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17/06/2022 | FRANCE | N°19/00498

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 17 juin 2022, 19/00498


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°310



N° RG 19/00498 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PPI5













Mme [E] [Z]



C/



- SAS FRANCE LOISIRS en liquidation judiciaire

-SCP BTSG (Mandataire liquidateur)

-SELAFA MJA (Mandataire liquidateur)



- SELARL FHB (Commissaire à l'exécution du plan)

-SCP THEVENOT PARTNERS (Commissaire à l'exécution du plan)



-Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST








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Infirmation partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 JUIN 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°310

N° RG 19/00498 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PPI5

Mme [E] [Z]

C/

- SAS FRANCE LOISIRS en liquidation judiciaire

-SCP BTSG (Mandataire liquidateur)

-SELAFA MJA (Mandataire liquidateur)

- SELARL FHB (Commissaire à l'exécution du plan)

-SCP THEVENOT PARTNERS (Commissaire à l'exécution du plan)

-Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 Mars 2022

devant Messieurs Rémy LE DONGE L'HENORET et Philippe BELLOIR, magistrats tenant l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [Y] [I], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

Madame [E] [Z]

née le 17 Février 1960 à CHERBOURG (50)

demeurant 3 Allée Duguay Trouin

44000 NANTES

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Nathalie COLIN de la SELARL AVOCATS ASSOCIES - SJOA, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

INTIMÉES et appelantes à titre incident :

La SAS FRANCE LOISIRS ayant eu son siège 31 rue du val de Marne - 75013 PARIS aujourd'hui en liquidation judiciaire

La SCP de Mandataires Judiciaires BTSG prise en la personne de Maître [S] [M] es-qualités de mandataire liquidateur de la SAS FRANCE LOISIRS

15 rue de l'Hôtel de Ville

92200 NEUILLY SUR SEINE

.../...

La SELAFA de Mandataires Judiciaires MJA prise en la personne de Maître [C] [H] es-qualités de mandataire liquidateur de la SAS FRANCE LOISIRS

102 rue du Faubourg Saint Denis

75479 PARIS

La SELARL de Mandataires Judiciaires FHB prise en la personne de Maître [O] [V] es-qualités d'ancien administrateur au redressement judiciaire de la SAS FRANCE LOISIRS et d'ancien commissaire à l'exécution du plan de la SAS FRANCE LOISIRS

Tour CB 21, 16 Place de l'Iris

92040 COURBEVOIE

La SCP de Mandataires Judiciaires THEVENOT PARTNERS prise en la personne de Maître [T] [D] es-qualités d'ancien administrateur au redressement judiciaire de la SAS FRANCE LOISIRS et d'ancien commissaire à l'exécution du plan de la SAS FRANCE LOISIRS

42 rue de Lisbonne

75008 PARIS

TOUTES ayant Me Isabelle MARTIN-MAHIEU de la SCP VERDIER-MARTIN, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentées à l'audience par Me Lise LEDUC substituant à l'audience Me Marie CONTENT, Avocats plaidants du Barreau de PARIS

AUTRE INTIMÉE, de la cause :

L'Association UNEDIC - DÉLÉGATION AGS, CGEA Ile De France OUEST prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège:

164-174 Rue Victor Hugo

92309 LEVALLOIS PERRET CEDEX

Représentée par Me Anastasia REGENT-PAGES substituant à l'audience Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocats au Barreau de RENNES

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

Mme [E] [Z] a été embauchée par la SAS FRANCE LOISIRS le 18 octobre 1979 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de vendeuse.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la Convention collective Nationale de l'édition, Mme [E] [Z] occupait des fonctions de Responsable boutique et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 3.074,10 € brut.

A compter du 20 février 2014, Mme [Z] a été placée à plusieurs reprises en arrêts de travail.

A l'issue de la visite de reprise du 6 octobre 2014, Mme [E] [Z] a été déclarée apte à reprendre son poste de travail.

Le 27 octobre 2014, l'employeur a convoqué Mme [Z] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 13 novembre 2014.

La salariée a fait acte de candidature en qualité de suppléant au comité d'entreprise.

Après consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement de Mme [E] [Z], la SAS FRANCE LOISIRS a notifié à Mme [Z] le 9 décembre 2014, une mise à pied disciplinaire de trois jours pour les 12, 13 et 14 janvier 2015 qu'elle a contestée.

Le 19 décembre 2014, Mme [Z] a été élue représentante syndicale au comité d'entreprise.

Mme [Z] a été placée en arrêt maladie.

A l'issue des deux visites de reprise des 22 janvier et 9 février 2015, le médecin du travail a déclaré Mme [Z] inapte à la reprise de son poste et de tout poste dans l'entreprise.

Mme [Z] a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour inaptitude fixé au 20 août 2015.

La demande d'autorisation de licenciement adressée par l'employeur 16 septembre 2015, a été rejetée par l'inspection du travail le 9 décembre 2015, en raison de l'absence de recherches sérieuses et loyales de reclassement.

A la suite d'une nouvelle visite de médicale du 1er février 2016 et d'une seconde étude de poste, le médecin a confirmé ses premières conclusions sur l'inaptitude de la salariée à son poste et à tout poste dans l'entreprise.

Après consultation du comité d'entreprise et autorisation de l'inspecteur du travail, Mme [E] [Z] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par courrier du 10 août 2016.

Le 20 janvier 2017, Mme [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de voir :

A titre principal,

' Reconnaître la réalité des agissements de harcèlement moral ayant provoqué la déclaration d'inaptitude de Mme [Z] et la nullité du licenciement,

' Condamner la SAS FRANCE LOISIRS au paiement des sommes suivantes :

- 113.740 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère nul du licenciement,

- 30.000 € net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

A titre subsidiaire,

' Reconnaître le défaut de loyauté de l'employeur et son comportement fautif ayant provoqué la déc1aration d'inaptitude et le licenciement intervenu,

' Condamner la SAS FRANCE LOISIRS au paiement de la somme de 92.220 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère injustifié du licenciement et / ou du préjudice lié à la perte d'emploi,

A titre infiniment subsidiaire,

' Condamner la SAS FRANCE LOISIRS au paiement des sommes suivantes :

- 3.074,10 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère irrégulier de la procédure,

- 20.000 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité,

En tout état de cause,

' Condamner la SAS FRANCE LOISIRS au paiement des sommes suivantes :

- 9.222 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 922 € brut au titre des congés payés afférents,

- 2.737,11 € net à titre de dommages-intérêts pour prise forcée de congés payés,

- 212,12 € net à titre de dommages-intérêts pour retenue indue pour tickets restaurant,

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

' Intérêts au taux légal et capitalisation,

' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

' Fixer la moyenne des salaires à la somme de 3.074,10 € brut.

Par jugement du 1er décembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a prononcé le redressement judiciaire de la SAS FRANCE LOISIRS.

Par décision du 28 décembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a adopté un plan de redressement au profit de la SAS FRANCE LOISIRS, les SELARL FHB et SCP THEVENOT PARTNERS étant désignées administrateurs judiciaires au redressement judiciaire puis commissaires à l'exécution du plan de redressement judiciaire. Les SCP BTSG et SELAFA MJA ont été désignées mandataires judiciaires.

La cour est saisie de l'appel formé Mme [E] [Z] le 22 janvier 2019 contre le jugement du 20 décembre 2018 notifié le 27 décembre 2018, par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Déclaré les demandes de Mme [Z] recevables,

' Fixé la créance de Mme [Z] au passif de la procédure collective ouverte à l'égard de la SAS FRANCE LOISIRS à la somme de 212,12 € net à titre de dommages-intérêts pour retenue indue de tickets restaurant,

' Fixé la créance de Mme [Z] à l'égard de la procédure collective ouverte à l'encontre de la SAS FRANCE LOISIRS à la somme de 1.590 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Fixé la moyenne mensuelle des salaires à la somme de 3.074,10 € brut,

' Débouté Mme [Z] du surplus de ses demandes,

' Débouté la procédure collective de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Déclaré le présent jugement opposable à l'AGS et au CGEA-IDF, son mandataire, dans les limites prévues par l'article L.3253-8 et suivants du code du travail,

' Décerné acte à l'AGS des conditions de son intervention sur le fondement de l'article L.625-3 du code du commerce,

' Laissé les dépens à la charge de la procédure collective.

Par jugement du 25 octobre 2021, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS FRANCE LOISIRS et désigné les SCP BTSG et SELAFA MJA en qualité de liquidateurs judiciaires.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 21 février 2022, suivant lesquelles Mme [Z] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré ses demandes recevables et au titre des condamnations prononcées,

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes au titre du licenciement nul ou injustifié et de ses autres demandes (au titre du manquement à l'obligation de sécurité et de la prise forcée de congés payés),

' Déclarer ses demandes recevables,

A titre principal,

' Reconnaître la réalité des agissements de harcèlement moral ayant provoqué la déclaration d'inaptitude de Mme [Z] et la nullité du licenciement,

' FIXER la créance au passif de la SAS FRANCE LOISIRS les sommes suivantes :

- 113.740 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère nul du licenciement,

- 30.000 € net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

A titre subsidiaire,

' Reconnaître le défaut de loyauté de l'employeur et son comportement fautif ayant provoqué la déc1aration d'inaptitude et le licenciement intervenu,

' FIXER la créance au passif de la SAS FRANCE LOISIRS les sommes suivantes :

- 92.220 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte d'emploi,

- 3.074,10 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère irrégulier de la procédure,

- 20.000 € net à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité,

En tout état de cause,

' FIXER la créance au passif de la SAS FRANCE LOISIRS les sommes suivantes :

- 9.222 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 922 € brut au titre des congés payés afférents,

- 2.737,11 € net à titre de dommages-intérêts pour prise forcée de congés payés,

- 212,12 € net à titre de dommages-intérêts pour retenue indue pour tickets restaurant,

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

' Intérêts au taux légal et capitalisation,

' Dire la décision opposable à l'AGS-CGEA.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 2 mars 2022, suivant lesquelles les SAS FRANCE LOISIRS, SELARL FHB, SCP THEVENOT PARTNERS, SCP BTSG et SELAFA MJA demandent à la cour de :

' Déclarer recevable l'appel incident de la SAS FRANCE LOISIRS et des organes de la procédure,

' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Déclaré recevables les demandes de Mme [Z],

- Débouté la SAS FRANCE LOISIRS et les organes de la procédure de leur demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Fixé la créance de Mme [Z] à l'égard de la procédure collective ouverte à l'encontre de la SAS FRANCE LOISIRS à plusieurs sommes,

' Confirmer en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris,

A titre principal,

' Déclarer irrecevables les demandes de Mme [Z] au titre de son licenciement,

A titre subsidiaire,

' Dire l'ensemble des demandes formulées par Mme [Z] non fondées, et l'en débouter,

A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait faire droit à la demande de Mme [Z] au titre de l'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

' Juger que Mme [Z] ne peut prétendre qu'à la somme de 18.444,60 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

' Condamner Mme [Z] à verser à la SAS FRANCE LOISIRS la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 2 février 2022, suivant lesquelles le CGEA IDF OUEST demande à la cour de :

' Confirmer dans son intégralité le jugement entrepris,

' Débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

' Débouter Mme [Z] de toute demande excessive et injustifiée,

' Fixer le salaire de référence de Mme [Z] à la somme de 2.824,44 €,

En toute hypothèse,

' Débouter Mme [Z] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,

' Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

' Dire que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale,

' Dire que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles

L.3253-17 et suivants du code du travail,

' Dépens comme de droit.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 3 mars 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes de Mme [E] [Z] au titre du licenciement:

Pour infirmation de la décision entreprise de ce chef et irrecevabilité des demandes de Mme [E] [Z] à ce titre, les organes de la procédure soutiennent que le juge judiciaire, ne peut en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé et sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux des motifs retenus pour justifier le licenciement, que l'autorisation non contestée de l'Inspecteur du travail constate que la société a rempli sérieusement et loyalement son obligation de recherche de reclassement, de sorte que la cour ne peut se prononcer sur la nullité ou le sérieux des motifs du licenciement.

Se fondant sur la jurisprudence du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et du tribunal des conflits, Mme [E] [Z] fait valoir que le juge judiciaire, même privé de la faculté de contrôler la réalité du motif de l'inaptitude et l'obligation de reclassement, demeure compétent nonobstant le principe de séparation des pouvoirs, pour statuer sur l'origine de l'inaptitude lorsque le salarié l'impute à un manquement de son employeur à ses obligations.

L'AGS-CGEA qui conclut à la confirmation de la décision entreprise, n'a pas développé d'argument à ce titre.

En droit, dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que l'inaptitude physique du salarie est réelle et justifie son licenciement mais il ne lui appartient pas en revanche, dans I'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral dont l'effet, selon les dispositions combinées des articles L.1152-1 et L.1152-3 du Code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail, de sorte que l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne prive pas le salarié de la possibilité de faire valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

En l'espèce, il est établi que l'inspecteur du travail a vérifié la réalité de l'inaptitude de Mme [E] [Z] et le respect par l'employeur de son obligation de recherche de reclassement mais n'a pas eu à se prononcer sur sa cause. L'autorisation de licencier le salarié ne peut donc faire obstacle à ce que Mme [E] [Z] invoque le harcèlement qu'il impute à son employeur devant le juge prud'homal, pour qu'il en tire toutes Ies conséquences.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur la nullité du licenciement :

Pour infirmation et nullité du licenciement Mme [E] [Z] expose à titre principal que son inaptitude est consécutive au harcèlement moral dont elle a été victime de la part de son employeur et à titre subsidiaire qu'elle est imputable à l'exécution déloyale par son employeur de son contrat de travail.

A cet égard, Mme [E] [Z] invoque la pression subie depuis le changement de management depuis 2012 marqué par des reproches injustifiés, l'attitude adoptée à son égard depuis son arrêt de travail consécutif à un accident domestique, le report de sa reprise, la coupure du lien avec son équipe, une demande de rendez vous de sa direction pendant son arrêt et l'engagement d'une procédure disciplinaire injustifiée à sa reprise.

Les organes de la procédure réfutent l'argumentation de la salariée, arguant de ce que les faits qu'elle rapporte ne sont ni précis ni étayés, que le rendez vous invoqué ne s'est pas tenu, que la demande de prise de congé s'inscrit dans l'exercice de son pouvoir de direction, que la sanction pour le vol du fonds de caisse a été minorée et la période de mise à pied rémunérée, que les attestations produites ne concernent pas sa situation, que la salariée ne justifie pas du préjudice qu'elle exprime à tort en net, qu'elle ne peut reprocher à la société de l'avoir remplacée avant son licenciement.

L'AGS CGEA fait également valoir qu'il appartient à la salariée d'établir la matérialité de faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence de harcèlement moral, qu'il appartient donc à l'intéressée d'étayer ses allégations, ce à quoi elle ne parvient pas, les faits invoqués par la salariée qui procède par affirmation, ne pouvant constituer des faits de harcèlement et ce, nonobstant les témoignages d'autres responsables de magasin qui n'ont pas travaillé avec elle.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code dans sa version applicable aux faits prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, un licenciement intervenu dans ce contexte est nul.

En l'espèce, Mme [E] [Z] produit un nombre conséquent d'attestations de responsables de points de vente qui témoignent de manière unanime du changement de politique commerciale opérée vers la fin de l'année 2012, au travers de la commercialisation de produits cosmétiques et de compléments alimentaires dans les points de vente du réseau spécialisé dans la vente de livres, ainsi que du changement de management consécutif en 2013, se traduisant par des pressions exercées par les directeurs régionaux et le directeur commercial que ce soit par des envois de courriels, des visites sur des jours où des congés étaient programmés, voire par des modes d'expression violents y compris devant des clients ou des injonctions à tirer toutes les conséquences de leur incompétence, permettant de retenir pour établies les modalités de management décrites par la salariée.

A cet égard, si la salariée n'est pas en mesure de produire le compte rendu de l'entretien d'évaluation qu'elle indique avoir subi, l'employeur se dispense de le verser au débat.

La salariée rapporte également sans être contredite sur ce point, avoir été invitée à se rendre pendant son arrêt de travail, dans un premier temps au siège de la société puis du fait de son refus lié à son impossibilité physique de se déplacer, dans un second temps à rencontrer la responsable des ressources humaines à la gare de Nantes pour faire un point sur la situation du point de vente de Nantes, ce que confirme avec précision Mme [N] (pièce 47) .

De la même manière, la salariée établit également avoir été contrainte de poser six semaines de congés au terme de son arrêt maladie alors qu'elle avait été déclarée apte à reprendre son poste et avoir fait l'objet de l'engagement d'une procédure disciplinaire au terme de ce congé assorti d'une mise à pied conservatoire, pour des faits de vol d'un fonds de caisse commis pendant son arrêt de travail et ce, sur la base d'une accusation résultant d'une dénonciation qualifiée d'anonyme.

Il est établi que la dégradation de son état de santé consécutive à ces derniers événements, concomitants au placement de la salariée en arrêt de travail, ne lui a pas permis de reprendre son poste avant son licenciement.

Il résulte des développements qui précèdent que la salariée établit les faits qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En ce qui concerne le management qualifié de toxique dans les attestations produites par la salariée, l'employeur soutient qu'il avait de bonnes raisons de se préoccuper de la direction du point de vente par Mme [E] [Z] et invoque à ce titre les attestations de Mme [P] (pièces 54 et 61 salariée), lesquelles au contraire confirment la volonté de M. [A], directeur commercial à deux reprises de recueillir des éléments à charge à l'encontre de Mme [E] [Z] et de l'employeur de la mettre en difficulté en refusant de donner une suite à une demande de sanction à l'égard d'une salariée systématiquement en retard, en contradiction avec les instructions communiquées aux responsables lors de séminaires.

L'explication donnée par l'employeur pour justifier la demande de rencontre pendant son arrêt de travail le 23 juin 2014, tenant à la nécessité de discuter de l'organisation du point de vente dans la perspective de son retour, apparaît d'autant moins crédible qu'après avoir proposé une rencontre à Nantes, la société a annulé cette rencontre où la salariée avait souhaité être représentée par Mme [W].

En ce qui concerne les congés, si en soi, l'employeur peut invoquer la légitimité de l'exercice de son pouvoir de direction pour imposer à la salariée de prendre six semaines de congés alors qu'elle s'apprête à reprendre le travail après un long arrêt de travail, les explications et justifications invoquées par l'employeur, tenant au fait qu'il lui appartenait d'assurer son droit au repos au vu de son reliquat de congés, que son remplacement était déjà assuré, qui ne sont étayées par aucun élément probant, ne sont pas fondées sur des éléments objectifs.

Par ailleurs, s'agissant de l'accusation de vol d'un fonds de caisse à l'origine de la procédure disciplinaire ayant finalement abouti à une mise à pied présentée comme étant rémunérée par l'employeur, ce dernier pour se justifier ne peut sérieusement invoquer une quelconque prescription dès lors que la salariée n'en demande pas l'annulation et ne peut justifier la légitimité de cette procédure engagée à l'encontre de l'intéressée sur la base d'un témoignage anonyme concernant une période où la salariée était en arrêt de travail, au seul motif qu'elle se serait rendue dans la boutique à cette période, alors qu'il ressort des attestations de la salariée invoquées par l'employeur (pièces 11 et 44) qu'elle y était en présence de Mme [G] pour y déposer ses arrêts de travail pour assurer leur transmission au siège de la société.

L'argument selon lequel la sanction ne tiendrait qu'au fait que la salariée n'aurait pas vérifier quotidiennement le fonds de caisse alors qu'elle était absente depuis plusieurs mois étant de surcroît totalement dénuée de caractère sérieux, les trois jours de mise à pied étant finalement infligés au terme d'une décision affirmant au contraire que l'intéressée avait 'pris cet argent' (pièce 17 salariée).

Il résulte des développements qui précèdent que les éléments rapportés par l'employeur pour justifier ses décisions et attitudes à l'égard de Mme [E] [Z] ne sont pas fondés sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et ont eu non seulement pour effet de dégrader ses conditions de travail en faisant de fait obstacle à la reprise effective de son travail mais également d'altérer son état de santé au point d'être déclarée inapte à occuper son poste et à tout poste dans l'entreprise.

Il y a lieu en conséquence de réformer le jugement entrepris et de déclarer nul le licenciement de Mme [E] [Z] et d'allouer à l'intéressée la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Sur les conséquences de la rupture :

En application des articles L.1152-3 et L.1235-3 du code du travail, si le licenciement est nul et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur, en plus des indemnités de rupture, une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale aux six derniers mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

Compte tenu des conséquences matérielles et morales du licenciement à l'égard d'une salariée âgée de 56 ans disposant d'une ancienneté de 36 ans et 10 mois et de la difficulté avérée à retrouver un emploi stable à temps complet d'un même niveau de rémunération, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application des articles L.1152-3 et L. 1235-3 du Code du travail dans la rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 100.000 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut donc prétendre aux indemnités compensatrice de préavis et de congés afférents tel qu'il est dit au dispositif, pour les sommes non autrement contestées de 9.222 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et de 922 € brut au titre des congés payés afférents.

Sur les autres demandes :

* Quant au préjudice résultant de la prise de congés forcés :

Il résulte des développements qui précèdent que la prise de congés payés a été imposée à la salariée dans des conditions s'inscrivant dans le processus tendant à faire obstacle à son retour dans le point de vente qu'elle dirigeait. Dès lors qu'il est acquis qu'elle a néanmoins pris ces jours de congés, seul le préjudice résultant de la contrainte subie peut être indemnisé et doit être évalué à la somme de 1.000 € net.

* Quant à la retenue indue des tickets restaurant :

Les organes de la procédure ne font valoir en cause d'appel aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause la décision rendue par les premiers juges au terme d'une analyse approfondie des faits et d'une exacte application du droit par des motifs pertinents que la cour adopte ; la décision entreprise sera confirmée de ce chef

* Quant aux intérêts :

Les intérêts étant arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure collective en application des dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce, sans avoir pu courir avant mise en demeure régulière au sens de l'article 1153 du code de civil, la salariée est déboutée de sa demande à ce titre et au titre de l'anatocisme.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; les organes de la procédure qui succombent en appel, doivent être déboutés de la demande formulée à ce titre et condamné à indemniser la société intimée des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a alloué à Mme [E] [Z] la somme de 212,12 € net à titre de dommages-intérêts pour retenue indue pour tickets restaurant,

et statuant à nouveau,

DÉCLARE nul le licenciement de Mme [E] [Z] ,

FIXE la créance de Mme [E] [Z] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS FRANCE LOISIRS aux sommes de :

- 100.000 € net à titre de dommages-intérêts en réparation du caractère nul du licenciement,

- 20.000 € net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 9.222 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 922 € brut au titre des congés payés afférents

- 1.000 € net à titre de dommages-intérêts pour prise forcée de congés payés,

DIT qu'en l'absence de fonds disponibles, l'AGS CGEA IDF OUEST est tenue à garantie dans les limites de ses garanties conformément aux dispositions de l'article L 3253-6 du code du travail, dans les limites du plafond applicable au titre de l'année de référence 2014, en application des dispositions des articles L3253-17 et suivants du Code du travail,

DIT que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 du Code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du Code du travail,

DIT que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme correspondant au montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ;

CONDAMNE les SELARL FHB, SCP THEVENOT PARTNERS, SCP BTSG et SELAFA MJA es-qualités à payer à Mme [E] [Z] 2.800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les SELARL FHB, SCP THEVENOT PARTNERS, SCP BTSG et SELAFA MJA es-qualités de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE les SELARL FHB, SCP THEVENOT PARTNERS, SCP BTSG et SELAFA MJA es-qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/00498
Date de la décision : 17/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-17;19.00498 ?
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