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20/09/2022 | FRANCE | N°20/02146

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 20 septembre 2022, 20/02146


1ère Chambre





ARRÊT N°303/2022



N° RG 20/02146 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QS56













SASU CREANOVA FLAVORS

SCI CREANOVA IMMOBILIER



C/



S.A.R.L. CASEA

S.C.I. PBM

















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 SEPT

EMBRE 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,





GREFFIER :



Madame Marie-Cl...

1ère Chambre

ARRÊT N°303/2022

N° RG 20/02146 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QS56

SASU CREANOVA FLAVORS

SCI CREANOVA IMMOBILIER

C/

S.A.R.L. CASEA

S.C.I. PBM

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère entendue en son rapport,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Mai 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 06 septembre 2022 comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTES :

CREANOVA FLAVORS, SASU agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Benoît GICQUEL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

CREANOVA IMMOBILIER, SCI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Benoît GICQUEL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

La société CASEA, SARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Christophe DAVID de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

La S.C.I. PBM, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Christophe DAVID de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SCCV IN SITU a fait construire, en tant que maître d'ouvrage, un immeuble de bureaux situé au [Adresse 4], sur la parcelle cadastrée AM [Cadastre 3].

Suivant acte authentique reçu par Maître [B], notaire associé à [Localité 5], la société CREANOVA IMMOBILIER a procédé à l'acquisition du lot n°6, soit un plateau de bureaux situé au premier étage, portant le n°01-2 du plan, ainsi que les 1.129/10.000èmes des parties communes générales et huit places de parking.

Les locaux ainsi acquis par la société CREANOVA IMMOBILIER ont été donnés à bail à la société CREANOVA FLAVORS, laquelle exploite dans les lieux une activité de recherche et développement dans le domaine des arômes culinaires.

La SCI PBM a fait l'acquisition dans le même immeuble de locaux mitoyens, constituant le lot n°5, soit un plateau situé au 1er étage portant le n°01-1, lesquels ont été donnés à bail à la SARL CASEA.

La société CASEA, située à proximité immédiate des locaux de la société CREANOVA FLAVORS ainsi que d'autres copropriétaires, se sont plaints de nuisances olfactives générées par l'activité de la société CREANOVA FLAVORS.

La société CASEA a par ailleurs reproché aux sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS d'avoir mis en place des solutions inefficaces pour remédier au problème d'odeurs, qui en outre, ont eu pour effet de créer une nouvelle nuisance, en plaçant systématiquement les locaux en dépression, avec pour conséquence de faire apparaître d'importantes entrées d'air extérieur et des courants d'air froid continus.

La société CASEA a fait rechercher la cause et les conséquences des nuisances par un expert privé, M. [O], qui a dressé un rapport le 23 décembre 2013.

S'interrogeant sur d'éventuels défauts de construction, la société CREANOVA IMMOBILIER a diligenté une expertise par le cabinet MERCIER & ASSOCIES, aux fins d'analyser la construction et sa conformité aux documents contractuels.

Des malfaçons et défauts d'exécution ou non exécutions imputables à la SCCV IN SITU ont été mises en évidence.

La société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS ont saisi le Président du tribunal de grande instance de Rennes statuant en référé afin de voir nommer un expert judiciaire au contradictoire du constructeur. Par ordonnance du 30 mai 2013, la juridiction a désigné M. [X], lequel a rendu son rapport définitif le 12 août 2015.

Par acte d'huissier du 24 avril 2015, les sociétés SCI PBM et CASEA ont saisi le juge des référés pour solliciter l'exécution des travaux de reprise tels que préconisés par M. [X] dans son pré-rapport d'expertise, afin de mettre fin aux troubles.

Les parties se sont rapprochées et sont convenues d'un retrait du rôle afin de rechercher une solution amiable. Une ordonnance en ce sens a été rendue le 18 novembre 2015.

En définitive, aucun accord transactionnel n'a pu aboutir.

C'est dans ce contexte que, suivant acte d'huissier du 16 novembre 2016, la SCI PBM et la SARL CASEA ont saisi le tribunal de grande instance de RENNES afin d'obtenir la condamnation sous astreinte des sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS à cesser toutes nuisances olfactives et toute mise en dépression des locaux occupés par la société CASEA outre le paiement de dommages et intérêts pour le trouble de jouissance subi ainsi qu'une indemnité au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Par un jugement du 14 avril 2020, le tribunal judiciaire de Rennes a :

-Condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à verser à la société CASEA la somme de 7.500 € à titre de dommages intérêts en réparation des troubles anormaux de voisinage qu'elle subit depuis 2013,

-Condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à cesser toutes nuisances olfactives et toutes mises en dépression des locaux occupés par la société CASEA sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement,

-Débouté la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS de leur demande reconventionnelle,

-Condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS aux entiers dépens,

-Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Suivant déclaration du 29 avril 2020, les sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS ont régulièrement interjeté appel de tous les chefs de ce jugement.

Par conclusions, la société CASEA a relevé appel incident du jugement quant au montant des dommages-et-intérêts qui lui ont été alloués.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 2 mai 2022 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé de leurs moyens et prétentions, la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SASU CREANOVA FLAVORS demandent à la cour de :

-Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 avril 2020 par le tribunal judiciaire de Rennes,

Statuant à nouveau,

-Débouter la SCI PBM et la société CASEA de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

-Condamner solidairement la SCI PBM et la société CASEA à payer à chacune des sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi pour procédure abusive ;

-Condamner in solidum la SCI PBM et la société CASEA à payer aux sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 23 février 2021 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, la SARL CASEA et la SCI PBM demandent à la cour de :

-Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS et/ou le syndicat de copropriété à cesser toutes nuisances olfactives et toutes mises en dépression des locaux occupés par la société CASEA sous astreinte de 500 € par infraction constatée à compter de la signification du jugement rendu,

-Infirmer le jugement sur l'indemnisation du préjudice de jouissance et condamner les sociétés CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à payer la somme de 15 000.00 € au titre du préjudice de jouissance subi par la société CASEA,

En tout état de cause,

-Débouter la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS de leurs demandes fins et conclusions,

-Condamner la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS au paiement d'une indemnité de 6 000.00 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

-Condamner la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS aux entiers dépens qui comprendront le coût de l'intégralité des constats d'huissier réalisés et dont distraction au profit de la SELARL LE PORZOU DAVID ERGAN, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA COUR

1°/ Sur l'existence d'un trouble anormal du voisinage

L'action des sociétés CASEA et PBM est poursuivie sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

Le droit reconnu au propriétaire par l'article 544 du code civil de jouir de son bien de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois ou les règlements, trouve sa limite dans l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

Il appartient à celui qui se prétend victime d'un trouble anormal du voisinage d'en rapporter la preuve.

Il s'agit d'une responsabilité objective, fondée sur la constatation du dépassement d'un seuil de nuisance sans qu'il soit nécessaire d'imputer celui-ci à une faute ou à l'inobservation d'une disposition législative ou réglementaire.

Le caractère anormal d'un trouble de voisinage doit s'apprécier in concreto en tenant compte des circonstances de lieu.

a. Sur l'existence d'un trouble

Les sociétés CASEA et PMB se plaignent de nuisances olfactives et de mises en dépression répétées de leurs locaux, entraînant des flux d'air froid.

Pour caractériser les troubles allégués, la SARL CASEA et la SCI PMB produisent de nombreuses attestations de salariés de l'entreprise CASEA et pas moins de dix constats d'huissiers dressés entre 2012 et 2020.

La réalité du trouble allégué résulte également du procès-verbal d'assemblée générale du 27 mai 2014 dont il ressort que plusieurs sociétés copropriétaires se plaignent des problèmes d'odeurs. Il est reproché à la société CREANOVA d'exercer une activité de production dans des locaux à usage de bureaux et d'avoir mis en place un système de ventilation, fonctionnant en double extraction. Il est demandé à la société CREANOVA, sous peine d'assignation en justice, de cesser cette double extraction et même d'arrêter son activité de laboratoire. Il est observé que les nuisances ne sont pas niées par la représentante de la société (Mme [S]) qui invoque un problème de conception du bâtiment et une procédure en cours contre le constructeur, qui n'aurait pas respecté son engagement de livrer des locaux entièrement isolés (pièce 17).

Au soutien de leur action, les sociétés CASEA et PMB s'appuient surtout sur des rapports techniques, notamment le rapport de l'expertise judiciaire diligentée par les sociétés CREANOVA au contradictoire des constructeurs (rapport [X]).

Il ressort du rapport d'expertise privée de M. [O] en date du 23 décembre 2013 que « la cause initiale des nuisances décrites est l'installation fautive d'un laboratoire d'arômes culinaires dans des locaux professionnels, conçus et construits pour recevoir exclusivement des activités tertiaires ». Il met également en évidence des défauts de conception de la ventilation et la mise en 'uvre par la société CREANOVA FLAVORS d'une double extraction, «occasionnant un déséquilibre de la VMC commune de l'immeuble ».

Les mesures de pression effectuées par la société 3D Energie confirment le lien de causalité entre la modification par la société CREANOVA de son système de ventilation en mode « double extraction » et le phénomène de dépression des bureaux adjacents : « Les locaux de la SARL CASEA se retrouvent en forte dépression par rapport à l'extérieur. Cette dépression est due à un appel d'air combiné par les bouches d'extraction (dont la pression est plutôt faible) et par une aspiration supplémentaire provenant des locaux mitoyens. Ceci induit un renouvellement d'air anormalement élevé et augmente les consommations de chauffage. » (pièce 6 CASEA).

Il est difficile pour la société CREANOVA de contester la réalité des troubles allégués par les sociétés intimées, dès lors qu'elle a elle-même initié une expertise judiciaire au contradictoire des constructeurs, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin précisément de rechercher les causes des odeurs nauséabondes et du phénomène de dépression dans les locaux adjacents aux laboratoires.

En réalité, c'est surtout l'origine des nuisances que les sociétés appelantes contestent, en imputant celles-ci à un défaut de conception et à des vices de construction de l'immeuble ( cf le PV d'assemblée générale du 27 mai 2014).

Il ressort de l'acte authentique de vente du 14 décembre 2011, que la société CREANOVA IMMOBILIER avait bien commandé au constructeur des aménagements spécifiques pour tenir compte de son activité, notamment :

- des cloisonnements ou cloisons modulaires isolées d'une épaisseur 72 mm avec isolation spécifique en prolongement de la cloison au-dessus du plafond,

- une ventilation spécifique des laboratoires 1, 2 et 3, adaptée à l'activité, de 600 à 1.800 mètres cube par heure avec palier possible, installation sur la toiture du moteur à gaine spécifique indépendant de la VMC.

Le rapport d'expertise judiciaire de M. [X] a effectivement confirmé les malfaçons et les défauts de conformité aux documents contractuels, notamment dans la mise en 'uvre des cloisons et du système de ventilation des laboratoires.

Plus précisément, le rapport technique de M. [T], intervenu en qualité de sapiteur au cours de l'expertise judiciaire, a mis en évidence l'insuffisance du système de ventilation des laboratoires en indiquant que :

-les débits mesurés sont nettement inférieurs aux valeurs indiquées à l'acte de vente ( 234 m3/heure pour l'ensemble des laboratoires au lieu de 1 800 m3 /h prévu contractuellement avec le constructeur, ce qui était un objectif satisfaisant),

-l'installation de soufflage n'est équipée d'aucun dispositif de préchauffage de l'air, ce qui entraîne en hiver un apport d'air froid dans les bureaux et génère un inconfort,

-les débits de soufflage sont supérieurs aux débits d'extraction (suppression totale de 82 m3/heure) de sorte que les laboratoires sont en surpression par rapport aux autres locaux et à l'extérieur,

-cette surpression entraîne le passage d'air pollué et des odeurs depuis les laboratoires vers les locaux adjacents par les fuites et trous existants dans les cloisons.

Il ressort ainsi suffisamment du rapport d'expertise que les troubles dont se plaignent depuis plusieurs années les salariés de l'entreprise CASEA proviennent bien des locaux des sociétés CREANOVA, dont l'activité génère des nuisances olfactives. Non seulement le système de ventilation spécifique des laboratoires mis en place ne permet pas de juguler ces nuisances olfactives mais, en outre, son fonctionnement entraîne une dépression anormale, responsable de courants d'air froid dans les bureaux adjacents.

L'argumentation des sociétés appelantes tendant à imputer les désordres au manquements contractuels du constructeur est ici parfaitement inopérante dans la mesure où leur responsabilité est recherchée sur le fondement de la théorie du trouble anormal du voisinage, laquelle ne repose pas sur la preuve d'une faute mais seulement sur le constat objectif de nuisances excédents les inconvénients normaux du voisinage, imposées par un propriétaire à son voisin. Dès lors, comme l'a relevé le premier juge, les sociétés CASEA et PBM sont bien fondées à demander réparation de leurs dommages au propriétaire et à l'occupant des locaux, ces derniers pouvant le cas échéant et de manière distincte, solliciter la garantie du constructeur, étant observé que celui-ci n'a pas été attrait à la cause.

Il s'avère au surplus que les sociétés CREANOVA FLAVORS et CREANOVA IMMOBILIER ne pouvaient ignorer les nuisances générées par leur activité, puisqu'elles ont justement commandé au constructeur des travaux d'étanchéité et de ventilation spécifiques, destinés à limiter le trouble olfactif. Par ailleurs, dans les précédents locaux qu'elle occupait, la société CREANOVA FLAVORS avait été mise en demeure par le syndic de faire cesser le trouble du voisinage lié aux nuisances olfactives en application du bail commercial. Le courrier du 30 juillet 2010 adressé par le syndic au gérant de la société CREANOVA FLAVORS indiquait : « Nous avons de nouveau reçu des plaintes de la part des locataires de l'immeuble concernant des nuisances d'odeurs émanant de vos locaux professionnels. Il en ressort que les travaux engagés sur le réseau de ventilation s'avèrent insuffisants pour faire cesser le trouble de voisinage. » ( p. 8 CASEA).

C'est donc en toute connaissance des nuisances générées par leur activité, que les sociétés CREANOVA ont choisi de s'installer dans un bâtiment à usage professionnel ou commercial pour y développer une activité de laboratoire.

Elles apparaissent d'autant plus mal fondées à contester l'existence des troubles allégués par la société CASEA.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la preuve de l'existence d'un trouble imputable aux sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS est ainsi rapportée.

b. Sur l'anormalité du trouble

Il ressort des pièces produites que les nuisances olfactives sont apparues dès l'installation de la société CREANOVA FLAVORS dans l'immeuble. Les problèmes de dépression et de courants d'air froid sont apparus dans un second temps.

Pour retenir l'anormalité du trouble, le premier juge a justement souligné son caractère évolutif ainsi que sa durée, dans la mesure où la situation perdure depuis l'installation de la société CREANOVA (en 2012) et s'est poursuivie, de manière récurrente voire permanente, jusqu'en 2020.

La société CASEA produit pas moins de dix constats d'huissier dressés entre 2012 et 2020, attestant des troubles allégués.

Le 26 octobre 2012, l'huissier de justice a constaté dans les bureaux de la SARL CASEA : « une importante odeur alimentaire assez désagréable au niveau de la salle de réunion ». Les procès-verbaux de constat dressés en 2015, 2017 et 2018 font état « d'une odeur âpre », «de plus en plus désagréable » « de type viandox » et des entrées d'air froid (pièces n°19, 26, 27). Les six procès-verbaux de constat dressés entre juin et juillet 2020 démontrent la persistance de ces odeurs.

Il est établi qu'en dépit des travaux de rebouchage et de calfeutrement réalisés par la société CRAENOVA au cours de l'année 2018, les troubles liés aux nuisances olfactives et à la dépression des bureaux de la société CASEA ont perduré.

L'anormalité résulte encore de l'intensité des nuisances et de leurs conséquences sur les conditions de travail du personnel de la société CASEA ainsi que sur sa possibilité de jouir de ses bureaux.

Dans son attestation, Mme [D], assistante de direction de l'entreprise CASEA, évoque « des odeurs insupportables » et « des problèmes de flux d'air froid récurrents » (pièce n°10).

Un autre salarié évoque de « fortes odeurs très désagréables » ainsi qu'un « flux d'air froid très désagréable » et être « obligé de boucher les aérations au dessus des fenêtres » (pièce n°11).

M. [F], qui n'est pas salarié de la société CASEA, indique avoir ressenti « une odeur intense (') le 10 décembre 2014 (') Cette odeur intense prenait aux yeux, à la gorge et au nez (')  Ce n'est pas la première fois que de semblables odeurs alimentaires se font sentir en ces lieux, mais jamais jusqu'alors elles n'avaient été aussi fortes » (pièce n°15).

M. [H] indique que cette «odeur de solvant provoque des maux de tête ». « Les bureaux sont en dépression (') il fait froid dans les bureaux et surtout me déclenche des  migraines » (pièce n°23).

M. [W] indique qu'il « faut constamment aérer les locaux pour diminuer le niveau des nuisances. De plus, je travaille régulièrement dans la salle de réunion qui n'a pas d'ouverture directe sur l'extérieur et dont la cloison est commune avec la pièce d'où proviennent ces odeurs acres  ...Mes conditions de travail sont pénibles (...) » (pièce n°22).

M. [C] atteste que « ces odeurs persistantes éc'urantes amènent des maux de têtes » (pièce n°30).

Il ressort des constats d'huissier que se dégage dans les locaux de la société CASEA, une « odeur âpre » occasionnant « des picotements » dans la bouche et dans le nez ( PV de constat des 24 juillet 2015 et 16 octobre 2017, pièces n°19 et 26).

Dans son procès-verbal de constat du 24 juin 2020, l'huissier «constate la présence d'odeurs d'arôme alimentaire chimique difficilement soutenables, violentes et extrêmement agressives » (pièce n° 28). Il fait les mêmes constatations dans son procès-verbal du 26 juin 2020, en précisant que dans la salle de réunion « l'odeur est si agressive que cette salle est inexploitable » et que le bureau double adjacent est « difficilement exploitable » et ajoute « Forte gène dans les autres espaces ».

Le constat d'odeurs alimentaires, « chimiques », « nauséabondes », voire « insoutenables » entraînant une impossibilité pour la société CASEA de jouir normalement de ses locaux est réitéré dans les procès-verbaux dressés le 30 juin 2020, le 6 juillet 2020, le 8 juillet 2020 et encore le 9 juillet 2020 (pièces n°30 n°31, 32, 33).

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que les nuisances dont se plaint la société CASEA sont d'une particulière intensité et qu'elles affectent les conditions de travail voire la santé des salariés.

Enfin, le premier juge a souligné à juste titre que l'anormalité du trouble résultait du manquement à la destination générale de l'immeuble, en ce que le règlement de copropriété prévoit en son article 3 que cet immeuble de bureaux est à usage professionnel et commercial, ce qui d'évidence n'inclut pas l'activité de création d'arômes alimentaires.

Au bénéfice de ces observations, la cour considère que l'anormalité du trouble est pleinement caractérisée.

2°/ Sur les demandes des sociétés CASEA et PBM

a. Sur les travaux destinés à faire cesser les troubles

Les sociétés CASEA et PBM demandent la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à cesser toutes nuisances olfactives et toutes mises en dépression des locaux occupés par la société CASEA sous astreinte de 500 € par infraction constatée.

Les sociétés CASEA et PMB exigent la réalisation des travaux préconisés dans le rapport d'expertise judiciaire de M. [X].

Les sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS font valoir que ces travaux ont été réalisés dans le courant de l'année 2020 et que les sociétés intimées ne justifient pas de la persistance des troubles au jour où la cour statue.

Aux termes du rapport d'expertise, étaient préconisés par le sapiteur les travaux suivants :

-modifier l'installation de ventilation spécifique des laboratoires pour obtenir une augmentation globale du débit de renouvellement d'air à 1800 m3/h environ pour les trois laboratoires et des débits d'extraction et de soufflage déterminés pour chaque local de façon à obtenir une dépression d'environ 10%,

-équiper l'installation de soufflage d'une batterie de préchauffage de l'air,

-compléter les calfeutrements et les rebouchages des cloisons en plénums de faux plafonds entre chaque laboratoire et entre les laboratoires et les autres locaux.

Il est observé que M. [X] avait également mis en évidence des malfaçons au niveau de la ventilation collective. Toutefois, ces travaux n'incombent pas aux sociétés CREANOVA en ce qu'ils relèvent de la copropriété. L'expert évaluait le coût de l'ensemble des travaux de mise en conformité à la somme de 52.214,59 euros TTC.

Il est établi que les travaux de rebouchage et de calfeutrement préconisés par l'expert et réalisés par les sociétés CREANOVA en 2018 n'ont pas été suffisants puisque les désordres ont persisté, avec une grande intensité, jusqu'en 2020.

En revanche, les sociétés CREANOVA justifient avoir fait réaliser à l'automne 2020, soit postérieurement au jugement, des travaux d'ampleur visant à remplacer une grande partie du système de ventilation spécifique des laboratoires par un système de traitement de l'air (extraction/ soufflage) « suffisamment performant pour répondre notamment aux conclusions du rapport du sapiteur de l'expert ».

Le dossier technique adressé au syndicat des copropriétaires de l'immeuble par la société LITHEK, en charge de la maitrise d''uvre, et les factures détaillées des travaux réalisés justifient de la conformité des travaux engagés aux préconisations de l'expert (pièces n° 15 et 16).

Ces travaux ont d'ailleurs été approuvés lors de l'assemblée générale des copropriétaires du 22 juin 2020 (pièce 16 et 16-1).

Les sociétés appelantes justifient avoir financé des travaux à hauteur de plus de 73.000 euros (pièces n°15 et suivantes), soit bien au-delà du chiffrage retenu par l'expert judiciaire.

Elles ont fait procéder le 23 octobre 2020 à un test de perméabilité à l'air en vue de rechercher l'existence d'infiltrations d'air au niveau de la cloison séparative entre les deux plateaux occupés par CREANOVA FLAVORS et CASEA. Il est observé que ce test a été réalisé contradictoirement entre les parties. Il s'avère que : « Malgré la densité de la fumée diffusée côté CREANOVA, aucun point de passage d'air n'est détecté, ce qui laisse penser que les travaux de calfeutrements réalisés contribuent pour une large part à l'étanchéité à l'air de la cloison séparative (') « Sans qu'il soit possible d'en déterminer l'origine, nous avons cependant constaté, environ 20 minutes après le début de l'enfumage, l'apparition d'un très léger voile, quasiment imperceptible et de manière très diffuse dans l'atmosphère des bureaux et de l'entrée de CASEA. » (rapport Habitat éco concept, pièce n°14).

Elle produit par ailleurs un procès-verbal de constat du 14 octobre 2020, indiquant que l'huissier n'a senti « aucune odeur particulière », hormis « une légère odeur diffuse » dans la cuisine expérimentale. Aucune odeur n'est repérée devant les locaux de la société CASEA (pièce n°18).

Dans un procès-verbal de constat plus récent, daté du 30 avril 2022, l'huissier n'a constaté aucune odeur dans le bâtiment et une « discrète odeur de fruits rouges dans la cuisine expérimentale » où un technicien était en train de travailler (pièce n°19).

Force est de constater que la société CASEA ne produit aucune attestation ni constat d'huissier de nature à justifier la persistance des troubles et leur caractère excessif, postérieurement à la réalisation des travaux.

Il est seulement produit un rapport de diagnostic ventilation établi par la société 3D Energie et daté du 6 novembre 2020, dont il ressort que « les mesures de pression restent anormalement élevées, ce qui confirme que les locaux de la SARL CASEA se retrouvent en forte dépression par rapport à l'extérieur et par rapport aux parties communes indépendamment de la VMC mise en place. Cette dépression est due à une aspiration supplémentaire à déterminer : la probabilité étant que ce supplément provient des locaux mitoyens. » ( pièce n° 34).

La cour observe que la date à laquelle les mesures ont été effectuées, par ailleurs non contradictoirement, n'est pas précisée de sorte qu'il est impossible de savoir si elles l'ont bien été après la réalisation des travaux. Il n'est pas justifié que ces mesures qualifiées « d'anormales » entraînent encore un phénomène de courants d'air froid dans les locaux. Ce seul élément ne saurait suffire pour établir la persistance d'un trouble anormal du voisinage, au vu des travaux réalisés.

En tout état de cause, la société CASEA ne précise pas en quoi les travaux réalisés tels qu'ils ressortent des factures et du dossier technique de l'entreprise LITHEK ne seraient pas conformes aux préconisations de l'expert judiciaire et quels travaux complémentaires devraient être mis en 'uvre par les sociétés CREANOVA.

Par conséquent, le jugement ayant condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à cesser toutes nuisances olfactives et toutes mises en dépression des locaux occupés par la société CASEA était justifié. En revanche, au jour où elle statue, la cour constate que des travaux ont été réalisés et que la persistance de troubles anormaux causés par les odeurs et la dépression des bureaux n'est pas justifiée.

Le jugement sera donc infirmé, seulement en ce qu'il a prononcé une astreinte.

b. Sur les dommages-et intérêts sollicités par la SARL CASEA

La SARL CASEA a formé un appel incident à l'encontre du jugement en ce qu'il a condamné les sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS à lui payer la somme de 7.500 euros en réparation des troubles anormaux du voisinage qu'elle subit depuis 2013.

La société CASEA fait valoir des conditions de travail pénibles pour ses salariés. Elle sollicite la somme de 15.000 euros à titre de dommages-et-intérêts.

Les sociétés CREANOVA connaissaient depuis 2015 la nature et l'ampleur des travaux à effectuer pour remédier aux désordres allégués, puisque ceux-ci étaient détaillés dans le rapport de M.[X]. Les travaux ont été mis en 'uvre tardivement.

Il en résulte que la société CASEA a subi des troubles particulièrement gênants pendant huit ans, de manière récurrente voire continue. La durée, l'intensité de ces nuisances ainsi que leurs conséquences sur les conditions de travail des salariés de la société CASEA et sur la jouissance par cette dernière de ses locaux professionnels justifient une indemnisation à hauteur de 15.000 euros.

Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

3°/ Sur la demande indemnitaire reconventionnelle des sociétés appelantes pour procédure abusive

Les sociétés appelantes sollicitent la condamnation solidaire des sociétés CASEA et PBM à leur payer des dommages-et-intérêts à hauteur de 20.000 euros chacune, en estimant que la procédure a été initiée avec une légèreté blâmable.

Cette demande n'est pas justifiée dans la mesure où les sociétés CREANOVA IMMOBILIER et CREANOVA FLAVORS succombent de nouveau en appel.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en indemnisation pour procédure abusive.

4°/ Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

La SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS seront condamnées in solidum aux dépens d'appel et à ce titre, déboutées de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est rappelé que les constats d'huissier ne sont pas des dépens mais des frais irrépétibles, pris en compte sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de condamner la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS in solidum, à payer à la SCI PMB et à la SARL CASEA une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Constate que les troubles anormaux du voisinage liés aux odeurs et à la dépression des locaux occupés par la société CASEA ont cessé au jour où la cour statue ;

Confirme le jugement rendu le 14 avril 2020 par le tribunal judiciaire de Rennes sauf en ce qu'il a :

-assorti la condamnation de la société CREANOVA IMMOBILIER et de la société CREANOVA FLAVORS à cesser toutes nuisances olfactives et toutes mises en dépression des locaux occupés par la société CASEA, d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée,

-condamné la société CREANOVA IMMOBILIER et la société CREANOVA FLAVORS à verser à la société CASEA la somme de 7.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des troubles anormaux du voisinage subis,

Statuant de nouveau des chefs du jugement infirmé :

-Dit n'y avoir lieu à astreinte ;

-Condamne in solidum la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS à verser à la SARL CASEA la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des troubles anormaux du voisinage subis,

Y ajoutant :

-Déboute la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamne in solidum la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS à payer à la SARL CASEA et à la SCI PMB une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamne in solidum la SCI CREANOVA IMMOBILIER et la SAS CREANOVA FLAVORS aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/02146
Date de la décision : 20/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-20;20.02146 ?
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