5ème Chambre
ARRÊT N°-266
N° RG 18/06002 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PERU
M. [Y] [E]
M. [OT] [D]
SELARL CENTRE D'EXPLORATIONS ISOTOPIQUES
C/
M. [A] [O]
M. [J] [C]
Mme [I] [N]
M. [TE] [Z]
Organisme CPAM D'ILLE ET VILAINE
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [Y] [E]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Gwendal BIHAN de la SELARL ARVOR AVOCATS ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [OT] [D]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Gwendal BIHAN de la SELARL ARVOR AVOCATS ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
SELARL CENTRE D'EXPLORATIONS ISOTOPIQUES
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Gwendal BIHAN de la SELARL ARVOR AVOCATS ASSOCIÉS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Monsieur [A] [O] décédé le [Date décès 1] 2020
[Adresse 8]
[Localité 3]
Représenté par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [I] [N] ès nom et intervenante volontaire ès qualités d'héritière de Monsieur [A] [O] décédé le [Date décès 1] 2020
[Adresse 8]
[Localité 3]
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [J] [C]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-laure DE MENOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [TE] [Z]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-laure DE MENOU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Organisme CPAM D'ILLE ET VILAINE
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représentée par Me Antoine DI PALMA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
**************
Suivant radiographie des sinus de M. [A] [O], établie le 26 mars 2015 par le docteur [M], il a été constaté que ce dernier souffrait d'une hyperplasie polypoïde de la muqueuse du sinus maxillaire gauche, localisée au niveau de sa paroi supérieure et inférieure.
Le 10 avril 2015, M. [O] a consulté le docteur [C], ORL, qui a prescrit une échographie.
Suivant échographie sous mandibulaire gauche, réalisée le 18 avril 2015, sur M. [O] par le docteur [P] à la demande du docteur [C], a été observée au niveau de la glande sous maxillaire une formation hypo échogène, ovoïde à contours nets mesurant 19 x 17 mm, ainsi que la présence d'adénopathie le long de l'axe jugulo-carotidien dont l'une apparaissant volumineuse.
Le 31 mai 2015, M. [O] est hospitalisé au sein du Centre hospitalier privé (CHP) de [Localité 4] par le docteur [J] [C] qui a procédé le 1er juin 2015 à l'ablation de la glande sous maxillaire gauche et de quelques ganglions à proximité, et a fait pratiquer une analyse anatomopathologique extemporanée, puis un curage jugulo-carotidien gauche.
Le 18 juin 2015, le docteur [J] [C] a annoncé à M. [O] que la glande sous maxillaire gauche retirée et objet d'un examen anatomopathologique, contenait des métastases et est donc cancéreuse.
Suivant pet-scan, réalisé le 7 juillet 2015, par le docteur [OT] [D] exerçant au sein du centre d'exploitations isotopiques, il a été conclu à :
- une absence de pathologie laryngo-pharyngée ou parotidienne décelable,
- une absence d'adénomégalies hypermétaboliques cervicales droites ou gauches,
- une absence de lésions secondaires viscérales ou osseuses,
- des images hypermétaboliques supra-centimétriques des parties molles du nez sans doute infectieuses/inflammatoires.
Le 8 juillet 2015, M. [O] est reçu par le docteur [Z], radiothérapeute, qui a proposé une irradiation latéro-cervicale gauche.
Du 10 août 2015 au 25 septembre 2015, M. [A] [O] va subir 39 séances de radiothérapie au Centre hospitalier privé de [Localité 4].
Suivant pet-scan, réalisé le 8 décembre 2015, par le docteur [E] exerçant au sein du centre d'exploitations isotopiques, il a été conclu à :
- un aspect satisfaisant en région sous maxillaire et latéro cervicale gauche sans lésion hypermétaboliques résiduelle.
- une lésion tissulaire hypermétabolique de 2,4 cm du nez de présentation atypique, plutôt stable depuis l'examen de juillet, mesurée à 2,3cm de grand axe, SUV max à 9,2 (2,1 cm SUV max à 10cm en juillet),
- une absence de lésion suspecte par ailleurs à l'étage cervical, thoracique, abdomino pelvien ou au niveau osseux.
À partir du mois de janvier 2016, M. [O] a constaté une augmentation de volume de la tuméfaction nasale.
Le 5 mars 2016, le docteur [C] a fait réaliser une biopsie de la tuméfaction nasale présentée par M. [O] et prescrit une IRM.
Suivant IRM du massif facial, réalisée le 16 mars 2016 par le docteur [W], il a été constaté :
- l'existence d'une lésion tumorale ovalaire mal limitée à cheval sur l'aileron nasal gauche, hyposignal T1 et T2, hypersignal modéré hétérogène après injection de gadolinium,
- que la lésion envahit la fosse nasale jusqu'à la partie antérieure du cornet inférieur gauche ; qu'elle mesure 3 cm de hauteur, 2,5 cm en antéro-postérieur et 1,5cm et transverse,
- pas d'atteinte de la cloison nasale. Pas d'anomalie controlatérale,
- pas d'anomalie au niveau de la loge de résection de la glande sous-maxillaire gauche,
- pas d'anomalie de la sous-maxillaire droite,
- une adénopathie centimétrique (palpable) sous-angulo-maxillaire droite.
Le 17 mars 2016, le docteur [C] a annoncé à M. [O] qu'il souffre d'un cancer du nez.
Suivant pet-scan réalisé le 1er avril 2016,le docteur [K] a conclu à une progression de la lésion tumorale de la fosse nasale gauche, en termes de dimension et d'intensité métabolique, la SUV max passant de 9 à 13 par comparaison avec l'examen du 8 décembre 2015.
Le 19 mai 2016, M. [O] a subi une amputation totale de la pyramide nasale réalisée par le professeur [X].
Le 17 juin 2016, M. [A] [O] a subi une deuxième intervention sur le nez, à l'occasion de laquelle il a été enlevé un ganglion suspect dans la zone de la première métastase.
Le 21 juillet 2016, il est annoncé à M. [O] qu'il présente trois nouveaux ganglions dans la sphère ORL.
M. [O] a débuté une chimiothérapie suivie d'une trentaine de séances de radiothérapie.
Suivant ordonnance du 16 février 2017 rendue au contradictoire des docteurs [D], [W], [K], [C], [E], [UL] et [Z], de la CPAM d'Ille-et-Vilaine, du centre d'exploitations isotopiques et du CHP [Localité 4], le juge des référés, saisi par M. [O], a ordonné une expertise confiée à un collège d'experts.
Suivant ordonnance du 7 mars 2017, l'expertise a été confiée aux docteurs [L] [V] et [H] [F] en remplacement des docteurs [X] et [LH] initialement désignés, lesquels se sont adjoint un sapiteur, le docteur [B].
Les experts ont déposé leur rapport le 14 novembre 2017.
Se prévalant des conclusions du rapport d'expertise, M. [O] et sa compagne Mme [N] ont, par actes des 5 et 7 février 2017, fait assigner messieurs [D], [W], [K], [C], [E], [UL] et [Z] ainsi que le CHP [Localité 4], le centre d'exploitations isotopiques et la CPAM d'Ille-et-Vilaine en déclaration de responsabilité et indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement en date du 16 juillet 2018, le tribunal a :
- rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise,
- rejeté la demande tendant à voir organiser une nouvelle expertise judiciaire,
- mis hors de cause le docteur [W], le CHP de [Localité 4], le docteur [K] et le docteur [UL],
- dit que les fautes commises par les docteurs [D], [E], [Z] et [C] ont fait perdre une chance à M. [O] d'éviter l'aggravation de son cancer et les conséquences qui en sont résultées,
- dit que le taux de perte de chance s'établit à 60%,
- condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à payer les sommes suivantes, augmentées des intérêts à compter de la présente décision :
* à M. [O] une indemnité provisionnelle de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
* à Mme [N] une indemnité provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
- dit que la SELARL Le centre d'exploitations isotopiques est solidairement tenue avec les docteurs [OT] [D] et [Y] [E] au paiement de ces sommes et la condamne en tant que de besoin,
- dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à payer à M. [O] et Mme [N] la somme de 4 500 euros au titre des frais non répétibles,
- débouté le CHP de [Localité 4] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] au paiement des entiers dépens qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire,
- dit que la SELARL Le centre d'exploitations isotopiques est solidairement tenue avec les docteurs [D] et [E] au paiement des frais non répétibles et des dépens et la condamne en tant que de besoin,
- dit que le bénéfice de distraction est accordé à maître [R] s'agissant des dépens,
- déclaré le présent jugement commun à la CPAM d'Ille-et-Vilaine,
- réservé les droits de la CPAM d'Ille-et-Vilaine,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Le 11 septembre 2018, la SELARL Le centre d'exploitations isotopiques et messieurs [D] et [E] ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 3 mai 2022, ils demandent à la cour de :
In limine litis,
- annuler le rapport d'expertise judiciaire des Docteurs [V] et [F] du 14 novembre 2017,
En toute hypothèse, subsidiairement,
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Rennes du 16 juillet 2018 en ce qu'il a :
* rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise,
* rejeté la demande tendant à voir organiser une nouvelle réunion d'expertise judiciaire,
* dit que les fautes commises par les docteurs [D], [E], [Z] et [C] ont fait perdre une chance à M. [O] d'éviter l'aggravation de son cancer et les conséquences qui en sont résultées,
* dit que le taux de perte de chance s'établit à 60 %,
* condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à payer les sommes suivantes augmentées des intérêts à compter de la décision :
° à M. [O] une indemnité provisionnelle de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
° à Mme [N] une indemnité provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices
* dit que la SELARL Le centre d'exploitations isotopiques est solidairement tenue avec les docteurs [D] et [E] au paiement de ces sommes et la condamne en tant que de besoin,
* dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code de procédure civile,
* condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à payer à M. [O] et à Mme [N] la somme de 4 500 euros au titre des frais répétibles,
* condamné in solidum les docteurs [D], [E], [Z] et [C] au paiement des entiers dépens qui comprendront le coût de l'expertise judiciaire,
* dit la SELARL Le centre d'exploitations isotopiques est solidairement tenue avec les docteurs [D] et [E] au paiement des frais non répétibles et des dépens et la condamne en tant que de besoin,
* dit que le bénéfice de distraction est accordé à maître [R] s'agissant des dépens,
* ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Statuant à nouveau et en vue d'une bonne administration de la justice,
- désigner un collège d'experts comprenant un médecin spécialiste en médecine nucléaire, avec la possibilité de s'adjoindre tout sapiteur de leur choix dans un domaine distinct du leur après en avoir avisé les parties et leurs conseils et recueilli leur accord,
- confier aux experts la mission suivante :
Sur la responsabilité médicale,
* convoquer toutes les parties,
* entendre tous sachants,
* se faire communiquer par les parties et/ou ayants droits tous éléments médicaux relatifs à l'acte critiqué, et se faire communiquer par tous tiers détenteurs l'ensemble des documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge du patient,
* prendre connaissance de la situation personnelle et professionnelle de la victime ; fournir le maximum de renseignements sur son mode de vie, ses conditions d'activité professionnelle, son statut exact avant son décès,
* retracer son état médical avant les actes critiqués,
* procéder à un examen sur pièces du dossier de la victime,
* décrire les soins et interventions dont la victime a été l'objet, en les rapportant à leurs auteurs, et l'évolution de l'état de santé,
* réunir tous les éléments permettant de déterminer si les soins ont été consciencieux, attentifs et dispensés selon les règles de l'art et les données acquises de la science médicale à l'époque des faits, et en cas de manquements en préciser la nature et le ou les auteurs ainsi que leurs conséquences au regard de l'état initial du plaignant comme de l'évolution prévisible de celui-ci,
Sur le préjudice de la victime,
* déterminer les causes exactes du décès et dire si le décès est la conséquence initiale de l'évolution prévisible de la pathologie initiale, en prenant en considération les données relatives à l'état de santé antérieur présenté avant les actes de prévention, diagnostic ou soins pratiqués ou si le décès est une conséquence anormale au regard de l'évolution de la pathologie initiale,
* dans ce dernier cas, dire s'il s'agit d'un événement indésirable (accident médical, affection iatrogène ou infection nosocomiale) en indiquant s'il est la conséquence d'un non-respect des règles de l'art, en précisant le caractère total ou partiel de l'imputabilité,
* décrire tous les soins médicaux et paramédicaux mis en oeuvre jusqu'au décès, en précisant leur imputabilité, leur nature, leur durée et en indiquant les dates d'hospitalisation avec, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins,
* recueillir les doléances des ayants droit ; les interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences sur la vie quotidienne ; décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales liées à l'accident s'étendant de la date de celui-ci à la date du décès,
* décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les suites constatées,
* abstraction faite de l'état antérieur, et de l'évolution naturelle de l'affection et du/des traitement(s) qu'elle rendait nécessaire, en ne s'attachant qu'aux conséquences directes et certaines des manquements relevés, analyser, à l'issue de cet examen, dans un exposé précis et synthétique :
° la réalité des lésions initiales,
° l'imputabilité directe et certaine du décès aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur,
*consolidation : fixer la date de consolidation si celle-ci est intervenue avant le décès. Rappeler la date du décès,
*relater toutes les constatations ou observations n'entrant pas dans le cadre des rubriques mentionnées ci-dessus que l'expert jugera nécessaires pour l'exacte appréciation des préjudices subis par le patient et/ou ses ayants droits et en tirer toutes les conclusions médico-légales,
- dire que les conclusions du rapport d'expertise devront comporter un récapitulatif des différents postes de préjudices conformément à la nouvelle nomenclature proposée,
- par ailleurs, l'expert saisi devra effectuer sa mission conformément aux dispositions des articles 233 à 248 et 273 et suivants du code de procédure civile,
- dire qu'il adressera un pré rapport aux parties qui, dans les 4 semaines de sa réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il répondra dans son rapport définitif (article 276 du code de procédure civile),
Très subsidiairement, à défaut de nouvelle expertise,
- débouter Mme [N] de ses demandes formées en son nom ou ès-qualités de légataire universelle de M. [O], fins et conclusions telles que formulées en première instance ou au stade de l'appel par voie incidente,
- débouter en l'état la CPAM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Infiniment subsidiairement et par impossible en cas de partage de responsabilité,
- ramener les demandes de réparation formulées par Mme [N] en son nom ou ès-qualités de légataire universelle de M. [O], ainsi que par la CPAM à de plus justes proportions,
- dire et juger la part de responsabilité du docteur [D] et du docteur [E], par rapport aux autres coobligés, très mineure sinon nulle,
- prendre en considération les versements opérés par l'assureur du docteur [D] et du docteur [E] à concurrence de 35 043,76 euros à titre de provision par suite du jugement de première instance assorti de l'exécution provisoire et le déduire des sommes à devoir,
- dépens comme de droit.
Par dernières conclusions notifiées le 26 avril 2022, La Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'Ille-et-Vilaine demande à la cour de :
- dire partiellement bien jugé, mal appelé,
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Rennes du 16 juillet 2018 en ce qu'il a déclaré le Centre d'explorations isotopiques, les docteurs [D], [E], [Z] et [C] entièrement et solidairement responsables des préjudices dont a été victime M. [O],
- réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a réservé ses droits,
- en conséquence, s'entendre condamner in solidum le docteur [D], le docteur [K], le docteur [E], le docteur [UL], le docteur [W], le docteur [C], le docteur [Z] à lui verser la somme de 9 725,20 euros, montant de ses débours définitifs, ladite somme avec intérêts de droit à compter de l'arrêt à intervenir et jusqu'à parfait paiement et la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du Code civil, se décomposant comme suit :
* préjudices patrimoniaux temporaires : dépenses de santé actuelles
° frais médicaux : séances de radiothérapie jusqu'au 25 septembre 2015 : 9 725,20 euros
* total : 9 725,20 euros
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a réservé ses droits,
En tout état de cause,
- s'entendre condamner les mêmes, in solidum, à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- s'entendre les mêmes condamner, in solidum, à lui verser la somme de 1 114 euros sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction des articles 9 et 10 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 et de l'arrêté du 14 décembre 2021, publié au JO du 22 décembre 2021, relatif au financement de la sécurité sociale pour l'année 2022,
- s'entendre les mêmes, sous la même solidarité, condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de maître Di Palma, avocat aux offres de droit.
Par dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022, messieurs [Z] et [C] demandent à la cour de :
- les recevoir en leur appel incident
- réformer purement et simplement le jugement du tribunal de grande instance du 16 juillet 2018 et statuant à nouveau,
Sur l'expertise, à titre principal,
- prononcer la nullité du rapport d'expertise des docteurs [V] et [F] en date du 14 novembre 2017,
Subsidiairement,
- constatant les incohérences et insuffisances du rapport du 14 novembre 2017, ordonner une nouvelle mesure d'instruction,
En tout état de cause,
- confier la mesure ordonnée à un collège d'experts composé d'un médecin spécialiste ORL, d'un médecin nucléaire et d'un oncologue avec la mission habituelle suivant les termes repris au dispositif des conclusions des appelants les docteurs [D] et [E],
En l'absence de nouvelle mesure d'expertise,
- dire que leur responsabilité n'est pas engagée en l'absence de preuve d'un manquement fautif dans l'acte de soin en lien avec le dommage,
- en conséquence rejeter toute demande à leur encontre.
- subsidiairement un principe de responsabilité étant retenu, dire celle ci limitée à 1% dans la survenance du dommage pour chacun des praticiens soit le docteur [Z] et le docteur [C] et fixer la perte de chance à 60 %,
* sur les demandes de Mme [N] ès-qualités de légataire :
° rejeter en l'état la demande au titre de la tierce personne,
° rejeter en l'état la demande au titre de la perte de salaire,
° rejeter la demande au titre de la perte de revenus locatifs,
° rejeter la demande au titre du DFTP et à défaut fixer l'indemnisation à 10 162,50 euros,
° fixer l'indemnisation des souffrances endurées à 12 000 euros après application du taux de perte de chance de 60 %,
° rejeter la demande au titre d'un préjudice sexuel,
° rejeter la demande au titre du préjudice esthétique en l'absence de précision sur l'imputabilité et à défaut fixer l'indemnisation à 12 000 euros après application du taux de perte de chance,
° rejeter la demande au titre de la perte de chance de survie en l'absence de précisions médicales permettant de statuer en toute connaissance de cause,
* sur les demandes de Mme [I] [N] à titre personnel,
° réduire dans de justes proportions la demande au titre du préjudice moral et faire application du taux de perte de chance,
° rejeter la demande au titre d'un préjudice sexuel,
° rejeter la demande au titre du préjudice économique en l'absence de justificatifs suffisants et à défaut fixer l'indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 40 023,96 euros après application du taux de perte de chance,
* sur les débours de la CPAM
° rejeter en l'état toutes les demandes fins et conclusions de la CPAM,
- en tout état de cause limiter toute condamnation à indemnisation prononcée à leur encontre à hauteur du pourcentage de responsabilité retenue et faire application du taux de perte de chance fixé.
M. [O] est décédé le [Date décès 1] 2020.
Par dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2021, Mme [I] [N] demande à la cour de :
- dire recevable et fondée ses demandes, fins et conclusions aussi bien ès nom qu'ès-qualités de légataire universel de M. [O],
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré fautifs les docteurs [D], [E], [Z] et [C] , et les a condamnés in solidum avec le centre d'exploitations isotopiques à indemniser les consorts [O] et [N],
- rejeter toute demande contraire et toute demande dirigée contre les concluants,
Y additant,
- condamner solidairement ou in solidum la SELARL Centre d'exploitations isotopiques, les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à lui verser ès-qualités de légataire universel de M. [O], avec application du mécanisme de perte de chance le cas échéant, au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires et définitifs :
* frais divers restés à charge : 33 838 euros,
* perte de gains futurs : 40 462,04 euros,
* perte de revenus locatifs : 38 447,24 euros,
* déficit fonctionnel : 17 010 euros,
* souffrances endurées : 35 000 euros,
* préjudice sexuel : 50 000 euros,
* préjudice esthétique : 42 000 euros,
* perte de chance de survie : 50 000 euros,
- condamner solidairement ou in solidum la SELARL Centre d'exploitations isotopiques, les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à lui verser à titre personnel, avec application du mécanisme de perte de chance le cas échéant, au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires et définitifs :
* préjudice sexuel : 50 000 euros,
* préjudice moral : 50 000 euros,
* préjudice économique : 54 262,15 euros,
- assortir ces condamnations à paiement des intérêts légaux à compter de la délivrance de l'assignation,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- déclarer l'arrêt à venir commun et opposable la CPAM,
- condamner solidairement ou in solidum la SELARL le Centre d'exploitations isotopiques, les docteurs [D], [E], [Z] et [C] à lui verser ès nom et ès-qualités la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, en complément de la somme allouée par le tribunal à ce titre, et les condamner solidairement aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise judiciaire, et pourront être recouvrés par maître [R], conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la nullité de l'expertise.
La SELARL Le centre d'exploitations isotopiques et messieurs [D] et [E] expliquent le déroulement de l'expertise et plus particulièrement le rendez-vous au cours duquel le docteur [G] n'a pas été présenté en sa qualité de sapiteur médecin nucléaire en début de réunion. Ils précisent qu'ils n'ont pas été mis en situation de poser des questions utiles en réaction à ce sapiteur et de s'exprimer sur la relecture des pets scan.
Ils indiquent que les documents d'imagerie ne leur ont pas été présentés malgré leur demande et que le sapiteur a pu interpréter rétrospectivement les pets scan sans qu'ils aient pu exprimer leur point de vue.
Ils signalent que l'expert a demandé à M. [UL] de se taire et que ce dernier n'a pas pu faire valoir ses observations alors qu'il avait préparé une bibliographie.
Ils signalent que le rapport d'expertise s'appuie, pour une large part, sur la relecture des pets scan par le sapiteur dont le rapport fournit des mesures SUV max incohérentes. Ils précisent que malgré leur demande formulée par voie de dire sur ces incohérences, ils n'ont reçu aucune réponse.
Ils considèrent que le rapport d'expertise est insuffisant dans la mesure où il ne donne aucune précision sur le ou les responsables, ou sur le degré de responsabilité des uns et des autres.
Ils font état d'une imprécision du rapport dans la caractérisation du préjudice sous l'angle de la perte de chance. Ils soulignent l'absence de réponse des experts à leur dire sur ce point.
Sans rapport, les appelants estiment que la cour ne peut trancher le litige et demandent l'instauration d'une nouvelle mesure d'expertise.
Messieurs [C] et [Z] évoquent la réunion d'expertise du 4 juillet 2017 au cours de laquelle le sapiteur ne leur a pas été présenté et les clichés et CD remis aux experts n'ont pas fait l'objet d'une lecture contradictoire par les parties.
Ils font état de l'absence d'une deuxième réunion d'expertise alors que le sapiteur affirme dans le pré-rapport la suspicion d'une origine tumorale au niveau de la cloison nasale dès juillet 2015. Ils indiquent que la lecture des documents n'a pas été contradictoire et qu'il en est de même pour leur analyse.
Ils rappellent qu'ils n'ont pas pu visionner les pets scan avant la réunion d'expertise (ces pets scan ayant été communiqués le 12 juillet 2017).
Ils font état d'incohérences dans les données retranscrites par le sapiteur sur les mesures des pets scan.
Ils déplorent la réponse négative des experts à leur demande de nouvelle réunion.
Messieurs [C] et [Z] font remarquer l'absence de débat contradictoire sur le plan oncologique.
Subsidiairement, ils estiment qu'une nouvelle expertise est nécessaire au regard des insuffisances du rapport du 14 novembre 2017.
Ils affirment que la nature de la perte de chance retenue par les experts n'est pas explicitée.
Mme [N] explique que la réunion d'expertise a débuté par un tour de table, de sorte que chaque participant, y compris le sapiteur, a pu se présenter.
Elle indique que les documents d'imagerie ont été communiqués aux parties dans les jours qui ont suivi la réunion. Elle conteste le fait que M. [UL] n'ait pas pu s'exprimer. Elle se reporte au rapport d'expertise pour nier l'absence de réponse des experts aux arguments techniques des parties.
Elle rappelle que les experts ont fondé leur avis sur les pets scan et sur les différents comptes-rendus médicaux, ainsi que sur les déclarations de M. [O] et que les experts ont répondu aux dires.
Elle s'oppose à l'instauration d'une nouvelle expertise.
La CPAM d'Ille-et-Vilaine sollicite la confirmation du jugement sur la nullité de l'expertise.
La nullité des décisions et actes d'exécution relatifs aux mesures d'instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure.
l'article 16 du code de procédure civile impose le respect du principe du contradictoire, tant pour les parties que pour le juge lui-même et en toutes circonstances.
Il n'est pas contesté que les experts ont entendu être assistés d'un sapiteur, à savoir le professeur [G], chef du pôle imagerie, responsable du service de médecine nucléaire au CHU de [Localité 9] en application de l'article 278 du code de procédure civile.
Ce choix n'est pas discuté, le professeur [G] disposant d'une spécialité différente de celle des experts qui sont ORL pour l'un et médecin physique de réadaptation pour l'autre.
Dans leur rapport d'expertise, le docteur [V] et le docteur [F] mentionnent les personnes assistant à l'expertise, en ce compris le sapiteur.
Le Centre d'explorations isotoniques et les différents médecins affirment qu'ils n'ont pas eu connaissance de la présence et de l'identité du sapiteur.
Mme [N] conteste ces propos et indique que la réunion a commencé par un tour de table au cours duquel chacun s'est présenté. Les experts s'associent à Mme [N] sur ce point.
Quand bien même, les parties ne se seraient pas identifiées au moment de la réunion, aucun grief n'est évoqué ni justifié. Ce point n'est pas retenu.
Sur le refus allégué des experts sur un examen préalable contradictoire des CD des pets scan est contredit par Mme [N] et son conseil ainsi que par les experts. La cour constate que la réunion a eu lieu le 4 juillet 2015 et aucune protestation n'a été adressée par les médecins et le Centre d'explorations isotoniques avant le 23 octobre 2017.
Aucune disposition légale ou réglementaire n'impose un examen préalable de ces documents.
Les parties ont eu communication des pets scan notamment le 12 juillet 2017 et ont pu les exploiter dans un délai largement suffisant.
Ce point n'est pas retenu.
Les propos rapportés pour le compte de M. [UL], selon lesquels il n'aurait pas pu présenter des observations, ne sont justifiés par aucune pièce probante et le sont d'autant moins que M. [UL] est absent lors de l'instance devant la cour d'appel.
En outre, Mme [N] et son conseil ont précisé dans une lettre adressée aux experts que ces derniers ont invité les participants à formuler d'éventuelles observations avant la fin de la réunion. Ce point n'est pas retenu.
Il a été dit que les parties ont eu communication des pets scan dès le mois de juillet 2017. Elles ont pu les analyser.
Après le dépôt du pré-rapport d'expertise, les parties ont été à même de discuter l'avis des experts et du sapiteur.
Les experts ont répondu aux dires de maître [T] (pour M. [C] et M. [Z]), maître [S] (pour le Centre d'explorations isotopiques, M. [E], M. [D]) et maître [R] (pour Mme [N]).
Cet échange a permis aux parties de débattre contradictoirement avant le dépôt d'expertise.
L'organisation d'une nouvelle réunion n'est pas obligatoire et ne constitue pas une irrégularité.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande en nullité de l'expertise.
- Sur les responsabilités.
Au visa de l'article L 1142-1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
La charge de la preuve de l'existence d'une faute pèse sur le patient ou ses ayants droit.
Il convient de signaler que ne sont pas critiqués les actes réalisés qui ont mis en évidence les métastases cervicales d'un carcinome épidermoïde, ainsi que la prescription du premier pet scan pour rechercher l'origine de ce carcinome.
Le pet scan du 7 juillet 2015 ne signalant pas de lésion suspecte, le traitement complémentaire post opératoire a été limité à une radiothérapie de la région cervicale.
Or la lecture de l'examen du pet scan laisse suspecter une origine tumorale primitive au niveau de la cloison nasale et non pas une pathologie simplement infectieuse ou inflammatoire, et qui apparaît indépendante des sinus de la face.
Cette lésion du septum nasal, potentiellement suspecte (selon les experts) n'a pas été notée alors que les examens étaient pratiqués dans un contexte de localisation tumorale primitive.
Le traitement mis en place a été incomplet puisque la localisation de la lésion tumorale aurait dû orienter ver une biopsie septale et une discussion sur la prise en charge par un traitement par radio-chimiothérapie incluant la pyramide nasale.
L'expertise précise que l'examen de M. [D] n'a pas été vigilant et n'a pas été conforme aux règles de l'art et aux données acquises par la science.
Ce manquement de M. [D] est constitutif d'une faute.
La différence dans la SUV max tumorale, les experts ont précisé que la SUV n'est pas un critère suffisant en soi pour juger de l'involution tumorale. Ce n'est pas la valeur des SUV qui a motivé les conclusions mais la non reconnaissance de la lésion dans le pet scan du 7 juillet 2015.
Ainsi a été constaté par les experts que le premier pet scan met en évidence un hypermétabolisme intense d'un infiltrat de la cloison nasale avec extension à la narine gauche potentiellement suspect.
Il a été observé que la non reconnaissance de l'hypermétabolisme est le coeur du retard dans le diagnostic et sa prise en charge adéquate.
Il convient de signaler que M. [Z], oncologue radiothérapeute a précisé, lors des opérations d'expertise, avoir téléphoné au docteur [D] pour s'assurer de l'absence de lésion tumorale avant de débuter la radiothérapie, ce qui lui a été confirmé téléphoniquement. Ce point n'a pas été contesté par M. [D].
Il n'est pas plus contesté M. [Z] s'est rapproché du docteur [NA], spécialiste en anapathologie qui a confirmé l'absence de rupture capsulaire avant la mise en oeuvre du traitement radiothépeutique.
Ce traitement a été administré selon les recommandations. L'expertise ne met pas en évidence de faute à l'encontre de M. [Z] à ce moment de la prise en charge de M. [O].
Le pet scan du 8 décembre 2015 a été réalisé par M. [E] qui n'a pas corrigé le diagnostic et n'a pas proposé d'autres investigations.
Le docteur [Z] a reçu M. [O] en consultation le 17 décembre 2015. Il dispose du compte rendu du pet scan et n'a pas rectifié le diagnostic et n'a pas proposé d'autres investigations alors que la pathologie de M. [O] a débuté il y a plusieurs mois.
Ainsi la lésion initiale a continué sa progression faute de reconnaissance diagnostique. Elle est passée du stade T2 au stade T4.
La biopsie du 5 mars 2016 prescrite par M. [C], médecin référent, a été réalisée près de 3 mois après le pet scan du 8 décembre 2015 soit dans un délai non conforme aux recommandations de la SFORL de 2012 qui préconise un délai de 4 semaines maximum. En outre cette biopsie fait suite à l'augmentation de la tumeur et l'apparition de douleurs.
Ce retard est fautif.
Il l'est d'autant plus que dès le 16 mars 2016 a été mise en évidence une lésion tumorale ovalaire mal limitée à cheval sur l'aileron nasal gauche, hyposignal T1 et T2, hypersignal modéré hétérogène après injection de gadolinium, qui envahit la fosse nasale.
La prolongation de soins inappropriés et l'évolution défavorable de la maladie est imputable au retard de diagnostic.
Une perte de chance existe et présente un caractère certain et direct chaque fois qu'il est constaté la disparition d'une éventualité favorable. Tel est le cas en l'espèce puisqu'à cause du retard de diagnostic n'a été traitée que l'extension ganglionnaire de la tumeur et non la tumeur.
Cette perte de chance a été discutée lors de l'expertise contrairement aux affirmations de M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques.
Chaque praticien a contribué, par sa faute respective, à la survenance du dommage.
Ce retard est imputable à l'ensemble des acteurs de soins du patient dont la concertation aurait dû permettre d'accélérer la confirmation anatomopathologique d'une lésion carcinomateuse en place depuis juillet 2015.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que messieurs [D], [E], [Z] et [C] ont fait perdre une chance à M. [O] d'éviter l'aggravation de son cancer sans qu'il ne soit besoin d'instaurer une nouvelle expertise.
M. [D] et M. [E] exercent au sein de la SELARL Le centre d'explorations isitopiques.
Au visa de l'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, cette société est solidairement responsable avec eux.
Le jugement n'est pas contesté sur ce point.
Le préjudice de M. [O] est constitué par une perte de chance caractérisé par la survenance d'un événement défavorable qui aurait pu être évité. Cette perte de chance répare la disparition d'une probabilité d'obtenir une guérison ou de subir un préjudice moindre.
Les fautes des praticiens ont privé M. [O] du bénéfice d'une prise en charge adaptée qui aurait pu avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie.
Il n'est pas contestable qu'un diagnostic précoce est un facteur favorable permettant d'éviter une aggravation de la pathologie.
Le retard dans le pronostic a provoqué une aggravation du cancer qui a conduit à une chirurgie d'exérèse mutilante, à une radiothérapie et une chimiothérapie extrême, une évolution métastatique pulmonaire et à l'oeil ainsi qu'une récidive ganglionnaire.
Une évaluation à 60 % de perte de chance telle que retenue par les experts ainsi que par les premiers juges est une juste appréciation de cette perte de chance.
Dans leur rapport entre eux, en fonction des fautes de chacun, chaque praticien supportera 25 % de la perte de chance. Chaque praticien devra assumer 25 % des dommages et intérêts alloués à Mme [N] ès qualités ou en son nom, les frais irrépétibles et les dépens.
- Sur les préjudices.
Sur les préjudices, les conclusions des experts sont les suivantes :
Concernant le déficit fonctionnel temporaire :
Il y a lieu de considérer des gênes temporaires dans la réalisation des actes de la vie de tous les jours, concernant toutes les activités extérieures, les sorties pour réaliser ses approvisionnements mais aussi pour l'intégralité des loisirs extérieurs, une partie de ses activités quotidienne élémentaire comme sa toilette. M. [O] doit s'astreindre à des soins infirmiers quotidiens, et des hospitalisations au centre anti-cancéreux de Rennes entre 2 et 4 fois par mois à la journée.
(...)
Les chances d'avoir pu reprendre un travail à temps plein à 4 mois d'une prise en charge initiale bien conduite peuvent être estimées entre 40 % à 60 % sous forme d'un mi-temps thérapeutique (1/3 ou mi-temps). À ce jour et compte tenu de l'évolutivité lésionnelle, cette probabilité peut être maintenant considérée comme inférieurs à 5 %.
Il y a lieu de considérer un préjudice esthétique temporaire résultant pour la victime de l'altération de son apparence physique subie jusqu'à sa consolidation ; qui peut être côté à 2/7 jusqu'en février 2016, et 3/7 à partir de février 2016 puis à 6/7 depuis le 19 mai 2016.
Il y lieu de considérer un préjudice au titre de la douleur (prenant en compte toutes les souffrances, physiques et psychiques) du début de la maladie à date de l'expertise de 3,5/7.
La victime est depuis le début de sa prise en charge thérapeutique incapable d'exercer des activités d'agrément, sportives ou de loisirs.
L'ensemble de l'analyse des séquences diagnostiques, thérapeutiques, l'examen clinique et des déficits permet de retenir un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III pour un total de 132 jours.
La cour évalue les préjudices de M. [O] et de Mme [N] en fonction de cette expertise et des pièces communiquées au dossier sans qu'il ne soit besoin d'instaurer une nouvelle expertise.
1°) Sur les préjudices de M. [O].
A) Les préjudices patrimoniaux.
- Les dépenses de santé actuelle.
Mme [N] ne formule aucune demande à ce titre.
La CPAM d'Ille-et-Vilaine justifie des frais médicaux pour des séances de radiothérapie à hauteur de 9 725,20 euros.
Le médecin conseil de la CPAM a attesté de l'imputation de ces séances au retard dans le diagnostic dont a été victime M. [O].
En conséquence, M. [E], M. [D], M. [Z] et M. [C] sont condamnés in solidum à payer à la CPAM la somme de 5 835,12 euros (après application de la perte de chance).
- Les frais divers restés à la charge de M. [O].
Mme [N], ès qualités, réclame le paiement d'une somme de 33 838 euros au titre de l'assistance par tierce personne.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques, M. [C] et M. [Z] considèrent qu'ils ne disposent pas des éléments suffisants pour discuter cette aide.
Il s'agit des dépenses liées à la réduction d'autonomie, qui peuvent être temporaires entre le dommage et la consolidation.
Il appartient à Mme [N] de justifier du nombre d'heures, du nombre de jours nécessaires pour évaluer ce préjudice.
L'expert a précisé que 'pour sa toilette, il doit se faire aider, en particulier par sa compagne. En fonction de son degré d'asthénie, les actes de préparation des repas, les courses, son ménage lui sont partiellement impossibles. Il s'agit du paragraphe dédié aux doléances de M. [O] et non pas des constatations de l'expert.
Le docteur [U] mandaté par Mme [N] fait état d'une aide humaine de :
- 30 mn deux fois par jour de juin 2016 au 16 mars 2019 pour l'aide à la toilette et au shampoing,
- à compter du 19 mars 2019, 4 heures par jour par l'aide à la préparation aux médicaments, aux repas, la préparation des cours et les conduites,
- à compter du 19 mars 2019, après la première crise d'épilepsie, il y a une présence nocturne obligatoire.
Mme [N] réclame une aide à la personne à raison de 2 heures par jour pendant 3 ans et 8 mois.
La cour ne sait pas à quoi correspond 'la préparation des cours', et constate que les crises d'épilepsie n'ont pas été justifiées.
Mme [N] n'a pas produit aux débats les dates d'hospitalisation de M. [O], notamment au centre anticancéreux de [Localité 2] ainsi que les séjours d'immunothérapie à [Localité 10] empêchant la cour de statuer valablement.
À défaut d'éléments suffisants, Mme [N] est déboutée de cette demande.
- La perte de gains professionnels actuels.
Mme [N], ès qualités, explique que M. [O] était intérimaire.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques estiment que la communication d'un seul bulletin de salaire est insuffisante pour recomposer un préjudice au titre de la perte de gains professionnels.
Il en est de même de M. [C] et M. [Z].
Il s'agit d'indemniser la perte totale ou partielle des revenus de la victime avant la consolidation. L'évaluation est réalisée à partir des revenus déclarés à l'administration fiscale pour le calcul de l'impôt, pour apprécier l'éventuelle diminution des revenus antérieurs pendant la période d'incapacité temporaire.
Mme [N] produit aux débats un seul bulletin de salaire pour la période du 1er au 26 février 2016 (pour un salaire de 2 167,52 euros) ainsi qu'un avis de situation déclarative à l'impôt sur le revenu 2016 mentionnant un total de salaire de 17 717 euros (soit 1 476,41 euros par mois pour M. [O] (pour les revenus de l'année 2015).
Elle prend comme élément de référence le seul salaire de février 2016 qui est, pour le moins, insuffisant.
Mme [N] ne permet pas à la cour de statuer utilement sur ce poste de préjudice. Elle est déboutée de cette demande.
- La perte de revenus locatifs.
Mme [N] demande le paiement d'une somme de 4 704 euros. Elle explique que M. [O] était propriétaire d'un bien immobilier qu'il souhaitait mettre en location à compter de l'été 2016. Elle précise que l'état de santé de M. [O] n'a pas permis d'effectuer les travaux indispensables avant cette location.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques ainsi que M. [C] et M. [Z] font état de l'absence de pièces justificatives.
Aucun élément probant n'est produit aux débats.
Mme [N] est déboutée de cette demande.
B) Les préjudices extra-patrimoniaux.
- Le déficit fonctionnel temporaire.
Mme [N], ès qualités, explique que M. [O] souffrait d'asthénie générale et n'avait plus de vie sociale.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques discutent le montant réclamé ainsi que le taux de déficit.
M. [C] et M. [Z] proposent une somme de 10 162,50 euros.
Les experts ont retenu un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III pour un total de 132 jours ans leur rapport le 14 novembre 2017.
Du 7 juillet 2015 au [Date décès 1] 2020, le préjudice s'établit comme suit :
1 654 jours x 12,50 euros = 20 675 euros.
Soit 12 405 euros après application du taux de perte de chance.
- Les souffrances endurées.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques contestent le montant sollicité.
M. [C] et M. [Z] indiquent que ces souffrances ne peuvent être évaluées à une somme supérieure à 20 000 euros.
M. [O] a subi une intervention chirurgicale, des séances de radiothérapie, des traitements. Ces derniers ont duré pendant des mois voire des années.
En tenant compte des souffrances issue de la perte d'espérance de vie ou de l'angoisse de mort que M. [O] a ressenti après l'annonce du cancer du nez et de la nécessaire amputation, il convient d'évaluer ce préjudice à la somme de 30 000 euros.
Après application du taux de 60 %, il est alloué une somme de 18000 euros.
- Le préjudice sexuel.
Mme [N], ès qualités, indique que tout acte sexuel était impossible. Elle précise qu'ils avaient tous deux l'espoir d'avoir un enfant.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques, M. [C] et M. [Z] expliquent que le préjudice sexuel temporaire intègre le déficit fonctionnel temporaire.
Ce préjudice est intégré dans le déficit fonctionnel temporaire.
- Le préjudice esthétique.
Mme [N], ès qualités, expose que M. [O] devait porter un pansement masquant son imputation nasale.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques proposent une somme de 20 000 euros avant affectation du taux de perte de chance.
M. [C] et M. [Z] discutent ce poste de préjudice et proposent, à défaut, une somme de 20 000 euros.
La victime peut subir, pendant la maladie traumatique, et notamment pendant l'hospitalisation, une altération de son apparence physique, même temporaire, justifiant une indemnisation.
M. [O] a subi notamment une amputation nasale.
Les experts ont différencié les périodes en retenant un préjudice de 6/7 à compter du 19 mai 2016 jusqu'au décès.
Après application du taux de 60 %, il est alloué une somme de 24 000 euros.
- La perte de chance de survie.
Mme [N], ès qualités, soutient que cette perte de chance est entrée dans le patrimoine de M. [O] de son vivant.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques expliquent que ce préjudice a été pris en compte dans les souffrances endurées.
M. [C] et M. [Z] indique que le rapport d'expertise ne permet pas de savoir le délai dans lequel une rémission complète était envisageable.
Il a été dit que ce poste de préjudice était intégré dans le préjudice né des souffrances endurées.
Mme [N] est déboutée de cette demande.
2°) Sur les préjudices de Mme [N].
Mme [N] entend invoquer un préjudice né de la perte de vie sociale, un préjudice sexuel ainsi qu'un préjudice économique du conjoint survivant.
- Le préjudice d'affection.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques, M. [C] et M. [Z] concluent à une réduction de la somme sollicitée.
Ce préjudice n'est pas contesté.
Mme [N] était la compagne de M. [O].
Une somme de 18 000 euros est allouée après application du taux de perte de chance.
- Le préjudice sexuel.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques, M. [C] et M. [Z] s'opposent à cette demande.
Contrairement aux affirmations de Mme [N], l'expert en fait état dans les doléances de M. [O] et de Mme [N]. Il n'a pas constaté ce préjudice.
Elle est déboutée de sa demande.
- Le préjudice économique.
M. [D], M. [E] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques signalent que Mme [N] ne précise pas ses revenus actuels, ni si elle bénéficie d'une pension de réversion.
M. [C] et M. [Z] signalent l'absence de connaissance du revenu imposable de M. [O] avant la maladie.
Mme [N] ne fournit aucun renseignement sur ses revenus actuels, sur la perception ou non d'une pension de réversion.
En l'absence de ces documents, Mme [N] est déboutée de sa demande.
- Sur les autres demandes.
Les sommes octroyées à Mme [N] ès qualités ou en son nom portent intérêts au taux légal à compter de l'assignation, les intérêts échus pour une année portant eux-mêmes intérêts.
Il devra être tenu compte des provisions éventuellement versées.
M. [D], M [E], M. [C] et M. [Z] in solidum sont condamnés à payer à la CPAM d'Ille-et-Vilaine à la somme de 1 114 euros sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale et la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Succombant en leur appel, M. [D], M [E], M. [C], M. [Z] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques sont condamnés à payer à Mme [N] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, étant par ailleurs précisé que les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné M. [D], M. [E], M. [Z] et M. [C] au paiement d'indemnités provisionnelles et réservé les droits de la CPAM d'Ille-et-Vilaine ;
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [N], ès qualités de légataire universelle de M. [O] de ses demandes au titre :
- de l'assistance par tierce personne,
- des pertes de gains professionnels actuels,
- la perte de revenus locatifs,
- du préjudice sexuel,
- de la perte de chance de survie
Condamne M. [D], M. [E], M. [Z] et M. [C] à payer à Mme [N] ès qualités les sommes de :
-12 405 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 18 000 euros au titre des souffrances endurées,
- 24 000 euros au titre du préjudice esthétique,
Déboute Mme [N] de ses demandes au titre :
- du préjudice sexuel,
- du préjudice économique,
Condamne M. [D], M. [E], M. [Z] et M. [C] à payer à Mme [N] la somme de 18 000 euros au titre du préjudice d'affection ;
Juge que les sommes octroyées à Mme [N] ès qualités de légataire universelle ou en son nom portent intérêts au taux légal à compter de l'assignation et que les intérêts échus pour une année portent eux-mêmes intérêts ;
Dit qu'il devra être tenu compte des provisions éventuellement versées ;
Y ajoutant,
Déclare l'arrêt commun et opposable à la CPAM d'Ille-et-Vilaine ;
Condamne M. [D], M [E], M. [C] et M. [Z] in solidum à payer à la CPAM d'Ille-et-Vilaine à la somme de 1 114 euros sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale et la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [D], M [E], M. [C], M. [Z] et la SELARL Le centre d'explorations isotopiques à payer à Mme [N] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffièreLa présidente