1ère Chambre
ARRÊT N°302/2022
N° RG 20/01715
N° Portalis DBVL-V-B7E-QRUW
Mme [I] [D] [W] [Z] [Y] épouse [O]
C/
M. [X] [S] [D] [J] [Y]
Mme [B] [Y] épouse [F]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 Février 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 17 mai 2022 à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [I] [D] [W] [Z] [Y] épouse [O]
née le 02 Mars 1959 à [Localité 24] (91)
[Adresse 32]
[Adresse 23]
[Localité 18]
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Marie-Sophie DELAVENNE-TISSIER, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMÉS :
Monsieur [X] [S] [D] [J] [Y]
né le 11 Avril 1952 à [Localité 18] (44)
[Adresse 16]
[Localité 19]
Représenté par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Justine GENTILE de la SELARL CVS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Madame [B] [Y] épouse [F]
née le 23 Octobre 1955 à [Localité 18] (44)
[Adresse 4]
[Localité 18]
Représentée par Me Alexandre RIOU de la SARL AR CONSEIL, avocat au barreau de NANTES
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [D] [K] veuve de M. [S] [Y] est décédée le 8 septembre 2013 à [Localité 18] laissant pour lui succéder ses trois enfants :
- [X] [Y],
- [B] [Y] épouse [F],
- [I] [Y] épouse [O].
Elle avait de son vivant procédé au profit de sa fille [I] à une donation en avancement d'hoirie de la pleine propriété d'un terrain sis à [Localité 18], lieu-dit [Adresse 31], cadastrée section BN n [Cadastre 20] aux termes d'un acte reçu le 13 janvier 1984 par maître [R], notaire associé à [Localité 30].
Puis, par testament authentique reçu le 22 octobre 2010 par maître [A], notaire à [Localité 34], elle a révoqué toute disposition antérieure et institué sa fille [I] [O] légataire universelle, ayant désigné ce même notaire pour régler la succession et partager ses biens entre ses trois enfants, à savoir :
Lieu-dit / désignation
Localisation
Cadastre
Contenance
[Adresse 26]
[Localité 18]
XE [Cadastre 6]
23a 60 ca
[Adresse 26]
[Localité 18]
XE [Cadastre 7]
45a 48 ca
[Adresse 25]
[Localité 18]
XE [Cadastre 13]
1ha 96a 67ca
[Adresse 27]
[Localité 18]
XE [Cadastre 8]
1ha 52a 90ca
[Adresse 27]
[Adresse 14]
[Localité 18]
XE [Cadastre 9]
Désormais XE [Cadastre 11] au cadastre
2ha 40a 10ca
[Adresse 28] (corps de ferme)
[Adresse 29]
XE [Cadastre 10]
19a 88ca
[Adresse 31]
[Adresse 31]
BN [Cadastre 20]
99a 52ca
Lot de 2 appartements
[Adresse 15]
AK [Cadastre 5]
2a 57 ca
Un studio à [Localité 33]
[Adresse 1]
= lieu-dit [Adresse 21]
DZ [Cadastre 2]
Enfin, suivant acte reçu le 27 octobre 2011 par maître [A], elle a fait une donation hors part successorale à sa fille [I] [O] de la pleine propriété du terrain situé à [Adresse 27], cadastré section XE n [Cadastre 9].
Les héritiers examinaient, dans un premier temps, les conditions d'une attribution des biens en nature par préférence au paiement par Mme [O] à Mme [F] et à M. [Y] d'une indemnité en valeur. Ils désignaient M. [P], expert à la cour d'appel de Poitiers, pour procéder à leur évaluation.
Les propositions amiables de répartition en nature échouaient.
Par actes d'huissier du 20 et 25 septembre 2017, Mme [O] assignait M. [Y] et Mme [F] devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire aux fins d'application du testament de sa mère dans toutes ses dispositions et conséquences, de partage judiciaire, d'évaluation de la réduction à la valeur d'après son état à l'époque de la donation en prenant en compte l'inconstructibilité des parcelles cadastrées section XE n [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 13], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et section BN n [Cadastre 20] désormais classées en zone naturelle et enfin d'évaluation de la valeur vénale des actifs immobiliers dépendant de la succession de Mme [Y], outre le maintien de la désignation de Me [A] pour procéder aux opérations de partage afin de respecter les volontés testamentaires de la défunte.
Par jugement du 6 février 2020, le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire a :
-dit n'y avoir lieu en l'absence d'indivision à ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme [Y],
-reçu M. [Y] et Mme [F] en leur action en réduction,
-confié au président de la chambre des notaires avec faculté de délégation la mission, sur la base de la valeur des biens mobiliers et immobiliers donnés et légués au jour de l'ouverture de la succession, de définir le montant exact de la réserve, de la quotité disponible et de l'indemnité de réduction revenant à M. [Y] et Mme [F],
-ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [C] [M] demeurant [Adresse 17],
-dit que l'évaluation portera au jour de l'ouverture de la succession sur la valeur vénale des actifs immobiliers donnés ou légués par Mme [D] [Y], décédée le 8 septembre 2013, soit :
*la pleine propriété d'un corps de ferme situé à [Localité 18], cadastré :
lieudit [Adresse 26], section XE n [Cadastre 6] pour une contenance de 23a 60ca,
lieudit [Adresse 26], section XE n [Cadastre 7] pour une contenance de 45a 48ca,
lieudit [Adresse 25] section XE n [Cadastre 13] pour une contenance de 1ha 96a 67ca,
lieudit [Adresse 27], section XE n [Cadastre 8] pour une contenance de 1ha 52a 90ca,
lieudit [Adresse 29], section XE n [Cadastre 10] pour une contenance de 19a 88ca,
soit une contenance totale de 4ha 38a 53ca
*la pleine propriété des fractions ci-après désignées d'un immeuble en copropriété, situé à [Adresse 15], cadastré lieudit [Adresse 35] section AK n [Cadastre 5] pour une contenance de 2a 57ca :
- lot n 4 : un appartement au 1er étage du bâtiment comprenant un salon séjour, une cuisine, une salle à manger, une chambre accédant à une salle de bains avec WC et les 132/1000èmes des parties communes de l'immeuble ;
- lot n 7 : un appartement au 2ème étage du bâtiment et les 132/1000èmes des parties communes de l'immeuble ;
- lot n 9 : une cave au rez-de-chaussée du bâtiment,
*la pleine propriété des fractions ci-après désignées d'un immeuble en copropriété situé à [Adresse 1], cadastré lieudit [Adresse 21] section DZ n [Cadastre 2] pour une contenance de 4a 85ca : lot n 22 constitué d'un appartement au deuxième étage du bâtiment comprenant une entrée, un séjour cuisine avec placard et une salle de bain WC et les 25/1000èmes des parties communes de l'immeuble,
*la pleine propriété d'un terrain sis à [Localité 18], cadastré lieudit [Adresse 31], section BN n [Cadastre 20],
* la pleine propriété d'un terrain sis à [Localité 18], cadastré lieudit [Adresse 27], section XE n [Cadastre 9] pour une contenance de 2ha 40a et 10ca,
- dit que dans le cadre de sa mission, l'expert n'a pas à prendre en compte la révision du PLU de la commune de [Localité 18] résultant de l'arrêté du 13 novembre 2017,
- rejeté la demande de M. [Y] tendant à voir donner mission à l'expert de calculer les loyers perçus par les locations sur les biens dont Mme [O] a reçu la pleine propriété,
- fixé les consignations à hauteur de 1.500 '' à la charge de chacune des trois parties,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- dit que les parties conserveront la charge de leurs dépens et rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles.
Mme [O] a interjeté appel le 11 mars 2020 sur :
"- l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage,
- la recevabilité de l'action en réduction,
- la désignation du notaire,
- l'expertise judiciaire,
- les frais irrépétibles et les dépens."
FAITS ET PRÉTENTIONS
Mme [O] expose ses moyens et demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 8 février 2022, auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour d'appel de :
-d'annuler en sa totalité le jugement rendu le 6 février 2020 par le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire,
-ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme [Y],
-désigner pour y procéder le président de la chambre des notaires, avec faculté de délégation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation au jour de l'ouverture de la succession de la valeur vénale des actifs immobiliers donnés par Mme [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation à la date de l'exécution de la valeur vénale des actifs immobiliers donnés par Mme [D] [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation au jour de l'ouverture de la succession de la valeur vénale des actifs immobiliers légués par Mme [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation en tenant compte du PLU de la Ville de [Localité 18] en vigueur à cette date.
Elle demande subsidiairement à la cour d'appel de :
-infirmer le jugement du 6 février 2020 en sa totalité,
Et statuant à nouveau :
-ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de Mme [Y],
-désigner le président de la chambre des notaires pour y procéder, avec faculté de délégation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation au jour de l'ouverture de la succession de la valeur vénale des actifs immobiliers donnés par Mme [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation à la date de l'exécution de la valeur vénale des actifs immobiliers donnés par Mme [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation,
-dire que l'expert recevra pour mission de procéder à l'évaluation au jour de l'ouverture de la succession de la valeur vénale des actifs immobiliers légués par Mme [Y] dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation et que, ce faisant, il devra tenir compte du PLU de la Ville de [Localité 18] en vigueur à cette date,
-condamner in solidum M. [Y] et Mme [B] [F] à lui payer à la somme de 123.300 '' au titre du préjudice subi,
Elle demande en tout état de cause à la cour d'appel de :
-condamner les intimés in solidum à lui payer la somme de 4.000 '' en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-les condamner en tous les dépens.
Mme [F] expose ses moyens et demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 10 février 2022, auxquelles il est renvoyé.
Elle demande à la cour d'appel de :
-déclarer irrecevable la demande de condamnation in solidum à son encontre et celle de M. [Y], à payer à Mme [O] la somme de 123.000 '' au titre d'une perte de chance ;
-débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-confirmer en tous ses chefs le jugement du tribunal Judiciaire de Saint-Nazaire du 6 février 2020,
-condamner Mme [O] à payer à Mme [F] la somme de 3.000 '' en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [Y] expose ses moyens et demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 14 février 2022, auxquelles il est renvoyé.
Il demande à la cour d'appel de :
-débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-déclarer valable le jugement rendu le 6 février 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire et débouter Mme [O] de sa demande de nullité formulée à l'encontre dudit jugement,
-confirmer purement et simplement en tous ses chefs le jugement rendu le 6 février 2020 par le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire,
-condamner Mme [O] à verser à M. [Y] la somme de 15.000 '' par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Mme [O] aux dépens de l'instance d'appel et de la première instance.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur le principe du contradictoire
Mme [O] entend solliciter l'annulation du jugement du 6 février 2020 en toutes ses dispositions, en ce qu'il aurait violé les articles 5 et 16 du code de procédure civile dès lors que toutes les parties ont demandé l'ouverture du partage judiciaire mais que le premier juge a néanmoins dit n'y avoir lieu à ordonner ledit partage en l'absence d'indivision sans que ce point ait été débattu contradictoirement, outre qu'il convenait de ne se référer qu'à la valeur de la totalité des biens, même ceux non compris dans le legs, à la date du décès.
Par ailleurs, Mme [O] conteste le fait que le premier juge ait refusé l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage, pourtant demandée par toutes les parties, sans même les avoir invitées à faire connaître leurs observations sur ce point.
M. [Y] s'en rapporte à justice, exposant que, selon lui, le tribunal s'est prononcé comme il lui était précisément demandé sur la demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage et que le débouté de cette demande n'implique pas qu'ait été enfreint le principe du contradictoire.
Mme [B] [Y] ne conclut pas sur ce point.
En droit, il résulte de l'article 16 du code de procédure civile que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si ceux-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
Par ailleurs, conformément aux prescriptions édictées par l'article 12 du code de procédure civile, il appartient au juge d'appliquer au litige la règle de droit appropriée.
En l'espèce, en première instance, Mme [O] sollicitait du tribunal de prononcer l'ouverture des opérations de partage judiciaire et, dans ce cadre, de dire que la masse partageable était constituée exclusivement du rapport et de la réduction dus par elle du fait de la donation et du legs universel.
Mme [F] sollicitait, outre d'ordonner l'ouverture des comptes liquidation partage de la succession, de dire et juger que le notaire désigné devra notamment procéder au calcul des rapports des libéralités, au calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire, ainsi qu'au calcul de l'indemnité de réduction. Enfin, M. [Y] sollicitait de la juridiction d'ordonner l'ouverture des compte liquidation partage, de dire et juger que le notaire désigné devra pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage et procéder notamment au calcul des rapports des libéralités, au calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire ainsi qu'au calcul des indemnités de réduction.
Il en résulte que le premier juge était lié par les demandes des parties, lesquelles ne portaient que sur les biens immobiliers objets de donations antérieurement consenties et le legs universel, composant ensemble la masse partageable de la succession de Mme [Y].
Ainsi, se référant expressément aux dernières conclusions des parties, lesquelles ont effectivement toutes trois demandé l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage, le dispositif du jugement précise qu'il n'y a pas lieu à ordonner l'ouverture de des opérations dès lors qu'en considération d'une jurisprudence constante, le partage ne pouvait être ordonné en l'absence d'indivision.
Cette motivation du jugement s'analyse en un rejet de la demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage, quand bien même ladite demande aurait été formulée unanimement par les parties, dès lors qu'elle est mal fondée ainsi que cela sera examiné ci-après.
Il convient de préciser que le premier juge a répondu aux moyens et prétentions des parties en ce qu'il a notamment :
-reçu M. [Y] et Mme [B] [F] en leur action en réduction,
-et confié au président de la chambre des notaires avec faculté de délégation la mission, sur la base de la valeur des biens mobiliers et immobiliers donnés et légués au jour de l'ouverture de la succession, de définir le montant exact de la réserve, de la quotité disponible et de l'indemnité de réduction revenant à M. [Y] et Mme [F].
Aucune violation ne peut, dès lors, être caractérisée à l'égard des dispositions des articles 458, 12 et 16 du code de procédure civile.
En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande d'annulation du jugement du 6 février 2020 présentée par Mme [O].
2) Sur le partage judiciaire
Mme [O] soutient que le premier juge, appliquant la jurisprudence précitée de la cour de cassation datant de 2016, a, à tort, considéré que la succession de Mme [Y] devait être entièrement réglée selon la règle applicable au legs universel et englobé l'intégralité des biens au sein de ce legs en considérant qu'il n'y avait pas lieu à partage. Elle ajoute que s'il restait bien à la mort de Mme [Y] un certain nombre de biens compris dans le legs, tel n'était pas le cas des donations antérieures, dont en particulier deux biens qui ont fait l'objet de donations à la concluante antérieurement au décès, dont le premier, en avancement d'hoirie, donc, sujet au rapport à la "masse partageable", et le second, à réduction. Elle soutient que l'article 825 ne limite pas la masse partageable à ces biens mais précise, dans son second alinéa, qu'elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l'indivision. Elle sollicite donc l'ouverture des opérations de compte, liquidation partage pour les biens non compris dans le legs universel.
Mme [F] ne conclut pas précisément sur ce point, exposant que sa contestation porte sur la valorisation des biens et soutenant son action en réduction.
M. [Y] s'en rapporte à justice sur ce point. Il conteste la valorisation des biens et sollicite une indemnité de réduction.
En droit, le partage, dont le régime est prévu aux articles 816 et suivants du code civil, suppose l'existence d'une indivision. En revanche, les articles 1003 et 1004 du même code disposent que "Le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité des biens qu'il laissera à son décès" et que "Lorsque au décès du testateur il y a des héritiers auxquels une quotité de ses biens est réservée par la loi, ces héritiers sont saisis de plein droit, par sa mort, de tous les biens de la succession, le légataire universel est tenu de leur demander la délivrance des biens compris dans le testament."
Et il est de principe, en application des articles 924 et suivants du code civil, que le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu'il n'existe aucune indivision entre le légataire universel et l'héritier réservataire.
En l'espèce, Mme [O] a été instituée légataire universelle le 22 octobre 2010 par un testament reçu par devant notaire et dans lequel Mme [Y] a révoqué toute disposition antérieure.
Il s'ensuit que Mme [O], légataire universelle, s'est trouvée investie dès le décès de Mme [Y] de la propriété de tous les biens légués dépendant de la succession, y compris ceux ayant antérieurement fait l'objet de donations qui n'ont pas eu pour effet de les soustraire à la réduction.
La jurisprudence - du reste citée par Mme [O] dans ses écritures - a précisé que les réservataires n'ont pas de droit réel sur les biens de la succession, de sorte que sur ces mêmes biens, il n'existe entre eux et les légataires aucune indivision pouvant donner lieu à un partage (Cass. Civ. 1ère, 11 mai 2016, n 14-16967).
Il n'existe donc pas d'indivision entre les héritiers [Y], les héritiers réservataires étant seulement créanciers d'une indemnité.
Le fait que l'ensemble des biens de la succession doit être valorisé dans la "masse partageable", ainsi que le souligne Mme [O], n'implique par ailleurs aucunement de devoir ouvrir un partage judiciaire mais se rapporte simplement à la méthode de calcul de la réduction qui impose, au regard de l'article 922 du code de procédure civile, de la déterminer en formant une "masse" de calcul de la réserve et de la quotité disponible portant sur tous les biens existants au décès du donateur ou du testateur.
Sous le bénéfice de ces observations, le régime du partage ne peut être appliqué en l'espèce et seules peuvent être déclarées recevables les actions en réduction intentées par les réservataires Mme [F] et M. [Y] en présence d'une légataire universelle Mme [O].
Le premier jugement sera confirmé sur ce point.
3) Sur la valorisation des biens dépendant de la succession
Les parties s'opposent quant à la méthode de valorisation à appliquer aux biens qui dépendent de la succession de Mme [Y].
Mme [O] estime que l'évaluation doit s'effectuer, non pas au jour de l'ouverture de la succession mais à la date à laquelle l'expert exécutera ses opérations d'évaluation, sans tenir compte des travaux réalisés par ses soins à savoir la construction d'une maison d'habitation sur la parcelle BN n [Cadastre 20] mais en tenant compte du PLU modifié en 2017 ayant supprimé la constructibilité de certaines parcelles.
M. [Y] soutient que la révision du PLU de la commune de [Localité 18] est intervenue postérieurement à l'ouverture de la succession et que, s'il ne conteste pas que le corps de ferme [Adresse 28] (cadastré XE [Cadastre 10]) situé en zone NH1 est devenu non constructible, cette révision n'a eu que peu d'influence sur sa valeur puisque les extensions des constructions existantes sont toujours possibles.
Mme [F] reprend le même argument et souligne que les différentes évaluations déjà intervenues font état d'écarts significatifs.
En droit, l'indemnité de réduction a pour vocation à désintéresser les héritiers réservataires confrontés à une libéralité qui se révèlerait excessive et dont la détermination du montant suppose de déterminer les montants de la réserve héréditaire et de la quotité disponible, opérations qui relèvent de l'intervention d'un notaire.
S'agissant de la méthode de valorisation à appliquer aux biens dépendant de la succession, l'article 922 du code civil dispose que : "La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existants au décès du donateur ou du testateur.
Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation.
On calcule sur tous ces biens, eu égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer."
Ainsi, l'ensemble des biens est évalué au jour du décès, selon des modalités fixées à l'article 922 du code civil, sauf pour ceux des biens qui ont été aliénés pour lesquels il convient de retenir une valorisation fondée sur le prix de vente.
En l'espèce, il résulte de l'acte authentique en date du 17 juin 2021 que M. et Mme [O] ont vendu à M. [N] et Mme [E] les biens immobiliers ci-dessous supportant une maison d'habitation situés à [Localité 18] et cadastrés :
- section XE n [Cadastre 3], [Adresse 36], pour 15a 27ca,
- section BN n [Cadastre 20], [Adresse 22], pour 99a 52ca,
- section XE n [Cadastre 12], [Adresse 27] pour 14a 52ca
Soit un total de 1ha 29a 31ca. Il a été précisé que la parcelle XE [Cadastre 12] était détachée d'une parcelle de plus grande importance cadastrée section XE n [Cadastre 9] lieudit "[Adresse 27]" pour une contenance de 2ha 40a 10ca, le surplus après division restant appartenir au propriétaire.
Le prix de vente est de 803.000 ''.
En application de la règle de la dette de valeur d'un bien aliéné ci-dessus rappelée, la valorisation de ces biens immobiliers doit être fixée à ladite somme de 803.000 ''.
Pour le surplus des biens, c'est à la date de l'ouverture de la succession qu'il convient de se placer pour évaluer leur dans l'état où ils se trouvaient à cette même date, c'est-à-dire en tenant compte des plus-values et moins-values.
Un changement du plan local d'urbanisme (PLU) de la ville de [Localité 18] est intervenu le 14 novembre 2017, soit postérieurement au décès.
Bien que les nouvelles dispositions de ce PLU soient de nature à faire diminuer la valeur des biens en raison du caractère désormais non constructibles de certaines parcelles, ce nouveau PLU intervenu postérieurement à la date d'ouverture de la succession ne peut être pris en considération.
C'est donc à raison que le premier juge a enjoint à l'expert de ne pas tenir compte du nouveau PLU, ce changement ayant rendu la zone inconstructible par rapport à l'état du fonds au jour de la donation.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
4) Sur la désignation d'un expert et sa mission
Mme [O] demande que l'expert évalue les biens dans l'état dans lequel ils se trouvaient au moment de la donation et en tenant compte du PLU de la Ville de [Localité 18] en vigueur à cette date.
M. [Y] souligne que l'expert M. [M] ayant déposé son rapport le 13 décembre 2021, tout litige sur sa désignation ne présente plus aucun intérêt. Il demande la confirmation du jugement qui a désigné un expert.
Mme [F] sollicite également la confirmation du jugement sur ce point.
En l'espèce, sur la base du jugement du 6 février 2020 assorti de l'exécution provisoire, l'expert judiciaire désigné M. [M] a procédé aux évaluations des biens conformément aux prescriptions du jugement au jour de l'ouverture de la succession et a déposé son rapport qui a été taxé sans recours.
Il a ainsi évalué les biens suivants :
* la pleine propriété d'un corps de ferme situé à [Localité 18], cadastré :
- lieudit [Adresse 26], section XE n [Cadastre 6] pour une contenance de 23a 60ca,
- lieudit [Adresse 26], section XE n [Cadastre 7] pour une contenance de 45a 48ca,
- lieudit [Adresse 25] section XE n [Cadastre 13] pour une contenance de 1ha 96a 67ca,
- lieudit [Adresse 27], section XE n [Cadastre 8] pour une contenance de 1ha 52a 90ca,
- lieudit [Adresse 29], section XE n [Cadastre 10] pour une contenance de 19a 88ca,
Soit une contenance totale de 4ha 38a 53ca,
* la pleine propriété des fractions ci-après désignées d'un immeuble en copropriété, situé à [Adresse 15], cadastré lieudit [Adresse 35] section AK n [Cadastre 5] pour une contenance de 2a 57ca :
- lot n 4 : un appartement au premier étage du bâtiment comprenant un salon séjour, une cuisine, une salle à manger, une chambre accédant à une salle de bains avec WC et les 132/1000èmes des parties communes de l'immeuble,
- lot n 7 : un appartement au deuxième étage du bâtiment et les 132/1000èmes des parties communes de l'immeuble,
- lot n 9 : une cave au rez-de-chaussée du bâtiment,
* la pleine propriété des fractions ci-après désignées d'un immeuble en copropriété situé à [Adresse 1], cadastré lieudit [Adresse 21] section DZ n [Cadastre 2] pour une contenance de 4a 85ca : lot n 22 constitué d'un appartement au deuxième étage du bâtiment comprenant une entrée, un séjour cuisine avec placard et une salle de bain WC et les 25/1000èmes des parties communes de l'immeuble,
* la pleine propriété d'un terrain sis à [Localité 18], cadastré lieudit [Adresse 31] section BN n [Cadastre 20],
* la pleine propriété d'un terrain sis à [Localité 18], cadastré lieudit [Adresse 27], section XE n [Cadastre 9] pour une contenance de 2ha 40a et 10ca.
En retenant les valeurs suivantes :
- Bien de [Localité 33] : 58.000 ''
- Bien Lieudit [Adresse 31] : 376.000 ''
- Bien Lieudit [Adresse 29] : 427.000 ''
- Bien [Adresse 35] : 228.000 ''
Eu égard aux observations ci-dessus rappelées, qui retiennent une évaluation au jour de l'ouverture de la succession, l'expert ayant conduit ses opérations selon ces prescriptions, outre une valorisation à son prix de vente pour le bien aliéné, il n'y a pas lieu à désigner un nouvel expert.
Le premier jugement sera confirmé sur ce point.
5) Sur la désignation du notaire
Mme [O] conteste la décision de première instance en ce qui concerne la désignation d'un notaire. Elle soutient que la défunte avait expressément désigné un notaire dans son testament, lequel a force obligatoire, à charge pour les autres héritiers de se faire assister par leur propre notaire.
Mme [F] et M. [Y] soulèvent tous deux un prétendu conflit d'intérêt existant entre le notaire désigné à l'acte et Mme [O].
Il convient ainsi de désigner le président de la chambre des notaires, avec faculté de délégation.
Ainsi qu'il l'a été jugé en première instance, il ne peut en effet être procédé à la désignation de Me [A] qui est intervenu postérieurement au décès de Mme [Y] dans le respect des dispositions testamentaires pour établir la déclaration de succession pour le compte de l'ensemble des héritiers, mais qui a ensuite participé aux tentatives de règlement amiable de celle-ci pour le compte exclusif de Mme [O], nommément désignée comme sa "cliente" ainsi qu'il ressort de ses différentes correspondances.
6) Sur la perte de chance du fait d'une perte de valeur
Mme [O] soutient avoir subi un préjudice en raison de la perte de chance de vendre la maison située [Adresse 22] ("[Adresse 31]") à un meilleur prix, en raison de la résistance abusive de son frère [X] et de sa s'ur [B] à donner leur accord. Elle expose qu'un compromis de vente avait été signé le 25 janvier 2018 pour un prix de 940.000 '' avec un paiement comptant, lequel a été frappé de caducité le 30 juin 2018 dans la mesure où la condition suspensive d'accord de Mme [F] et de M. [Y] ne s'est pas réalisée.
La vente du bien a finalement eu lieu le 17 juin 2021 pour un prix de 803.000 '' avec un accord donné sous réserve du séquestre de la totalité du prix.
M. [Y] soutient que cette demande est nouvelle en cause d'appel et à ce titre, irrecevable. À titre subsidiaire, il soutient que l'accord prévu par l'article 924-4 du code civil n'est pas obligatoire et que l'échec de la première vente ne lui est pas imputable ni à Mme [F], puisque vendeurs et acheteurs avaient stipulé une autre condition suspensive, à savoir la vente d'un bien immobilier que ces derniers possédaient avant le 30 juin 2018, vente qui n'a pas eu lieu. Dès lors, il n'existe pas, selon lui, de lien de causalité entre une éventuelle faute qui leur serait imputable et le préjudice subi.
Mme [F] soulève également l'irrecevabilité d'une telle demande qui serait totalement nouvelle, aucun élément nouveau n'étant intervenu depuis la première instance et qu'elle n'est en aucun cas l'accessoire, la conséquence, ou le complément nécessaire aux demandes formulées lors de la première instance. À titre subsidiaire, elle soutient une argumentation similaire à celle de M. [Y], reposant sur l'absence d'obligation de consentir à la vente - ce consentement n'ayant vocation selon elle qu'à procurer une sécurité juridique à l'acquéreur et le protéger contre une éventuelle action en revendication en cas d'insolvabilité de sa part - et l'absence de lien de causalité.
En droit, l'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 566 précise que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, la demande de Mme [O] consiste à demander la réparation du préjudice subi du fait d'un refus de ses frère et s'ur à consentir à la vente du bien. Elle doit être analysée comme le complément nécessaire des demandes de Mme [O].
Néanmoins, Mme [O] n'avait pas légalement l'obligation d'obtenir l'autorisation de ses cohéritiers pour procéder à la vente, sauf pour rassurer son potentiel acquéreur, de sorte que Mme [O] échoue à démontrer une faute de la part des héritiers réservataires.
En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de Mme [O] sur ce point.
7) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et le premier jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.
De même, les frais engagés par chacun pour les besoins des expertises diligentées seront laissés à la charge de chacun.
Enfin, il n'est pas inéquitable de laisser également à la charge de chacun les frais exposés dans la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens. Le jugement de première instance sera confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Rejette la demande d'annulation du jugement du 6 février 2020,
Confirme ledit jugement en toutes ses dispositions, sauf celle concernant la valorisation du bien vendu le 17 juin 2021 situé à [Localité 18] cadastré :
- section XE n [Cadastre 3], [Adresse 36], pour 15a 27ca,
- section BN n [Cadastre 20], [Adresse 22], pour 99a 52ca,
- section XE n [Cadastre 12], [Adresse 27] pour 14a 52ca,
Y ajoutant,
Dit que ce bien est valorisé à la somme de 803.000 '',
Constate que M. [M] expert judiciaire désigné par le jugement du 6 février 2020 a déposé son rapport le 13 décembre 2021 conformément aux prescriptions du jugement confirmé s'agissant des biens non aliénés,
Déclare recevable la demande de Mme [O] au titre de la perte de chance, mais la déclare mal fondée et la rejette,
Renvoie les parties devant le notaire commis par le jugement confirmé pour le calcul des indemnités de réduction dues par Mme [O] à M. [Y] et à Mme [F] et pour la liquidation de la succession de Mme [Y],
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE