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16/06/2022 | FRANCE | N°19/01571

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 16 juin 2022, 19/01571


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°357/2022



N° RG 19/01571 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PS5U













Société SARL PRIOULT



C/



M. [D] [C]



























Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 JUIN 2022





C

OMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Benoît HOLLEAUX, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Hélène RAPITEAU, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé



DÉBATS :
...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°357/2022

N° RG 19/01571 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PS5U

Société SARL PRIOULT

C/

M. [D] [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Benoît HOLLEAUX, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Hélène RAPITEAU, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 Mai 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat tenant seul l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [F], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats.

****

APPELANTE :

SARL PRIOULT Agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

ZA la Laiterie

35133 ROMAGNE

Représentée par Me Aurélie GRENARD de la SELARL ARES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [D] [C]

né le 17 Avril 1984 à SAINT-RENAN

2 rue des droits de l'homme

35230 NOYAL CHATILLON SUR SEICHE

Représenté par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES - BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [D] [C] a été engagé en qualité de chef d'équipe le 20 décembre 2010 selon un contrat à durée indéterminée, par la SARL CARROSSERIE PRIOULT.

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective nationale des services de l'automobile.

Le 28 novembre 2016, l'employeur a convoqué M. [C] à un entretien préalable à éventuel licenciement et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.

Il lui a exposé avoir constaté des agissements de détournement d'actifs, à l'occasion d'un devis en date du 20 octobre 2016, porté à sa connaissance le 22 novembre 2016.

Par courrier en date du 09 décembre 2016, l'employeur a notifié à M. [C] un licenciement pour faute lourde, lui reprochant le détournement d'une somme de 1600 € HT en espèces, des négligences fautives dans les ordres de réparation, et d'avoir préparé la constitution d'une société concurrente à son profit ainsi que le détournement de clients.

 ***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes le 09 mars 2018 et a formé à l'audience les demandes suivantes :

- Dire et juger le licenciement de M. [C] sans cause réelle et sérieuse et en conséquence ordonner:

- Le règlement de son salaire pendant sa mise à pied à titre conservatoire : 1 240,16 € outre les congés payés : 124,01 €

- L'indemnité compensatrice de préavis 6 019,80 € bruts outre les congés payés 601,98 €

- L'indemnité conventionnelle de licenciement 4 062,35 €

- Les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 33 000 €

- Les dommages et intérêts pour procédure vexatoire 3 009 €

- Dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité : 6000 euros

- Condamner la société à verser la somme de 2 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner au paiement des entiers dépens.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La SARL PRIOULT a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Dire et juger que la faute lourde de M. [C] est caractérisée;

- Dire et juger que le licenciement pour faute lourde de M. [C] est bien fondé.

- Rejeter les prétentions concernant la requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Rejeter toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

- Condamner M. [C] à verser à la SARL PRIOULT la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 06 février 2019, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit et jugé que le licenciement de Monsieur [C] est sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

- Condamné la SARL PRIOULT à verser à Monsieur [C] , avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2018, date de la citation :

- La somme de 1 240,16 € au titre du paiement de la mise à pied à titre conservatoire et la somme de 124,01€ au titre des congés payés afférents.

- La somme de 6 019,80 € au titre de l'indemnité de préavis et la somme de 601,98 € au titre des congés payés afférents.

- La somme de 4 062,35 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- Dit que les sommes ci-dessus, à caractère salarial, sont exécutoires de plein droit en application de l'article R. 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois à la somme de 3 009,90€.

- Condamné la SARL PRIOULT à verser à M. [C] la somme de 18 000 € en réparation du préjudice subi par M. [C] suite à son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Dit et jugé que la procédure revêt un caractère vexatoire.

- En conséquence, condamné la SARL PRIOULT à verser à M. [C] la somme de 3 009 € de en réparation des préjudices subis par M. [C] pour procédure vexatoire,

- Dit et jugé que l'employeur a manqué à ses obligations de sécurité au travail.

- En conséquence, condamné la SARL PRIOULT à verser à M. [C] la somme de 2 000 € en paiement de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à ses obligations de sécurité.

- Débouté la SARL PRIOULT de ses demandes.

- Condamné la SARL PRIOULT à verser à M. [C] la somme de 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dit et jugé qu'il n'y a pas lieu à prononcer l'exécution provisoire du présent jugement.

- Condamné la SARL PRIOULT aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution.

***

La SARL PRIOULT a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 06 mars 2019.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 27 août 2020, la SARL PRIOULT demande à la cour de:

- Dire et juger recevable et bien-fondé l'appel interjeté par la SARL PRIOULT contre le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de RENNES le 6 février 2019 dans le litige l'opposant à Monsieur [C] (RG F18/00133),

En conséquence et à titre principal,

- Infirmer en toutes ses dispositions la décision contestée,

- Dire et juger bien-fondé le licenciement de Monsieur [C] survenu le 9 décembre 2016,

- Débouter Monsieur [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions sur ce point,

- Dire et juger Monsieur [C] est prescrit à invoquer le manquement de son employeur à garantir sa sécurité et assurer la protection de sa santé, et en toute hypothèse qu'il ne justifie pas de sa demande,

- Le débouter de sa demande indemnitaire sur ce point,

- Débouter Monsieur [C] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions dirigées contre la SARL PRIOULT,

En conséquence et à titre subsidiaire,

- Infirmer la décision contestée en ce qu'elle a jugé le licenciement de Monsieur [C] dénué de cause réelle et sérieuse,

- Dire et juger que le licenciement de Monsieur [C] repose sur une faute grave ou à tout le moins sur une cause réelle et sérieuse,

- Débouter Monsieur [C] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et vexatoire,

- Débouter Monsieur [C] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions dirigées contre la SARL PRIOULT,

Y additant,

- Condamner Monsieur [C] à payer à la SARL PRIOULT la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Le condamner aux entiers dépens.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 16 février 2021, M. [C] demande à la cour de :

- Confirmer pro parte le jugement intervenu ;

- Réformer le jugement uniquement comme suit :

- Sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et statuant à nouveau condamner la société à verser à M. [C] la somme de 33 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- Sur le montant des dommages et intérêts alloués au titre du manquement à l'obligation de sécurité et statuant à nouveau, condamner la société à verser à M. [C] la somme de 6 000 euros pour manquement à l'obligation de sécurité ;

- Confirmer le jugement pour le surplus ;

- Condamner la société à verser la somme de 2200 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile pour les frais d'appel ;

- Condamner la société aux entiers dépens.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 26 octobre 2021

La cour a ordonné le 6 janvier 2022 une mesure de médiation, sur acceptation des parties, et un rappel de l'affaire à l'audience du 10 mai 2022. La mesure de médiation n'a pas permis d'aboutir à un accord.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu'elles ont déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

'Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute lourde ainsi que des négligences fautives concernant des ordres de réparations, au nombre de 66, pour le compte de divers clients. Travaux engagés pas terminés ou terminés mais non facturables en I'état (ex : OR n° R5165 client ENVIE ouvert le 21/11/16 - OR n° R5172 client ALTEAD ouvert le 21/11/16 - OR n° R5169 client TRIBORD ouvert le 21/11/2016 - OR n° R5167 client GDE sans date).

En effet courant Octobre suivant l'OR n° R5123 du 19/10/2016 ouvert pour le compte de Mr [E] suivant le devis n° 1610061 du 20/10/2016 établis par vos soins, vous avez détourné à votre profit un montant de 1600.00 Euros H.T. en espèces. Cette faute lourde a d'ailleurs été confirmée par une attestation de Monsieur [E].

Courant Octobre et Novembre pendant l'exercice de votre contrat de travail à l'entreprise, vous prépariez la constitution d'une société concurrente à votre profit ainsi que le détournement de nos clients. Nous sommes en possession de pièces justifiantes de vos actes.

Ces façons d'agir qui portent un lourd préjudice à la Société nous ont conduits à prendre la décision de mise à pied à titre conservatoire.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 6 décembre 2016 (entretien au cours duquel vous avez exigé d'être assisté par Mr [W]) ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute lourde.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et qui nous ont contraints à saisir le Procureur de la République, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.

Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 9 Décembre 2016 sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied conservatoire.

Par conséquent, la période non travaillée du 28 Novembre 2016 au 09 Décembre 2016, nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée.

Les sommes vous restant dues vous seront adressées par courrier, ainsi que votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle Emploi.'

La société appelante citique le jugement en ce qu'il a considéré que l'employeur ne prouvait pas que les 3 griefs reprochés au salarié étaient véritablement établis, la gravité des fautes rendant le maintien du lien contractuel impossible et l'intention de nuire à l'entreprise n'étant pas 'clairement' établies, aux motifs que :

- l'attestation de M. [E] affirmant la remise de la somme de 1600 € ne répond pas aux exigences du code civil car préalablement rédigée sur du papier à en-tête au nom de la société Prioult ce qui établit un lien entre le rédacteur et le bénéficiaire,

-l'attestation de Mme [K] n'apporte pas d'élément,

-la plainte pour abus de confiance et détournement de fonds a été classée sans suite par le Procureur de la République en raison du fait que les deux employés ne reconnaissaient pas l'infraction et que celle-ci n'était pas suffisamment caractérisée.

Elle reproche encore au conseil de n'avoir pas recherché si le licenciement ne pouvait pas être justifié autrement qu'au visa de la faute lourde.

M. [C], qui soutient que l'employeur est défaillant dans la charge de la preuve des griefs, approuve la motivation du conseil, laquelle reprend ses arguments, et il ajoute qu'il y a des ordres de réparation prescrits, que le contrôle interne et externe de l'employeur a été défaillant, que la lettre de licenciement fait état de 66 OR en ne permettant pas de les identifier sauf pour 5 d'entr'eux, qu'il y a donc lieu d'écarter des débats les autres OR, qui n'avaient pas été produits en première instance ; que lui-même ne faisait qu'appliquer les consignes données, n'était pas responsable de la gestion des ordres de réparation et qu'il est surprenant que la société fonctionne en espèces pour des montants aussi importants ; qu'il n'a jamais eu connaissance de cette enveloppe, qui de plus a transité entre les mains de plusieurs personnes et est récupérée par la secrétaire ou le gérant ;

qu'il a effectivement créé une société après son licenciement, ce qui n'est pas interdit, mais n'a pas pu détourner de clientèle, n'ayant pas débuté son activité avant la rupture.

Cependant, il doit être observé que :

-le classement sans suite, par le Procureur de la République, de la plainte de la société Prioult en raison du fait que l'infraction a été considérée comme étant 'insuffisamment caractérisée', les mis en cause n'ayant pas reconnu les faits, n'est pas une décision à caractère juridictionnel et n'a pas d'autorité de chose jugée sur l'appréciation des demandes portées devant le juge prudhomal,

-les documents comptables (devis, ordre de réparation (OR), facture) relatifs au client [E] ont été remplis en octobre et novembre 2016, de sorte que l'employeur ne pouvait en avoir une connaissance antérieure et qu'il a agi dans un délai restreint et un temps non prescrit lorsque le fait a été porté à sa connaissance,

-M. [C], comme son collègue M. [W], chef d'équipe et chef d'atelier, rémunérés à hauteur de la grille cadre par la carrosserie de Chantepie au sein de laquelle, le gérant exerçant ses fonctions à Romagné, ils avaient pour tâches effectives l'organisation des réparations demandées par les clients, dont la gestion impliquait l'établissement des documents relatifs à ces réparations, jouissaient d'autonomie au quotidien et de la confiance de leur employeur ; le contrôle de comptabilité et facturation auquel le gérant pouvait faire procéder par un cabinet d'expertise comptable n'était pas à même de révéler des anomalies du type de celles reprochées au salarié dans la lettre de licenciement, au surplus récentes dans leur ampleur, anomalies qui ne pouvaient être décelées qu'à partir d'un soupçon préalable rendu possible seulement du fait de la découverte de l'anomalie concernant le client [E]; il en résulte que, la prescription ne commençant à courir qu'à compter de la date à laquelle l'employeur a été en mesure d'avoir une connaisance exacte de la réalité, nature et ampleur des faits reprochés au salarié, cette prescription n'est pas acquise et que le moyen doit être écarté, comme celui de la légereté blâmable de l'employeur invoquée, non caractérisée,

-le fait que M. [E] ait rédigé une attestation sur un document papier vierge de la société Prioult (feuille tirée d'un bloc note à son en-tête) n'est pas indicateur en soi d'un lien de connaissance personnelle ou de connivence entre le rédacteur et le bénéficiaire ; il établit seulement que M. [E] est bien un client de la société et le caractère particulier du support utilisé est, au contraire, plutôt en faveur d'une information orale spontanée et inattendue du client, et d'un mouvement de présence d'esprit du gérant pour, attendu sa gravité, en demander immédiatement une confirmation écrite, avec ce qu'il avait sous la main,

-le fait que cette attestation ait ensuite été affinée et confirmée par M. [E] dans une attestation qu'il a accompagnée du justificatif de son identité, puis qui a nécessairement été entendu dans le cadre de la plainte pénale, en confirme le poids,

-en tout état de cause ces considérations tendant à remettre en question sa crédibilité ne sont pas pertinentes puisque M. [W] a reconnu qu'il y a bien eu, comme l'affirme le client, remise d'une somme en liquide de 1600€, n'a pas davantage contesté que le client lui a bien remis cette somme, M. [C] reprenant les affirmations de M. [W] relatives à une enveloppe qui passerait entre plusieurs mains, tout en affirmant n'avoir jamais eu connaissance d'une telle enveloppe,

-l'existence d'une pratique de paiements en liquide dans l'entreprise, alléguée par l'intimé, est formellement démentie par la secrétaire Mme [K], assistante commerciale, qui atteste, en engageant sa parole sous les garanties de l'article 202 du code de procédure civile, que, depuis son entrée dans l'entreprise, elle n'a jamais réceptionné, ni vu, que ce soit à Romagné ou Chantepie, de réglement en espèces. Elle ajoute qu'elle réalise toute la facturation pour les deux sites et que la carrosserie ne travaille qu'avec des professionnels. Il s'en déduit que, ceux-ci étant soumis à la TVA, de tels règlements nets en liquide non facturés sont en effet exclus,

-il est donc établi que le règlement en liquide n'était pas une pratique de la société,

-l'employeur établit, en fournissant le comparatif du coût de pose du même type d'équipement pour un autre client, que la facturation ne correspond pas au coût de la pose, dont le coût réel correspond à l'addition de la somme de 1600 € réglée en liquide, occultée, et de la somme de 2040 € TTC facturée officiellement,

-il en découle que le règlement en liquide exigé du client ne pouvait avoir pour objet que de soustraire une partie du règlement à la comptabilité de l'employeur.

Le grief de détournement de la somme de 1600 € au préjudice de l'employeur est en conséquence établi par la société, qui en établit également l'imputabilité au salarié. En effet, M. [E] atteste que, s'il a remis la somme en liquide à M. [W], c'est à la demande des deux salariés, M. [W] et M. [C], qu'il a dû procéder à un paiement partiel en liquide. Le suivi des ordres de réparation et de la facturation implique d'ailleurs nécessairement une étroite collaboration entre les deux salariés, qui les géraient en réalité ensemble. La preuve de l'intention de nuire n'étant par contre pas rapportée, ce grief ne saurait caractériser la faute lourde, mais, affectant la probité du salarié, il ne permettait pas le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis et caractérise donc, à lui seul, une faute grave.

Au titre des autres griefs visés, il résulte de la lettre de licenciement que l'employeur ne reproche pas au salarié l'exercice d'une activité concurrente, mais la préparation de la constitution d'une société concurrente et du détournement de clients, grief qui s'analyse en une violation de l'obligation de loyauté, de sorte que l'affirmation soutenue par M. [C] selon laquelle il n'a pas commis d'actes de concurrence car il a commencé son activité après la cessation du contrat de travail est sans aucune portée.

L'employeur peut illustrer, dans le cadre du débat judiciaire, par la production de pièces, les griefs visés dans la lettre. Celle-ci vise bien 66 ordres de réparation au titre de travaux pas terminés ou non facturables en l'état, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'écarter la production de ces OR en cause d'appel.

M. [C] n'apporte aucune explication ni critique argumentée sur le fait qu'il ressort de ces OR, et notamment de plusieurs d'entre eux détaillés plus particulièrement par la société Prioult, que, lors du dernier trimestre de la relation contractuelle, des devis suivis d'ordres de réparation n'ont pas été facturés, des travaux ont dû être repris juste après leur réalisation et n'étaient pas facturables, des travaux, auxquels les clients avaient consenti puisqu'ils ont été réalisés par ses collègues après, n'ont pas été réalisés, ce dans un contexte où l'employeur établit par ailleurs, au moyen de pièces produites aux débats que l'intimé ne critique pas utilement, que, lui ou son collègue M. [W], utilisaient les documents papiers de la société Prioult pour réaliser les projets de plan d'aménagement de leur future entreprise commune (pièce 16 de l'appelante, portant des annotations manuscrites des deux salariés), utilisaient l'ordinateur et l'adresse mail de la société, voire l'adresse postale de la société (pièce 13 de l'appelante) pour gérer les démarches nécessaires auprès de leurs différents interlocuteurs (recherche d'un local, devis d'installation de matériel d'exploitation, recherche de financement bancaire pour l'activité et de choix et financement de leur assurance complémentaire santé de travailleurs non salariés, notamment), M. [S], salarié, attestant qu'ils s'absentaient souvent en octobre et décembre 2016 pour des motifs non professionnels. Ces démarches ont abouti à la création d'une société effectivement concurrente à celle de l'employeur, dans un rayon de moins de 4 kilomètres, ayant démarré son activité dès le 2 janvier 2017.

Le grief de violation par M. [C] de l'obligation de loyauté inhérente à la relation de travail est également établi et justifie de plus fort l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise.

Le licenciement de M. [C] est en conséquence fondé sur une faute grave, de sorte qu'il convient de le débouter de l'ensemble de ses demandes subséquentes à la contestation du licenciement, en infirmation du jugement.

M. [C] ne démontre pas, eu égard aux circonstances de l'espèce, que la rupture soit intervenue dans des circonstances brutales et vexatoires et il doit par conséquent être débouté de sa demande indemnitaire sur ce fondement, en infirmation du jugement.

Sur la demande indemnitaire pour violation de l'obligation de sécurité de l'employeur

M. [C] estime que le quantum indemnitaire retenu par le conseil est insuffisant, cependant c'est à bon droit que la société Prioult rappelle qu'il n'existe pas de préjudice 'nécessaire' et qu'il incombe au demandeur de caractériser un préjudice.

Il évoque deux accidents du travail, dont l'un, de 2012, avait donné lieu à la mise en oeuvre d'un travail à temps partiel thérapeutique pendant un mois, l'autre étant en date du 4 juin 2013 (chute d'une pièce sur un doigt de pied du salarié, étant précisé qu'il portait des chaussures de sécurité) qui n'auraient pas donné lieu à visite de reprise selon lui, cependant, comme le fait valoir la société appelante qui évoque à ce sujet des prétendus manquements, M.[C], qui n'a jamais saisi une juridiction de tels manquements relatifs à l'exécution du contrat de travail avant de les invoquer le 9 mars 2018, est prescrit en son action. S'il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas organisé de visite médicale en 2016, M. [C], qui exerçait déjà dans le même secteur de la carrosserie chez un employeur antérieur et a poursuivi cette activité à son compte après la rupture, a toujours été apte à l'exercice de cette profession et ne caractérise aucun préjudice personnel quelconque résultant du manquement invoqué. Il convient en conséquence de le débouter de sa demande indemnitaire, en infirmation du jugement.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel. Monsieur [C] qui succombe, doit être condamné aux dépens de première instance.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ses dispositions portant sur ces chefs.

Monsieur [C] sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris,

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [D] [C] fondé sur une faute grave,

DEBOUTE M. [D] [C] de l'ensemble de ses demandes,

DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

CONDAMNE M. [D] [C] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Conseiller

Pour Le Président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/01571
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;19.01571 ?
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