7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°
N° RG 19/05162 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P7XV
[Z] MATERIAUX SAS
C/
M. [I] [B]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère faisant fonction de Présidente,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Hervé KORSEC, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,
GREFFIER :
Madame Hélène RAPITEAU, lors des débats, et Madame Françoise DELAUNAY, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 20 Juin 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS et Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame Richefou, médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
[Z] MATERIAUX SAS Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Françoise NGUYEN, Plaidant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉ :
Monsieur [I] [B]
né le 21 Octobre 1957 à
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS [Z] MATÉRIAUX dont le siège social est situé à [Localité 4], est spécialisée dans le commerce interentreprises de gros de bois et de matériaux de construction destinés au secteur du bâtiment et des travaux publics. Elle exploite 34 agences implantées dans les départements bretons et en [Localité 6], emploie un effectif de plus de 200 salariés et applique la convention collective nationale des cadres du négoce de matériaux de construction.
La société dépend du groupe familial [Z], dirigé par M.[R] [Z].
M. [I] [B] a été engagé le 2 septembre 2015 par la SAS [Z] MATÉRIAUX selon un contrat à durée indéterminée en qualité de Directeur Général, statut cadre dirigeant.
Il percevait une rémunération fixe de 7 500 euros brut par mois outre des primes de résultats.
Le 30 septembre 2016, M. [B] s'est vu remettre une convocation à un entretien préalable au licenciement fixé au 7 octobre suivant, avec dispense d'activité dans l'attente de la décision et maintien de sa rémunération.
Le 17 octobre 2016, l'employeur lui a notifié un licenciement pour cause réelle et sérieuse avec dispense d'effectuer le préavis d'une durée de trois mois qui était rémunéré. La lettre de licenciement est ainsi libellée :
' Nous avons le regret de nous notifier votre licenciement pour les motifs suivants :
Alors que vous exercez les fonctions de Directeur Général de la branche Distribution depuis votre arrivée dans le groupe soit le 1er septembre 2015, nous sommes contraints de constater aujourd'hui que vous n'êtes pas à la hauteur de nos attentes dans de multiples domaines avec comme conséquence directe une dégradation des résultats de la branche Distribution notamment en termes de chiffre d'affaires et de marge.
Vous avez été incapable de décider et de mettre en oeuvre des mesures urgentes et fortes afin de contrecarrer l'évolution de cette situation.
Alors même que notamment la marge des sociétés relevant de votre branche d'activité a chuté ces derniers mois, vous n'avez pris aucune décision permettant de combattre cette évolution inquiétante malgré les alertes émises en réunion mensuelle de direction générale et en comité stratégique. Les comptes sont présentés chaque mois en réunion de comité de direction et font apparaître ces évolutions.
Au 30 juin 2016, le chiffre d'affaires de la société [Z] Matériaux à périmètre constant est en retrait de plus de 2 % par rapport à l'année dernière et de près de 3,5% par rapport au budget prévisionnel peu ambitieux que vous avez validé avec vos équipes au titre de l'année 2016 et ceci en dépit des signes d'une reprise d'activité dans le secteur de la construction.
De même, le résultat net comptable de la société Leader Mat Ouest au 30 juin 2016 a très fortement diminué en dépit de la cession exceptionnelle d'actifs pour l'exercice 2016.
Nous ne pouvons que constater votre manque d'investissement et d'implication dans les dossiers comme le montrent notamment les faits suivants:
- Votre absence a été particulièrement remarquée par l'ensemble des équipes lors des deux importantes réunions commerciales de rentrée qui se sont déroulées le 1er septembre dernier. Ces deux réunions stratégiques organisées à [Localité 4] et [Localité 9] ont regroupé l'ensemble des forces commerciales représentant 130 collaborateurs.
Lors de ces réunions ont été présentées deux opérations commerciales parmi les plus importantes de l'année à savoir le challenge ' voyages' et ' Bâti Globes'.
A l'issue du mot d'accueil, vous vous êtes éclipsé au bout d'un 1/4 d'heure sous prétexte de rendez-vous ou d'empêchement. Eu égard à vos fonctions, une telle attitude vis-à-vis des cadres et agents de maîtrise de la société n'est pas acceptable.
- En début d'année, vous avez pris en charge le dossier de révision des rémunérations variable des commerciaux de la société.
Or, à ce jour, malgré les nombreuses réunions, le dossier n'a toujours pas été finalisé pour une mise en application au 1er janvier 2017. Seules trois catégories de primes d'objectif sur sept ont été traitées et uniquement sur la part quantitative. Les primes d'objectif des employées commerciaux n'ont pas été abordées alors qu'elles concernent près de 70 collaborateurs.
Aucune étude d'impact salarial n'a été effectuée, votre proposition sur la part quantitative est peu transparente voire incompréhensible pour les bénéficiaires.
- La mise en oeuvre de développement de l'activité de travaux publics dont vous aviez la charge n'est quant à elle toujours pas finalisée. Nous constatons sur ce dossier une absence de communication avec vos équipes, une localisation du développement de l'activité très restrictive, une présentation d'une nouvelle organisation non validée par le Président qui a eu pour conséquence de déstabiliser l'ensemble des collaborateurs relevant de cette activité.
- Enfin, vous avez fait preuve d'une inaction totale dans le traitement des demandes émanant du délégué du personnel du collège cadres, [F] [E], relatif au remboursement des frais professionnels et à la mise en oeuvre de la procédure de redevance des véhicules de fonction.
Sollicité à plusieurs reprises par le délégué du personnel, vous lui avez mentionné récemment ' tout est réglé' alors que vous n'avez pris aucune décision dans ces dossiers provoquant ainsi la colère des cadres de la société [Z] Matériaux.
- Au-delà de vos carences manifestes dans des domaines aussi sensibles que ceux énoncés précédemment, nous vous reprochons également :
- Votre manque de soutien au Responsable de la société Leader Mat Ouest caractérisé notamment par l'absence de validation du démarrage du projet de changement d'ERP.
De plus, les retards accumulés dans la prise de décision sur la base commune d'articles entre les sociétés [Z] Matériaux et leader Mat Ouest ont généré de lourds dysfonctionnements lors de la bascule engendrant une perte de confiance des salariés et des clients. Nous avons constaté aussi l'absence de réponse aux courriels du responsable de la société ainsi que votre désintérêt sur la très grande majorité des dossiers de la société (changement de la scie à panneaux, rattachement des ex-agences [Localité 11] et [Localité 8]). Ainsi , l'étude de la restructuration de l'agence de [Localité 5] de la société Leader Mat Ouest en date du 23 juin dernier ne comportait aucun volet économique . L'option que vous avez retenue a été qualifiée d'économiquement non viable en comité de direction sans que ce dossier n'ait évolué à ce jour.
- Vous n'avez diligenté aucune étude d'impact de la création de l'agence de [Localité 10] sur l'agence de [Localité 7] toute proche, notamment le maintien éventuel d'une activité redimensionnée.
- Une proximité avec le personnel insuffisante se concrétisant notamment par votre absence remarquée à un événement sponsoring organisé par le groupe mais également à des manifestations organisées au sein des différentes sociétés relevant de la branche Distibution.
- Une visite insuffisante des clients et fournisseurs ne permettant pas la création de liens forts avec ceux-ci, comme en témoigne le relevé de vos frais professionnels.
- Votre manque d'investissement au sein de la société [U] Groupe [Z], société rachetée au 1er septembre 2015. Ainsi nous constatons à ce jour une perte de chiffres d'affaires de 350 Keuros découlant du transfert de l'activité gros oeuvre de l'agence [Z] matériaux de Saint Brieuc vers la société [U] groupe [Z]. Vous n'avez diligenté aucune étude d'impact du transfert de l'activité.
- De la même façon, vous avez souhaité mettre en place une procédure de conservation des espèces eu égard aux nombreux règlements comptant sur l'agence de [Localité 12] sans diligenter une enquête auprès des services financiers pour établir un audit des paiements en espèces pour la totalité des agences de la branche Distribution.
En conclusion, depuis votre arrivée au sein du Groupe [Z], nous constatons notamment votre manque d'implication, d'investissement, le non-accompagnement des équipes, l'absence de préparation et d'avancée des dossiers, votre absence sur le terrain, autant de manques incompatibles avec vos fonctions de Directeur Général.
La situation décrite ci-dessus a abouti à une situation de blocage préjudiciable au bon fonctionnement de la branche distribution, qui ne nous permet pas d'envisager la poursuite de nos relations contractuelles.
Nous nous voyons en conséquence contraints de procéder à votre licenciement. Votre préavis d'une durée de trois mois que nous vous dispensons d'effectuer débutera à la date de la première présentation du présent courrier et vous sera payé au mois le mois.(..).'
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Morlaix le 21 septembre 2017 afin de voir :
- Juger abusif son licenciement,
- Condamner la société [Z] MATÉRIAUX à lui payer la somme de 90 000 euros, assortie des intérêts légaux et de l'exécution provisoire ;
- Condamner la société [Z] MATÉRIAUX à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS [Z] MATÉRIAUX a demandé au conseil de :
- Juger que le licenciement notifié à M. [B] est parfaitement justifié,
- Débouter M. [B] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre
- Rejeter la demande d'exécution provisoire,
- Condamner M. [B] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens.
Par jugement en date du 28 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Morlaix a :
- Dit que le licenciement de M.[B] est abusif,
- Condamné la Société [Z] MATÉRIAUX à verser à M.[B] les sommes de :
- 18 000€ de dommages et intérêts;
- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile.
- Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation par la partie défenderesse, soit le 29 septembre 2017) à compter du prononcé par mise à disposition au greffe (soit le 28 juin 2019) pour les dommages et intérêts.
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
- Ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de deux mois d'indemnité.
- Laissé les dépens à la charge de la Société [Z] MATÉRIAUX et y compris en cas d'exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d'huissier (article 696 du code de procédure civile).
La SAS [Z] MATÉRIAUX a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 30 juillet 2019.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 20 mai 2020, la SAS [Z] MATÉRIAUX demande à la cour de :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :
' Jugé que le licenciement, notifié à M. [B], est abusif,
' Condamné la Société au paiement des sommes suivantes :
- 18.000 € au titre des dommages et intérêts,
- 1.000 € au titre de l'article 700,
' Ordonné le remboursement aux organismes intéressés des indemnités chômage versées au salarié.
- Constater que M.[B] justifiait d'une ancienneté inférieure à 2 années.
- Constater que le licenciement notifié à Monsieur [B] est parfaitement justifié.
- Débouter M.[B] de toutes ses demandes,
- Condamner, en conséquence, M.[B] à payer à la société [Z] MATÉRIAUX la somme de 3 000.00 € au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile.
- Le condamner aux entiers frais et dépens.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 20 février 2020, M. [B] demande à la cour de :
- Infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a limité les dommages et intérêts pour licenciement abusif alloués à M. [B] à la somme de 18.000 €.
- Statuant à nouveau, Condamner la Société [Z] MATÉRIAUX à la somme de 90.000 € au profit de M. [B], assortie des intérêts légaux et de la capitalisation de ceux-ci.
- Condamner la Société [Z] MATÉRIAUX à la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
- Autoriser la SELARL AB LITIS ' DE MONCUIT SAINT HILAIRE ' PELOIS ' VICQUELIN, Avocats postulants à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 31 mai 2022 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 20 juin 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
L'article L 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse. Selon l'article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Si la société [Z] MATÉRIAUX maintient dans ses conclusions fonder le licenciement de M.[B] sur des fautes professionnelles de nature disciplinaire au motif que le salarié disposait de tous les moyens et des compétences exigées pour l'exercice de son poste de cadre dirigeant, les griefs invoqués dans la lettre de licenciement liés à des carences dans la gestion des dossiers, et une insuffisance de management se rattachent en réalité à une insuffisance professionnelle. Seules les absences injustifiées à des réunions importantes et un manque délibéré d'implication dans les dossiers sont susceptibles de revêtir une qualification disciplinaire.
La lettre de licenciement du 17 octobre 2016 qui fixe les limites du litige se fonde d'une part sur un motif disciplinaire lié à ses absences injustifiées et à un manque d'implication, et d'autre part à une insuffisance professionnelle se traduisant par un management insuffisant et des mauvais résultats dans la branche Distribution.
Au cas d'espèce, les fonctions confiées à M.[B] étaient celles de Directeur Général de la branche Distribution de la SAS [Z] matériaux. Il participait au comité de Direction de la société [Z] matériaux et venait d'intégrer depuis le mois de mai 2016 le comité stratégique de l'entreprise.
En revanche, il n'avait aucun lien contractuel avec la SAS Groupe [Z], société mère détenant 100 % de la Sas Gueguiner matériaux.
Aucune fiche de poste concernant le salarié n'est produite aux débats, seul un organigramme ( pièce 22) de la nouvelle organisation en 2016 de la branche distribution révèle que:
- M.[B], en qualité de Directeur Général Distribution de la société [Z] Matériaux, était le responsable hiérarchique de plusieurs directeurs, dont M.[M], Directeur des Opérations, M.[U] Responsable d'Exploitation, d'un Directeur délégué M.[V], de M.[J] Directeur Exploitation , de M.[W] Directeur des Achats et Développement Produit;
- il était assisté d'une assistante de Direction Mme [P], travaillant aussi pour le Responsable marketing et pour le Responsable Communication Groupe [Z].
- il se situait au même niveau hiérarchique que le secrétaire général du Groupe, M.[Y] [Z].
En l'absence de fiche de poste portée à la connaissance du salarié, il résulte de ce qui était apparemment le profil de poste édité par le cabinet de recrutement de cadres ( pièce 21-1) que M.[B], en qualité de Directeur Général de la branche distribution :
- était rattaché hiérarchiquement au Président Directeur Général , M.[R] [Z].
- avait la responsabilité de la direction générale de l'entité, devant coordonner les actions à tous niveaux en vue d'une harmonisation optimale des procédures et des services à savoir :
- dans le domaine stratégique, doit définir une stratégie propre au développement de l'entité en collaboration avec le groupe
- dans le domaine commercial, participe à l'élaboration de la stratégie de développement commercial et en contrôle sa bonne application, assure un reporting régulier de l'activité commercial et établit les objectifs prévisionnels de chiffre d'affaires, assure le suivi des objectifs par rapport aux budgets trimestriels et annuels, gère les négociations et les relations avec les clients importants , (..)
- dans le domaine technique, veille au respect des normes sécuritaires et qualitatives, optimise les process.
1- sur le motif disciplinaire
Il est fait grief à M. [B] de ne pas s'être suffisamment investi dans des réunions commerciales et des événements de sponsoring de l'été 2016, dont il résulte des débats qu'il s'agissait plus précisément :
- de deux réunions commerciales de rentrée du 1er septembre 2016 organisées à [Localité 4] et à [Localité 9], auxquelles il a assisté durant un quart d'heure à l'issue du mot d'accueil et s'est éclipsé sous prétexte de rendez-vous ou d'empêchement.
- du festival des Vieilles Charrues organisé du 14 au 17 juillet 2016.
M.[B] a répliqué qu'il était présent le 1er septembre 2016 au début des réunions litigieuses correspondant à de simples réunions de rentrée opérationnelles auxquelles il s'est joint pour saluer et motiver les participants,en leur présentant les grandes lignes stratégiques avant de laisser la place au Directeur des opérations Bretagne en charge de mener les réunions et en présence de M.[Y] [Z], Secrétaire Général du groupe [Z] et fils du dirigeant. Il a précisé que compte tenu de ses fonctions, sa présence lors de ce type de réunion n'était pas impérative, en ce qu'il organisait par ailleurs des réunions mensuelles avec les Directeurs et responsables et une fois par an une réunion d'encadrement avec les collaborateurs pour des thèmes plus précis sur la stratégie, le développement, les orientations commerciales.
L'employeur n'ayant produit aucun document permettant d'établir l'ordre du jour et le nom des intervenants prévus lors des réunions du 1er septembre 2016, rien ne permet d'en déduire que M.[B] a quitté de manière anticipée et/ou imprévue les réunions ni que sa présence était indispensable.
S'agissant de son absence lors du festival des vieilles charrues, M.[B] justifie qu'il représentait son employeur lors des fêtes de la Mer à [Localité 3], également sponsorisées par le groupe [Z], et que cet événement était prévu à la même période, pour accueillir des clients selon un planning précis et nominatif (pièce 43-1), ce dont l'employeur avait parfaite connaissance.
Au regard des contestations du salarié, les pièces produites ne permettent pas d'établir la matérialité des griefs invoqués à l'encontre de M. [B].
2- sur l'insuffisance professionnelle
La société [Z] Matériaux demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a à tort reproché à l'employeur de ne pas avoir recadré le salarié, dont les manquements étaient constatés, alors que M.[B] disposait des moyens d'action nécessaire pour mener à bien ses missions.
M.[B] considère à l'inverse que l'employeur a procédé à son licenciement au prétexte d'une insuffisance professionnelle non objectivée et contredite par sa forte expérience professionnelle afin de le remplacer par le fils du dirigeant du groupe [Z], âgé de 25 ans; que son licenciement s'inscrit dans le cadre d'un départ de plusieurs cadres ( septembre 2015-janvier 2017) et le contexte d'un dégraissage des effectifs ; que les griefs quant à la prétendue dégradation des résultats de la branche Distribution sont injustifiés en ce que le salarié avait réussi en quelques mois à inverser la chute du chiffre d'affaires observée depuis 2011, et à prendre des mesures fortes pour redresser le taux de marge brute à fin août 2016. Il conteste son prétendu manque d'investissement et d'implication auprès de ses collaborateurs en rappelant que compte tenu de sa charge multiple, il encadrait notamment 5 Directeurs auxquels il accordait sa confiance et déléguait des responsabilités après avoir défini les grandes lignes lors de réunions, ce qui ne peut pas lui être reproché.
Le licenciement de M.[B] est fondé sur :
- une dégradation des résultats commerciaux en terme de CA et de marge au 30 juin 2016
- l'insuffisance de management et d'accompagnement de ses équipes,
- divers reproches, non évoqués lors de son entretien préalable, se rapportant à l'absence de soutien à la société Leader Mat Ouest, l'absence d'étude d'impact de la création de l'agence de [Localité 10], l'insuffisance des visites de clients et fournisseurs, le manque d'investissement au sein de la société [U], l'absence d'enquête sur les paiements en espèces.
1 - une dégradation des résultats de la branche Distribution
Pour que l'insuffisance de résultat constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, il faut que les objectifs déterminés contractuellement ou unilatéralement par l'employeur soient réalistes et correspondent à des normes sérieuses et raisonnables. Le juge doit vérifier si une insuffisance professionnelle est à l'origine de l'insuffisance de résultats invoquée par l'employeur pour licencier le salarié.
En l'espèce, l'employeur invoque la dégradation des résultats de la branche Distribution notamment en termes de chiffre d'affaire et de marge brute, depuis son arrivée le 1er septembre 2015 et se traduisant par 'un chiffre d'affaires de la société [Z] matériaux en retrait de 2 % au 30 juin 2016, par rapport à l'année précédente et en retrait de près de 3.5 % par rapport au budget peu ambitieux que vous avez validé avec vos équipes au titre de l'année 2016 en dépit des signes d'une reprise d'activité dans le secteur de la construction.'
L'employeur verse aux débats des extraits de tableaux comptables de la société [Z] matériaux, tels que les comptes d'exploitation réel, avec un cumul à fin juin 2016 ( pièce 32), une analyse de la marge brute au 30 juin 2016 ( pièce 32-1), les mêmes comptes avec un cumul au 31 août 2016 ( pièce 35) les chiffres d'affaires par agence ( pièce 34) ainsi que des tableaux 'certifiés conformes ' établis le 15 novembre 2018 par la société elle-même retraitant le chiffre d'affaire en fonction des acquisitions et des locations gérance de nouvelles agences ( 7 auprès de la société Allaire Matériaux et Sanseau Matériaux).
Faute pour l'employeur d'avoir fixé des objectifs personnels à M.[B] en lien avec l'évolution du chiffre d'affaires et de marge brute de la société [Z] matériaux, aucun élément objectif ne permet d'imputer au salarié, dont il n'est pas contesté qu'il était soumis au contrôle hiérarchique du Président directeur Général, une baisse des résultats comptables sur la période d'exécution du contrat de travail, limitée de 13 mois ( septembre 2015- septembre 2016). Il n'est fait mention dans aucun compte rendu de la direction générale, notamment dans celui du 26 février 2016 (pièce 30-1) de directives spécifiques fixées à M.[B] à titre individuel.
Le salarié, de son côté, démontre au travers d'un tableau annéxé dans sa lettre de contestation des griefs du 19 janvier 2017 ( pièce 9) de l'amélioration de la situation du chiffre d'affaires et du taux de marge depuis son arrivée et en tout état de cause, à périmètre constant des 34 agences, une diminution de 2 % du chiffre d'affaires correspondant à la déflation pour l'année 2016 selon les éléments exposés et non contestés par l'employeur par la centrale de référencement en septembre 2016.
M.[B] évoque par ailleurs, contrairement aux reproches de l'employeur sur son inaction, les mesures fortes qu'il a mises en place pour contrecarrer la situation de baisse du chiffres d'affaires, constatée depuis plusieurs années (2011) dans le secteur d'activités de la société [Z] matériaux, passant notamment par un plan d'action de restauration des marges fin 2015.
Au surplus, les reproches ne sont pas cohérents avec des primes de résultat de 16 387 euros perçues par M. [B], dont l'employeur se garde de fournir le mode de calcul. ( pièce 13-16).
2- l'insuffisance de management et d'accompagnement de ses équipes
L'employeur fait reproche à M.[B] un manque d'investissement et d'implication dans des dossiers, à savoir :
- dossier de révision des rémunérations variables, toujours pas finalisé pour le 1er janvier 2017 malgré des nombreuses réunions,
- le développement de l'activité de travaux publics, toujours pas finalisée,
- le traitement des demandes du délégué du personnel relatif au remboursement des frais professionnels et de la procédure de redevance des véhicules de fonction.
S'agissant de la révision des rémunérations variables, il résulte des pièces produites et notamment du compte rendu de la réunion de la direction générale du 26 février 2016 ( pièce 30) que M.[B] était en charge de déterminer les critères quantitatifs permettant de fixer la rémunération variable des commerciaux, tandis que la gestion du dossier ressortait de la Direction des ressources humaines, chargée de l'étude des critères qualitatifs de la partie variable des rémunérations et de l'étude d'impact salarial après fixation par le dirigeant de l'entreprise de la valeur du point. M.[B] justifie au travers de divers messages et compte rendus de réunion (pièces 20, 21 et 21 bis) de l'organisation de réunions de travail, au moins 6, entre le mois de janvier et le mois de mai 2016, sur l'étude des critères quantitatifs conformément à la mission qui lui était confiée. Le fait que les modalités proposées par le salarié lors d'un entretien le 7 juillet 2016 au dirigeant M.[R] [Z] et à son fils M.[Y] [Z] , n'aient finalement pas été validées, sans qu'il soit formulé de critiques expresses, ne suffit pas en soi à établir l'insuffisance du travail effectué par M.[B]. Lors de la dernière réunion du 12 septembre 2016 à laquelle M.[B] a assisté, la Direction n'a émis aucune critique et a prévu que le système serait mis en place le 1er janvier 2017. La matérialité du reproche n'est pas caractérisée.
S'agissant du développement de l'activité de travaux publics, il ressort que M.[B] chargé de la mise en oeuvre de ce dossier, a soumis au cours de l'été 2016 un projet complet contenant un chiffrage, des propositions d'organisation, auprès de la direction (dossier pièce 22). L'employeur qui n'a émis aucune critique du projet lors du comité stratégique le 12 septembre 2016 n'est pas fondé à reprocher au salarié de ne pas avoir finalisé ce projet.
Concernant le traitement des demandes du délégué du personnel relatif au remboursement des frais de personnel, M.[B] rapporte la preuve au vu du compte rendu de la réunion du 4 juillet 2016 que ce dossier était géré directement par le dirigeant M.[R] [Z]. Le grief n'est donc pas établi.
3- sur les autres reproches
M.[B] fait valoir que les autres griefs, figurant dans la lettre de licenciement, n'ont pas été évoqués lors de son entretien préalable et qu'il les a contestés dans sa lettre du 17 janvier 2017.
- l'absence de soutien à la société Leader Mat Ouest dans l'absence de validation du démarrage du projet de changement d'ERP.
Il est constant que M.[B] n'a aucun lien contractuel avec la société Leader Mat Ouest (LMO), faisant partie du groupe [Z], laquelle gère 4 agences de distribution dans le Finistère. La société [Z] Matériaux qui ne produit aucune fiche de poste du salarié n'explique pas les raisons pour lesquelles les missions de M.[B] s'étendaient aux agences d'une autre société s'agissant au demeurant d'un projet de changement d'ERP, antérieur à son recrutement et ressortant du domaine de compétence de la DRH. La carence du salarié n'est donc pas démontrée.
- l'absence d'étude d'impact de la création de l'agence de [Localité 10].
Alors que l'agence de [Localité 10] a été ouverte au mois d'avril 2015, l'employeur reproche au salarié de ne pas avoir procédé à une étude d'impact de sa création sur une autre agence de [Localité 7]. Toutefois, la société [Z] matériaux ne démontre pas avoir missionné M.[B] à cette étude d'impact et ne caractérise pas la réalité de son reproche.
- l'insuffisance des visites de clients et fournisseurs.
La société [Z] Matériaux, faisant grief à M.[B] de ne pas créer des liens forts avec les clients et fournisseurs, en raison d'une visite insuffisante, se fonde sur des relevés des frais professionnels du salarié pour la période du 1er février 2016 au 23 avril 2016 ( pièce 42)
Alors que le salarié justifie le coût raisonné de ses frais professionnels par la volonté de sélectionner les clients stratégiques de l'entreprise et de limiter les déplacements à l'occasion des événements organisés dans les agences, la société [Z] Matériaux se borne à produire des relevés de frais professionnels sur une période limité de 3 mois alors qu'elle était en mesure de rapporter la preuve d'une éventuelle carence, en produisant la copie de l'agenda partagé de l'intéressé, ce qu'elle s'est abstenue de faire. L'insuffisance des visites de M.[B] auprès des clients et fournisseurs n'est pas démontrée.
- le manque d'investissement au sein de la société [U].
La société Queguigner Matériaux qui fait reproche au salarié un manque d'investissement au sein de la société [U] rachetée au 1er septembre 2015, se traduisant par une perte de chiffres d'affaire découlant du transfert de l'activité gros oeuvre de l'agence [Z] Matériaux de saint Brieuc vers la société [U], et par l'absence d'étude d'impact du transfert de l'activité, ne justifie aucunement avoir chargé M.[B] d'une telle mission, s'agissant d'une opération de transfert réalisée concomitamment à son recrutement. Le grief n'est étayé par aucun élément objectif.
- l'absence d'enquête sur les paiements en espèces.
L'employeur reproche au salarié de ne pas avoir mis en place un audit avant d'engager une procédure de conservation des espèces pour la totalité des agences de la branche Distribution.
Toutefois, la société appelante n'ayant adressé aucune directive préalable en la matière n'est pas fondée à en faire le reproche au salarié.
L'employeur a par ailleurs produit à l'appui de ses reproches trois témoignages :
- Mme [P], assistante de direction dotée d'une longue expérience au sein de la sociéét [Z], estimant que 'M.[B] ne l'a pas accompagnée dans la gestion de ses dossiers ni apporté de soutien ', a établi une attestation dans des termes généraux ne permettant pas d'établir que son responsable hiérarchique avait failli dans sa mission à quel que moment que ce soit,
- M. [M] Directeur des opérations, sous la responsabilité hiérarchique de M.[B] ( pièce 42), s'est plaint qu'il 'ne voyait que très rarement M.[B] en dehors de la réunion mensuelle Distribution et du fait que M.[B] faisait preuve d'interventionnisme sans concertation' .
- M.[Y] [Z] , Secrétaire général du groupe [Z] et devenu Directeur général le 3 novembre 2016 à la place de M.[B], a décrit les conditions de sa collaboration avec M.[B] lors de la mise en place de l'activité TP évoquant un manque de concertation et une gestion indépendante ( janvier-octobre 2016).
Toutefois, les reproches formulés par des salariés, ayant continué à travailler pour le compte de l'employeur après le licenciement de M.[B], sont contredits par les compte-rendu de réunions fournis par le salarié révélant que M.[B] organisait régulièrement des réunions en sus de la réunion mensuelle de la branche Distribution, que son travail était apprécié par la Direction ce qui s'est traduit notamment par l'intégration de M.[B] au sein du Comité de stratégie de l'entreprise au mois de mai 2016, soit quelques mois avant son éviction et son remplacement par M.[Y] [Z] promu en qualité de Directeur Général aussitôt après le licenciement de M.[B]. L'attestation émanant de M.[Y] [Z] doit ainsi être appréciée avec une grande prudence au regard de la convergence d'intérêts avec la société [Z] Matériaux, dont il est actionnaire et dont le père est le dirigeant.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la défaillance de M. [B], bénéficiant d'une expérience professionnelle solide en qualité de Directeur général au vu de son curriculum vitae et de la présentation de sa candidature par le Cabinet Michael Page ( pièce 23) dans l'organisation de son travail n'est pas établie et que les résultats constatés durant la période d'exécution du contrat de travail ne sont pas en corrélation avec une insuffisance professionnelle du salarié.
L'insuffisance professionnelle n'étant pas avérée, les premiers juges ont à juste titre considéré que le licenciement de M.[B] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur les conséquences du licenciement
Aux termes de l'article L 1235-5 du code du travail dans sa rédaction alors applicable en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est alloué au salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté, à la charge de l'employeur, une indemnité correspondant au préjudice subi.
A la date du licenciement, M. [B] percevait une rémunération de 8 928.92 euros par mois en moyenne, avait 59 ans et justifiait d'une ancienneté de 17 mois. Il est justifié qu'il a perçu des indemnités chômage malgré ses démarches actives pour retrouver un emploi ( nombreux courriels de février 2017 à février 2018 pièce 33). Il a fait valoir ses droits à la retraite en avril 2020. Il fait état de frais de déménagement en avril 2016 pour se rapprocher de son entreprise, sans savoir qu'il serait rermercié quelques mois plus tard.
Compte tenu des circonstances de la rupture, de l'âge, de l'ancienneté du salarié, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer à la somme de 30 000 euros l'indemnisation due au salarié en réparation de son préjudice pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie d'infirmation du jugement.
Cette somme portera intérêt au taux légal et il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civile.
Sur les autres demandes et les dépens
Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du code du travail dans sa rédaction alors applicable n'étant pas réunies, il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié. Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de M.[B] les frais non compris dans les dépens. L'employeur sera condamné à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement déféré étant confirmé en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur qui sera débouté de sa demande d'indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
- CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement de M.[B] est abusif, qu'il a condamné la Société [Z] MATÉRIAUX au paiement de la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens,
- INFIRME les autres dispositions du jugement ,
STATUANT de nouveau des chefs infirmés et y AJOUTANT :
- CONDAMNE la SAS [Z] Matériaux à payer à M. [B] les sommes suivantes :
- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.
- 2 500 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- DIT que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires, intérêts légaux qui seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- REJETTE les autres demandes des parties,
- CONDAMNE la société [Z] Matériaux aux dépens de l'appel et autorise la selarl AB LITIS avocats, postulants à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Conseiller
Faisant fonction de Président