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17/06/2022 | FRANCE | N°19/02830

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 17 juin 2022, 19/02830


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°313



N° RG 19/02830 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PXKW













M. [G] [J]



C/



SAS BRINK'S EVOLUTION

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 JU

IN 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



A l'audience publique du 24 M...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°313

N° RG 19/02830 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PXKW

M. [G] [J]

C/

SAS BRINK'S EVOLUTION

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 24 Mars 2022

devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET et Madame Gaëlle DEJOIE, magistrats, tenant l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [MK] [I], Médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [G] [J]

né le 05 Juin 1965 à BREST (29)

demeurant 7 rue René Caille

29200 BREST

Représenté par Me Nathalie OF-SAVARY,Avocat au Barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

La SAS BRINK'S EVOLUTION prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

41/45 Boulevard Romain Rolland

75014 PARIS

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Benoît DUBESSAY de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, Avocat plaidant du Barreau de PARIS

M. [G] [J] a été embauché par la SAS BRINK'S EVOLUTION dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 1er octobre 1987 en qualités d'Agent de surveillance (à l'embauche) puis successivement d'Employé au service comptage, de Chef d'équipe comptage, de Chef de service, de Coordinateur de métiers et de Chef d'agence à compter du 27 février 2003.

Après réunion extraordinaire du CHSCT Grand Ouest du 5 avril 2017, M. [J] a été convoqué à un entretien au siège social de l'entreprise dans le cadre d'une enquête éthique.

Le 26 juin 2017, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 juillet 2017, avec mise à pied conservatoire.

Par courrier du 7 juillet 2017, M. [J] a été licencié pour faute grave.

Par courrier du 13 juillet 2017, M. [J] a contesté les motifs de son licenciement'; l'employeur a décidé de maintenir sa décision. Les documents de fin de contrat ont été adressés à M. [J] par courrier du 21 juillet 2017.

Le 29 septembre 2017, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Brest aux fins de :

' Condamner la SARL BRINK'S EVOLUTION à lui verser les sommes suivantes :

- 194,16 € brut de différentiel au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

- 997,23 € brut à titre de rappel de salaires au titre du 13ème mois,

- 99,72 € brut au titre des congés payés afférents,

- 11.966,49 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 1.196,67 € brut au titre des congés payés afférents,

- 52.866,35 € net à titre d'indemnité de licenciement,

- 100.000 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

- 10.000 € net à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

' Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par M. [J] le 29 avril 2019 du jugement du 22 mars 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Brest a :

' En la forme, reçu M. [J] en sa requête,

' Dit que l'employeur n'a pas manqué à ses obligations en ce qui concerne la clause de non-concurrence,

' Dit que le licenciement pour faute grave de M. [J] est justifié,

' Débouté M. [J] de l'intégralité de ses demandes,

' Débouté la SARL BRINK'S ÉVOLUTION de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné M. [J] aux dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 décembre 2021, suivant lesquelles M. [J] demande à la cour de :

' Infirmer l'ensemble du jugement entrepris,

A titre principal,

' Ecarter des débats les pièces adverses n°D2, D4 et D5, ainsi que les pièces E9 et E8,

' Déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

' Dire que les griefs contenus dans la lettre de licenciement du 7 juillet 2017 sont infondés,

' Condamner la SARL BRINK'S EVOLUTION à lui verser les sommes suivantes :

- 194,16 € brut de différentiel au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence,

- 997,23 € brut à titre de rappel de salaires au titre du 13ème mois,

- 99,72 € brut au titre des congés payés afférents,

- 11.966,49 € brut à titre d'indemnité de préavis,

- 1.196,67 € brut au titre des congés payés afférents,

- 52.866,35 € net à titre d'indemnité de licenciement,

- 100.000 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,

- 10.000 € net à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 9 mars 2022, suivant lesquelles la SAS BRINK'S EVOLUTION demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

Y ajoutant,

' Condamner M. [J] à verser la somme de 3.500 € à la SAS BRINK'S EVOLUTION au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Christophe LHERMITTE.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mars 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur le licenciement

Pour infirmation et reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, M. [J] soutient essentiellement que le moyen tiré de la charge et de la validité des preuves versées aux débats par l'employeur n'a pas été tranchée par les juges de première instance qui ont retenu les pièces de la SARL BRINK'S EVOLUTION sans répondre aux arguments du demandeur'; qu'en matière de faute grave, la charge de la preuve repose exclusivement sur l'employeur'; que les pièces litigieuses adverses D2, D4, D5 (compte rendu du CHSCT, rapport d'OPERA ERGONOMIE et rapport du cabinet REPERE/S) doivent être écartées des débats en ce qu'elles reposent sur des témoignages anonymes et constituent une atteinte caractérisée aux droits de la défense du salarié, de sorte qu'elles ne peuvent être considérées comme des moyens de preuve valables'; que les pièces adverses E8 et E9 (rapports de l'enquête d'éthique) sont également dépourvues de valeur probante et concernent une preuve que la société employeur tente de se constituer à elle-même'; à titre subsidiaire M. [J] conteste chacun des griefs qui sont formulés à son encontre'et fait valoir qu'à défaut d'être imputable au salarié ils ne peuvent fonder son licenciement.

La Société BRINK'S'EVOLUTION rétorque pour confirmation et reconnaissance de la faute grave d'une part que les témoignages anonymes ne sont pas en tant que tels irrecevables même s'ils ne peuvent suffire à eux seuls à justifier le licenciement d'un salarié'; que les faits reprochés au salarié ne sont pas établis par le seul recueil de témoignages anonymes mais par les rapports de deux expertises extérieures dont l'anonymat des témoignages recueillis visait à protéger les salariés acceptant de témoigner, de même que la rapport du CHSCT qui en a décidé la mise en 'uvre'; que les rapports identifient leurs auteurs, que leur contenu permet de connaître le nombre des salariés entendus et de comprendre les dysfonctionnements signalés'et de présenter ses observations en réponse ; que les rapports d'enquête éthique précisent les identités de leurs rédacteurs et des salariés rencontrés'; que les faits visés à l'encontre de M. [J] sont établis et que leur caractère de gravité est incontestable.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'appelant dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 7 juillet 2017 (pièces n°13 du salarié, B2 de la société employeur) est ainsi rédigée':

'Monsieur,

Nous vous avons convoqué par courrier recommandé avec accusé de réception à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement prévu le 4 juillet 2017 à 15H30.

Vous vous êtes présenté à cet entretien assisté de M. [Z] [Y], élu titulaire au Comité d'Etablissement Brink's Evolution Siège.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs qui nous conduisent à cette mesure.

Le 5 avril 2017 s'est tenu à l'agence de [P] un CHSCT extraordinaire durant lequel les représentants du personnel ont alerté la Direction de l'existence de risque psycho-sociaux au service comptage. Les représentants du personnel nous ont fait savoir qu'il règne un climat délétère lié à une désorganisation du service et des suspicions de harcèlement moral et pressions vous incriminant. Il a donc été décidé de faire intervenir les cabinets Opéra Ergonomie (spécialisé dans l'organisation du travail et certifié sur la prévention des risques psycho-sociaux) et Repères (Psychologue du Travail) afin de faire un point de situation.

Pour de ne pas perturber le déroulement de cette enquête interne, nous vous avons notifié le 2 juin 2017 une mise en indisponibilité jusqu'au terme de ces enquêtes. Entre temps et au vu des conclusions de ces deux rapports, nous avons décidé de mener une enquête éthique en raison d'accusations graves de harcèlement moral et sexuel à votre encontre. Les modalités d'accomplissement de ces enquêtes internes sont appliquées dès lors que survient ce type d'événement.

C'est dans ces conditions que s'est tenue une réunion le 8 juin 2017 à [P] avec les salariées du service comptage qui l'ont souhaité afin qu'elles expriment les faits dont elles s'estimaient victimes. Elles ont été entendues par la Responsable Droit Social Groupe et le Directeur Adjoint Sécurité. Vous avez été ensuite reçu le 21 juin 2017 par ces mêmes personnes pour faire part de votre version des faits. Vous étiez accompagné de M. [Z] [Y], élu au Comité d'Etablissement Brink's Evolution Siège.

Au regard de la concordance des faits révélés par les salariées du comptage et de vos observations, nous avons décidé de vous signifier une mise à pied conservatoire en date du 26 juin 2017 et ce jusqu'à la fin de la procédure initiée à votre encontre.

Le rapport du cabinet Repères fait apparaître qu'au service comptage 9 salariés sur 10 présentent des troubles très importants liés au stress qui découlerait de plusieurs facteurs tels que des déclassements de salariés au sein d'un même service dont la manager actuellement en arrêt maladie ainsi que des pressions avec menaces de licenciement. Mais plus surprenant encore, hors service comptage, 3 personnes sur 4 présentent des symptômes liés au stress. Ce rapport explique le stress ressenti par des choix de gestion du personnel inappropriés.

Les salariés du comptage ont déploré un manque de soutien de la part de l'encadrement et bien au contraire une pression latente pour augmenter la performance au détriment de la santé des salariés par des remontrances sur la qualité du travail, une brutalité du langage employé pour exprimer les demandes, des tentatives de séduction de votre part, des propos humiliants et vexations auxquels s'ajoutent un hyper contrôle à la caméra donnant lieu à des interventions inopinées vécu comme une intrusion dans leur quotidien de travail.

Cette analyse du cabinet Reperes alliée au recueil des faits évoqués par les salariées du comptage nous fait comprendre que vous avez failli à vos fonctions de manager sur plusieurs points et notamment :

- Vous n'avez pas su lors de l'arrivée de pics d'activité en période creuse trouver les solutions adaptées en terme de gestion de personnel et de gestion de leur temps de travail.

Lorsque nous vous avons demandé comment en période creuse vous avez pallié à (sic) la situation, vous avez indiqué avoir eu recours aux CDD pour pallier aux arrêts maladie fréquents et avez constaté que l'instabilité des CDD ne résolvait pas la situation. Pour autant, vous n'avez pas cherché d'autres solutions auprès de vos supérieurs hiérarchiques ou même cherché à comprendre ce qui pouvait générer les absences maladies fréquentes. Vous n'avez déclaré aucune difficulté de gestion du personnel. Vous vous êtes contenté de recourir à des CDD sans procéder en amont à une analyse des causes de cette variation d'activité afin de travailler sur les solutions palliatives immédiates. Plutôt que de prendre le problème à la racine, vous avez préféré vous décharger sur vos collaborateurs de l'encadrement prétextant que 'c'est à eux de gérer les plannings et l'organisation du service'. Et ce, alors même que vous reconnaissez que la chef de service était 'incompétente', vous l'avez laissée s'enliser dans une situation qui la dépassait en toute connaissance de cause créant les conditions de son déclassement, puis son arrêt maladie et in fine la 'révolte' de tout un service qui a perçu votre décision comme une punition plutôt qu'une solution à leur problématique organisationnelle.

Cette situation a eu pour effet de dégrader l'état de santé des salariés et leur performance.

Ceci est d'autant moins explicable que vous êtes manager chez Brink's depuis de nombreuses années et de par votre expérience, vous étiez en mesure de faire preuve de pro-activité.

A notre sens, votre détachement face à une situation qui a provoqué une flambée des heures supplémentaires et un mal être de l'équipe est un manquement à vos obligations de manager.

- Vous n'avez pas su gérer les imprévus via des actions d'amélioration correctives.

Les salariées se sont plaintes auprès du cabinet Opéra Ergonomie de réaliser des tâches dans l'urgence et de changer de tâches au point de devoir refaire des comptages générant ainsi une perte de temps. Elles ont regretté une communication inexistante entre elles et leur encadrement ce qui empêchait le recueil de toute idée constructive. Les salariées ont également déploré une absence de gestion des pauses, des plannings changés au dernier moment sans tenir compte de la vie privée des opératrices (pour la plupart ayant des obligations familiales liées à des gardes d'enfant), l'existence de flux croisés, une absence de port d'EPI sur les zones obligatoires, une absence de formation sur les process, aucun encouragement ou félicitation quand les résultats sont là, un changement inexpliqué de situation géographique du responsable comptage qui détaché du centre a été extrait et déplacé en fond de comptage (changement effectué pendant ses congés ce qui a été vécu comme une procédure dégradante). Lorsque nous vous avons demandé des explications quant à ces remarques, là encore, vous avez indiqué que c'était à l'encadrement de gérer ces problématiques.

Nous vous avons rappelé que vous étiez le représentant de l'encadrement dans l'agence et que face aux difficultés de vos collaborateurs, vous deviez intervenir pour les aider à réaliser leurs missions mais également trouver les solutions rapides et efficaces pour pallier aux difficultés remontées. Pour autant, vous avez continué à décharger la faute sur vos collaborateurs dont pourtant vous n'avez cessé de relever leur 'incompétence' ou le 'caractère difficile'.

Cette absence de résolution des difficultés dont vous étiez informé par les opératrices comptage lorsque vous preniez des sanctions disciplinaires, a laissé une sensation amère d'inefficacité et de désintérêt de l'encadrement pour la qualité du service et l'amélioration de leurs conditions de travail générant ainsi un découragement peu propice à l'engagement.

-Vous avez utilisé les caméras de surveillance à des fins autres que leur destination pour surveiller vos salariées générant un climat de défiance.

En effet, les salariées du comptage ont relevé des dérivés quant à l'utilisation des caméras de surveillance par vos soins. Elles ont indiqué que les enregistrements de ces caméras ne sont destinées qu'à être utilisées qu'en cas (sic) de contestations de clients lors du constat d'une erreur de saisie et non à être visionnées pour pointer chaque mouvement et geste de leur part.

Pourtant, plusieurs salariées ont fait état des mêmes scènes abusives de votre part. L'une des salariées comptage nous a fait savoir qu'elle n'osait plus aller aux toilettes car il y avait un risque que vous appeliez la chef de service pour demander les raisons de ses allées et venues. Une autre nous a fait savoir que si un geste était inhabituel, retentissait immédiatement le téléphone pour les rappeler à l'ordre. De même, le fait d'aller dialoguer et prendre conseil auprès d'une collègue s'en faisait sentir, immédiatement, vous passiez un coup de fil.

Ce sur-contrôle a généré chez les salariées un sentiment de peur oppressant et intrusif.

Lorsque nous vous avons demandé de nous expliquer comment vous utilisiez les caméras, vous avez reconnu que leur utilité est destinée à formaliser les rapports de contestation et non à être visionnés en permanence. Pour autant, vous avez reconnu les regarder en journée et passer des appels 'occasionnels' pour comprendre les raisons de changement d'habitude des opératrices. Vous avez prétexté allumer ces caméras le matin et ne plus y prêter attention. Pour autant, lors de votre entretien avec l'un des intervenants du cabinet Repères, vous n'avez eu cesse de fixer ces caméras de manière régulière. Ces méthodes sont contre productives et génératrices de stress pour les salariées et nous ne saurions les cautionner.

-Vous avez adopté des comportements inappropriés en termes de management qui ne sont pas conformes aux valeurs de l'entreprise.

Nous constatons que vous avez failli à votre rôle de soutien tant envers vos managers directs que les salariées du comptage. Ils déplorent l'absence d'écoute notamment pendant les réunions collectives d'expression. Toute idée y était rejetée assimilant les réunions à un monologue d'ordres non propices à l'échange condamnant ainsi les salariés au silence.

Lors des enquêtes CHSCT et éthique, les salariés ont qualifié votre management d'autoritaire et tyrannique car vous imposez vos décisions et avez recours à la sanction ou à la menace si la performance et l'obéissance ne sont pas respectées ce qu'elles ont vécu comme un 'pousse à la faute'. Les plaintes des salariées tiennent aussi au ton brutal que vous emploieriez et une communication ' sans filtre' vécue comme interventionniste. Vos méthodes de management ont ainsi été vécues, sans exception, par les salariées du comptage comme intimidantes.

Le cabinet Repères va jusqu'à dire qu'après échange, il apparaît que votre conception du management ne supporte aucune faille et vous reportez les responsabilités des actes sur les salariés plutôt que de revoir l'organisation du travail et trouver des ressources susceptibles d'améliorer les conditions de travail et de créer de la motivation par la reconnaissance.

Lorsque nous vous avons demandé de vous expliquer quant à ces accusations graves, vous avez indiqué avoir un management exigeant et avez rétorqué 'si demander aux gens de faire leur travail est du harcèlement alors oui je l'ai fait' sans pour autant vous remettre en cause que ce soit sur le ton ou les termes employés pour faire passer vos exigences.

Nous vous rappelons que l'efficacité d'un manager ne se mesure pas qu'aux résultats qu'il produit qu'également à la façon dont il y parvient en favorisant la performance dans une ambiance propice à la conservation de la santé et équilibre mental des salariés. Selon notre conception, un manager leader donne confiance pour faire évoluer les collaborateurs et ne cherche pas à les terroriser pour les faire obéir. Votre méthode est d'autant moins excusable que vous avez bénéficié de formations sur le management et vous connaissez les valeurs ACT de l'entreprise. Aussi nous ne comprenons pas que vous ayez pratiqué un management par la 'terreur' qui ne correspond aucunement aux valeurs et pratiques de l'entreprise qui prône la bienveillance, le respect et l'écoute. Votre proximité avec votre supérieur hiérarchique et votre RRH qui ont toujours été à vos côtés aurait dû vous engager à les alerter et vous faire aider pour prendre les mesures adéquates avant d'en arriver aux extrêmes qui mènent à la situation présente.

-Vous auriez eu des comportements déplacés qui ne sont pas acceptables au regard des règles éthiques et de la loi.

En effet, deux salariées font savoir qu'elles ont subi des approches de séduction de votre part, des attouchements et reçu des SMS qui ne laissent aucun doute sur votre souhait d'avoir des relations hors travail avec ces personnes.

L'une d'elles évoque le fait que vous auriez cherché à lui toucher la poitrine dans les vestiaires. Une autre que vous lui auriez touché les fesses après avoir tenté à plusieurs reprises de lui faire des avances prononcées y compris à l'extérieur du travail.

D'autres salariées ne s'estimant pas victimes directes de ces approches ont pour autant constaté vos attitudes avenantes avec la gent féminine et être gênées.

Tout aussi troublant et évocateur encore, c'est le refus de la part de certaines collaboratrices, passées par [P], et promues depuis sur d'autres postes, de faire une attestation en votre faveur. L'une nous a d'ailleurs précisé 'je ne peux attester que [G] n'a jamais eu d'attitude ou de propos ambigus...'.

Par ailleurs, une salariée du comptage est vue par le personnel comme plus avantagée en terme d'avancement et bénéficierait de passe droits non accordés aux autres salariées créant ainsi un sentiment d'inéquité, de favoritisme voire de dédain. En effet, elles font savoir que cette salariée peut choisir ses vacances, imposer ses impératifs personnels pour faire établir le planning à sa guise, avoir le droit de venir dans votre bureau pour discuter, avoir des promotions non méritées.

Les salariées qui auraient fait l'objet d'attouchements sont affectées et durant les entretiens ont manifesté des états de stress importants au seul fait de prononcer votre nom. Elles se sont senties affectées dans leur féminité et nous ne saurions cautionner ce type de comportement que nous estimons humiliant.

Lorsque vous avez été amené à nous faire part de votre point de vue sur ces faits lors de l'enquête éthique, vous avez indiqué que vous aviez peut-être, il y a très longtemps, été maladroit en proposant d'aller 'boire un verre' à l'une des salariées et avez invoqué le fait que l'une d'elles avait déjà un amant en agence [ce qui pour autant n'excuse pas vos actes car cela ne vous autorise pas à lui faire subir des actes qu'elle refuse ouvertement]. Nous sommes donc choqués par votre comportement que nous estimons inexcusable.

De même, lorsque nous vous avons demandé comment avez-vous agi face au malaise créé par les rumeurs de votre prétendue liaison avec une salariée du comptage. Vous n'avez pas nié et avez souri en invoquant le fait que vous n'avez entrepris aucune communication à ce sujet car selon vous 'on ne peut pas empêcher les gens de parler'. Bien entendu, nous n'émettons aucun jugement de valeur sur ces rumeurs. Néanmoins, vous aviez un rôle à jouer pour faire taire ces rumeurs dans la mesure où les ressentis de favoritisme à l'égard de la salariée concernée avaient des conséquences sur l'ambiance de l'équipe, d'autant plus si ces rumeurs étaient incongrues. Pour autant, vous avez préféré laisser les choses s'aggraver en continuant de recevoir cette salariée chaque jour dans votre bureau laissant penser aux salariées qu'elle était votre 'indic'. Ce comportement est tout simplement exempt de tout professionnalisme et contraire aux règles éthiques de notre entreprise.

L'absence de prise en charge des difficultés dans votre agence tant sur la gestion des plannings et du temps de travail que la performance ou le bien-être des salariés ont occasionné des résultats dégradés, la perte du sens du travail et une souffrance qui nous a contraints à revoir l'organisation, à distance, dans l'urgence.

Une nouvelle responsable de service a été nommée en mai 2017 et en à peine une semaine, les salariées ont évoqué le fait d'être entendues, accompagnées, comprises dans leurs difficultés.

Ce constat a été suivi d'une déclaration unanime des salariés d'un 'soulagement' de vous savoir parti. Cela n'a pas manqué de nous surprendre car durant le mois de mai, après que le CHSCT n'intervienne (sic), vous avez nié les faits prétextant une kabbale au lieu de prendre vos responsabilités. Nous interprétons ces circonstances, soit comme une volonté de votre part de nous cacher les faits soit, une totale inconscience face aux faits qui vous sont reprochés.

Compte tenu des faits qui viennent d'être exposés, nous considérons que vous avez fait preuve de laxisme dans la gestion des difficultés organisationnelles de votre agence. Vous avez, par ailieurs, failli à vos obligations de managers (sic) en adoptant des comportements irrespectueux et inadaptés au regard de vos fonctions et de votre ancienneté dans l'entreprise et de notre politique éthique. Les faits qui ont été portés à notre connaissance également recueillis par les experts extérieurs en charge de l'enquête ont cassé la confiance que nous avions placée en vous. La gravité des faits de harcèlement moral et sexuel qui vous sont reprochés sont intolérables et inacceptables.

Les explications et justifications que vous avez tentées d'amener à l'occasion de l'entretien préalable n'ont malheureusement pas été convaincantes.

Dans ce cadre, nous n'avons d'autre choix que de prendre à votre égard une mesure de licenciement, la poursuite de notre relation contractuelle dans ces conditions étant impossible.

Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave privatif de l'indemnité de licenciement et de préavis. Celui-ci sera effectif à compter de la prise en charge de ce courrier par les services postaux. Vous avez fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire notifiée dans votre courrier de convocation en date du 26 juin 2017 pour toute la durée de la procédure. Nous vous confirmons qu'au regard de la qualification de votre licenciement, nous n'entendons pas vous régler cette période.

(...)'

Les deux comptes-rendus des deux réunions du CHSCT des 5 avril et 4 juillet 2017 n'ont pas lieu d'être écartés des débats ainsi que le demande M. [J] au motif qu'ils ne mentionneraient pas l'identité des salariés de l'agence de [P] qui se seraient plaints de leurs conditions de travail, puisque le CHSCT était légitime à se réunir et à se prononcer ainsi qu'il l'a fait dès lors qu'il était alerté sur l'existence de risques psychosociaux, sans avoir à communiquer les identités des salariés concernés et que le contenu des rapports de réunion ont été contradictoirement communiqués à l'appelant dans le cadre de l'instance.

La SARL BRINK'S EVOLUTION produit notamment le rapport d'enquête éthique retraçant les entretiens individuels des salariés (pièce n°E8) dont M. [J] soutient qu'il est dépourvu de valeur probante et constitue une preuve que la société employeur se fournirait à elle-même dans la mesure d'une part où aucun des salariés entendus n'a signé ses déclarations ni n'a été en mesure d'en contrôler la retranscription et alors d'autre part que seules 7 personnes sur 12 ont été entendues, sur la base du volontariat, de sorte que ce rapport ne contient pas un constat objectif et global de la situation.

Mais force est de constater que la société intimée produit également (pièces n°E10) les attestations de cinq des salariées concernées qui confirment que les propos rapportés dans le compte-rendu sont bien ceux qu'elles ont tenus lors de l'enquête menée en 2017, parmi lesquelles une attestation de Mme [F] qui conforte ainsi la teneur des propos qu'elle avait alors souhaité ne formuler que sous couvert d'anonymat. Ce rapport précise les conditions dans lesquelles il a été réalisé, après signalement des risques psychosociaux par le CHSCT et après l'intervention de deux experts extérieurs (psychologue et ergonome) et mentionne également les noms des personnes qui n'ont pas été entendues et le motif (absence ou refus de se confier). M. [J] ne produit en outre aucun élément, en particulier aucun témoignage de l'un ou l'autre des salariés concernés, de nature à invalider le contenu du rapport critiqué au regard de la réalité des entretiens menés. Ce rapport, qui n'a pas été établi dans des conditions illicites ou déloyales, n'a donc pas lieu d'être écarté des débats.

Il ressort de ce rapport que':

* Mme [F] , alors désignée anonymement :

- décrit que le rythme de travail est très soutenu, qu'elle effectue de nombreuses heures supplémentaires et qu'elle ressent une vraie fatigue,

- constate l'absence de problème relationnel entre les « filles du comptage » mais un problème relationnel avec 'l'encadrement',

- relève que la Chef de Service [Mme [L]] semble sous pression,

- estime que Mme [B] est avantagée par M. [J] (retards excusés, peut directement s'adresser à M. [J]),

- reproche à M. [J] de s'adresser aux opératrices de comptage sur un ton sec, de ne pas leur permettre de donner leur avis, dont le comportement aboutit à ce que les opératrices le craignent et qui ne parle selon elle «'que de stats et résultats'»,

- fait part d'un «'problème avec les caméras'» signalant un appel de M. [J] pour reprocher à une personne de se lever pour régler la climatisation et a manifesté une «'crainte même d'aller aux toilettes'»,

- se dit soulagée depuis l'arrivée de Mme [O] qui remplace M. [J], et évoque son «'appréhension du retour de [G]'»';

* Mme [LI] (nièce de M. [J] par alliance)':

- met en avant les changements fréquents de planning imposés au dernier moment et avec brutalité,

- indique que M. [J] et elle s'évitaient mutuellement depuis 5 ans, rendant impossible même une médiation entre eux, M. [J] étant selon elle «'trop fermé'» et voulant systématiquement imposer sa décision ou son avis,

- évoque le sentiment que les salariées étaient épiées par M'. [J] qui appelait fréquemment M. [A] pour l'interroger de manière insistante sur leurs faits et gestes,

- dit appréhender le retour de M. [J] dans l'agence en précisant que s'il revenait c'est elle qui partirait,

- exclut toute difficulté relationnelle la concernant avec Mme [L] ou M. [A],

- décrit une ambiance plus détendue depuis l'arrivée de la nouvelle chef d'agence';

* Mme [IE] :

- fait le constat d'un très fort rythme de travail avec beaucoup d'heures supplémentaires,

- manifeste la sensation d'être épiée par l'usage des caméras et les appels incessants de M. [J]

- a eu l'impression que Mme [B], qui était «'priée de faire remonter à M. [J] des faits ou des paroles échangées au sein du service'», bénéficiait d'un «'traitement de faveur'» et parvenait «'à se faire passer toutes ses heures'» et à poser des congés «'comme elle l'entend contrairement aux autres salariées'»,

- confirme avoir constaté un véritable apaisement dans le service depuis le remplacement de M. [J] par Mme [O] .

* Mme [W]':

- dit avoir mal vécu sa rétrogradation de responsable à opératrice lors de son arrivée à l'agence de [P],

- évoque le stress lié au nombre d'heures très important et à l'impossibilité de récupérer ces heures en jours de repos,

- confirme que le fait que des opératrices se lèvent pendant le service a pu générer des appels de M. [J],

- émet l'opinion que les départs de deux salariées en CDD (Mmes [U] et [H]) étaient liés aux attitudes de M. [J],

- confirme l'existence d'une ambiance plus sereine et d'un «'bien être généralisé'» depuis le départ de M. [J]';

* Mme [D] :

- décrit une ambiance de travail difficile du fait de l'absence de Mme [L] qu'elle décrit d'un abord rigide et froid mais avec laquelle elle n'a pas eu de problème relationnel et dont elle estime qu'elle a «'fait ce qu'elle a pu au regard des moyens qui lui étaient donnés'» et «'a été mise en porte à faux'»,

- confirme l'utilisation des cameras pour surveiller les allées et venues des salariées de l'équipe comptage ;

* Mme [N]':

- indique que le nombre d'heures supplémentaires était un problème,

- dit avoir ressenti «'des dévalorisations permanentes, des pressions par rapport à leur performance'»

- évoque le sentiment d'être «'épiée par les caméras au point que persone n'osait se lever même pour aller aux toilettes ou faire une photocopie'»,

- manifeste la même impression de favoritisme concernant Mme [B] qui pouvait commettre des erreurs ou arriver en retard sans être sanctionnée et qui était privilégiée par M. [J] qui lui donnait «'tous les droits'»,

- précise que la présence de M. [J] lui faisait peur, que depuis son départ les ratios sont meilleurs, l'ambiance plus sereine, le retard rattrapé.

* Mme [M]':

- confirme l'existence d'une ambiance tendue, d'un stress généré par les semaines de 46 heures,

- indique que M. [J] lorsqu'il était absent appelait M. [A] plusieurs fois pour savoir ce qui se passait,

- évoque un sentiment de favoritisme à l'égard de Mme [B] qui était pardonnée pour tout et les doutes qui avaient pu en conséquence naître sur la relation qu'elle pouvait entretenir avec M. [J],

- confirme que depuis le remplacement de M. [J] par Mme [O] ça allait «'nettement mieux'» et que le retour de M. [J] serait «'très mal vécu'».

Parmi les personnes non entendues au cours de cette enquête (Mme [X], Mme [S] et M. [A] qui n'ont pas souhaité se confier d'une part, Mmes [C] et [B] qui étaient absentes d'autre part) seuls sont versés aux débats, par M. [J], les témoignages de Mme [X] et de Mme [B]'ne contredisent pas les témoignages relatifs à l'ambiance du service :

- Mme [X] (pièce n°18 de M. [J]) atteste, le 30 avril 2017 n'avoir depuis 5 ans «'jamais constaté ou entendu de propos incongrus, déplacés ou désobligeants sortant du contexte professionnelle de part de M. [J] envers le personnel'» en précisant «'je ne considère [pas] les remarques faites lors des réunions qui ne sont que professionnelles et justifiées comme du harcèlement moral. Il est clair que durant certaines périodes de l'année la pression est un peu plus élevée dû (sic) à la surcharge de travail. Les procédures doivent être respectées et appliquées dans les délais demandés. En tant que responsable d'agence il est normal que M. [J] nous le rappelle de temps en temps, et que les erreurs effectuées par le personnel soient mentionnées. L'ambiance en devient pesante. Dommage'!'»';

- Mme [B] (pièce n°57 de l'appelant) si elle atteste que M. [J] lors des réunions de service «' a toujours été correct, ferme dans ses propos sur le respect des procédures pour un travail irréprochable pour la satisfaction des clients, mais en aucun cas désagréable (aucune opératrice n'a pleuré (sic). La seule fois où il a haussé le ton, c'était après l'agent de maîtrise car ce dernier ne voulait pas entendre ce qu'il avait à lui dire et s'est mis en rapport de force'», retrace également, confirmant les dysfonctionnements du service, les doléances des salariés, que : «'depuis longtemps le personnel se plaint du planning (différence entre les horaires affichés et ceux réellement effectués), des modifications de dernière minute, les tâches non définies, les congés annuels et le manque de réunion de service. Sur ces points, M. [J] a demandé à la responsable de service de travailler sur ces sujets. Concernant les plannings il a également mis à contribution deux encadrants et moi-même. Le délégué syndical est intervenu plusieurs fois dans le service notamment pour discuter avec les opératrices (') il a dit, je cite «'il faut trouver une solution (') je sais bien que M. [J] est contre le fonctionnement du comptage et est carré sur le sujet, le problème est que la responsable du service ne fait pas le nécessaire'».

Elle poursuit plus loin en indiquant «'le chef de centre n'est plus là depuis début juin 2017 mais force est de constater que rien ne pourra changer puisque les opératrices sont toujours insatisfaites du planning (semaines programmées sur 38h30mn et non 35h00'», ce qui conforte la nette amélioration sur le temps de travail et la gestion des plannings au regard des horaires dont il était fait état antérieurement.

Elle ajoute «'A l'heure actuelle M. [J] ne fait plus parti (sic) de la société mais la situation ne change pas vraiment. Le jour où la nouvelle responsable comptage a été présentée au comptage, le responsable des ressources humaines a annoncé qu'il y a aurait un suivi psychologique au sein de l'agence. Nous sommes au mois de septembre et pour le moment aucune opératrice n'a demandé à voir quelqu'un, pour des personnes en risques psychosociaux elle sont plutôt joyeuse (ça rigole, plaisante et ce depuis longtemps).'», cette description tend à montrer que la situation des salariés s'est améliorée et ne génère plus l'urgence d'un suivi psychologique ainsi qu'évoqué en juin 2017.

Le rapport du cabinet REPERE/S (pièce n°D5 de l'intimée) établi par Mme [V], psychologue, que l'anonymat des témoignages ne suffit pas à départir de toute valeur probante dès lors d'une part que la cadre d'intervention en est très clairement défini dans le rapport, conformément aux comptes rendus des réunions du CHSCT (pièces n°D2 et D6 de l'intimée), d'autre part que le contenu de ce document n'est pas pris en compte isolément mais au regard des autres pièces versées aux débats, notamment des témoignages évoqués ci-dessus.

Ce rapport reprenait d'abord les éléments de «'contexte ayant favorisé le stress au travail'» qui ne relèvent pas, en tout cas pas tous ni exclusivement, de la responsabilité de M. [J]': fusion de trois services en un, départ de cinq salariés piliers du service comptage, déclassements de certaines salariées, renforts de CDD en arrêts fréquents ou qui ne restent pas, changement d'organisation («'passage à BKFF'») depuis l'été 2016 qui n'a «'pas été suffisamment accompagné'», survenance d'un incident anxiogène à l'été 2016 avec la perte de 10.000 €

Ce rapport décrivait déjà, en parfaite conformité avec les témoignages décrits ci-dessus, les effets de ce changement et décrit précisément et très distinctement':

- d'une part la situation de la chef de service [Mme [L]] «'en stress épuisé, qui ne peut plus prendre de recul pour organiser l'activité, [qui] a le sentiment de ne plus être capable d'encadrer l'équipe'», et la confrontation des autres salariées «'à la fragilisation de la responsable de service dont elles sentent qu'il ne faut pas 'lui en rajouter'. Elles évitent de lui poser des problèmes et taisent leurs difficultés à supporter la charge d'activités car elles la sentent très réactive et prête à s'effondrer. Elles ont peur pour elle en permanence'» avec «'malgré tout, une bonne solidarité collective': elles se serrent les coudes et défendent leur responsable (sauf une salariées (sic) en position d'exclusion, de son propre fait et du fait des autres)'»

- d'autre part l'attitude du chef d'agence qui est décrit comme s'étant «'progressivement substitué à la responsable de service'» incluant un «'hypercontrôle (par les caméras et par des remontées d'informations masquées) [qui] va jusqu'au sentiment d'espionnage pour certaines'» avec des interventions fréquentes «'pour faire des réajustements et des remarques ''à chaud'''», une «'focalisation extrême sur les résultats du service comptage'», des relations avec ce chef d'agence «'extrêmement tendues'», des «'problèmes d'organisation [qui] sont rabattus sur les personnes'», le «'sentiment d'être isolées, coupées des autres de l'agence, abandonnées'», «'l'accent (') sur 'l'incompétence' des opératrices alors qu'on ne leur donne pas les moyens d'accomplir leurs missions'», et des méthodes employées incluant «'la sanction, la critique, les tentatives de séduction, les tentatives pour obtenir une complicité avec l'une ou l'autre, les vexations, les propos humiliants, les attitudes de défiance, les menaces, l'intimidation, les comportements de pousse à la faute'», une «'conception du management qui ne supporte aucune faille chez l'autre'» «'là où il est en difficulté à fournir les ressources pour faire face aux missions'».

Ce rapport en particulier, tenant compte également de l'entretien avec M. [J] en qualité de chef d'agence, retient que celui-ci «'dit répercuter la pression qu'il dit subir, mais avec une conception sombre et personnelle concernant la façon de s'y prendre pour obtenir des résultats (') parfois avec brutalité au niveau du langage'».

Le rapport reprend l'expression par les personnes entendues d'un «'sentiment d'une inéquité de traitement'» et de «'décisions vécues comme arbitraires'», une «'gestion des plannings vécue comme des sanctions'», la «'perte de sens au travail'» et conclut le bilan par cette phrase': «'le danger est à l'intérieur du groupe et vient essentiellement du [chef d'agence]'», avant de proposer comme premières mesures correctives à type de «'mesure de précaution'» d'une part de «'mettre en garde le CA et lui faire prendre conscience des risques et des effets de ses comportements sur la santé des salariés'» d'autre part de permettre d'accompagner sur le plan psychologique(') l'ensemble des salariés du service comptage'».

Le rapport réalisé par OPERA ERGONOMIE (pièce n°D4 de l'intimée), qui précise également les circonstances de l'intervention de cette expertise extérieure et ne revient pas pour l'employeur à se constituer une preuve à lui-même, n'a pas davantage que le précédent lieu d'être écarté des débats et doit s'apprécier au regard des autres pièces produites.

Ce rapport reprend précisément les éléments de contexte et les circonstances objectives relatives au service comptage, notamment s'agissant des mouvements de personnels et les sous-effectifs en résultant qu'il n'impute pas au chef d'agence, puis distingue concernant ce dernier des «'éléments recueillis lors des différents entretiens qui n'ont pu de fait être vérifié (sic) objectivement'» des «'autres éléments [qui] ont également surpris [le rédacteur] vis-à-vis de certaines décisions du Chef d'agence comme de la modification de l'implantation de ce service il y a quelques années où le bureau de la responsable comptage implanté de manière centrale comme beaucoup d'agence (sic) afin de permettre un contrôle visuel permanent de l'activité a été déplacé en fond de comptage pendant les congés de cette dernière'». Il propose, à titre de première «'piste de travail'» le «'reclassement du Chef d'agence hors agence et sur un autre poste n'ayant pas de collaborateurs à manager'».

Les explications de M. [J] en réponse sur l'ensemble de ces points dans ses écritures et ses propos tels que retranscrits par M. [Y] (ses pièces n°65 et 66) ne montrent pas, de même que les pièces qu'il produit (notamment ses pièces n°31 à 48) qu'il aurait pris la mesure des difficultés des personnels du service comptage de l'agence dont il assurait la direction ni contrairement à ce qu'il soutient qu'il aurait alerté sa direction sur les difficultés de l'agence et du service comptage en particulier ni encore moins qu'il aurait pris les mesures pour y remédier, alors qu'il reconnaît lui-même que l'ambiance de travail au sein de l'équipe comptage de l'agence de [P] était très mauvaise et qu'il persiste à imputer les difficultés du service à Mme [L]. Les courriers électroniques qu'il verse aux débats et qui évoquent les difficultés de Mme [L] ne témoignent, ainsi que le souligne l'intimée, aucunement d'un soutien à cette dernière':

- mail du 1er septembre 2016 par lequel il lui est demandé, après retour de l'enquête sur les conditions de la 'disparition' des 10.000 €, de convoquer pour entretien avant sanction de M. [A] et Mme [L] auquel il ne justifie pas avoir apporté la moindre réponse, ni pour les soutenir auprès de la direction, ni pour tenter auprès d'eux d'améliorer le processus,

- le mail du 6 octobre qui relate les points abordés lors d'un entretien avec M. [A] et la liste des reproches qui lui ont été adressés retient un «'gros manque de communication dans le service entre encadrants, ainsi qu'entre les encadrants et les opératrices'» et souligne que «'l'équipe est mal managée'», mais se contente de demander au RRH «'d'adresser à l'intéressé une forte mise en garde se soldant par un avertissement'» ,

- les courriels des 11 et 28 octobre 2016 (pièces n°36 et 37), 22 décembre 2016 (pièce n°38) 16 et 26 janvier 2017 (pièce 39 et 41) ne contiennent aucune demande tendant à favoriser un management plus apaisé ou à modérer la forme de leurs propos à l'égard des salariés du service, ces documents évoquant au contraire la nécessité d' «'heures optimisées chaque semaine'», de «'réduction de la modulation'», de «'poste [qui] doit être challengé afin d'optimiser au maximum le service'»', ou demandant à la fois en cas de «'besoin d'heure de production [de] commencer par augmenter les heures'» et de «'continuer à [l]' informer de tout dépassements et d'en justifier'»'; lorsqu'il est question d' «encadrer et motiver son équipe'» il est uniquement renvoyé à la fiche de poste jointe ;

- les courriels de janvier 2017 (pièces n°40 et 42) font référence à l'arrêt de travail de Mme [L] et décrivent les reproches que M. [J] lui impute en ne formulant comme proposition de solution que celle de son «'reclassement'» et la mise en place d'un nouveau manager, sans autre évocation d'une proposition de nouvelle organisation ni d'aide au management pour la salariée'; surtout, M. [J] ne justifie pas avoir pris la mesure sur les risques psychosociaux, dont il n'avait manifestement pas pris la mesure à cette date, concernant à la fois Mme [L] et les autres salariés du service comptage, ni en avoir alerté sa direction, ce qui se confirme dans les messages suivants en février 2017 (pièce n°43), mars 2017 (pièce n°44, 45, 46, 47 et 48).

Les attestations de Mmes [E] et [R] (pièces n°83 et 72 du salarié), qui décrivent une situation du service très antérieure à la période des faits concernés, et les attestations de MM. [K] (pièce n°26) et [T] (pièce n°25), respectivement technicien DAB et agent de maintenance qui décrivent les bons rapports professionnels qu'ils ont entretenus avec M. [J] mais qui ne décrivent pas le fonctionnement du service comptage auquel ils n'appartenaient pas, ne sont pas de nature à remettre en question les constatations ci-dessus détaillées. Enfin, les autres attestations produites par M. [J] (pièces n°73 et suivantes) qui décrivent son comportement dans le cadre de ses activités associatives et culturelles ne sont pas pertinentes concernant la réalité des faits qui lui sont reprochés par son employeur.

Dans ces circonstances, les premiers juges ont procédé à une exacte appréciation des faits, que les débats en cause d'appel n'ont pas altérée, en retenant que les manquements ci-dessus décrits de M. [J] à ses obligations et liées à ses missions de directeur d'agence étaient avérés et justifiaient ainsi son licenciement pour faute grave, le maintien du salarié dans l'entreprise étant rendu impossible pendant la durée du préavis, même en l'absence d'antécédent disciplinaire en près de trente années dans l'entreprise, compte tenu des responsabilités confiées à ce salarié et de l'importance particulière pour l'employeur de veiller au respect de la santé et de la sécurité de tous ses salariés et à la prévention des risques psychosociaux.

En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [J] de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail, sans qu'il soit nécessaire d'examiner pour le surplus les autres griefs avancés par l'employeur.

Sur la clause de non-concurrence

M. [J] fait valoir que'la moyenne des 12 derniers mois de sa présence dans l'entreprise correspond à la période à laquelle il se trouvait effectivement à son poste de travail, soit avant la notification de sa mise en indisponibilité intervenue à compter du 1er juin 2017'; qu'ainsi la moyenne des salaires à retenir hors prime d'objectifs correspond à la période de juin 2016 à mai 2017.

La société BRINK'S EVOLUTION soutient que pendant les 12 derniers mois de présence de M. [J] dans l'entreprise, ce dernier a perçu chaque mois en moyenne la somme de 4 296,42 € et que c'est donc à juste titre qu'elle a procédé au règlement d'une indemnité forfaitaire mensuelle égale à 1 417,82 € pour la période allant de juillet 2017 à juin 2018.

L'avenant au contrat de travail de M. [G] [J] du 10 janvier 2006 prévoit une clause de non concurrence d'une durée d'un an commençant le jour de la cessation effective du contrat de travail'; en contrepartie de l'obligation de non-concurrence est prévue une indemnité, due pendant toute la durée de l'interdiction, de « 33 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu (hors prime d'objectifs) au cours de ses 12 derniers mois de présence dans l'entreprise. »

Au regard de la formulation de cette clause, c'est à juste titre que M. [J] fait valoir que'la moyenne des 12 derniers mois de sa présence dans l'entreprise correspond à la période à laquelle il se trouvait effectivement à son poste de travail, soit avant la notification de sa mise en indisponibilité intervenue à compter du 1er juin 2017'; qu'ainsi la moyenne des salaires à retenir hors prime d'objectifs correspond à la période de juin 2016 à mai 2017'; que la moyenne de ces 12 derniers mois de salaires est égale à 4.345,30€ bruts et non 4.296,42 € bruts comme retenus par l'employeur.

L'indemnité de non concurrence s'élève donc à 4.345,30 € bruts x 33 % = 1.434 € bruts au lieu de 1.417,82 € bruts calculés par l'employeur, et génère donc au regard de la somme versée un différentiel sur douze mois de [(1.434 € - 1417,82 €) x 12 = ] 194,16 € bruts, que la société intimée sera condamnée à verser à l'appelant.

Sur les frais irrépétibles

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant contradictoirement et en dernier ressort par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande au titre du différentiel de prime de non-concurrence ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SARL BRINK'S EVOLUTION à payer à M. [J] au titre de la part de prime de non concurrence lui restant due la somme de 194,16 €';

CONDAMNE M. [J] à payer à la SARL BRINK'S EVOLUTION la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [J] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/02830
Date de la décision : 17/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-17;19.02830 ?
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