3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°478
N° RG 19/07799 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QJOL
SAS COMPTOIR GENERAL POUR LA FERMETURE- COGEFERM
C/
M. [Z] [K]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me BERTHELOT
Me COROUGE- LE BIHAN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Juillet 2022 devant Monsieur Dominique GARET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Société COMPTOIR GENERAL POUR LA FERMETURE - COGEFERM, immatriculée au RCS de MEAUX sous le numéro B 313 350 613, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Marie BERTHELOT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [Z] [K], inscrit au RCS de SAINT BRIEUC sous le numéro 418 666 640 exerçant à l'enseigne « LOGISERVICES »
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Laurence COROUGE-LE BIHAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
FAITS ET PROCEDURE
Suivant message du 23 mars 2017, M. [Z] [K], artisan serrurier, se rapprochait de la société Comptoir Général pour la Fermeture (ci-après la Cogeferm), entreprise de fourniture de matériels de fermeture, en vue de commander un certain nombre de serrures destinées à un EHPAD.
Aux termes de ce message, M. [K] détaillait le nombre de cylindres dont l'établissement avait besoin, telle clé ou tel passe devant permettre d'ouvrir telle porte ou tel secteur du bâtiment.
Le 21 mars 2018, après plusieurs échanges électroniques à l'issue desquels M. [K] avait validé un «'organigramme'» pré-établi par la Cogeferm pour énumérer la liste des serrures à fabriquer, une commande ferme et définitive était conclue entre les parties.
Le 12 avril 2018, les serrures étaient livrées et réceptionnées sans réserves par M. [K].
Le 30 avril 2018, la Cogeferm émettait sa facture, d'un montant de 10.438,08 €, conforme au devis accepté par M. [K].
Le 11 juin 2018, une lettre de change était émise pour un montant de 10.503,53 €, comprenant à la fois la facture précitée ainsi qu'une autre d'un montant de 65,45 €.
Toutefois, cette lettre ne devait pas être honorée à son échéance, M. [K] ayant en effet demandé à sa banque de ne pas la régler, au motif que la prestation de la Cogeferm était «'incorrecte'».
M. [K] reprochait en effet à son fournisseur d'avoir fait fabriquer des serrures selon un organigramme établi «'totalement à l'inverse de celui dont [il avait] passé commande'».
De ce fait, les serrures ne convenant pas à l'EHPAD, celui-ci les avait refusées.
L'artisan et le fournisseur se rejetaient alors mutuellement la responsabilité d'une commande qui s'était avérée erronée par rapport aux attentes du client de M. [K].
En l'absence de règlement amiable du litige, la Cogeferm, après plusieurs mises en demeure restées infructueuses, faisait assigner M. [K] devant le tribunal de commerce de Saint Brieuc qui, par jugement du 25 novembre 2019':
- déboutait M. [K] de sa demande de résolution du contrat';
- condamnait M. [K] payer à la Cogeferm une somme de 10.438,08 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2018';
- condamnait M. [K] à payer à la Cogeferm une somme de 40 € à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement';
- jugeait que la Cogeferm avait manqué à son obligation de conseil et à son obligation de délivrance conforme';
- jugeait que M. [K] avait subi un manque à gagner de 2.618,87 € HT';
- jugeait que la Cogeferm en portait la responsabilité';
- condamnait la Cogeferm à payer à M. [K] une somme de 10.438,08 € à titre de dommages-intérêts';
- ordonnait la compensation entre les créances respectives des parties';
- ordonnait la restitution sans délai du matériel par M. [K] à la Cogeferm';
- déboutait les parties du surplus de leurs demandes';
- condamnait la Cogeferm à payer à M. [K] une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamnait la Cogeferm aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 3 décembre 2019, la Cogeferm interjetait appel de cette décision.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 17 août 2020, l'intimé les siennes le 22 mai 2020.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 16 juin 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La Cogeferm demande à la cour de :
Vu les articles 1101 et suivants et 1650 et suivants du code civil,
- débouter M. [K] de son appel incident comme de toutes ses demandes, fins et prétentions;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* jugé l'action de la Cogeferm recevable, dit le contrat valide, et considéré dans ses motifs que les marchandises avaient été livrées conformes à la commande';
* condamné M. [K] au paiement de la somme de 10.438,08 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2018, outre celle de 40 € à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement';
* débouté M. [K] de sa demande de résolution du contrat';
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
* jugé que la Cogeferm avait manqué à son obligation de conseil et à son obligation de délivrance conforme';
* dit que M. [K] avait subi un manque à gagner de 2.618,87 € HT';
* jugé que la Cogeferm en portait la responsabilité';
* condamné la Cogeferm à payer à M. [K] une somme de 10.438,08 € à titre de dommages et intérêts';
* ordonné la compensation entre les créances respectives des parties';
* ordonné la restitution du matériel sans délais par M. [K] à la Cogeferm';
* condamné la Cogeferm au paiement d'une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
* condamné la Cogeferm aux entiers dépens';
Statuant à nouveau,
- dire et juger que la Cogeferm a délivré à M. [K] des marchandises conformes à ce qu'il avait commandé';
- dire et juger que la Cogeferm n'a pas manqué à son obligation de conseil et n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité';
- débouter M. [K] de toutes demandes, fins et conclusions contraires ;
- condamner M. [K] au paiement d'une somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'instance d'appel ;
- condamner M. [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, M. [K] demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil,
Vu les articles 1217 et suivants du code civil,
- dire et juger que la Cogeferm a manqué à son obligation de conseil et à son obligation de délivrance conforme';
A titre principal,
- faire droit à l'appel incident de M. [K]';
- ordonner la résolution du contrat';
- donner acte à M. [K] de ce que les marchandises livrées ont d'ores et déjà été restituées à la Cogerferm';
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* jugé que la Cogeferm avait manqué à son obligation de conseil et à son obligation de délivrance conforme';
* condamné la Cogeferm à payer à M. [K] la somme de 10.438,08 € à titre de dommages et intérêts';
* ordonné la compensation entre les créances respectives des parties';
* ordonné la restitution du matériel sans délais par M. [K] à la Cogeferm';
* donner acte à M. [K] de ce que les marchandises livrées ont déjà été restituées';
A titre plus subsidiaire,
- ordonner un partage de responsabilité dans les proportions suivantes : 70 % pour la Cogeferm et 30 % pour M. [K]';
- fixer en conséquence la créance de la Cogeferm à la somme de 3.131,42 €';
- accorder à M. [K] un délai de 12 mois pour s'acquitter de cette somme';
En tout état de cause,
- débouter la Cogeferm de ses demandes plus amples ou contraires';
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la Cogeferm au paiement d'une somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens';
Y ajoutant,
- condamner la Cogeferm au paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700';
- condamner la Cogeferm aux entiers dépens d'appel.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1104 ajoute que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Enfin, l'article 1193 dispose que les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise.
Sur la demande tendant à la résolution de la vente pour défaut de conformité':
Par application de l'article 1604 du code civil, le vendeur est tenu vis-à-vis de l'acheteur d'une obligation de délivrer une chose conforme à celle commandée.
Ainsi, l'acquéreur ne peut être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée.
Encore faut-il que le défaut de conformité soit établi, la preuve en incombant à l'acquéreur qui soulève cette exception.
En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que les serrures livrées par la Cogeferm à M. [K] sont celles-là mêmes qu'il lui a commandées, précisément celles qui figurent sur le dernier organigramme validé par ce dernier.
Certes, M. [K] explique avoir adressé à son fournisseur, par un message du 23 mars 2017, la liste détaillée des serrures correspondant aux attentes de son propre client, et fait valoir que la Cogeferm s'est trompée dans l'établissement de l'organigramme qu'elle lui a ensuite adressé, cet organigramme s'étant finalement avéré non conforme à l'attente de l'EHPAD.
Toutefois, il convient de rappeler':
- que les parties ont échangé pendant plusieurs mois au sujet de cette commande';
- que l'organigramme établi par la Cogeferm a été modifié par l'artisan lui-même avant d'être définitivement approuvé par lui, ce qui laissait présumer qu'il était conforme, au moins dans sa dernière version, aux attentes de l'artisan';
- qu'au surplus, la Cogeferm n'a pas manqué d'attirer l'attention de son interlocuteur sur la manière dont ce document devait être lu (cf en ce sens un message très détaillé du 10 juillet 2017), ce qui aurait dû permettre à M. [K] de détecter les anomalies dont l'organigramme était affecté selon lui.
Dès lors, l'artisan ne saurait se prévaloir d'un manquement de la Cogeferm à son obligation de délivrance conforme, dans la mesure où les serrures qu'elle a fait fabriquer sont strictement conformes, tant en nature qu'en quantité, à celles figurant sur l'organigramme définitivement approuvé par M. [K] dans sa dernière version contractuelle.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande de résolution du contrat, et infirmé en ce qu'il a jugé, de manière contradictoire avec cette disposition, que la Cogeferm avait manqué à son obligation de délivrance conforme.
Par suite, le jugement sera également confirmé':
- en ce qu'il a condamné M. [K] au paiement du prix de vente convenu entre les parties, soit une somme de 10.438,08 € TTC avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juin 2018 conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil';
- en ce qu'il a condamné M. [K] au paiement d'une somme de 40 € à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement, conformément aux dispositions de l'article L 441-6 du code de commerce dans sa numérotation applicable à la date de l'établissement de la facture litigieuse.
Enfin et en l'absence de résolution du contrat, il n'y a pas lieu d'ordonner la restitution des serrures achetées et livrées par la Cogeferm à M. [K], le jugement devant être infirmé en ce sens.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [K] à l'encontre de la Cogeferm':
Il vient d'être jugé que la Cogeferm n'avait pas manqué à son obligation de délivrance conforme. Dès lors, aucune condamnation indemnitaire ne saurait être prononcée à son encontre de ce chef.
Par ailleurs, il convient de rappeler':
- que l'obligation d'information et de conseil du vendeur n'existe à l'égard de l'acheteur professionnel que dans la mesure où la compétence de ce dernier ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont vendus';
- qu'en l'occurrence, étant artisan serrurier, M. [K] exerce une profession sinon identique, du moins très voisine de celle de la Cogeferm, quant à elle fournisseur de serrures';
- qu'en cette qualité d'artisan serrurier, M. [K] était censé pouvoir lire, comprendre et interpréter l'organigramme que la Cogeferm lui a transmis avant la prise de commande, ce d'autant plus qu'il l'a lui-même modifié avant de confirmer sa commande';
- qu'en tout état de cause, en attirant l'attention de l'artisan, par un message en date du 10 juillet 2017, sur la manière dont ce document devait être lu, et en l'invitant à vérifier, au vu du document transmis, «'chaque cylindre pour savoir quel passe l'ouvre'», la Cogeferm a mis son client en mesure d'apprécier la portée exacte des caractéristiques des biens qu'il se proposait de lui livrer.
Par là même, la Cogeferm a satisfait à son devoir contractuel d'information et de conseil.
En conséquence et en l'absence de faute commise par la Cogeferm, M. [K] sera débouté de sa demande de dommages-intérêts, ne pouvant pas davantage se prévaloir, même à titre subsidiaire, d'un «'partage de responsabilité'».
Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les autres demandes :
Partie perdante, M. [K] sera condamné à payer à la Cogeferm une somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance comme en cause d'appel.
Enfin, M. [K] supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [Z] [K] de sa demande de résolution du contrat, en ce qu'il a condamné M. [K] à payer à la société Comptoir Général pour la Fermeture une somme de 10.438,08 € avec intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2018 ainsi qu'une somme de 40 € à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement';
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant':
* déboute M. [Z] [K] de l'ensemble de ses demandes';
* déboute la société Comptoir Général pour la Fermeture du surplus de ses demandes';
* condamne M. [Z] [K] à payer à la société Comptoir Général pour la Fermeture une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamne M. [Z] [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et dit que ces derniers seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffierLe président