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15/06/2022 | FRANCE | N°19/03837

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 15 juin 2022, 19/03837


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 19/03837 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P24K













URSSAF DE BRETAGNE



C/



Société [5]

































Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM

DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 JUIN 2022



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et l...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 19/03837 - N° Portalis DBVL-V-B7D-P24K

URSSAF DE BRETAGNE

C/

Société [5]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 15 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 29 Mars 2022

devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 15 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 15 Mai 2019

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de BREST - Pôle Social

****

APPELANTE :

L'URSSAF DE BRETAGNE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Madame [D] [T] en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMÉE :

La Société [5]

[Adresse 1]

[Localité 6]

non comparante, non représentée

EXPOSÉ DU LITIGE

A la suite d'un contrôle de l'application des législations sociales et de la lutte contre le travail illégal opéré au titre de la période du 20 juin 2012 au 31 mars 2014 par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne (l'URSSAF) au sein de la société [3], il a été constaté l'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié.

Par lettre du 9 mai 2014, l'inspecteur de l'URSSAF, au visa de l'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale, a demandé à la société [5] exploitant un supermarché à [Localité 6] (la société), donneur d'ordre de la société [3], de lui communiquer certains documents listés afin de vérifier si la société avait bien respecté son devoir de vigilance.

Le 6 janvier 2015, l'inspecteur de l'URSSAF a adressé à la société une lettre d'observations lui rappelant qu'elle avait contracté avec la société [3] pour un montant supérieur à 3 000 euros et qu'elle ne lui avait pas transmis l'attestation URSSAF de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations de ladite société ; que les vérifications lui incombant n'avaient donc pas été faites de sorte que les cotisations non réglées par son cocontractant, qui ont fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé, étaient mises à sa charge au titre de la solidarité financière prévue par les articles L. 8222-1 et suivants du code du travail, pour un montant en cotisations, après proratisation, de 1 462 euros pour l'année 2013.

Par lettre du 4 février 2015, la société a fait valoir ses observations en indiquant avoir contracté avec la société précitée le 1er juin 2012 dans le cadre d'un contrat de prestation de prévention et de sécurité, avoir sollicité à cette occasion un certain nombre de documents (extrait K-Bis, attestation de déclaration de salariés et déclarations uniques d'embauches) et procédé ainsi de bonne foi aux vérifications selon elle obligatoires pour s'assurer de la situation régulière de son cocontractant.

En réponse, par lettre du 6 août 2015, l'inspecteur a maintenu la procédure de mise en oeuvre de la solidarité financière faute pour la société de produire les déclarations sociales et de paiement de cotisations de la société [3].

L'URSSAF a notifié à la société une mise en demeure du 25 novembre 2015 tendant au paiement des cotisations dues au titre de la mise en oeuvre de la solidarité financière et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 1 663 euros.

Par lettre du 22 décembre 2015, la société a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 24 novembre 2016, a maintenu la mise en oeuvre de la solidarité financière.

Le 13 février 2017, la société a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest. (recours n° 17-00076)

Par ailleurs, le 25 avril 2016, l'inspecteur de l'URSSAF a adressé à la société une lettre d'observations portant sur l'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant au titre de la période du 1er janvier au 30 avril 2013, pour un montant en cotisations de 30 386 euros.

Par lettre du 10 mai 2016, la société a fait valoir ses observations en relevant que la lettre du 25 avril 2016 n'était pas signée par le directeur de l'organisme et ne faisait pas référence au procès-verbal de travail dissimulé ; qu'elle ignorait d'ailleurs tout de la procédure engagée à l'encontre de son cocontractant ; qu'enfin, elle contestait le principe même de la sanction dès lors qu'elle n'avait pas elle-même commis le délit de travail dissimulé et qu'elle était déjà sanctionnée à hauteur des cotisations non réglées par la société [3].

En réponse, par lettre du 10 juin 2016, l'inspecteur de l'URSSAF a informé la société qu'une nouvelle lettre d'observations lui serait adressée, annulant et remplaçant celle du 25 avril 2016.

C'est ainsi qu'une lettre d'observations du 17 juin 2016 'annulant et remplaçant' la précédente du 25 avril 2016 a été adressée à la société portant sur l'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant au titre de la période du 1er janvier au 30 avril 2013, pour un montant en cotisations de 30 386 euros.

L'URSSAF a notifié à la société une mise en demeure du 6 octobre 2016 tendant au paiement des cotisations dues au titre de l'annulation des exonérations du donneur d'ordres non vigilant, pour un montant de 35 916 euros.

Par lettre du 4 novembre 2016, la société a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 27 avril 2017, a maintenu l'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant.

Le 31 juillet 2017, la société a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest. (recours n° 17-00281)

Par jugement contradictoire du 15 mai 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Brest, a :

- ordonné la jonction de la procédure n°17/00281 à la procédure n°17/00076;

- déclaré le recours de la société recevable ;

- jugé que l'article L.133-4-5 issu de l'article 101 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 est entré en vigueur le 1er janvier 2013, vu l'article 1er du code civil ;

- vu les articles L. 133-4-5, L. 243-7, R. 243-59 du code de la sécurité sociale et L. 8222-2 et 3 du code du travail ;

- vu la QPC n° 2015-479 du 31 juillet 2015 ;

- constaté que l'URSSAF a adressé une mise en demeure, datée du 6 octobre 2016, à la société au titre de l'annulation des exonérations Fillon, pour la période du 1er janvier 2013 au 30 avril 2013 et une mise en demeure en date du 25 novembre 2015 sur la mise en oeuvre de la solidarité financière ;

- constaté que cette mise en demeure et la procédure qui l'a précédée ont été suivies sans respecter le principe du contradictoire pouvant permettre à la société de prendre connaissance, voire de contester la procédure menée contre la société ;

- prononcé l'annulation de la lettre d'observations et de la mise en demeure adressées par l'URSSAF en date du 6 octobre 2016, à la société comprenant l'obligation de paiement des sommes de 35 916 euros dont 30 386 euros de cotisations et 5 530 euros de majorations de retard ;

- prononcé l'annulation de la lettre d'observations et de la mise en demeure adressées par l'URSSAF en date du 25 novembre 2015, à la société comprenant l'obligation de paiement des sommes de 1 663 euros dont 1 462 euros de cotisations et 201 euros de majorations de retard ;

- débouté les parties de toute leur autre demande ou prétention ;

- condamné l'URSSAF aux dépens.

Le 4 juin 2019, l'URSSAF a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 17 mai 2019.

Par ses écritures n°2 parvenues au greffe le 27 octobre 2021, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé l'annulation des lettres d'observations du 6 janvier 2015 et du 17 juin 2016 et des mises en demeure afférentes du 25 novembre 2015 et 6 octobre 2016 ;

Par conséquent,

- valider la procédure de mise en oeuvre de la solidarité financière prévue par l'article L.8222-1 du code du travail à hauteur de 1 462 euros ;

- condamner la société au paiement de la somme de 1 663 euros, dont 1 462 euros de cotisations et 201 euros de majorations de retard sans préjudice des majorations de retard complémentaires et des frais de procédures ;

- valider la procédure d'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant prévue à l'article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale à hauteur de 30 386 euros ;

- condamner la société au paiement de la somme de 35 916 euros dont 30 386 euros de cotisations et 5 530 euros de majorations de retard sans préjudice des majorations de retard complémentaires et des frais de procédure ;

- condamner la société aux éventuels dépens ;

- la débouter de toutes ses autres demandes ou prétentions.

La société, bien que régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 juillet 2021 portant son cachet, n'a pas comparu à l'audience et n'a pas adressé d'écritures. Le présent arrêt sera réputé contradictoire.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel

Au regard du montant en litige, l'appel de l'URSSAF est recevable.

Sur le fond

1- La régularité de la mise en oeuvre de la solidarité financière

Pour annuler les lettres d'observations et les mises en demeure s'y rapportant, les premiers juges ont considéré que la lettre d'observations du 17 juin 2016 et la mise en demeure subséquente se bornent à affirmer que la société [3] s'est rendue coupable de travail dissimulé, sans qu'aucune des circonstances de cette infraction ne soit livrée à la société à qui il est simplement indiqué que le procès-verbal a été adressé au parquet ; que l'URSSAF avait de ce fait méconnu le principe du contradictoire en s'abstenant de communiquer à la société l'intégralité de la procédure menée à l'encontre de la société [3], la privant ainsi de son droit de 'contester la régularité de la procédure, le bien fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes' au sens de la QPC citée dans le jugement.

L'URSSAF réplique que la lettre d'observations :

- fait état du procès-verbal de travail dissimulé dressé à l'encontre de la société [3],

- informe la société de la mise en 'uvre de la solidarité financière pour n'avoir pas rempli ses obligations de vigilance à l'égard du sous-traitant,

- indique que les cotisations non réglées par la société [3] sont mises à sa charge au titre de la solidarité financière et que la répartition du redressement entre les donneurs d'ordres non vigilants est faite sur le pourcentage du chiffre d'affaires réalisées par la société [3] avec chacun d'eux,

- mentionne le montant des cotisations détaillées par année avec mention de la période redressée et du total de base,

- précise les fondements juridiques du redressement.

L'URSSAF ajoute qu'elle a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l'envoi de la lettre d'observations, sans être tenue de joindre à celle-ci le procès-verbal constatant le délit ; qu'à toutes fins utiles, elle communique la copie du procès-verbal établi à l'encontre de la société [3].

Sur ce :

La procédure suivie s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

La mise en oeuvre de la solidarité financière à laquelle est tenue le donneur d'ordre en application de l'article L. 8222-2 du code du travail est subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du co-contractant (2 Civ., 26 mai 2016, n° 15-17.556 ; 26 novembre 2015, n°14-23851, Bull. 2015, II, n 258).

La lettre d'observations du 6 janvier 2015 adressée à la société mentionne en objet « Travail dissimulé - Lettre d'observations concernant la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue aux articles L. 8222-1 et suivants du code du travail », les documents consultés soit les relevés bancaires, factures et contrat de prestations transmis par la société, la période vérifiée soit du 20 juin 2012 au 31 mars 2014 ainsi que la date de fin de contrôle (15 décembre 2014).

Les inspecteurs l'informent que son cocontractant, la société [3], a assuré des prestations avec du personnel employé en violation des articles L. 8221-1et L. 8221-5 du code du travail sur la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2014, ce qui est constitutif du délit de travail dissimulé par dissimulation de salariés ; qu'il est apparu qu'elle ne s'est pas assurée de la régularité de la situation en se faisant remettre les documents mentionnés aux articles D. 8222-5 et D. 822-7 du code du travail.

Ils détaillent leurs constatations comme suit :

En date du 9 mai 2014, un courrier recommandé vous a été adressé pour vous demander de nous fournir les documents de vigilance prévue à l'article D.8222-5 du code du travail relatifs à la société [3] car vous aviez contracté avec elle pour un montant supérieur à 3000 euros.

Vous ne nous avez pas transmis l'attestation URSSAF de fourniture des déclarations sociales et du paiement des cotisations de la société [3].

Par conséquent, votre responsabilité est engagée puisque les vérifications vous incombant n'ont pas été réalisées comme le stipule la réglementation en vigueur.

Les cotisations non réglées par votre cocontractant, qui a fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé, sont mises à votre charge au titre de la solidarité financière prévue par les articles L.8222-1et suivants du code du travail.

La présente constitue la lettre d'observation prévue à l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

La mise en 'uvre de la solidarité financière est proratisée, en tenant compte de la période de défaut de vigilance et selon la formule suivante :

redressement notifié à votre cocontractant x chiffre d'affaires avec votre entreprise

chiffre d'affaires total réalisé par votre cocontractant

soit une régularisation en cotisation de 1 462 euros déterminée comme suit :

année

redressement de votre cocontractant

CA de votre cocontractant d'avril à décembre 2013

CA réalisé avec vous d'avril à décembre 2013

solidarité financière proratisée

2013

65 580

87 242

1 942

1 462

TOTAL

1 462

Enfin, la lettre d'observations fait état du délai de trente jours laissé à la société pour formuler des observations.

Par décision n°2015-479 QPC en date du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a dit conforme à la Constitution le deuxième alinéa de l'article L.8222-2 du code du travail, prévoyant, en application du principe de la solidarité financière entre le donneur d'ordre et son cocontractant en matière de travail dissimulé, le paiement par le premier des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par le second au Trésor ou aux organismes de protection sociale, sous la réserve contenue au considérant 14.

Le considérant 14 énonce : 'Considérant que les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 [Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution], interdire au donneur d'ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ; que sous cette réserve, les griefs tirés de la méconnaissance de la garantie des droits et du principe d'égalité devant la justice doivent être écartés'.

Si le donneur d'ordre dont la solidarité financière est recherchée peut ainsi contester la régularité de la procédure, le bien fondé et l'exigibilité des sommes auxquelles il est tenu par l'effet de la solidarité, l'URSSAF, pour sa part, a pour seule obligation, dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d'un travail dissimulé, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe du contradictoire par l'envoi de la lettre d'observations (Civ. 2e, 13 octobre 2011, n° 10-24.861); elle n'est donc pas tenue d'y joindre le procès-verbal constatant le délit de travail dissimulé (même pourvoi) ou même encore les documents comptables de l'entreprise ayant permis de chiffrer le montant du redressement (Civ. 2e, 10 décembre 2009, n° 09-12.173).

En revanche, en cas de contestation par le donneur d'ordre de l'existence ou du contenu de ce procès-verbal, l'organisme de recouvrement est tenu de le produire devant la juridiction de sécurité sociale. (2e Civ., 24 juin 2021, n°20-10.946)

Ainsi, l'absence de transmission du procès verbal de travail dissimulé pendant la procédure de contrôle n'affecte nullement la régularité de la procédure engagée à l'encontre du donneur d'ordre, précision apportée que cette transmission n'avait pas été demandée par la société ni dans ses observations aux inspecteurs ni devant la juridiction de première instance et que l'URSSAF produit en cause d'appel la copie du procès-verbal établi le 24 mars 2014 à l'encontre de la société [3] (sa pièce n°19).

L'absence de transmission des factures de la société [3] et des rémunérations des salariés n'affecte pas davantage la régularité de la procédure à l'égard de la société [5].

Il apparaît ainsi que la lettre d'observations satisfait aux exigences de l'article R.243-59 du code de la sécurité sociale en permettant à la société d'avoir une parfaite connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation.

La société a par ailleurs pu répondre à la lettre d'observations, a été rendue destinataire de la réplique de l'URSSAF, a saisi la commission de recours amiable et a in fine saisi la juridiction ; elle n'a jamais été privée de son droit à contestation tout au long de la procédure et a pu faire valoir ses droits à chaque étape.

La société s'est vue adresser ensuite une mise en demeure du 25 novembre 2015.

L'article R.244-1 alinéa 1er du même code dans sa version applicable à l'espèce dispose que :

« L'envoi par l'organisme de recouvrement ou par le service mentionné à l'article R. 155-1 de l'avertissement ou de la mise en demeure prévus à l'article L. 244-2, est effectué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. L'avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent ».

Les mises en demeure qui constituent une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. A cette fin, il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice. (2e Civ., 9 février 2017, n° 16-12.189).

La mise en demeure litigieuse mentionne :

- le motif de la mise en recouvrement (mise en oeuvre de la solidarité financière suite au contrôle de la société [3] et à la lettre d'observations du 6 janvier 2015),

- la période concernée (année 2013),

- le numéro de cotisant et le numéro de SIREN de la société [3],

- le montant des cotisations dues (1 462 euros), celui des majorations de retard s'y ajoutant (201 euros) et le total dû (1 663 euros),

- la nature des cotisations (régime général),

- le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre dont dispose la société pour procéder au paiement.

La régularité de la mise en demeure est acquise.

Aucun élément n'établit la violation du principe du contradictoire et des droits de la défense.

Ainsi, contrairement à ce qu'ont relevé les premiers juges, la procédure visant à mettre en jeu la solidarité financière de la société est régulière.

Le jugement ne pourra qu'être infirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la jonction de la procédure n°17/00281 à la procédure n°17/00076 et déclaré le recours de la société recevable.

2 -Sur le bien fondé de la mise en oeuvre de la solidarité financière

Il est constant qu'un contrat de prestations de sécurité a été régularisé le 1er juin 2012 entre les sociétés [5] et [3] pour une durée indéterminée..

L'existence entre les deux sociétés de prestations égales ou supérieures à 3 000 euros n'est pas contestée sur les années visées par le redressement.

L'article L. 8222-1 du code du travail dans sa version applicable dispose que :

« Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; [...] »

L'article R.8222-1 du code du travail applicable énonce que :

« Les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues à l'article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d'un montant au moins égal à 3 000 euros ».

L'URSSAF a relevé dans sa lettre d'observations un chiffre d'affaires réalisé par la société [3] avec la société [8] en 2013 (avril à décembre) de 1 942 euros.

L'article D. 8222-5 du code du travail dans sa version applicable dispose que :

« La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article L. 8222-1 si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution :

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L.243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants :

a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;

b) Une carte d'identification justifiant de l'inscription au répertoire des métiers ;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu'y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l'adresse complète et le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d'un ordre professionnel, ou la référence de l'agrément délivré par l'autorité compétente ;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d'un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d'inscription ».

Le 9 mai 2014, l'inspecteur du recouvrement de l'URSSAF a demandé à la société de lui communiquer la copie des pièces de vigilance obtenues de son sous-traitant.

Dans la lettre d'observations du 6 janvier 2015 et comme indiqué supra, l'inspecteur de l'URSSAF indique avoir consulté les documents suivants : relevés bancaires, factures et contrat de prestation. Il y est également précisé que la société ne lui a pas transmis l'attestation URSSAF de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations de la société [3].

Dans sa réponse aux observations le 4 février 2015, la société soutient avoir sollicité du sous-traitant un extrait K Bis, l'attestation de déclaration des salariés et les déclarations uniques d'embauche qu'elle mentionne en pièces jointes.

Pour autant et comme indiqué par l'inspecteur de l'URSSAF dans sa lettre du 6 août 2015, la société ne justifiait toujours pas de la transmission de l'attestation URSSAF précitée.

Il s'ensuit que la société ne prouve pas avoir sollicité de son cocontractant et s'être fait remettre par ce dernier lors de la signature du contrat l'attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations, puis tous les six mois, cette même attestation ainsi que les autres documents visés à l'article l'article D. 8222-5 du code du travail.

Il est ainsi établi qu'elle n'a pas respecté l'obligation de vigilance mise à sa charge en sa qualité de donneur d'ordre. L'engagement de la solidarité financière de la société est donc justifié.

L'article L. 8222-2 du code du travail applicable indique que :

« Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de

protection sociale;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie ».

L'article L.8222-3 du code du travail poursuit ainsi :

« Les sommes dont le paiement est exigible en application de l'article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession ».

Le montant de la solidarité financière mis à la charge de la société, dont le calcul est détaillé dans la lettre d'observations, est bien proportionnel au montant des prestations payées par celle-ci rapporté au chiffre d'affaires total de la société [3] sur l'année 2013.

Il y a lieu dans ces conditions de valider le redressement au titre de la solidarité financière d'un montant de 1 462 euros et de condamner la société à payer à l'URSSAF la somme de 1 663 euros de ce chef (1 462 euros de cotisations et 201 euros de majorations de retard), sans préjudice des majorations de retard complémentaires.

4 - Sur l'annulation des exonérations du donneur d'ordre :

L'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2017, énonce :

« Lorsqu'il est constaté que le donneur d'ordre n'a pas rempli l'une des obligations définies à l'article L. 8222-1 du code du travail et que son cocontractant a, au cours de la même période, exercé un travail dissimulé par dissimulation d'activité ou d'emploi salarié, l'organisme de recouvrement procède à l'annulation des réductions ou exonérations des cotisations ou contributions dont le donneur d'ordre a bénéficié au titre des rémunérations versées à ses salariés. Le donneur d'ordre ou le maître d'ouvrage encourt la même sanction, dans les mêmes conditions, lorsqu'il est constaté qu'il a manqué à l'obligation mentionnée à l'article L. 8222-5 du code du travail.

L'annulation s'applique pour chacun des mois au cours desquels les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article sont vérifiées. Elle est calculée selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas de l'article L. 133-4-2, sans que son montant global puisse excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale.

Les modalités d'application du présent article, en particulier la manière dont est assuré le respect du principe du contradictoire, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.»

Selon les articles 2 et 22 du décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013, les modalités de mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 133-4-5 sont entrées en vigueur le 6 décembre 2013. (Civ. 2e 22 octobre 2020, n° 19-19.185)

Il se déduit de ces textes que les sanctions prévues par l'article L. 133-4-5 sont applicables lorsque, à l'occasion d'un contrôle, en cours au 6 décembre 2013, ont été constatés le manquement du donneur d'ordre à son obligation de vigilance et des faits matériels de travail dissimulé par son cocontractant ou sous-traitant, commis postérieurement à la date d'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012. (Même arrêt)

La responsabilité du donneur d'ordre étant recherchée au titre de l'année 2013 et le redressement en cause étant en cours au 1er janvier 2014, le dispositif de sanction du donneur d'ordre institué par les dispositions susvisées est applicable au litige.

Il ressort de la lettre d'observations du 17 juin 2016 adressée à la société, dont l'objet est « Travail dissimulé - Lettre d'observations concernant l'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant, prévue à l'article L. 133-4-5 du code de la sécurité sociale », les éléments suivants :

Vous avez confié en 2013 une partie de votre activité de sous-traitance à la SAS [3] (suit son adresse).

Cette entreprise a assuré sa prestation en violation des articles L. 8221-1, L. 8221-2, L. 8221-3 L. 8221-5 du code du travail, ce qui est constitutif du délit de travail dissimulé et qui a fait l'objet d'un procès-verbal adressé au parquet de [Localité 4].

Il est apparu que vous ne vous êtes pas assurée de la régularité de la situation en vous faisant remettre les documents mentionnés aux articles D.8225-5 et D. 8222-7 du code du travail.

[...]

En date du 9 mai 2014,un courrier recommandé vous a été adressé pour vous demander de nous fournir les documents de vigilance prévue à l'article D.8222-5 du code du travail relatif à la société [3] car vous aviez contracté avec elle pour un montant supérieur à 3000 euros.

Vous ne nous avez pas transmis l'attestation URSSAF de fourniture des déclarations sociales et du paiement des cotisations de la SAS [3].

Par conséquent votre responsabilité est engagée puisque les vérifications vous incombant n'ont pas été réalisées comme le stipule la réglementation en vigueur.

année

catégorie de personnel

type

base totalité

taux totalité

base plafonnée

taux plafond

cotisations

2013

RÉDUCTION GÉNÉRALE

671

0

0

30 386

100

30 386

Le montant de l'annulation des exonérations dont vous avez bénéficié au cours de la période incriminée (avril 2013) a été annulé pour un montant de 30 386 euros.

En sus de ce montant, vous seront également réclamées les majorations de retard dues en application de l'article R. 243-18 du code de la sécurité sociale.

La présente constitue la lettre d'observations prévue à l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

Elle concerne uniquement l'annulation des exonérations dont vous avez bénéficiées au cours de la période incriminée. Une lettre d'observations complémentaire vous a été adressée au titre de la mise en oeuvre de la solidarité financière prévue aux articles L. 8222-1 et suivants du code du travail en raison de la verbalisation pour travail dissimulé de votre cocontractant.

Vous disposez d'un délai de trente jours pour me faire parvenir vos éventuelles observations par lettre recommandée avec accusé de réception et pouvez vous faire assister par le conseil de votre choix.

A l'expiration de ce délai et en l'absence de réponses probantes de votre part, ces cotisations et les majorations de retard afférentes seront mises en recouvrement par voie de mise en demeure.

[...] ».

La mise en demeure du 6 octobre 2016 renvoie à la lettre d'observations du 17 juin 2016 et mentionne la période concernée (2013), le montant des cotisations dues (30 386 euros), le montant des majorations de retard (5 530 euros), la nature des cotisations (employeurs de personnel salarié), et précise que la société dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de la lettre pour procéder au paiement.

Force est de constater que ces documents (la lettre d'observations et le mise en demeure) contiennent les informations nécessaires pour permettre à la société de connaître la nature, la cause et l'étendue du redressement opéré. Au surplus, la commission de recours amiable relève sans être sur ce point contredite que ce montant de 30 386 euros correspond au montant déclaré par la société sur son bordereau d'avril 2013 et qu'elle en connaissait dès lors le chiffrage.

La procédure est par conséquent régulière.

Le redressement au titre de la solidarité financière ayant été jugé fondé, l'annulation des exonérations sur la période concernée en est la conséquence légale.

Il y a lieu de valider la procédure d'annulation des exonérations du donneur d'ordre non vigilant prévue à l'article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale à hauteur de 30 386 euros et de condamner la société au paiement de la somme de 35 916 euros dont 30 386 euros de cotisations et 5 530 euros de majorations de retard sans préjudice des majorations de retard complémentaires.

5- Sur les dépens

L'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance et qui de ce fait ne peut prétendre à l'application des dispositions l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

DECLARE recevable l'appel de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne ;

CONFIRME le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Brest du 15 mai 2019 en ce qu'il a :

- ordonné la jonction de la procédure n°17/00281 à la procédure n°17/00076 ;

- déclaré le recours de la société recevable ;

- jugé que l'article L.133-4-5 du code de la sécurité sociale issu de l'article 101 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 est entré en vigueur le 1er janvier 2013, vu l'article 1er du code civil ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

DÉCLARE régulière la procédure visant à la mise en jeu de la solidarité financière de la société [5] et à l'annulation des exonérations de cotisations sociales ;

CONDAMNE la société [5] à payer à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne la somme de 1 663 euros, dont 1 462 euros de cotisations et 201euros de majorations de retard, sans préjudice des majorations de retard complémentaires ;

CONDAMNE la société [5] à payer à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne la somme de 35 916 euros dont 30 386 euros de cotisations et 5 530 euros de majorations de retard sans préjudice des majorations de retard complémentaires ;

CONDAMNE la société [5] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 19/03837
Date de la décision : 15/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-15;19.03837 ?
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