, à défaut de quoi la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retards échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée.

Or, le Crédit mutuel ne justifie pas s'être acquitté de son obligation d'information annuelle de la caution.

La banque prétend à cet égard à tort en être dispensée au seul motif qu'étant gérante de la SCI emprunteuse, Mme [T] ne pouvait ignorer l'encours du concours consenti à sa société, alors que cette information est due par tout créancier professionnel à toute personne physique s'étant portée caution, peu important qu'elle soit dirigeante.

Le Crédit mutuel sera donc déchu de son droit aux intérêts contractuels à compter du 31 mars 2009, date limite d'envoi de la première lettre d'information qui aurait dû être adressée à Mme [T], avec réimputation sur le capital de la totalité des règlements effectués durant cette période par la SCI.

Par ailleurs, le prêteur, qui admet que le premier incident non intégralement régularisé remontait au 5 septembre 2013, n'a pas adressé dans le mois à la caution un courrier l'informant de la défaillance de la SCI.

Il fait valoir que la déchéance du droit du prêteur aux intérêts et pénalités encourue devrait être limitée à la période du 5 septembre 2013 au 20 mars 2014, date de la mise en demeure des cautions, mais ce courrier, qui leur réclame le paiement de la totalité des sommes dues sans leur laisser la faculté de se substituer à la société emprunteuse pour régulariser l'arriéré, leur a nécessairement été adressé postérieurement à la déchéance du terme, laquelle a nécessairement rendu l'indemnité de défaillance de 7 % exigible.

Par conséquent, le Crédit mutuel se trouve déchu de son droit à pénalité.

Sur la créance de la banque

Mme [T] conteste le caractère probant des décomptes de la banque, les modalités d'amortissement du capital par les échéances de remboursement effectivement honorées par la SCI ainsi que le caractère excessif de l'indemnité d'exigibilité de 7 %, mais la déchéance du droit du prêteur aux pénalités et intérêts avec imputation des règlements effectués sur le capital rend ces contestations sans objet.

Du fait de la déchéance du droit du prêteur aux intérêts et pénalité depuis le 31 mars 2009, Mme [T] n'est en effet plus tenue qu'au paiement du seul capital restant dû à cette date, soit 560 091,91 euros selon le tableau d'amortissement rectifié tenant compte des modalités effectives de déblocage des fonds, déduction faite de l'ensemble des règlements opérés postérieurement au 1er avril 2009.

À cet égard, selon le décompte de la banque elle-même, la SCI a réglé, avant la déchéance du terme du 20 mars 2014, les échéances de remboursement d'avril 2009 à août 2013, soit 187 374,08 euros (3 535,36 x 53).

En outre, les échéances de septembre 2013 à mars 2014 ayant été laissées impayées à due concurrence de 23 453,36 euros (7 663,03 euros en capital et 15 790,33 euros en intérêts), et le montant total des échéances totalement impayées d'octobre 2013 à mars 2014 s'élevant à 21 212,16 euros (3 535,36 x 6), il en résulte que l'échéance de septembre 2013 a été honorée à hauteur de 1 294,16 euros.

Ont enfin été encaissées par le prêteur les sommes de 66 550 euros le 7 octobre 2014 à la suite de la vente amiable de certains biens immobiliers appartenant à la SCI, puis de 240 017,79 euros le 24 février 2017 après la mise en oeuvre d'une procédure de saisie immobilière à l'encontre de la SCI.

Mme [T] sera en conséquence condamnée au paiement de la somme de 64 855,88 euros (560 091,91 - 187 374,08 - 1 294,16 - 66 550 - 240 017,79), avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 mars 2014.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de M. [T] l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de la procédure et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes d'application de l'article 700 du code de procédure civile seront en toute équité rejetées.

Les dépens de première instance et d'appel seront supportés par moitié entre le Crédit mutuel et Mme [T], parties toutes deux partiellement succombantes.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme partiellement le jugement rendu le 25 février 2019 par le tribunal de grande instance de Saint-Malo ;

Statuant à nouveau sur l'entier litige,

Rejette les fins de non-recevoir tirées de la prescription ;

Rejette la demande d'annulation des contrats de cautionnements ;

Dit que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] ne peut se prévaloir de l'engagement de caution de M. [T] et la déboute de ses demandes formées contre lui ;

Dit que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] peut se prévaloir de l'engagement de caution de Mme [K] épouse [T] ;

Déchoit la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] de son droit aux intérêts et pénalités à compter du 31 mars 2009 ;

Condamne Mme [K] épouse [T] à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] la somme de 64 855,88 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014 ;

Déboute Mme [K] épouse [T] de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Condamne la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] à payer à M. [T] une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes d'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel, les partage et les met pour moitié à la charge de la Caisse de crédit mutuel de [Localité 5] d'une part, et de Mme [K] épouse [T] d'autre part ;

Accorde, dans les conditions et limites de ce partage, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19/04755
Date de la décision : 14/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-14;19.04755 ?
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