3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°352
N° RG 19/08300 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QLJ4
M. [G] [R]
Mme [S] [N] épouse [R]
SARL SOCIETE PI
C/
SARL LAVANDIER FINANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me DAUGAN
Me DEMIDOFF
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, Rapporteur
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 10 Mai 2022
ARRÊT :
Contradictoire prononcé publiquement le 21 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [G] [R]
né le 30 Décembre 1969 à [Localité 7] (56)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Madame [S] [N] épouse [R]
née le 03 Janvier 1969 à [Localité 7] (56)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
SARL SOCIETE PI, inscrite au registre du commerce et des sociétés de SAINT BRIEUC, sous le numéro 509 402 137, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SARL LAVANDIER FINANCES, inscrite au registre du commerce et des sociétés de SAINT-BRIEUC, sous le numéro 384 572 608, agissant diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Nicolas MENAGE de la SELAS FIDAL, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
*****
La Société LAVANDIER FINANCES exerce une activité d'agence immobilière, et serait spécialisée dans le conseil en gestion de patrimoine.
La Société P.I. a été créée par Monsieur et Madame [G] [R] en novembre 2008 dans le but d'acquérir des lots dans une résidence de services située à [Localité 6], sur les conseils de Monsieur LAVANDIER, gérantde la société LAVANDIER FINANCES.
Au début de l'année 2016, Monsieur et Madame [R], qui avaient depuis mis en place plusieurs investissements patrimoniaux avec l'entremise de la Société LAVANDIER FINANCE, se sont enquis auprès d'elle de l'opportunité d'un investissement «PINEL'' et des projets qu'elle pourrait proposer dans ce cadre.
Monsieur LAVANDIER a proposé à Monsieur [R] d'investir au sein de l'ensemble immobilier «Parc résidentiel service de l'AUBINIERE'', via sa Société P.I.
L'Agence LAVANDIER FINANCES transmettait à Monsieur [R] le 9 juin 2016 divers éléments en sa possession, et notamment un document intitulé «résultat comptable prévisionnel'' qui permettait d'envisager un rendement locatif de près de 5 % dès le début.
Diverses simulations étaient également jointes au mail de la Société LAVANDIER FINANCES, s'agissant notamment du financement à obtenir pour l'acquisition.
Le 26 juillet 2016, la société P.I. a signé deux compromis de vente :
- le premier avec Monsieur [M] [T] portant sur les lots n°94 et 206 (un appartement DUPLEX et une place de stationnement) de la [Adresse 5],
- un second avec les époux [I], portant sur les lots 89 (appartement type 2) et 183.
Les ventes ont été réitérées le 9 novembre 2016, moyennant le prix de :
- 106.000 euros pour les lots 94 et 206, outre les frais d'acquisition à hauteurde 8.800 euros,
- 88.000 euros au titre des deux autres lots outre les frais d'acquÃsition à hauteur de 7.500 euros.
La Société LAVANDIER FINANCES a quant à elle perçu une commission totale de 11.640 euros au titre des deux ventes (6.360 euros au titre de la vente [T]/P.I., 5.285 euros au titre de la vente [I]/P.I.), réglée par la société PI.
Concomitamment, s'agissant d'une opération dans le cadre d'une résidence de services, la Société P.I. est venue aux droits de ses vendeurs dans l'exécution des baux commerciaux régularisés le 5 août 2014 pour les lots 89 et 183, et le 5 octobre 2014 pour le bail des lots 94 et 206.
Selon les baux, le loyer était payable trimestriellement, à terme échu. Le premier versement au profit de la Société P.I. devait donc intervenir au 5 avril 2017 (sauf reliquat 2016).
Le 10 avril, elle recevait du preneur, soit la société UNIVEA, un mail (daté du 6 avril) l'informant que les chiffres d'affaires étaient insuffisants pour assurer la couverture de l'ensemble des charges d'exploitation de la résidence, que la période hivernale avait été particulièrement difficile, et que dès lors, le règlement du loyer trimestriel serait différé.
La Société P.l. a informé la Société LAVANDIER FINANCES.
Le 27 juin suivant, la Société UNIVEA a informé les bailleurs de ce qu'elle n'était pas en mesure de régler le loyer du premier trimestre 2017.
Suivant jugement du Tribunal de Commerce de la ROCHE SUR YON en date du 5 juillet 2017, il a été ouvert à l'encontre de la Société UNIVEA une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation le 7 février 2018, après une période d'observation de 18 mois.
Un plan de cession a été arrêté au profit de la Société ZENITUDE GESTION 2, qui a fait régulariser de nouveaux baux à la Société P.I., aux termes desquels elle était contrainte d'accepter une baisse de loyer de 20 %.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 décembre 2017, la Société P.I., par l'intermédiaire de son Conseil, a mis en demeure la Société LAVANDIER FINANCES d'avoir à lui régler la somme de 40.741,30 euros au titre du préjudice subi.
Il n'a pas été répondu à cette mise en demeuse.
Par acte du 24 octobre 2018, la société PI ainsi que M et Mme [R] ont assigné la société LAVANDIER FINANCES en demandant la restitution des commissions qu'elle avait perçues et des dommages et intérêts.
En réponse, la Société LAVANDIER FINANCES a contesté toute responsabilité.
Elle a conclu que Monsieur et Madame [R] auraient été des investisseurs avertis et qu'elle n'aurait pour sa part joué qu'un simple rôle d'agent immobilier à l'exclusion de tout conseil donné en gestion de patrimoine.
Par jugement du 28 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc a :
- dit que la Société LAVANDIER FINANCES a agi en qualité d'agent immobilier dans le programme « [Adresse 5] », et non en qualité de gestionnaire du patrimoine,
- constaté que Ia réalité de la vente des deux appartements n'est pas contestée par les époux [R],
- jugé que la Société LAVANDIER FINANCES est bien fondée à percevoir le montant de la commission en sa qualité d'agent immobilier,
- dit que la commission de 11.640,00 euros perçue par la Société LAVANDIER FINANCES lui est acquise,
- débouté la Société P.I. et les époux [R] de leur demande de voir la Société LAVANDIER FINANCES condamnée à leur verser la somme de 11.640,00 euros en restitution de la commission versée,
- dit que la Société LAVANDIER FINANCES, n'a pas commis de faute engageant sa responsabilité au titre de la perte de chance,
- jugé que la preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice n'est pas établie,
- débouté la Société P.I., et les époux [R], de leur demande de voir la Société LAVANDIER FINANCES condamnée à leur verser la somme de 32.029,34 euros au titre de la perte d'une chance de renoncer à l'investissement immobilier proposé s'ils avaient été informés des risques de l'opération et de la très forte probabilité qu'ils se réalisent,
- condamné solidairement la Société P.I., Monsieur [G] [R] et Madame [S] [R] née [N], au titre des frais irrépétibles, à verser à la Société LAVANDIER FINANCES la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- dit que l'exécution provisoire ne s'impose pas,
- débouté la Société P.I., Monsieur [G] [R] et Madame [S] [R] née [N] de leur demande d'exécution provisoire de la présente décision,
- dit que la Société P.I., Monsieur [G] [R] et Madame [S] [R] née [N] succombent pour l'essentiel dans cette affaire,
- condamné la Société P.I., Monsieur [G] [R] et Madame [S] [R] née [N] solidairement aux entiers dépens,
- rejeté le surplus des demandes.
Appelants de ce jugement, la société P.I. ainsi que M et Mme [R], par conclusions du 04 mai 2022, ont demandé que la cour :
- réforme le jugement entrepris,
- dise que la société LAVANDIER FINANCES a engagé sa responsabilité vis-à -vis de Monsieur [R] [G] et Madame [R] née [N] [S] et la société P.I.,
- condamne la société LAVANDIER FINANCES à verser à la société P.I. la somme de 11 640,00 euros, en restitution des commissions versées en pure perte,
- condamne la société LAVANDIER FINANCES à verser à Monsieur [R] [G] et Madame [R] née [N] [S] et la société P.I. la somme de 58.382, 40 euros, au titre de la perte de chance de renoncer à un investissement immobilier,
- déboute la société LAVANDIER FINANCE de toutes ses demandes, fins et conclusions autres ou contraires,
- condamne la société LAVANDIER FINANCE au paiement de la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société LAVANDIER FINANCE aux entiers dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par la SCP DEPASSE DAUGAN QUESNEL DEMAY, aux offres de droit.
Par conclusions du 02 mai 2022, la société LAVANDIER FINANCES a demandé que la Cour :
- confirme le jugement déféré,
- déboute les appelants de leurs demandes,
- les condamne à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamne aux dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la Cour renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
M et Mme [R] entendent démontrer qu'ils avaient confié à la société LAVANDIER FINANCES une mission de conseil en gestion de leur patrimoine, cette activité figurant sur le site internet de la société LAVANDIER FINANCES, dont en revanche l'extrait KBIS mentionne comme unique activité les transactions immobilières.
Un conseiller en gestion de patrimoine a pour mission de proposer à ses clients d'optimiser la composition de leur patrimoine au regard de la composition initiale de ce patrimoine, de leurs besoins financiers, et de leurs objectifs de gestion.
Aucun contrat de conseil en gestion de patrimoine n'est versé aux débats.
Les ventes litigieuses ont eu lieu en 2016.
Le fait que huit années auparavant, en 2008, M et Mme LAVANDIER aient transmis à la société LAVANDIER FINANCES une synthèse de l'état de leur patrimoine ne peut pas être significatif de l'existence d'un contrat de gestion de patrimoine en 2016.
Il en est de même pour la transmission en 2010 de la même synthèse tandis qu'il est significatif qu'une transmission identique ne puisse être démontrée pour 2016.
Aucun courrier à destination des époux [R] et émanant de la société LAVANDIER FINANCE permettrait de présumer qu'elle s'est présentée comme un conseiller en patrimoine.
Notamment il n'est pas justifié qu'elle ait par exemple questionné les époux [R] sur leurs attentes en matière patrimoniale : prise de risque, liquidité des placements etc ..., ou établi un bilan des points forts et faibles de leurs éléments patrimoniaux, ou proposé des objectifs de gestion à rectifier ou à atteindre, alors même que ces démarches caractérisent les différents éléments de la mision de du conseiller en gestion de patrimoine: définitition des attentes des clients, établissement d'un bilan, propositions.
Il n'est pas non plus justifié par les époux [R] qu'ils lui aient spontanément fait part de leurs attentes en matière de diversification de leur patrimoine, de rendement, de risques à prendre.
Il est simplement démontré que la société LAVANDIER FINANCES, par l'entremise de laquelle les époux [R] avait déjà acquis trois biens immobiliers permettant à l'accès à des dispositifs d'optimisation fiscale leur en a proposé deux autres, dans une copropriété qu'ils connaissaient pour avoir failli y acquérir un bien en 2008 avant que ne disparaisse l'avantage fiscal y étant attaché à la faveur d'un changement de législation.
La société LAVANDIER FINANCES, vis à vis des époux [R] a donc agit en qualité d'agent immobilier, peu important à cet égard qu'elle ait pu, à une époque, transmettre aux époux [R] une documentation relative à un placement financier, le commissionnement sur des placements proposés par des tiers ne pouvant se confondre avec le conseil de gestion.
Dans ce cadre, le calcul du déficit foncier au regard des investissements fonciers déjà réalisés par les époux [R] et l'édition d'un tableau visant à calculer le rendement de l'opération une fois fixés le coût des achats, celui de l'emprunt et le montant du loyer contractuel, n'excédait pas les compétences habituelles d'un agent immobilier spécialisé dans l'immobilier de défiscalisation.
D'autre part, les époux [R] ne peuvent sérieusement soutenir qu'ils n'ont pas été informés par la société LAVANDIER FINANCES de ce que l'opération aurait présenté des ,risques, tenant notamment à la possibilité d'une baisse des loyers proposés.
M. [R], qui est le gérant de la SCI PI, qui a acquis les deux biens litigieux, est aussi le gérant d'une société SPHERES immatriculée en 2007 dont l'objet social est notamment l'acquisition de tous terrains ou droits immobiliers, l'exécution de tous travaux de viabilisation et de construction sur les terrains acquis, la promotion, la gestion et la vente de tous produits immobiliers, l'activité de marchand de bien, le conseil en management.
Aucune mise en garde ou information de nature générale sur les placements dans des résidences soumises à des baux commerciaux n'avait donc à être délivrée à la société PI par la société LAVANDIER FINANCES, la société acquéreuse étant un acquéreur averti en raison des compétences de son gérant.
S'agissant spécifiquement de la [Adresse 5], il n'est pas justifié que l'agent immobilier avait en sa possession des indices laissant présumer des difficultés du bailleur, qui a fait l'objet d'une procédure collective six mois après la vente.
A cet égard, le fait qu'une société du même groupe ait pu connaitre des difficultés avant la vente n'était pas significatif, les groupes intervenant sur le marché immobilier immatriculant de manière usuelle une société par programmes immobiliers et aucune défaillance généralisée des sociétés du groupe UNIVEA n'étant justifiée.
Ensuite la société LAVANDIER FINANCES a pu démontrer par une attestation de sa cliente que le fait que celle-ci ait accepté de vendre quelques mois auparavant des lots de la même résidence à un prix au mètre carré inférieur à celui des ventes proposées à la société PI, résultait de circonstances très personnelles l'ayant conduite à rechercher, en toute connaissance de cause, des cessions rapides.
Il est par conséquent infondé de conclure que la société LAVANDIER FINANCES savait proposer à la société PI des biens surévalués.
Par ailleurs, le changement de bailleur intervenu en 2014 faisait suite à l'échéance d'un premier bail commercial mené à son terme sans incident; si même les loyers proposés en 2014 par le nouveau bailleur étaient inférieurs aux loyers initiaux, proposés en 2005, cette circonstance était insuffisante à démontrer que la résidence faisait face à des difficultés ; surtout, la société PI, qui avait souhaité acquérir en 2008, savait que le bailleur n'était plus celui de 2008, et avait toutes les compétences nécessaires pour vérifier si l'arrivée à échéance du bail initial avait entraîné une modification des loyers offerts.
Enfin, le mécanisme d'optimisation fiscale recherché fonctionne et n'a pas fait l'objet d'une remise en question par l'administration fiscale.
En conséquence de ce qui précède, la société LAVANDIER FINANCES n'a commis aucune faute dans son activité d'intermédiation immobilière et le jugement est confirmé en ce que les appelants ont été déboutés de toutes leurs demandes.
Ceux-ci, qui succombent, supporteront la charge des dépens d'appel et paieront à la société LAVANDIER FINANCES la somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme le jugement déféré.
Condamne M et Mme [R] et la société PI, solidairement, aux dépens d'appel.
Condamne solidairement M et Mme [R] à payer à la société LAVANDIER FINANCES la somme de 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Le Greffier, Le Président,