2ème Chambre
ARRÊT N° 511
N° RG 19/04515 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P5BT
(2)
SA CREDIT LYONNAIS
C/
M. [O] [F]
Mme [G] [J] épouse [F]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Arnaud FOUQUAUT
-Me Alexis CROIX
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe
****
APPELANTE :
SA CREDIT LYONNAIS
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Alexis CROIX de la SELARL A-LEX AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [O] [F]
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représenté par Me Arnaud FOUQUAUT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Marc ROUXEL, Plaidant, avocat au barreau de ANGERS
Madame [G] [J] épouse [F]
née le [Date naissance 2] 1951 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnaud FOUQUAUT, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Marc ROUXEL, Plaidant, avocat au barreau de ANGERS
2
EXPOSÉ DU LITIGE :
Suivant offre du 2 décembre 2004, M. et Mme [O] [F] ont souscrit un crédit immobilier auprès du Crédit Lyonnais, pour un montant de 442 000 euros sur une durée de 15 ans, moyennant un taux d'intérêt de 3,84 %.
Suivant avenant du 16 avril 2013, le Crédit Lyonnais a consenti une réduction du taux de l'intérêt, de 3,84 à 2,70 % l'an à compter de l'échéance du 18 juin 2013, les autres dispositions du prêt demeurant inchangées.
À la suite d'une analyse de leur crédit par un expert comptable relevant des anomalies dans le taux effectif global du contrat, les époux [F] ont fait assigner le Crédit Lyonnais, par acte du 13 avril 2017 devant le tribunal de grande instance de Saint-Malo qui par jugement du 27 mai 2019 le tribunal a :
Débouté la SA Crédit Lyonnais des moyens tirés de l'irrecevabilité et de la prescription de l'action;
Constaté que le taux effectif global figurant au contrat de prêt conclu le 20 décembre 2004 est erroné et que les intérêts conventionnels n'ont pas été calculés sur la base d'une année civile de 365 jours à titre principal, et par conséquent :
Ordonné la nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts conventionnels ;
Condamné le Crédit Lyonnais à produire un tableau d'amortissement rectificatif établi sur la base du taux légal en vigueur au jour du 20 décembre 2004, faisant apparaître le montant des intérêts trop perçus dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
Condamné le Crédit Lyonnais à restituer les intérêts indus avec application du taux légal et ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil;
Condamné le Crédit Lyonnais à verser à M et Mme [F] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné le Crédit Lyonnais aux dépens de l'instance, en ce compris l'article 13 du décret numéro 2016 230 du 26 février 2013 qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
Ordonné l'exécution provisoire de la décision
Le Crédit Lyonnais est appelant du jugement et par dernières conclusions notifiées le 5 avril 2022, il demande de :
Réformer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Saint-Malo le 27 mai 2019 en ce qu'il déclare M. [O] [F] et son épouse Mme [G] [F] recevables en leur action en nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels de leur prêt et les déclare fondés en leur critique du mode de calcul des intérêts dudit prêt,
Déclarer M. [O] [F] et son épouse Mme [G] [F] irrecevables comme prescrits depuis le 15 décembre 2009 en leurs critiques et contestations portant tant sur le mode de calcul des intérêts conventionnels de leur prêt que sur le taux effectif global dudit prêt,
Et subsidiairement, au fond,
Réformer le jugement dont appel en ce qu'il accueille les époux [F] en leur action,
Les déclarer mal fondés en leur action en nullité de la stipulation d'intérêts comme en leur action subsidiaire en déchéance du droit du créancier
Les débouter en conséquence en toutes leurs prétentions, actions et demandes en toutes les fins qu'elles comportent,
Les Condamner solidairement par application de l'article 700 du code de procédure civile à payer au Crédit Lyonnais une indemnité de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
Les débouter de toutes demande sur ce fondement, tant en première instance qu'en appel,
Et les Condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction.
Par dernières conclusions notifiées le 1er avril 2022, les époux [F] demandent de :
A titre liminaire,
Ecarter des débats les conclusions d'appelant notifiées les 31 mars 2020 et 22 février 2022 en ce qu'elles ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile ;
A titre principal,
Prononcer la nullité de la stipulation contractuelle relative aux intérêts conventionnels
A titre subsidiaire,
Prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts
En tout état de cause,
Confirmer la décision rendue en première instance.
Condamner le Crédit Lyonnais à verser à M. et Mme [F] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner le Crédit Lyonnais aux dépens de l'instance, en ce compris l'article 13 du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
S'agissant de la demande de rejet des conclusions notifiées par l'appelant le 31 mars 2020, cette demande est devenue sans objet, l'appelant ayant notifié de nouvelles conclusions récapitulatives le 5 avril 2022 qui seules saisissent la cour et dont la forme n'est pas critiquée.
Le prêteur fait grief au premier juge d'avoir écarté le moyen de prescription de l'action engagée par les époux [F] en nullité et déchéance de la stipulation d'intérêts conventionnels.
A l'appui de leurs demandes, les époux [F] font valoir que le taux effectif global n'inclut pas les frais de prise de garantie et que les intérêts du prêt sont calculés sur la base d'une année de 360 jours dite lombarde. Ils demandent la confirmation du jugement qui a écarté le moyen de prescription en retenant qu'ils n'ont pu avoir connaissance de l'incidence mathématique sur le calcul du taux effectif global des erreurs constatées dans l'offre qu'à la réception du rapport dressé le 18 novembre 2015 par l'expert-comptable qu'ils ont consulté.
En application des articles 1304 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, l'action de l'emprunteur en nullité de la stipulation d'intérêts se prescrit par cinq ans, commençant à courir à compter de la découverte du vice affectant le TEG.
En application de l'article L. 110-4 du code de commerce, l'action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts se prescrit quant à elle par dix ans réduits à cinq ans à compter du 19 juin 2008 à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'inexactitude du TEG, lui révélant ainsi le dommage en résultant.
Il en ressort que, dans les deux cas, le délai de prescription court à compter de la date de l'offre lorsque cette inexactitude était décelable à la simple lecture de l'acte.
S'agissant de l'absence de prise en compte des frais de garantie dans l'offre de prêt acceptée le 14 décembre 2004, il sera relevé que dans la clause relative au coût du crédit, il était précisé que ce coût ne comprenait 'ni les intérêts dus sur les utilisations, ni la commission d'engagement s'il existe une période d'utilisation progressive ou une période d'anticipation, ni les frais de garantie, ni les intérêts intercalaires courant entre la date de départ du prêt et la date de la période de remboursement ou de différé d'amortissement ou de franchise totale.'
L'indication du taux effectif global porté dans l'offre pour 4,498 % comportait par ailleurs un renvoi numéroté (6) qui précisait que ce taux était calculé ' hors coût des frais de garantie, leur montant ne pouvant être déterminé avec précision à ce jour'.
Si ces notes de renvoi figuraient en fin d'offre, elles étaient parfaitement lisibles et ont été paraphées par les emprunteurs ce qui permet de retenir qu'ils en ont pris connaissance. Le fait que les frais de garanties aient été portés dans l'offre pour un montant 'évalué' de 5 230 euros n'apparaît pas suffisant pour induire en erreur un consommateur normalement attentif et laisser penser que ces frais étaient pris en compte dans le calcul alors même qu'il était expressément mentionné que le coût du crédit n'incluait pas les frais de garantie.
Au regard de ces stipulations il était apparent à la simple lecture de l'offre et dès son acceptation le 14 décembre 2004 que le coût des garanties n'était pas inclus dans le calcul et que le taux tel que porté dans l'offre de prêt était inexact. Le constat de cette inexactitude n'exigeait aucune compétence particulière ni calcul de sorte que le point de départ du délai de prescription de ce chef est la date d'acceptation de l'offre.
S'agissant du calcul d'intérêts sur la base d'une année de 360 jours et de mois de 30 jours, il sera constaté que ces modalités sont exposées de manière explicite dans l'offre de prêt.
Il apparaît dès lors que les emprunteurs pouvaient dès l'acceptation de l'offre à sa simple lecture et sans aucun calcul se convaincre de ce que les intérêts du prêt n'étaient pas calculés sur l'année civile.
Il conviendra par ailleurs de relever que la clause critiquée précisait que le taux effectif global est indiqué sur la base du montant exact des intérêts rapportés à 365 jours l'an.
Le rapport de M. [X] produit par les époux [F] à l'appui de leurs contestations est par ailleurs sans incidence sur ce point en ce qu'il se borne à critiquer l'absence d'intégration des frais de garantie mais ne contredit pas que le prêteur a bien calculé le taux effectif global sur la base d'une année civile de 365 jours. En effet, il ressort des mentions de son rapport que suivant les bases retenues par la banque le consultant aboutit à un taux effectif global de 4,497935 % quand le prêteur mentionne dans l'offre un taux effectif global de 4,498 %, la différence ressortant des simples règles d'arrondi.
Au regard de ces éléments, les époux [F] ayant engagé leur action par assignation délivrée le 13 avril 2017 sont prescrits en leurs actions en nullité et déchéance du droit aux intérêts engagés postérieurement au 14 décembre 2009 et 19 juin 2013, le jugement étant infirmé de ce chef.
Il sera en revanche constaté que les époux [F] soutiennent que la clause querellée est abusive.
Or par un arrêt du 10 juin 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
Il en résulte que la demande tendant à voir constater le caractère abusif d'une clause sur le fondement de l'article L. 132-1 devenu L. L. 212-1 du code de la consommation n'est pas soumise à la prescription quinquennale.
Cependant, la banque fait à juste titre observer que, pour le calcul du TEG d'un prêt à périodicité mensuelle, la détermination du taux de période en lui appliquant le rapport d'un mois de 30 jours sur une année de 360 jours, produit un résultat mathématique strictement équivalent à l'application du rapport d'un mois normalisé de 30,41666 jours sur une année civile de 365 jours prescrit par l'annexe à l'article R. 313-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause.
Si, même en présence d'un prêt à périodicité mensuelle, la réalisation d'un tel calcul sur la base d'une année de 360 jours peut, lorsqu'il existe des intérêts produits par les portions du crédit débloquées par tranches successives ou par le capital libéré à une date autre que la date d'échéance prévue par le tableau d'amortissement, être de nature à affecter le coût du crédit et, partant, le TEG, les époux [F] n'apportent pas la preuve suffisante, qui leur incombe, qu'il existe en l'espèce de telles échéances brisées ayant généré la facturation d'un trop-perçu d'intérêts intercalaires en leur défaveur, de nature à affecter l'exactitude du TEG au delà de la marge d'erreur d'une décimale admise par l'article R. 313-1 sus-visé.
La banque fait valoir sur ce point à juste titre que la différence de 1 centime par échéance tel que calculé par les époux [F] sur trois échéances par rapport au montant des échéances du prêt ne sont la conséquence que de l'application de règles d'arrondi et les emprunteurs ne font ainsi pas la preuve de ce que ces différences excèdent la marge d'erreur admissible.
Il en résulte que les emprunteurs ne démontrent pas que cette clause crée un déséquilibre significatif à leur détriment, de sorte qu'elle ne saurait être qualifiée d'abusive.
Il n'y a donc pas lieu d'écarter cette clause, et moins encore la stipulation d'intérêts conventionnel qui lui est en toute hypothèse distincte et demeurerait applicable quand bien même la clause de calcul des intérêts sur 360 jours serait réputée non écrite.
Les demandes des époux [F] étant prescrites ou infondées, le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.
Les époux [F] qui succombent seront condamnés aux entiers dépens et il apparaît équitable d'allouer au Crédit Lyonnais une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 mai 2019 par le tribunal de grande instance de Saint Malo,
et statuant à nouveau,
Déclare M. et Mme [O] [F] irrecevables car prescrits en leurs demandes d'annulation de la stipulation d'intérêts et en déchéance du droit du prêteur aux intérêts fondées sur la stipulation de la clause de calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours et pour absence de prise en compte des frais de garantie dans le calcul du taux effectif global.
Déclare M et Mme [O] [F] recevables mais non fondés en leurs demandes tendant à voir déclarer abusive la clause de calcul des intérêts sur 360 jours.
Condamne M et Mme [O] [F] à payer à la SA Crédit Lyonnais la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M et Mme [O] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT