5ème Chambre
ARRÊT N°-267
N° RG 19/02415 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PV23
M. [V] [D]
C/
M. [G] [I]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [V] [D]
né le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 7] ([Localité 7])
Résidence [9]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Christian NOTTE-FORZY, Plaidant, avocat au barreau D'ANGERS
INTIMÉ :
Monsieur [G] [I]
né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 10] (34)
Clinique [8] - [Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Cécile DE OLIVEIRA de la SELARL ASKE 1, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
Par un arrêt de la cour d'appel de Rennes en date du 27 mai 2013, M. [V] [D], psychothérapeute, a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve pour des faits d'agression sexuelle.
Dans le cadre de cette procédure pénale, le docteur [G] [I], psychiatre des hôpitaux et expert près la cour d'appel avait été désigné en qualité d'expert judiciaire afin de réaliser une expertise psychiatrique de M. [V] [D].
Par acte du 8 mars 2018, M. [V] [D] a assigné M. [G] [I] devant le tribunal d'instance de Saint Nazaire aux fins de reconnaissance de sa responsabilité civile délictuelle pour des fautes que celui-ci aurait commises à l'occasion de cette expertise.
Par jugement en date du 5 décembre 2018, le tribunal d'instance de Saint Nazaire a :
- débouté M. [V] [D] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné M. [V] [D] à payer au docteur [G] [I] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [V] [D] aux dépens.
Le 9 avril 2019, M. [V] [D] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 avril 2022, il demande à la cour de :
- le recevoir en son appel, l'y déclarant bien fondé et y faisant droit,
- infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,
En conséquence,
A titre principal,
- constater que le docteur [G] [I] en qualité d'expert n'a pas exécuté sa mission d'expertise conformément aux exigences et règles posées par le code de procédure civile en matière d'expertise et par le code de déontologie médicale et les directives de la Haute autorité de la santé,
- constater que le rapport d'expertise a conduit au prononcé d'une décision de justice basée sur des éléments erronés voire se contredisant,
- constater que les fautes du docteur [G] [I] en qualité d'expert, sont de nature à induire le juge en erreur et qu'elles sont constitutives d'une faute engageant sa responsabilité civile délictuelle,
- condamner le docteur [G] [I] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de ses préjudices moral et financier,
- rejeter toute demande contraire comme non recevable en tous cas non fondée,
Y additant,
- condamner le docteur [G] [I] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamner le docteur [G] [I] aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par Me Luc Bourges, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 2 octobre 2019, M. [G] [I] demande à la cour de :
- débouter M. [V] [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [V] [D] à lui régler une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. [V] [D] aux entiers dépens de la procédure.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la responsabilité du docteur [I]
M. [D] reproche à M. [G] [I] d'avoir manqué à ses obligations fixées par les articles 237 et 238 du code de procédure civile et à ses obligations déontologiques, à l'occasion de l'exercice de sa mission d'expertise.
Il invoque ainsi :
- des appréciations arbitraires, non vérifiées en l'absence de constatations cliniques (absence de consultation du dossier médical de M. [D] ou de test de niveau, par exemple),
- l'omission d'éléments pourtant consultés (témoignages de patients en sa faveur, en particulier),
- des propos contradictoires, déplacés et dénigrants, voire discriminatoires à l'égard de M. [D], décrit notamment comme affecté d'un trouble de la personnalité de type narcissique empreint d'une certaine dangerosité par fausseté du jugement, alors même que l'expert ne caractérise aucun trouble psychique ou neuro-psychique l'affectant,
- une absence de neutralité et un non-respect de la présomption d'innocence, traduits par des termes à connotation péjorative tel que charlatanisme ou se décrit comme innocent,
- des réponses aux questions contestables, par exemple en ce qu'il retient une certaine fausseté de jugement notamment dans l'élaboration de sa théorie personnelle, alors que l'exposé en question relatif à l'énergie sexuelle de la femme en phase d'excitation a été totalement validé par les travaux du professeur [U], spécialiste de la sexualité de la femme,
- des considérations excédant le cadre de sa mission, en ce qu'il se prononce sur la profession de psychothérapeute exercée par M. [D], et qui plus est avec mépris, alors que l'expertise est une mission à la personne et ne comporte aucune question relative à sa profession.
Selon lui, les fautes commises par l'expert ont induit en erreur le juge pénal. Il fait valoir qu'il subit un préjudice moral, sa condamnation ayant porté atteinte à son nom, à celui de ses proches et à son professionnalisme ; il ajoute qu'il a perdu également toute activité professionnelle, sa patientèle, au regard de ce discrédit, s'étant détournée de lui, de sorte qu'il souffre aussi d'un préjudice matériel.
M. [G] [I] conclut à la confirmation du jugement et considère que sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil, ne peut être retenue, à défaut pour M. [D] d'établir une quelconque faute, un préjudice et un lien de causalité.
Il observe que M. [D] ne rapporte pas la preuve de fautes procédurales commises par l'expert et qu'il s'est abstenu de toute observation suite au dépôt du rapport d'expertise, ou de demande de contre-expertise auprès du magistrat instructeur.
Il entend rappeler que la psychothérapie entre pleinement dans le domaine des compétences de l'expert, et que M. [D], qui n'est pas médecin, et ne justifie d'aucun document attestant de compétences en la matière, est mal fondé à apprécier l'exactitude du rapport et le diagnostic réalisé par l'intimé.
Il rappelle qu'un trouble de la personnalité qui ne constitue qu'un trait de personnalité doit être différencié sur le plan médical d'un trouble psychique ou neuropsychique, qui est une pathologie, qu'il n'y a donc aucune contradiction dans le rapport.
Selon lui à défaut de démontrer avoir exercé la profession de psychothérapeute en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires applicables à cette profession, M. [D] ne démontre aucun préjudice.
Enfin, pour M. [I], M. [D] affirme à tort que sa condamnation pénale résulte directement de son rapport d'expertise, alors que la lecture de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels fait ressortir que les conseillers se sont fondés sur de nombreux éléments pour retenir la culpabilité de M. [D], l'expertise ne constituant qu'un éclairage de la personnalité de celui-ci.
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le premier juge rappelle à raison que l'action engagée nécessite la preuve d'une faute commise par M. [I], d'un préjudice et d'un lien de causalité. Ces trois éléments sont cumulatifs et en l'absence de démonstration de l'un d'entre eux, l'action en responsabilité délictuelle est vouée à l'échec.
Les préjudices invoqués par M. [D] tiennent à sa condamnation pénale, qu'il considère avoir été orientée par un rapport d'expertise contenant des mentions considérées par lui comme étant erronées, incomplètes, arbitraires et dénigrantes.
La cour constate que M. [D] procède à une mauvaise lecture de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels. Contrairement à ce qu'il soutient, il n'apparaît pas que le juge pénal se soit déterminé au regard du rapport d'expertise critiqué.
Il convient tout d'abord d'observer que M. [D] a présenté devant la chambre des appels correctionnels une demande de nouvelle expertise psychiatrique, que la cour a rejetée, considérant qu'il (M. [D]) ne s'explique pas spécialement sur les insuffisances de l'expertise, et qu'en tout état de cause, la cour dispose des éléments suffisants concernant la personnalité de [V] [D], ce qui témoigne en conséquence de ce que le contenu de l'expertise de M. [I] n'a pas été déterminant dans l'appréciation portée par la chambre des appels correctionnels sur la culpabilité de M. [I].
La reprise par la cour, page 6 et 7 de l'arrêt, des conclusions de l'expert psychiatre, à l'instar de l'ensemble du contenu des différentes pièces du dossier (déclarations des plaignantes, du prévenu, conclusions de l'expertise psychologiques), ne peut suffire à démontrer que la décision rendue s'est basée sur cette expertise.
Au demeurant, la motivation de culpabilité du prévenu par la cour, en des termes suivants, démontre le contraire :
Attendu qu'il résulte de la relation des faits et des explications du prévenu que celui-ci a matériellement commis des faits d'attouchements sexuels sur M.....;
Attendu que pour réfuter toute intention délictueuse, [V] [D] excipe de la mise en oeuvre d'une thérapie et de l'acquiescement des clientes ;
Attendu, cependant, que si la profession n'était pas réglementée à l'époque des faits, l'intéressé ne justifie pour autant d'aucune formation de psychothérapeute et d'aucune compétence spécifique en matière de psychothérapies, son appréhension de ces disciplines au contact de professionnels qu'il aurait consultés pour son compte étant illusoire ; que l'évocation de son cursus par l'intéressé est révélateur de son narcissisme, stigmatisé par le psychiatre et le psychologue, en ce qu'il affirme sans vergogne être tout aussi compétent pour réaliser des audits que des psychothérapies ; que sa démarche confine au charlatanisme ; que ce partant, il a bien commis les attouchements sexuels, avec l'intention de les commettre;
Attendu que si les clients ont donné leur consentement aux pseudo-thérapies, c'est dans la croyance erronée qu'elles consultaient un professionnel ; que par suite leur consentement aux attouchements de nature sexuelle a été surpris au sens de l'article 222-22 du code pénal ;
Attendu dans ces conditions, que [V] [D] s'est rendu coupable d'agression sexuelle.
Apparaît donc confirmé ici que la chambre des appels correctionnels a motivé la déclaration de culpabilité de l'intéressé non sur les termes du rapport de M. [I] ici critiqué, mais sur, d'une part les déclarations de l'intéressé relatives aux faits et à son cursus professionnel, et d'autre part l'absence de tout justificatif probant de ses compétences en matière de psychothérapies.
S'il est fait référence à l'expert psychiatre dans cette motivation pour observer que le narcissisme de l'intéressé, que les juges ont décelé dans le discours de M. [D], a été stigmatisé par cet expert, il y a lieu de souligner que les juges mentionnent également que l'expert psychologue a effectué la même observation. Ainsi, il est relevé page 7 de l'arrêt que l'expert psychologue a mis en exergue un très important narcissisme le conduisant à des aménagements d'inspiration paranoïaque.
Si la cour déduit du discours de l'intéressé quant à son parcours et à l'absence de formation pour exercer son activité de psychothérapteute, une démarche confinant au charlatanisme, cette analyse apparaît relever de la seule appréciation de magistrats.
Dès lors, à défaut de rapporter la preuve d'un lien de causalité entre les prétendues fautes reprochées à l'expert psychiatre et sa condamnation à l'origine des préjudices invoqués, M. [D] a été à bon droit débouté de sa demande indemnitaire formée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil ; la cour confirme le jugement sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La cour confirme les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [G] [I] la totalité des frais irrépétibles exposés à l'occasion de cette instance d'appel. M. [V] [D] sera condamné à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il supportera en outre les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [V] [D] à payer à M. [G] [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [V] [D] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente