3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°464
N° RG 20/01748 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QRZW
S.A.R.L. LANESTEL
C/
M. [X] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me MULOT
Me PENNEC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, Rapporteur
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 Juin 2022
ARRÊT :
Contradictoire prononcé publiquement le 20 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.R.L. LANESTEL, immatriculée sous le numéro 479 530 578 du registre du commerce et des sociétés de [Localité 3] agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés au siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Maud MULOT de la SELARL SELARL MAUD MULOT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉ :
Monsieur [X] [O]
né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 1]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Alexandre BAZIRE substituant Me Nolwenn PENNEC de la SELARL MAGELLAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de [Localité 3]
FAITS ET PROCEDURE :
M. [O] était associé minoritaire de la société Lanestel. Par décision de l'assemblée générale du 21 décembre 2012, il en a été nommé gérant à compter du 1er janvier 2013.
Sa rémunération a été fixée à 3.200 euros bruts mensuels outre remboursement de ses frais.
Le 4 décembre 2015, lors de l'assemblée générale ordinaire, les associés ont revu à la baisse la rémunération annuelle de M. [O] et l'ont fixée à la somme de 7.000 euros bruts à compter du 1er janvier 2016, augmentée d'un tiers sous certaines conditions.
Le 6 décembre 2015, M. [O] a présenté sa démission qui a été actée par l'assemblée générale extraordinaire du 22 décembre 2015.
Le 5 mai 2017, estimant que la société Lanestel lui devait la somme de 72.509,13 euros au titre de sa rémunération et de 9.031 euros au titre de son compte courant d'associé M. [O] l'a assignée en paiement.
Par jugement du 17 janvier 2020, le tribunal de commerce de [Localité 3] a :
- Condamné la société Lanestel à verser à M. [O] les sommes suivantes :
- 72.509,13 euros au titre de la rémunération, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 décembre 2016 et capitalisation des intérêts,
- 9.03l euros au titre du remboursement du compte courant d'associé, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 décembre 2016 et capitalisation des intérêts,
- Décerné acte à la société Lanestel de sa reconnaissance du compte courant d'associé de M. [O],
- Débouté la société Lanestel de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné la société Lanestel à verser à M. [O] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Lanestel aux entiers dépens de l'instance.
La société Lanestel a interjeté appel le 12 mars 2020.
Les dernières conclusions de la société Lanestel sont en date du 10 août 2020. Les dernières conclusions de M. [O] sont en date du 5 novembre 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mai 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
La société Lanestel demande à la cour de :
- Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Lanestel,
Y faisant droit :
- Infirmer partiellement la décision et, statuant à nouveau :
A titre liminaire :
- Juger que l'action de M. [O], au titre de sa demande de versement de rémunération pour la période du 21 décembre 2012 au 5 mai 2014 est irrecevable, car prescrite,
- Débouter M. [O] de cette demande à hauteur des 17 mois de rémunération demandés soit 54.000 euros,
A titre principal :
- Juger que la volonté des associés de la société Lanestel n'a jamais été d'allouer une rémunération à durée indéterminée en 2012, mais bien pour la durée d'une année (2013),
- Juger également que M. [O] a implicitement renoncé à sa rémunération en ne se la versant pas intégralement pendant la période concernée,
En conséquence :
- Débouter M. [O] de sa demande de paiement de la somme de 72.509,13 euros au titre du solde de la rémunération brute de gérant du 21 décembre 2012 au mois décembre 2015 inclus, avec intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 décembre 2016 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,
A titre subsidiaire :
- Constater l'existence de fautes de gestion graves ayant entraîné un retard de développement et un déficit accru d'un montant de 150.000 euros, ces fautes n'étant pas exclusives des agissements en concurrence déloyale, du défaut de présentation des comptes, de la non tenue des assemblées générales, ainsi que du défaut de versement de rémunération en temps utile par le gérant,
- Prononcer la compensation judiciaire entre le montant des préjudices de la société Lanestel et le montant du solde de compte courant demandé au jour où les fautes ont été commises, soit antérieurement au départ de M. [O],
En tout état de cause :
- Constater que ce solde de compte courant de M. [O] a été payé en mai 2020,
- Juger qu'au regard du montant des préjudices de la société Lanestel, au moment où M. [O] a demandé le versement de ses rémunérations, la compensation avait déjà été opérée,
- Condamner M. [O] à payer à la société Lanestel la somme de de 9.531 euros au titre du montant du compte courant versé indument,
- Condamner M. [O] à payer à la société Lanestel la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [O] en tous les dépens de première instance et d'appel.
M. [O] demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En conséquence :
- Condamner la société Lanestel à verser à M. [O] la somme de 72.509.13 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 décembre 2016 et capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 nouveau du code civil,
- Condamner la société Lanestel à verser à M. [O] la somme de 9.031 euros en principal, au titre du remboursement du compte courant d'associé, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 décembre 2016 et capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 nouveau du code civil,
- Débouter la société Lanestel de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
- Condamner la société Lanestel au paiement d'une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance,
- Condamner la société Lanestel au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
- Condamner la société Lanestel aux entiers dépens, de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Les demandes de constat ne sont pas des demandes en justice. Elles ne seront examinées, le cas échéant, que comme moyens venant à l'appui des éventuelles demandes.
La société Lanestel ne présente aucune demande de condamnation de M. [O] à lui payer des dommages-intérêts.
A défaut de créance certaine, liquide et exigible à ce titre, la demande de compensation formée par la société Lanestel sera rejetée.
Sur la rémunération de M. [O] :
Les statuts de la société Lanestel prévoyaient que les gérants pouvaient recevoir une rémunération qui était fixée et pouvait être modifiée par une décision ordinaire des associés.
M. [O] était gérant de la société Lanestel. Par décision du 21 décembre 2012, l'assemblée générale de cette société a fixé sa rémunération en qualité de gérant à la somme de 3.200 euros bruts mensuels à compter du 1er janvier 2013. Cette décision n'a pas précisé que cette rémunération n'était valable que pour l'année 2013 mais a simplement fixé la date de début du droit à rémunération.
Il s'agit donc d'une rémunération de gérant de SARL due jusqu'à ce qu'une nouvelle décision des organes sociaux la modifie.
Contrairement à ce qu'allègue la société Lanestel, la volonté des organes sociaux, telle que manifestée par la délibération du 21 décembre 2012, était claire et prévoyait une rémunération à compter du 1er janvier 2013, sans limitation de temps. Il revenait à ces mêmes organes de revenir sur cette fixation de la rémunération comme ils en avaient le pouvoir et la possibilité, ce qu'ils n'ont pas fait avant le 4 décembre 2015.
Sur la prescription :
La société Lanestel invoque la prescription des demandes de paiement de M. [O] formées au titre de sa rémunération. Elle fonde cette fin de non recevoir sur les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail afférentes au paiement de salaires :
L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
La rémunération d'un gérant de SARL n'est pas un salaire. Sauf exception expressément prévue par un texte, cette rémunération échappe aux règles de paiement des salaires résultant des dispositions des code du travail et de la sécurité sociale.
Ce n'est ainsi qu'à titre d'exception à ce principe que les gérants minoritaires rémunérés sont soumis à l'obligation d'assujettissement au régime général de la sécurité sociale dont bénéficient les personnes travaillant pour un ou plusieurs employeurs :
Article L311-2 du code de la sécurité sociale :
Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.
Article L311-3 du code de la sécurité sociale :
Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation prévue à l'article L. 311-2, même s'ils ne sont pas occupés dans l'établissement de l'employeur ou du chef d'entreprise, même s'ils possèdent tout ou partie de l'outillage nécessaire à leur travail et même s'ils sont rétribués en totalité ou en partie à l'aide de pourboires :
(...)
11° Les gérants de sociétés à responsabilité limitée et de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à condition que lesdits gérants ne possèdent pas ensemble plus de la moitié du capital social, étant entendu que les parts appartenant, en toute propriété ou en usufruit, au conjoint, au partenaire lié par un pacte civil de solidarité et aux enfants mineurs non émancipés d'un gérant sont considérées comme possédées par ce dernier.
(...)
Pour le reste, la rémunération du gérant non salarié d'une SARL échappe aux règles du droit du travail relatives aux salariés.
Or, il n'est pas justifié que M. [O] ait été lié à la société Lanestel par un contrat de travail ni que la société Lanestel se soit comportée à son égard en employeur, aucun état de subordination n'étant par exemple allégué. Les règles de prescription invoquées par la société Lanestel ne sont donc pas applicables au présent litige. Sa fin de non recevoir sera rejetée.
Sur la renonciation de M. [O] à sa rémunération :
La société Lanestel fait valoir que M. [O] aurait renoncé à ses rémunérations en ne se les faisant pas payer au fur et à mesure de leur exigibilité.
Il résulte des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2013 que la somme de 17.150 euros était mentionnée comme restant due à M. [O] au titre de sa rémunération de gérant. De même, les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2014 mentionnent un reste à payer à M. [O] de 30.600 euros et une rémunération à payer d'un total de 47.750 euros.
Le rapport spécial de gérance relatif à l'exercice clos le 31 décembre 2013 indiquait ainsi que M. [O] devait percevoir 38.400 euros au titre de sa rémunération de gérant, qu'une somme de 21.250 euros avait été comptabilisée à ce titre en compte rémunération gérant mais qu'une somme de 17.150 euros restait due.
De même, le rapport spécial de gérance relatif à l'exercice clos le 31 décembre 2014 mentionnait que M. [O] devait percevoir 38.400 euros pour l'année 2014, qu'une somme de 7.800 euros lui avait été payée et que celle de 30.600 euros lui restait due.
Il apparaît ainsi que loin de renoncer à sa rémunération, M. [O] la faisait figurer dans les comptes et dans son rapport de gérance auprès des associés.
Les comptes annuels pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 mentionnent d'ailleurs une rémunération de gérant due pour l'exercice N-1 de 30.600 euros.
Le fait que ces comptes ne portent pas une telle mention pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 ne saurait valoir renonciation de M. [O] au titre de sa rémunération pour cette année dans la mesure où ces comptes ont été présentés par son successeur.
Il n'est ainsi pour le moins pas justifié que M. [O] ait renoncé à sa rémunération de gérant.
Sur les sommes restant dues à M. [O] :
M. [O] indique avoir perçu au titre de sa rémunération la somme de 41.761 euros. Il est resté en fonctions 35 mois outre le début du mois de décembre 2015. Il lui était donc dû la somme de 114.270,13 euros, soit un reste à payer de 72.509,13 euros.
La société Lanestel reconnaît que le compte courant de M. [O] présentait un solde de 9.031 euros.
Comme il a été vu supra, à défaut de demande de la société Lanestel de paiement de dommages-intérêts au titre de ses fautes alléguées, il ne peut y avoir aucune compensation.
Il y a lieu de confirmer le jugement.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Lanestel aux dépens d'appel et à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement
Y ajoutant :
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société Lanestel à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la société Lanestel aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT