1ère Chambre
ARRÊT N°237/2022
N° RG 20/01525 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QRQC
POLE EMPLOI
C/
M. [P] [W]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Mai 2022 devant Madame Aline DELIÈRE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 21 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
PÔLE EMPLOI, établissement public national représenté par le directeur régional de Pôle emploi Bretagne, domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [P] [W]
né le 22 Mai 1976 à [Localité 5] (56)
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Julien CHAINAY de la SELARL EFFICIA, avocat au barreau de RENNES
FAITS ET PROCÉDURE
M. [P] [W] était indemnisé au titre du régime d'assurance chômage et a perçu des allocations de retour à l'emploi.
Il a exercé une activité salariée pendant la période du 1er mars 2012 au 30 juin 2013 et de janvier à juin 2014.
Par décision du 12 mars 2015 la direction régionale des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi (DIRECCTE) a supprimé rétroactivement les allocations-chômage perçues par M. [W] à compter du 1er mars 2012. Le 15 avril 2015 le recours gracieux formé par celui-ci a été rejeté.
Trois courriers recommandés datés du 25 juin 2018 ont été adressés par l'établissement public national Pôle emploi, direction régionale de Pôle emploi Bretagne (Pôle emploi) à M. [W] pour lui réclamer le remboursement de sa dette :
-15'957,97 euros pour la période du 3 mars 2012 au 28 juin 2013 (allocation de formation reclassement),
-5365,59 euros pour la période du 1er mars 2012 au 31 mai 2014 (allocation d'aide au retour à l'emploi),
-2863,80 euros pour la période du 6 janvier 2014 au 14 mai 2014 (allocation d'aide au retour à l'emploi).
Le 11 septembre 2018, Pôle emploi a émis une contrainte pour le paiement de la somme totale de 24'201,25 euros en principal et 13,89 euros en frais. Cette contrainte a été signifiée à M. [W] le 19 septembre 2018 par dépôt de l'acte à l'étude de huissier.
Le 2 octobre 2018, M. [W] a formé opposition à la contrainte par courrier recommandé avec demande d'avis de réception devant le tribunal de grande instance de Rennes.
Par jugement du 11 février 2020, le tribunal judiciaire de Rennes a
-reçu M. [W] en son opposition à la contrainte de Pôle emploi Bretagne du 11 septembre 2018 qui lui a été signifié le 19 septembre 2018,
-prononcé la nullité de la contrainte,
-condamné Pôle emploi Bretagne au paiement des dépens de l'instance,
-débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
-rappelé que, par application des dispositions de l'article R 5426-22 du code du travail l'exécution provisoire de la décision est de droit.
Le 3 mars 2020, Pôle emploi a fait appel de l'ensemble des chefs du jugement.
Il expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 16 novembre 2020, auxquelles il est renvoyé.
Il demande à la cour de :
-réformer le jugement en toutes ses dispositions,
-sur la forme, le déclarer recevable dans ses demandes,
-juger régulières les mises en demeure préalables,
-juger régulière la contrainte émise le 11 septembre 2018 signifiée le 19 septembre 2018,
-sur le fond, condamner M. [W] au paiement de la somme de 24'441,80 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la contrainte soit le 19 septembre 2018,
-juger M. [W] infondé en sa contestation et le débouter de toutes ses demandes,
-le condamner au paiement des entiers dépens et au versement de la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [W] expose ses moyens et ses demandes dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le19 août 2020 , auxquelles il est renvoyé.
Il demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
A titre subsidiaire il demande à la cour de :
-juger irrégulières les mises en demeure du 25 juin 2018 et par voie de conséquence la contrainte du 11 septembre 2018 délivrée par Pôle emploi,
-juger qu'il a subi un préjudice du défaut de respect de la procédure à son égard par Pôle emploi,
-condamner Pôle emploi à lui verser la somme de 24'441,12 euros de dommages et intérêts,
-le cas échéant, ordonner la compensation entre les sommes qu'il devrait et celles dues par Pôle emploi à titre de dommages et intérêts.
A titre encore plus subsidiaire il demande à la cour de :
-ordonner le nouveau calcul des indus et lui accorder des délais de paiement,
-exclure du calcul la somme de 2863,80 euros à défaut de mise en demeure régulière,
-en toute hypothèse, débouter Pôle emploi de toutes ses demandes et la condamner aux entiers dépens, dont ceux éventuels d'exécution, et à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE L'ARRÊT
1) Sur la contrainte
Le tribunal a rejeté la demande d'annulation de la contrainte pour défaut de régularité des mises en demeure mais l'a annulée aux motifs qu'il n'est pas démontré que le signataire de la contrainte était bénéficiaire d'une délégation de signature émanant du directeur de Pôle emploi et que cette cause de nullité touche le fond de l'acte.
M. [W] fait à nouveau valoir devant la cour le moyen du défaut de régularité de la contrainte pour défaut de mises en demeures régulières.
L'article R 5426-20 alinéa 2 du code du travail 2 dispose : « Le directeur général de Pôle emploi lui adresse, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une mise en demeure qui comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant réclamées, la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement ainsi que, le cas échéant, le motif ayant conduit à rejeter totalement ou partiellement le recours formé par le débiteur. »
Comme le tribunal l'a constaté les trois mises en demeure du 25 juin 2018, visées ci-dessus, ont bien été adressées par Pôle emploi à M. [W] par courriers recommandés et comportent les mentions requises par l'article R5426- 20 du code du travail.
Les trois accusés de réception des courriers sont versés à la procédure, contrairement à ce que soutient l'intimé. Il en ressort qu'ils ont été signés par M. [H] [I], qui a déclaré être le mandataire de M. [W].
Ce mandat de recevoir les courriers adressés au mandataire est présumé régulier et, en application de l'article 670 alinéa 2 du code de procédure civile, la notification est réputée avoir été faite au domicile ou à la résidence de M. [W]. Celui-ci ne démontre pas que le signataire des accusés de réception n'était pas son mandataire ou qu'il ne lui a pas remis les courriers.
C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que les trois mises en demeure critiquées sont régulières en la forme.
S'agissant de la régularité de la délégation de signature, Pôle emploi verse à la procédure, par une note en délibéré, après y avoir été autorisée par la cour, la décision qui démontre que Mme [C] [N], directrice adjointe de la plate-forme de traitement centralisée au sein de Pôle emploi Bretagne, pour le directeur de Pôle emploi Bretagne, était régulièrement mandatée pour signer la contrainte le 11 septembre 2018.
Le 16 juillet 2018 une décision BR numéro 2018-30 DS DPSR, publiée au BOPE (bulletin officiel de Pôle emploi) n°2018-58 du 17 juillet 2018, a en effet désigné Mme [N] comme bénéficiaire d'une délégation permanente de signature pour notifier ou faire signifier une contrainte pour recouvrer les prestations en trop versées par Pôle emploi. Cette décision était applicable le 11 septembre 2018, une nouvelle décision de délégation, dans les mêmes termes ayant été prise ensuite le 7 septembre 2018, avec publication au BOPE le 11 septembre 2018.
Le jugement sera donc infirmé pour avoir prononcé la nullité de la contrainte du 11 septembre 2018 notifiée le 19 septembre suivant.
2) Sur le montant des sommes réclamées
M. [W] conteste le montant qui lui est réclamé aux motifs qu'il avait le droit de cumuler l'allocation de retour à l'emploi et ses salaires. Il verse à la procédure ses bulletins de salaire du mois de mars 2012 au mois de juillet 2013 et soutient qu'il a régulièrement informé Pôle emploi de sa situation.
Il justifie seulement avoir adressé, courant novembre 2012, à Pôle emploi, un dossier d'inscription à une formation de maître nageur qui devait se dérouler du 17 septembre 2012 au 28 juin 2013. Il indique d'ailleurs dans le formulaire d'attestation d'inscription au stage de formation qu'il sera indemnisé par Pôle emploi et produit également un formulaire de demande de rémunération de fin de formation adressé à Pôle emploi. Il n'indique dans aucun de ces documents qu'il est salarié et ne justifie pas avoir informé Pôle emploi, autrement, qu'il avait un emploi salarié à compter de mars 2012.
L'article R5426-3 du code du travail (version en vigueur du 15 octobre 2008 au 01 janvier 2019) dispose : «'Le préfet supprime le revenu de remplacement mentionné à l'article L5421-1, de manière temporaire ou définitive, ou en réduit le montant, selon les modalités suivantes :
1° En cas de manquement mentionné au 1° et aux b, e et f du 3° de l'article L5412-1, il réduit de 20 % le montant du revenu de remplacement, pendant une durée de deux à six mois. En cas de répétition de ces mêmes manquements, le montant du revenu de remplacement est réduit de 50 % pour une durée de deux à six mois ou bien le revenu de remplacement est supprimé de façon définitive, ;
2° En cas de manquement mentionné aux 2° et a, c et d du 3° de l'article L. 5412-1, il supprime le revenu de remplacement pour une durée de deux mois. En cas de répétition de ces mêmes manquements, le revenu de remplacement est supprimé pour une durée de deux à six mois ou bien de façon définitive,
3° En cas de manquement mentionné à l'article L5412-2 et, en application du deuxième alinéa de l'article L5426-2, en cas d'absence de déclaration, ou de déclaration mensongère du demandeur d'emploi, faites en vue de percevoir indûment le revenu de remplacement, il supprime ce revenu de façon définitive. Toutefois, lorsque ce manquement est lié à une activité non déclarée d'une durée très brève, le revenu de remplacement est supprimé pour une durée de deux à six mois.'»
L'article L5426-2 du code du travail dispose, en effet : «'Le revenu de remplacement est supprimé par Pôle emploi dans les cas mentionnés aux 1° à 3° de l'article L5412-1, à l'article L5412-2 et au II de l'article L5426-1-2.
Il est également supprimé en cas de fraude ou de fausse déclaration. Les sommes indûment perçues donnent lieu à remboursement.'»
Aux termes de ces dispositions, M. [W], n'ayant pas déclaré qu'il avait une activité salariée, encourt la sanction de la suppression définitive des allocations perçues. Par ailleurs, contrairement à ce qu'il soutient, il ne peut prétendre à une suppression limitée pour une durée de deux à six mois, l'activité qu'il n'a pas déclarée ayant duré plusieurs mois et ne pouvant être qualifiée de très brève.
Enfin, M. [W] soutient en vain que la somme de 2863,80 euros ne peut lui être réclamée à défaut de mise en demeure régulière, car, comme il est retenu ci-dessus, il a bien reçu la mise en demeure correspondant à ce montant.
L'ensemble de ses contestations seront donc rejetées.
La contrainte qui n'est pas annulée constitue un titre exécutoire, l'opposition en suspendant seulement la mise en oeuvre pendant la procédure judiciaire, de telle sorte que la demande de condamnation formée par Pôle emploi, portant sur le montant de la contrainte et les intérêts de retard, n'est pas recevable en application de l'article 122 du code de procédure civile, l'appelant disposant d'un titre exécutoire.
3) Sur la demande de dommages et intérêts formée par M. [W]
M. [W] soutient que Pôle emploi a commis une faute car il ne lui a pas notifié les trois mises en demeure visées ci-dessus et qu'il a subi un préjudice équivalent au montant des sommes qui lui sont réclamées.
La procédure mise en 'uvre par Pôle emploi à l'encontre de M. [W] est régulière. Aucune faute n'étant établie, la demande de dommages-intérêts de ce dernier doit être rejetée.
4) Sur la demande de délai de paiement
Cette demande n'est ni motivée ni étayée par des pièces justificatives. Elle sera rejetée.
5) Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Le jugement sera infirmé pour avoir mis les dépens à la charge de Pôle emploi.
Partie perdante, M. [W] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
Il n'est pas équitable de laisser à la charge de Pôle emploi les frais qu'il a exposé qui ne sont pas compris dans les dépens et il sera fait droit à sa demande au titre de ces frais à hauteur de la somme de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Rejette la demande de nullité de la contrainte émise par Pôle emploi Bretagne le 11 septembre 2018, d'un montant de 24'201,25 euros en principal et 13,89 euros en frais, signifiée à M. [P] [W] le 19 septembre 2018,
Déclare irrecevable la demande de condamnation à payer ces sommes,
Déboute M. [P] [W] de ses demandes de dommages et intérêts, de délai de paiement et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Pôle emploi Bretagne la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE