3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°469
N° RG 22/01096 - N° Portalis DBVL-V-B7G-SP4V
S.A.S. ID AUTOMATION
C/
S.A.S. AR.VAL
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me GUILLEUX
Me BOMMELAER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Juin 2022 devant Madame Olivia JEORGER-LE GAC, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.S. ID AUTOMATION, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de LORIENT sous le numéro 379 231 566, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Géraldine GUILLEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Slimane GACHI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. AR.VAL, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VANNES (56000) sous le numéro 429 676 067, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,
[Adresse 1]
lin
[Localité 3]
Représentée par Me Roxane LE HEN substituant Me Nicolas DE LA TASTE de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
La SAS ARVAL, inscrite au RCS de Vannes, a pour activité la conception et la réalisation d'équipements de process et de manutention pour l'industrie du traitement des déchets ménagers et industriels.
Elle fait partie du groupe CERES présidé par M. [N].
M. [W] [E], embauché en 2010, était son directeur général jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire le 27 avril 2020, pour plusieurs motifs tenant globalement à l'irrespect des consignes du groupe et plus particulièrement de celles données par M. [N], avec une gestion déficitaire de la société qualifiée 'd'opaque' par sa société mère.
Dans les semaines ayant suivi, la société ARVAL aurait alors fait face à la démission d'une vingtaine de salariés (sur soixante salariés), dont celles des principaux cadres, soit le directeur du site, M. [Y] [D] et le responsable SAV M. [W] [U].
Il est apparu qu'alors que Messieurs [E], [D] et [U] étaient encore salariés de la société ARVAL, ils ont immatriculé en Belgique, le 16 avril 2020, une société MGC HOLDING.
Puis, avec une société de droit polonais, POLMECANIC GROUP, par ailleurs sous-traitant habituel de la société AR VAL (20% des achats de biens d'équipements de la société AR VAL), la société MGC HOLDING a créé le 23 avril 2020, une société de droit belge SUSTY WASTE SOLUTIONS (SWS) ayant une activité similaire à celle de la société AR VAL.
Quelques mois plus tard ont été créées des sociétés de droit français SWS TEAM (au RCS de Vannes, soit proche de la société AR VAL) et SWS FRANCE, aux activités directement concurrentes de celles de la société AR VAL.
Un rapport de surveillance privé, daté de la fin du mois de novembre 2020, a établi que se trouvaient régulièrement présents sur le site de la société SWS TEAM, présidée par M. [E], cinq anciens salariés de la société AR VAL soit Messieurs [R], [Z], [V], [T], [L].
Il est aussi apparu que douze anciens salariés de la société AR VAL avaient une adresse de courriel se terminant par sustywaste.com.
Le groupe CERES et la société AR VAL auraient ensuite découvert que M. [E], dans les mois précédant son départ, aurait volontairement et durablement affaibli la société AR VAL, en signant ou tentant de signer des contrats contraires à ses intérêts :
- d'une part il aurait accordé des conditions commerciales atipyques et désavantageuses au sous traitant POLMECANIC GROUP, passant de conditions de paiement usuelles en 2018 (30% à la commande, 60% selon avancement mensuel, 5% après mise en route, 5% à réception client final) à 100% du paiement avant livraison et sans garantie en avril 2020,
- d'autre part en signant un marché ruineux avec une collectivité publique, que la société AR VAL a dû poursuivre à perte (un million d'euros),
- ensuite en ne demandant pas l'agrément nécessaire à l'obtention d'un marché public en Belgique, dont la société AR VAL avait pourtant remporté l'appel d'offres, conduisant celle-ci à être ensuite, le 25 mai 2020, évincée par la collectivité lorsqu'elle n'a pu justifier de l'agrément.
La société AR VAL a appris que le marché avait été attribué le 20 Octobre 2010 à un groupement de sociétés constitué des sociétés SWS, POMECANIC GROUP, ID AUTOMATION.
Enfin, la société AR VAL et son sous-traitant la société PMF avait conçu et mis en oeuvre une nouvelle chaîne de tri sur un site exploité dans l'Hérault ([Localité 4]) par la société DELTA RECYCLAGE, filiale d'une société PAPREC.
Avant réception, au mois d'août 2019, un incendie a détruit une partie de l'installation.
Alors que la société AR VAL, par son directeur général M. [E], était en discussion avec son client pour obtenir le marché du démontage de la chaîne de tri, celui-ci a été attribué au mois de juin 2020 à la société PMF qui est une filiale de la société POLMECANIC.
La société AR VAL a ensuite découvert que l'un de ses anciens salariés, M. [X], embauché chez SWS, aurait transféré à cette entreprise un document que lui-même avait établi pour ce projet alors qu'il travaillait chez AR VAL.
La société AR VAL suppose dès lors qu'en fait la société SWS se soit vue attribuer le marché du démontage, en utilisant ses propres plans et son propre sous-traitant, la société PMF.
En dernier lieu :
- la société AR VAL, qui rémunère une soixantaine de licence d'un logicielde conception coûteux, a été avisée par son fournisseur que l'une d'elle avait été détournée et utilisée frauduleusement,
- la société AR VAL, après fait examiner au mois de juillet 2020 l'ordinateur de M. [E], aurait découvert que l'utilisation d'un logiciel spécifique, M. [E] aurait supprimé toutes les données y figurant.
Ces circonstances ont conduit la société AR VAL a déposer une requête visant à être autorisée à faire procéder, contre la société ID AUTOMATION, à la mesure de constat contradictoire suivante; désigner un huissier de justice compétent, avec pour mission de se rendre, assisté d'un informaticien, au siège de la société ID AUTOMATION, y pénétrer et 'prendre connaissance du registre du personnel ainsi que des prestations réalisées pour PAPREC/DELTA RECYCLAGE à LANSARGUES permettant d'identifier le donneur d'ordre et les documents utilisés par ce dernier pour passer sa prestation de sous-traitance en autoentrepreneur à [M] [A] ou [O] [P]'.
Par ordonnance du 16 février 2021, le Président du Tribunal de commerce de Vannes a fait droit, dans les termes de la requête, à la demande de mesure d'investigation contre la société ID AUTOMATION.
Cette ordonnance a été exécutée le 15 mars 2021.
Le 19 mai 2021, la société ID AUTOMATION a assigné la société AR VAL en vue de voir rétracter l'ordonnance du 16 février 2021.
Par ordonnance du 21 janvier 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Vannes a :
- confirmé l'ordonnance du 16 février 2021 en ses dispositions relatives à la société ID AUTOMATION,
- condamné la société ID AUTOMATION à payer à la société AR VAL la somme de 2.500 euros de frais irrépétibles,
- condamne la société ID AUTOMATION aux dépens.
Appelante de cette ordonnance, la société ID AUTOMATION, par
conclusions du 08 juin 2022, a demandé que la Cour :
- juge irrecevable et à défaut mal fondée la demande formulée par la société AR VAL visant à voir prononcer la caducité de l'appel,
- infirme l'ordonnance entreprise,
- rétracte l'ordonnance sur requête du 16 février 2021,
- prononce la nullité subséquente poursuivie en exécution de l'ordonnance rétractée,
- ordonne la remise à ID AUTOMATION des différents documents, supports, matériels informatiques remis, copiés, reproduits ou produits à l'occasion de l'exécution de l'ordonnance sur requête rétractée,
- condamne la société AR VAL au paiement de la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamne la société ARVAL, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au paiement de la somme de 10.000 euros pour les frais de première instance et de 8.000 euros pour les frais d'appel,
- condamne la socité AR VAL aux dépens.
Par conclusions du 08 juin 2022, la société AR VAL a demandé que la Cour:
- prononce ou constate la caducité de l'appel,
- déboute la société I D AUTOMATION de ses prétentions,
- confirme l'ordonnance déférée,
- condamne la société ID AUTOMATION au paiement de la somme de 10.000 euros de frais irrépétible et aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION:
Sur la caducité de l'appel :
La société AR VAL fait grief à la société ID AUTOMATION de ne pas lui avoir signifié la déclaration d'appel dans les dix jours de la signification de l'avis de fixation, s'agissant d'une procédure à bref délai régie par les dispositions de l'article 905 et suivants du code de procédure civile.
S'agissant d'une procédure à bref délai, aucun conseiller de la mise en état n'a été désigné et le président de la chambre, ou le magistrat par lui délégué ou la cour sont compétent pour connaître de la caducité éventuelle.
En l'espèce, la société AR VAL a constitué avocat le jour même de l'envoi de l'avis de fixation.
S'appliquait donc la disposition selon laquelle 'si entre-temps (nb : entre l'avis de fixation et le délai de dix jours) l'intimé a constitué avocat avant la signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat'.
Aucune signification n'avait donc à être effectuée.
Enfin, l'absence de notification de la déclaration d'appel à l'avocat de l'intimé constitué avant l'expiration du délai de dix jours précité n'est pas prescrit à peine de caducité, cet avocat ayant accès par sa constitution à toutes les pièces du dossier, dont la déclaration d'appel et l'avis de fixation.
Le grief n'est pas fondé et la déclaration d'appel n'est pas caduque.
Sur la signification de l'ordonnance sur requête :
La société ID AUTOMATION fait grief à la société AR VAL d'avoir violé les disposition de l'article 495 du code de procédure civile en ne lui présentant pas la minute de l'ordonnance antérieurement au commencement des mesures de constat, alors qu'il s'agit d'une condition essentielle de sa validité.
La société AR VAL répond en premier lieu qu'il n'appartient pas au juge de la rétractation de vérifier les conditions d'exécution de l'ordonnance qu'il lui est demandé de rétracter.
Cette thèse est inexacte lorsque le grief est relatif à une irrégularité dans sa signification ; dans ce cas, le juge de la rétractation est compétent pour connaître du grief allégué, l'irrégularité de la signification étant un motif de rétractation.
L'examen de l'acte de signification du 15 mars 2021 démontre que l'huissier a indiqué 'signifier et laisser copie d'une ordonnance (0/2021/87) du Président du Tribunal de Commerce de Vannes en date du 16 février 2021, rendu sur requête en date du 19 janvier 2021 rectifiée le 04 février 2021, dont copie vous est donnée par le présent acte'.
L'acte a été signifié à M. [H] [I] ès-qualités de directeur général.
Il est constant qu'il n'y est pas indiqué que l'huissier a présenté la minute de l'ordonnance.
Il est sans incidence que celui-ci ait rédigé une attestation, le 1er juin 2021, déclarant avoir présenté et signifié l'ordonnance sur requête à M. [I].
Outre le fait que cette attestation n'évoque pas la minute, et qu'il est certain, par l'acte de signification, que M. [I] se soit vu signifier une copie de l'ordonnance sur requête, cette attestation ne peut pallier l'omission d'une mention dans un acte de signification, un tel acte devant, aux termes des dispositions de l'article 663 du code de procédure civile, se suffir à lui-même et mentionner toutes les diligences acomplies.
Il ne peut donc qu'être constaté que la minute de l'ordonnance n'a pas été présentée au représentant de la société ID AUTOMATION.
D'autre part, la copie de l'ordonnance, identique dans les dossiers des deux parties, est signée par le Président et le greffier ne comporte pas la formule exécutoire, mais simplement un cachet avec la Marianne du Tribunal de commerce de Vannes et un tampon 'Déposé au Greffe du Tribunal de commerce de Vannes le 16 février 2021".
Selon les dispositions du décret 47-1047 du 12 juin 1947 relatif à la formule exécutoire, celle-ci, apposée par le greffier, est la suivante :
"République française
"Au nom du peuple français ",
"En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt (ou ledit jugement, etc.) à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.
"En foi de quoi, le présent arrêt (ou jugement, etc.) a été signé par...".
Les deux cachets figurant sur la copie de l'ordonnance remise à la société ID AUTOMATION ne peuvent donc faire office de formule exécutoire.
En vertu des dispositions des articles 502 et 503 du code de procédure civile, nul jugement, nul acte, ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire à moins que la loi n'en dispose autrement, et les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir éténotifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire. En cas d'exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification.
En l'espèce, en vertu des dispositions de l'article 495 du code de procédure civile l'ordonnance sur requête du 16 février 2021 ayant autorisé les mesures de constat au siège de la société ID AUTOMATION était exécutoire sur minute.
Il se déduit de ces dispositions que cette ordonnance pouvait être exécutée :
- soit au vu de sa minute, c'est-à-dire de l'original de l'ordonnance, les dispositions de l'article 494 du code de procédure civile prévoyant que la requête soit présentée en double exemplaire, permettant ainsi que soient établis deux doubles originaux,
l'un conservé au greffe de la juridiction, l'autre remis à l'avocat du requérant,
- soit en en signifiant une copie revêtue de la formule exécutoire.
Or, à l'examen de l'acte de signification du 15 mars 2021, l'huissier n'a pas présenté la minute et n'a pas signifié une copie de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire, alors qu'une telle pièce aurait pu aisément être réclamée auprès de la juridiction.
Enfin, il n'est pas soutenu que la société ID AUTOMATION ait volontairement exécuté l'ordonnance.
En conséquence, la mesure de constat a été réalisée alors que Me [J], huissier de justice, n'en avait pas le pouvoir.
Cette irrégularité affecte dans son essence la validité de l'ordonnance sur requête du 16 février 2021 dans ses dispositions relatives à la société ID AUTOMATION et conduit à les rétracter et à déclarer nulles toutes les mesures prises en son exécution, avec toutes conséquences de droit quant l'impossibilité d'utiliser les documents copiés à cette occasion et leur remise à la société ID AUTOMATION.
Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la société ID AUTOMATION :
Il n'est pas démontré que la société AR VAL, en requérant une mesure d'investigation non contradictoire, ait été animée par une autre intention que celle de préserver ses droits.
Dès lors, la demande de dommages et intérêts présentée par la société ID AUTOMATION pour procédure abusive est rejetée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
La société AR VAL, qui succombe, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Rejette la demande visant à voir prononcer la caducité de l'appel.
Infirme l'ordonnance déférée.
Statuant à nouveau :
Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 16 février 2021 par le Président du tribunal de commerce de Vannes dans ses dispositions relatives à la société ID AUTOMATION.
Prononce la nullité des opérations de constat réalisées en exécution de l'ordonnance rendue sur requête le 16 février 2021 par le Président du tribunal de commerce de Vannes dans ses dispositions relatives à la société ID AUTOMATION.
Ordonne en conséquence à la société AR VAL, dans un délai de 8 jours suivant la signification du présent arrêt, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pendant un délai d'un mois à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit, d'enjoindre à l'huissier ayant réalisé le constat de restituer toutes les pièces copiées ou saisies dans ce cadre à la société ID AUTOMATION.
Rapelle qu'en vertu de la rétractation sus visée, il ne peut être fait état d'aucune pièce collectée en vertu des dispositions rétractées dans quelque procédure que ce soit.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne la société AR VAL aux dépens de première instance et d'appel.
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,