1ère Chambre
ARRÊT N°236/2022
N° RG 20/01490 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QQ4G
Mme [P] [V]
Mme [S] [V] épouse [Y]
Mme [W] [V]
C/
S.A.R.L. ACANTHE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Avril 2022 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 21 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTES :
Madame [P] [V]
née le 16 Août 1979 à [Localité 15]
[Adresse 11]
[Localité 12]
Représentée par Me Jacques-Yves COUETMEUR de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Madame [S] [V] épouse [Y]
née le 26 Mars 1981 à [Localité 15]
La Cathelinière
[Localité 8]
Représentée par Me Jacques-Yves COUETMEUR de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Madame [W] [V]
née le 09 Février 1985 à [Localité 15]
[Adresse 13]
[Localité 9]
Représentée par Me Jacques-Yves COUETMEUR de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
INTIMÉE :
La S.A.R.L. ACANTHE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 10]
[Localité 7]
Représentée par Me Jean-Louis VIGNERON de la SELARL ASKE 3, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte notarié du 30 décembre 2002, M. [B] [V] a vendu à la Sarl Acanthe une parcelle de terrain située à [Localité 16] au lieudit "L'île du Grand Arbre" cadastrée section ZD 266 et d'une contenance de 62 a et 24 a, au prix de 42.685,72 €.
L'acte de vente comportait une condition particulière selon laquelle d'une part la Sarl Acanthe déclarait vouloir réaliser un lotissement sur les parcelles cadastrées section ZD [Cadastre 1], ZD 266, [Cadastre 3] et [Cadastre 4] de la commune de [Localité 16] pour 41 lots et qui, d'autre part, rappelait les termes du compromis de vente régularisé entre les parties le 7 avril 2001 par lesquels l'acquéreur s'engageait à viabiliser et sans soulte les lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sur le terrain restant à appartenir à M. [V] [B] après échange entre elles des parcelles A et B figurées au plan annexé.
Il était ajouté que l'échange et la viabilisation des lots - chiffrée au montant de 22.867 € - ne pourraient être réalisés qu'après obtention de l'arrêté de lotir, purgé du droit de recours des tiers, portant création dudit lotissement.
M. [V] demeurait propriétaire de la parcelle ZD [Cadastre 1] (au nord de la parcelle ZD 266 vendue) dans laquelle étaient prévus à l'ouest et au centre les lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] et côté est une partie donnant sur la route et pouvant être vendue à part. Au-delà de la viabilisation des lots n°[Cadastre 5] et [Cadastre 6], la création du lotissement permettait un accès privatif à ces lots par la parcelle ZD 266 ou était créée une route.
Par acte notarié du 16 décembre 2011, M. [V] faisait donation-partage à ses filles [P], [S] et [W] [V] (ci-après dénommées "les consorts [V]"), de la parcelle ZD [Cadastre 1] jouxtant l'ancienne parcelle ZD 266 et dont le prix était évalué à la somme de 180.000 €, chaque donataire recevant le tiers de la pleine propriété de ce terrain.
Les donataires étaient subrogées dans les droits du donateur et l'acte de donation reproduisait la condition particulière de l'acte notarié du 30 décembre 2002.
Suivant arrêté du 23 décembre 2011, la commune de [Localité 16] accordait à la Sarl Acanthe un permis d'aménager aux fins de "réaliser une opération de lotissement portant sur la création de 22 ilots (124 lots libres) ' 3 lots destinés à recevoir 34 à 44 logements sociaux, sur un terrain situé [Adresse 14]." Le permis était modifié à trois reprises les 23 octobre 2012, 23 octobre 2013 et 3 février 2015 et un dernier permis d'aménager modificatif était accordé le 16 octobre 2015 d'où il résultait que la partie du lotissement permettant l'accès aux lots demeurés privatif [Cadastre 5] et [Cadastre 6] était supprimée.
Reprochant à la Sarl Acanthe de n'avoir pas respecté les termes de l'engagement du 30 décembre 2002 notamment quant à la prise en charge de la viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6], les consorts [V] lui adressaient cinq courriers et courriels entre le 19 janvier 2015 et le 12 mai 2016 portant demande de restitution de la somme de 22.867 €.
Puis, par acte d'huissier du 8 avril 2019, elles assignaient la Sarl Acanthe devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en paiement des sommes de :
- 50.034,87 € au titre des frais de viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6],
- 15.000,00 € au titre des frais causés par l'inexécution de ses obligations contractuelles par la Sarl Acanthe,
- 6.000 € au titre du préjudice moral,
- 6.000 € au titre des frais irrépétibles,
Outre la charge des dépens et le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par jugement réputé contradictoire du 21 novembre 2019, rendu en l'absence de la Sarl Acanthe n'ayant pas constitué avocat, le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire :
- déboutait les consorts [V] de toutes leurs demandes,
- les condamnait aux dépens,
- rejetait les demandes au titre des frais irrépétibles et de l'exécution provisoire.
Les consorts [V] ont interjeté appel le 2 mars 2020 de l'ensemble des chefs de jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Les consorts [V] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 8 février 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elles demandent à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire du 21 novembre 2019 en toutes ses dispositions,
- vu les dispositions des articles 1134 et 1147 anciens du Code civil,
- condamner la Sarl Acanthe à leur payer les sommes de :
- 50.034,87 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation des frais de viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6],
- 15.000,00 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation des frais annexes engendrés par l'inexécution des obligations contractuelles de la Sarl Acanthe,
- 6.000 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice moral subi,
- vu les dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile,
- 6.000 € au titre des frais irrépétibles,
- condamner la Sarl Acanthe aux entiers dépens de l'instance dont bénéfice aux avocats aux offres de droit, soit la SCP Cadoret-Toussaint-Denis & associés,
- débouter la Sarl Acanthe de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.
La Sarl Acanthe expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 6 juillet 2020 auxquelles il est renvoyé en application de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.
Elle demande à la cour d'appel de :
- confirmer purement et simplement la décision du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire,
- y additant,
- condamner solidairement Mmes [W], [P] et [S] [V] à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la portée de l'engagement de la Sarl Acanthe
Les consorts [V] soutiennent que la Sarl Acanthe, promoteur, a manqué à son obligation de demander un arrêté de lotir incluant dans son périmètre la parcelle ZD 266 conformément à l'acte notarié du 30 décembre 2002, qui seule permettait la desserte de la parcelle ZD [Cadastre 1] et la viabilisation après échange de celle-ci devenue les lots n° [Cadastre 5] et n° [Cadastre 6].
La Sarl Acanthe soutient que la mairie a exigé l'extension du périmètre du lotissement rendant impossible la réalisation du lotissement initialement envisagé.
En droit, l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au litige dispose que "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. Et l'article 1147 du même code dispose que "Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part."
Il appartient donc à l'acquéreur de démontrer qu'il a sollicité un arrêté de lotir conforme aux caractéristiques définies dans l'acte de vente, sauf à supporter les conséquences de sa carence.
En l'espèce, l'acte notarié de vente du 30 décembre 2002 stipule dans une condition particulière insérée en page 3 que :
"CONDITION PARTICULIERE
Les parties exposent :
- Que l'ACQUEREUR déclare vouloir réaliser un lotissement sur la commune de [Localité 16]. Ce lotissement portera sur les parcelles cadastrées section ZD n°[Cadastre 1] (pour partie), [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] et sera composé de 41 lots.
- Qu'aux termes du compromis de vente sous seing privé, régularisé entre elles le 7 avril 2001, il a notamment été convenu ce qui suit, littéralement rapporté :
« En outre, l'acquéreur s'engage à viabiliser les lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sur le terrain restant à appartenir à M. [V] [B] après échange des parcelles A et B. Tel que figuré sur le plan ci-joint et sans soulte."
Une copie dudit plan, demeurera annexée aux présentes.
En conséquence, les parties conviennent
- Qu'un échange interviendra entre eux conformément au plan demeuré annexé aux présentes. Aux termes de cet échange, M. [B] [V] devra céder la parcelle identifiée par la lettre A sur le plan annexé aux présentes. En échange, la Sarl Acanthe devra céder à M. [B] [V], la parcelle identifiée par la lettre B, sur le même plan. Cet échange aura lieu sans soulte, et les frais en seront supportés par l'ACQUEREUR.
- Que la Sarl Acanthe devra viabiliser à ses frais le terrain restant appartenir à M. [B] [V], qui sera alors matérialisé par les lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] dudit lotissement, lesquels figurent au plan annexé aux présentes.
Etant ici précisé que cet échange ainsi que la viabilisation de ces lots ne pourront être réalisés qu'après obtention de l'arrêté de lotir, purgé du droit de recours des tiers, portant création dudit lotissement."
L'article suivant vient préciser les modalités financières de cet accord dans les termes suivants :
"CHARGE AUGMENTATIVE DU PRIX
En outre, la présente vente est consentie moyennant la charge par l'ACQUEREUR de supporter les frais de viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6], ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus.
Le coût de ces travaux est estimé à la somme de 22.687,00 Euros, et constitue une charge augmentative du prix."
La Sarl Acanthe ne conteste pas s'être rendue acquéreur de la parcelle section ZD 266 conformément à l'acte de vente du 30 décembre 2002 et dont elle ne nie pas qu'elle est depuis lors propriétaire et ne conteste pas non plus que l'acquisition s'inscrivait dans le projet de réalisation du lotissement "Les Grands Arbres" sur la commune de [Localité 16].
La plaquette commerciale élaborée à cette fin, supportant notamment le nom de "Acanthe" et "[X] [Z]" son gérant aux côtés de celui du groupe immobilier "Périon Réalisations", confirme que le projet de lotissement du quartier des Grands Arbres a bien été élaboré, outre qu'il a reçu un "AVIS FAVORABLE" de la part de la mairie de [Localité 16], qui y a apposé son cachet daté, à la suite de la décision du conseil municipal en date du 20 décembre 2011.
Pour autant, la Sarl Acanthe ne justifie pas avoir sollicité un permis d'aménager incluant la parcelle section ZD 266 dans ce projet, et ce contrairement à ses engagements du 30 décembre 2002, ni non plus que cette exclusion de ladite parcelle résulterait, comme elle le prétend, non de son fait mais d'une exigence imposée par la mairie de [Localité 16].
La Sarl Acanthe ne produit en réalité aucune de ses demandes de permis d'aménager et elle ne produit aucun refus de la part de la mairie de [Localité 16] d'inclure la parcelle ZD 266 dans le projet de lotissement.
L'échange des parcelles A et B, telle que prévu à l'acte de vente, est une conséquence de l'obtention de l'arrêté de lotir, et non un préalable, de sorte que la non survenue de cet échange est indifférent au fait que la Sarl Acanthe n'a pas respecté son engagement de solliciter un permis de lotir conforme aux termes de l'acte de vente.
De même, la non acquisition de la parcelle ZD [Cadastre 4] est-elle pareillement inopérante à neutraliser le non-respect de son engagement par la Sarl Acanthe.
Sous le bénéfice de ces observations, faute pour la Sarl Acanthe d'avoir justifié du respect de son obligation de solliciter l'arrêté conforme de lotir, la cour d'appel infirme le premier jugement en ce qu'il a exonéré la Sarl Acanthe de toute responsabilité dans l'inexécution de la clause de financement de la viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] prévue au contrat de vente du 30 décembre 2002.
Sur les conséquences de la défaillance de la Sarl Acanthe
L'économie générale du contrat litigieux stipulait un ensemble d'obligations et de charges pour chacune des parties, dont celle de vendre au prix de 42.685,72 € pour M. [V] et celle d'acquérir pour la Sarl Acanthe assortie de l'obligation de lotir et de la charge du financement de la viabilisation des lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] représentant un coût de 22.867 €.
La Sarl Acanthe n'ayant pas respecté son engagement de solliciter l'arrêté conforme de lotir ni celui de viabiliser, il convient en conséquence qu'elle restitue cette somme de 22.867 € aux consorts [V], outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 janvier 2016 adressée en recommandé avec accusé de réception et dûment réceptionnée par son destinataire la Sarl Acanthe.
Il n'y a pas lieu à faire droit au surplus des frais de viabilisation ni des frais engendrés par l'absence de réalisation des travaux tels qu'ils sont sollicités par les consorts [V] dans la mesure où ceux-ci sont afférents à la viabilisation de la parcelle ZD [Cadastre 1] qui est demeurée leur propriété tandis que les avantages susceptibles d'être retirés par les consorts [V] dans l'échange des parcelles et l'aménagement d'un accès aux lots [Cadastre 5] et [Cadastre 6] n'ont été ni chiffrés ni déduits du prix de vente encaissé, contrairement à la prise en compte du coût de viabilisation ci-dessus discuté.
De la même façon, les difficultés financières de leur auteur, alléguées par les consorts [V] pour étayer un préjudice moral à concurrence de la somme de 6.000 €, ne sont justifiées par aucune pièce. Il n'y sera pas fait droit.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Enfin, succombant, la Sarl Acanthe supportera la charge des dépens de première instance, le jugement étant infirmé sur ce point, et sera condamnée aux dépens d'appel.
En dernier lieu, infirmant le premier jugement sur ce point, il n'est pas inéquitable de condamner la Sarl Acanthe à payer aux consorts [V] la somme de 6.000 € au titre des frais exposés par elles dans la présente affaire et qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement du 21 novembre 2019 du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Condamne la Sarl Acanthe à payer à Mme [P], [S] et [W] [V] la somme de 22.867 € au titre des frais de viabilisation prévus au contrat de vente du 30 décembre 2002 conclu entre M. [V] ' aux droits duquel sont venus les consorts [V] ' et la Sarl Acanthe, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 janvier 2016 ,
Condamne la Sarl Acanthe aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SCP Cadoret-Toussaint-Denis & associés,
Condamne la Sarl Acanthe à payer à Mme [P], [S] et [W] [V] la somme de 6.000 € au titre des frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE