3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°354
N° RG 20/00939 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QO3A
SELARL EP & ASSOCIES
C/
SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me GOURVES
ME VAN ROBAIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, Rapporteur
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Mai 2022
ARRÊT :
Contradictoire , prononcé publiquement le 21 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
SELARL EP & ASSOCIES Mandataire judiciaire, immatriculée au RCS de BREST sous le numéro 808 072 821, es qualité de Mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM immatriculée au RCS de QUIMPER, sous le n° 539 573 634, designé suivant jugement du Tribunal de Commerce de QUIMPER en date du 12 mai 2017
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Jean-Claude GOURVES de la SELARL CABINET GOURVES, D'ABOVILLE ET ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
Société GLOBAL PROCESS CONCEPT, immatriculée au RCS de LA ROCHELLE sous le numéro 503 081 168, prise en la personne de son
représentant légal domicilié au siège
[Adresse 1]
Zone industrielle
[Adresse 1]
Représentée par Me Aurélie CHEVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Camille VAN ROBAIS, Plaidant, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
Au mois de mai 2015, la SAS ALGOFARM, spécialisée dans la recherche développement en biotechnologie, a acquis auprès de la SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT (société GPC) deux unités de fermentation stérilisables, sur la base d'un document commercial (ref. ZOPI50220B) en date du 20 mars 2015.
Le prix de ces matériels s'élevait à 264.000 euros TTC.
La SAS ALGOFARM procédait à trois règlements partiels et un solde de 74.115,60 euros restait impayé (outre une somme de 5.527,44 euros pour des fournitures commandées postérieurement).
Par lettres recommandées, avec avis de réception, des 8 août 2016, 21 septembre 2016 et 24 mars 2017, la société GLOBAL PROCESS CONCEPT a mis la société ALGOFARM en demeure de régler les sommes dues.
Pour se justifier de ces impayés, la société ALGOFARM a affirmé que les matériels livrés n'ont jamais donné satisfaction et de ce fait qu'elle a subi un important préjudice.
Le 12 mai 2017, le Tribunal de Commerce de QUIMPER ouvrait une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la SAS ALGOFARM et la société EP & ASSOCIES a été désignée comme liquidateur judiciaire.
Le 21 juillet 2017, la SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT a revendiqué les matériels vendus.
A la demande du liquidateur judiciaire, le juge des référés a ordonné une expertise, confiée à M. [L] [H] par ordonnance du 23 novembre 2017.
Le 30 mars 2018, Monsieur [H] a rendu son rapport d'expertise judiciaire.
Le 26 juin 2018, la SELARL EP & ASSOCIES ès-qualités a assigné la SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT devant le Tribunal de Commerce de QUIMPER afin d'obtenir l'annulation pour vices cachés du contrat de vente des unités de fermenation et la restitution du prix, ainsi que des dommages et intérêts.
Par jugement du 11 octobre 2019, le tribunal de commerce de Quimper a :
- débouté la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM, de ses demandes de voir le Tribunal dire et juger que les matériels vendus par la SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT étaient atteints de vices cachés au moment de leur vente et donc de prononcer la résolution de cette vente,
- débouté la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM, de sa demande de voir la SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT condamnée à rembourser les sommes versés par la SAS ALGOFARM,
- débouté la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM, de sa demande de voir la SAS GLOBAL PROCESS condamnée à lui verser la somme de 228.071 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d'ur1 préjudice subi,
- condamné la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM, qui succombe, à payer àla SAS GLOBAL PROCESS CONCEPT la somme de 3.000 euros au titre de Particle 700 du Code de Procédure Civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM, aux entiers dépens de la procédure.
Appelante de ce jugement, la SELARL EP & ASSOCIES, par conclusions du 26 février 2020, a demandé que la Cour :
- réforme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
- dise recevable et bien fondée l'action de la société EP & ASSOCIES, es-qualités de mandataire liquidateur de la société ALGOFARM,
- constate que c'est après expérimentation in situ des unités de 5 litres fournies par GLOBAL PROCESS CONCEPT que ALGOFARM a commandé les unités de 20 litres,
- dise que les deux unités de fermentation stérilisables vendues étaient atteintes d'un vice caché au moment de leur vente,
- prononce la résolution de la vente des deux unités de fermentation stérilisables,
- condamne la société GLOBAL PROCESS CONCEPT à rembourser le prix versé par la société ALGOFARM soit la somme à parfaire de 264 000 euros,
- condamne la société GLOBAL PROCESS CONCEPT à payer à la société EP & ASSOCIES la somme de 228 071 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice,
- condamne la société GLOBAL PROCESS CONCEPT à payer à la société EP & ASSOCIES la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamne la société GLOBAL PROCESS CONCEPT à payer à la société EP & ASSOCIES les entiers dépens y compris ceux de référés et de procédure d'expertise.
Par conclusions du 05 mai 2020, la société GLOBAL PROCESS CONCEPT a demandé que la Cour :
- à titre principal confirme le jugement du 11 octobre 2019 en ce qu'il a débouté la Société EP & ASSOCIES de ses demandes,
- subsidiairement, limite la condamnation à la somme de 7911.85 euros, correspondant à 5% des paiements HT reçus par la Société GPC,
- condamne la SELARL EP & ASSOCIES, es qualité de Mandataire liquidateur de la SAS ALGOFARM au paiement de la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- la condamne aux entiers dépens, y compris ceux de référé, de première instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Les fermenteurs sont des machines dans lesquelles sont cultivés des micro-organismes auxquels un programme informatique va permettre de délivrer automatiquement tous les nutriments nécessaires à leur développement, tandis que mécaniquement la biomasse sera agitée afin que l'oxygène nécessaire soit apportée.
Les fermenteurs ont été livrés au mois de Novembre 2015 et ont fait l'objet d'une réception avec réserve le 13 novembre 2015.
S'agissant toutefois d'une machine complexe, les procès verbaux de réception avant fonctionnement ne démontrent qu'une livraison conforme.
Ce procès-verbal faisait courir l'année de garantie due par la société GPC.
Les retards de paiement de la société ALGOFARM ont été immédiats et antérieurs même à livraison, alors que les échéances des paiements avaient été prévues au contrat :
- est payée à échéance la facture d'acompte de 79.200 euros TTC,
- est payée partiellement la facture d'acompte du 30 octobre 2015 sur laquelle il reste dû 74.115,60 euros,
- est payée à échéance la facture du 17 novembre 2015, consécutive à la livraison.
Il est acquis aux débats que dès l'origine les fermenteurs n'ont pas donné satisfaction et de nombreux échanges ont eu lieu par courriels et téléphone entre début décembre 2015 et le mois d'août 2016, la société GPC effectuant plusieurs interventions.
Un certain nombre des désordres mentionnés au début de l'utilisation ont été résolus au fil du temps, mais la société ALGOFARM est restée insatisfaite sur trois points, qui ont fait l'objet de l'expertise judiciaire: l'insuffisance du couple du moteur à bas régime, la compatibilité et la stabilité de l'assemblage mécanique de l'axe, l'insuffisance du transport d'oxygène.
Pour réaliser son expertise, l'expert judiciaire n'a pas examiné les fermenteurs en condition de culture et s'est appuyé sur les mesures enregistrées tout au long de l'activité des fermenteurs, dont la pertinence n'a pas été contestée par les parties.
Les fermenteurs acquis par la société ALGOFARM avaient fait l'objet d'un cahier des charges rédigé par la société GLOBAL PROCESS CONCEPT, que l'acquéreur avait signé. Selon le cahier des charges, ce dernier a été rédigé sur la base des besoins exprimés par le client.
Ce cahier des charges, selon l'expert, était insuffisant, en ce que la viscosité des cultures prévues n'y était pas indiquée.
La viscosité des cultures a en effet des conséquences sur le processus d'agitation de la biomasse, en raison de la résistance apportée aux pâles par la plus ou moins grande viscosité de la biomasse.
Il était indiqué dans le cahier des charges des vitesses d'agitation dans l'eau pure et dans un milieu non coaslescent, sans qu'il soit réellement indiqué, s'agit du milieu non coaslescent, que celui-ci devait être considéré comme la norme pour le fonctionnement des fermenteurs, plutôt qu'une simple référence aux possibilité des fermenteurs (à cet égard, la vitesse dans l'eau pure était à l'évidence une simple référence).
Ainsi, l'expert a fait valoir que les fermenteurs sont par essence destinés à produire de la biomasse, induisant un fonctionnement avec des viscosités éloignées de l'eau pure - et donc éloignées des milieux non coalescents.
Toutefois, la société ALGOFARM a admis avoir modifié l'objet de ses cultures, pour passer de la spiruline à la culture d'un champignon filamenteux, beaucoup plus visqueux, sans que l'expert judiciaire ait été procédé à la moindre vérification des dates des mises en culture respectives, non plus que de la viscosité réelle des champignons mis en culture.
Notamment, la nature des mises en culture dans les fermenteurs ayant été prêtés par la société GPC à la société ALGOFARM durant la fabrication des fermenteurs litigieux est inconnue, ce dont il résulte que la société ALGOFARM ne démontre pas qu'elle ait utilisé les fermenteurs prêtés, qui lui ont donné satisfaction, de la même façon que les fermenteurs acquis.
Il n'est pas non plus démontré que la société GPC ait eu connaissance du changement de culture évoqué par la société ALGOFARM.
Selon l'expert, la mise au point d'un fermenteur en conditions d'usage fait souvent l'objet d'optimisation des mobiles, et à cet égard, la société GPC a écrit le 21 septembre 2016 'le problème majeur dont vous nous avez fait part concerne les systèmes d'agitation que nous proposons en standard sur nos équipements sans avoir jamais rencontré de dysfonctionnements. Cependant, conscients que les spécificités de vos cultures puissent avoir un impact sur la tenue dans le temps des agitations, nous avons décidé d'adapter, au titre de la garantie, ces ensembles mécaniques dont le shéma de principe a été approuvé par vos services. Ces deux nouveaux ensemble d'agitation que nous avons lancé en fabrication suite à cette validation sont en stock chez nous depuis début juillet. Compte tenu du différent qui nous oppose concernant votre impayé de 79.643,04 euros, vous comprendrez que nous n'engagerons plus d'action sur ces machines, y compris au titre du SAV, sans réglement préalable de celui-ci'.
Au défaut de paiement du solde du deuxième acompte s'était en effet ajouté le défaut de paiement de matériels commandés en supplément.
En résumé, selon l'expert judiciaire, la société ALGOFARM aurait dû préciser lors de la rédaction ou de la signature du cahier des charges la nature de ses cultures et la viscosité en découlant, mais la société GPC ne pouvait s'attendre à ce que ses fermenteurs, eu égard à leur objet même, soient utilisés pour des milieux non coalescents.
Toutefois, compte tenu du caractère expérimental des cultures auxquelles ces fermenteurs sont destinés, l'usage est selon l'expert, d'adapter les fermenteurs type aux cultures auxquels ils sont destinés, souvent après leur mise en service, et tel a été le cas en l'espèce, la société ALGOFARM ayant fabriqué de nouveaux agitateurs en juillet 2016; mais il est certain que le défaut de paiement de la société ALGOFARM a eu pour conséquence une cessation du service après vente de la société GPC.
La question du couple du moteur et de l'insuffisance du transfert d'oxygène sont directement liées à cette question de la viscosité: le couple insuffisant du moteur à bas régime ne permettait pas un transfert d'oxygène suffisant en raison de la viscosité du milieu.
L'expert a retenu qu'en l'absence de consignes claires du cahier des charges sur la viscosité, l'insuffisance du couple du moteur ne pouvait être retenue comme vice caché, non plus que l'insuffisance du transfert d'oxygène, qui n'est que la conséquence de l'insuffisance du couple.
En revanche, a été retenu comme désordre le défaut d'étanchéité du septum de passage de l'arbre d'agitation, ayant pour conséquence des pertes de graisse, dont depuis l'origine la société ALGOFARM se plaint qu'elles contaminent les cultures; les traces de coulure de graisse ont été constatées par l'expert judiciaire.
Les coulures ont été observées à haute température, en phase de stérilisation, conduisant au constat que les roulements ne sont pas étanches.
La contamination des cultures par la graisse les rendait totalement inutilisables.
Selon l'expert judiciaire, le guidage trop court de l'arbre a entraîné une usure prématurée des roulements, les coulures de graisse et le patinage du moteur.
La société GPC soutient que l'usure prématurée des roulements a été causé par l'usage impropre des fermenteurs pour des cultures trop visqueuses par rapport à l'usage contractuellement prévu. La résistance du milieu aurait provoqué un patinage du couple magnétique induisant le frottement, l'augmentation de la température et l'usure prématurée des roulements et les coulures de graisse.
Tel n'est pas l'avis de l'expert judiciaire qui a expressément conclu que les désordres constatés ne peuvent être attribués à un usage non conforme des fermenteurs, destinés par nature à la production massive de bio-organisme et non à fonctionner dans de l'eau pure ou assimilée, le seul sous-dimensionnement du moteur ne pouvant expliquer les désordres relevés dans le rapport.
Pour autant, en l'absence d'étude par l'expert de la viscosité du champignon cultivé par la société ALGOFARM, la cour ne dispose d'aucune information sur le point de savoir si le champignon était d'une viscosité supérieure à la normale ou au contraire, telle que la biomasse aurait dû pouvoir être agîtée sans difficulté par les fermenteurs acquis.
Selon l'expert judiciaire, le coût de remise en état des fermenteurs, incluant un changement de moteur, était de 21.000 euros HT par fermenteur.
La liquidation judiciaire demande à la Cour de prononcer la résolution de la vente, compte tenu de l'existence de vices cachés rendant les fermenteurs impropres à leur destination.
L'existence des vices cachés n'est pas démontrée.
D'une part, une partie des défauts relevés par la société ALGOFARM provient de l'absence de spécification dans le cahier des charges de la viscosité de la culture qui allait être pratiquée, alors que cette donnée était essentielle pour la mise au point des fermenteurs.
La société ALGOFARM est un professionnel de la culture de micro-organisme, était un acquéreur averti, et à ce titre, connaissait l'importance de cette donnée qu'elle aurait dû préciser.
D'autre part, la cour ne dispose d'aucun élément sur la viscosité réelle de la culture qui a été pratiquée par la société ALGOFARM, l'expertise judiciaire s'étant faite après l'arrêt des cultures et l'expert n'ayant pas cherché à vérifier ce point.
Enfin et surtout, l'expert judiciaire a indiqué qu'il était d'usage que ce type de matériel, expérimental, fasse l'objet d'adaptations après livraison.
A cet égard, les demandes d'interventions de la société ALGOFARM ont été satisfaites et au fil du temps, plusieurs difficultés de fonctionnement ont été résolues.
Restait effectivement présente la question de l'agitation (et du moteur et des roulements, ces trois questions étant liées) et la société GPC, au mois de juin 2016, a indiqué mettre en fabrication des agitateurs avec entraînement mécanique et non magnétique, cette solution devant permettre d'éviter les problèmes de roulement.
Ces agitateurs ont été fabriqués au mois de juillet 2016 et le seul motif pour lesquels ils n'ont pas été mis en place est le non paiement par la société ALGOFARM de la somme de 74.115,60 euros, qu'elle avait retenue dès l'origine et avant même la livraion des fermenteurs.
Cette somme, qui était importante, représentait près de 30% de la facture totale.
La société ALGOFARM, par ce défaut de paiement, est responsable du fait que l'adaptation des fermenteurs n'ait pu être menée à son terme.
Elle doit être déboutée de toutes ses demandes et le jugement est confirmé.
La liquidation judiciaire de la société ALGOFARM, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel.
Les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme le jugement déféré.
Condamne la SELARL EP & ASSOCIES, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société ALGOFARM, aux dépens.
Rejette les demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,