9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 19/02304 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PVQY
Société [3]
C/
URSSAF DE BRETAGNE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 29 Mars 2022
devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat rapporteur, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 22 Février 2019
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal de Grande Instance de RENNES - Pôle Social
****
APPELANTE :
LA Société [3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Olivier GUILLAS de la SELARL ad LEGIS, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
L'URSSAF BRETAGNE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Madame [R] [T] en vertu d'un pouvoir spécial
EXPOSÉ DU LITIGE
A la suite d'un contrôle de l'application des législations sociales, d'assurance chômage et de garantie des salaires opéré par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne (l'URSSAF), la société [3] située à [Localité 4] (la société) s'est vue notifier une lettre d'observations du 12 novembre 2013 portant sur les chefs de redressement 'travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié' et 'annulation des exonérations Fillon', pour un montant total de 43 293 euros couvrant la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.
En parallèle, un procès-verbal de travail dissimulé a été rédigé et transmis au procureur de la République le 16 septembre 2013.
Par lettre du 13 décembre 2013, la société a fait valoir ses observations.
En réponse, par lettre du 24 janvier 2014, l'inspecteur a maintenu l'ensemble du redressement.
L'URSSAF a notifié une mise en demeure du 26 juin 2014 tendant au paiement des cotisations notifiées dans la lettre d'observations et des majorations de retard y afférentes, pour un montant de 50 690 euros.
Par lettre du 21 juillet 2014, la société a saisi la commission de recours amiable, laquelle, par décision du 22 janvier 2015, a maintenu les redressements contestés.
Le 13 mars 2015, la société a contesté cette décision devant le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine.
Par jugement du 22 février 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Rennes, a :
- écarté des débats les conclusions de la société réceptionnées le 28 décembre 2018 ;
- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 22 janvier 2015 et débouté la société de son recours ;
- validé le chef de redressement n°1 relatif à la dissimulation d'emplois salariés avec verbalisation d'un montant de 33 362 euros et le chef de redressement n°2 relatif à l'annulation des réductions Fillon suite au constat de travail dissimulé d'un montant de 9 931 euros, auxquels s'ajoutent 7 398 euros de majorations de retard et condamné en tant que de besoin la société à payer ces montants à l'URSSAF de Bretagne, sans préjudice des majorations de retard complémentaires ;
- débouté la société de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire ;
- condamné la société aux dépens.
Par déclaration adressée par le RPVA au greffe le 5 avril 2019, la société a interjeté appel dudit jugement qui lui avait été notifié le 22 mars 2019.
Par ses écritures récapitulatives parvenues par le RPVA le 30 décembre 2021, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour, par voie d'infirmation, de :
- dire et juger que le redressement de cotisations au titre du travail dissimulé effectué par l'URSSAF n'est pas fondé et en conséquence l'annuler ;
- prononcer l'annulation de la mise en demeure du 26 juin 2014 et du redressement notifié à hauteur de 50 690 euros ;
- la recevoir en sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence,
- condamner l'URSSAF à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par ses écritures parvenues au greffe le 8 février 2022, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :
- confirmer le bien-fondé du redressement ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- confirmer la décision de la commission de recours amiable du 22 janvier 2015 ;
- constater que la société n'a pas réglé les sommes redressées ;
- condamner la société à lui verser la somme de 50 690 euros soit 43 292 euros de cotisations et 7 398 euros de majorations, sans préjudice des majorations de retard complémentaires subséquentes ;
- condamner la société au paiement de la somme de 2 500 euros (sic) ;
- rejeter en conséquences les demandes et prétentions de la société.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Lors de ses opérations de contrôle comptable d'assiette, l'inspecteur de l'URSSAF a constaté que depuis 2010, la société rémunérait M. [F] affilié au régime social des auto-entrepreneurs.
L'inspecteur a considéré que les conditions d'exercice de l'activité de cette personne étaient celles prévues pour l'assujettissement au régime général de sécurité sociale tel que défini par l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale :
- facturation à la société d'interventions libellées 'prestation de service' sur la base d'un forfait horaire,
- factures limitées à du temps du travail, sans facturation de matériels ou de pièces,
- M. [F] n'a qu'un seul employeur, la société,
- exercice de l'activité dans les locaux et avec le matériel de l'entreprise, ainsi qu'aux dates fixées par celle-ci,
- absence de clientèle personnelle, M. [F] s'occupant des véhicules confiés à la société par des clients de celle-ci et ne les facturant pas directement,
- interventions à la demande de la société,
- absence de tout autre mécanicien,
- M. [F] était salarié de la société en qualité de mécanicien du 3 mars 2008 au 7 janvier 2009 (il n'était ni salarié ni travailleur indépendant entre janvier et décembre 2009) et a effectué au cours de la période litigieuse les mêmes tâches que celles qu'il réalisait lorsqu'il était salarié..
Pour conclure à l'annulation du redressement, la société fait valoir à titre principal que le procès-verbal pour travail dissimulé transmis au procureur de la République de Rennes a fait l'objet d'un classement sans suite le 13 février 2017, de sorte que l'absence de tout lien de subordination entre elle et M. [F] est établie.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que M. [F], auto-entrepreneur depuis le 1er janvier 1995, avant même la création de la société en 1998, bénéficie d'une présomption de non-salariat, laquelle n'est pas renversée par l'URSSAF qui échoue à rapporter la preuve d'un lien de subordination juridique permanente ; que la circonstance qu'il ait été son salarié antérieurement ne suffit pas à cet égard, d'autant qu'il s'est écoulé un an entre son départ et son activité de prestation de service pour la société ; que contrairement à ce que soutient l'URSSAF, elle emploie un salarié mécanicien depuis 2012 à temps partiel, qui ne dispose toutefois d'aucune compétence s'agissant des camping-cars contrairement à M. [F] dont les connaissances spécifiques en ce domaine manquaient par conséquent à l'entreprise qui ne pouvait de ce fait exercer un contrôle sur les prestations effectuées par M. [F] ; que la facturation par M. [F] sur la base d'un taux horaire fixe qu'il déterminait du reste lui-même, ne remet pas en cause l'existence d'un risque économique assumé ou la prise en compte des charges de structure ; que l'absence de facturation de pièces ou de matériels n'est pas non plus pertinente puisqu'il s'agissait de prestations, dont le montant par ailleurs variait sans être déterminé à l'avance ; que n'est pas davantage pertinent l'argument tiré de l'utilisation du matériel de la société, notamment le pont élévateur permettant la surélévation des camping-cars, d'autant que l'inspecteur de l'URSSAF n'a pas vérifié qu'il disposait de son propre matériel ; qu'il n'est pas démontré qu'il exerçait son activité au sein d'un service organisé, la circonstance que son activité s'accomplissait dans les locaux de la société, propices à l'accueil et aux interventions sur des véhicules imposants tels les camping-cars, étant là encore inopérante ; qu'il avait en outre sa propre clientèle, distincte de celle de la société qu'il pouvait refuser et qu'il facturait directement à l'entreprise ; qu'il prenait lui-même ses rendez-vous avec ses propres clients et n'était pas soumis au respect d'horaires précis ni programmés par la société, étant libre d'organiser son emploi du temps et sans sanction possible à ce titre de la part de la société ; qu'il n'avait pas non plus d'objectifs chiffrés ; qu'enfin, les seules instructions reçues de la société étaient celles habituellement émises dans le cadre des relations entre un donneur d'ordres et un prestataire de services.
L'URSSAF réplique que :
- le redressement ayant pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi salarié dissimulé, elle n'a pas à établir l'intention frauduleuse,
- l'existence d'un lien de subordination juridique permanente ressort des conditions d'exercice de l'activité de M. [F] telles que rapportées par l'inspecteur, justifiant le redressement opéré.
Sur ce :
Sur le moyen soulevé à titre principal tiré de l'absence d'intention
S'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement effectué par l'URSSAF a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l' intention frauduleuse de l'employeur. (2è Civ., 9 juillet 2020, n° 19-11.860)
Il importe donc peu que le procès-verbal pour travail dissimulé établi par l'URSSAF ait fait l'objet d'un classement sans suite par le Procureur de la République.
Ce premier moyen est inopérant.
Sur le lien de subordination
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, le travail au sein d'un service organisé pouvant constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. (2e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 20-19.493).
Selon l'article L. 311-11, alinéa 1, du code de sécurité sociale, les personnes physiques mentionnées à l'article L. 8221-6, I, du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, ne relèvent du régime général de la sécurité sociale que s'il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ordre.
Dès lors, il appartient à l'organisme du recouvrement qui entend procéder à la réintégration des sommes versées par un donneur d'ordre à une personne physique bénéficiant de la présomption de non salariat, de rapporter la preuve de ce lien de subordination juridique. (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20-13.944).
L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité professionnelle.
Si le lien de subordination est l'élément décisif et s'il appartient au juge de le détecter à la lumière des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction mis en oeuvre par l'employeur, la seule intégration à un service organisé est impropre à caractériser l'existence d'un lien de subordination s'il n'apparaît pas que l'auto-entrepreneur est soumis, par ailleurs, au pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de l'employeur prétendu.
Il n'est pas discuté en l'espèce que M. [F] bénéficie de la présomption de non salariat en sa qualité d'auto-entrepreneur immatriculé comme tel depuis janvier 2010 pour une activité d'entretien et de réparation de véhicule. Pour mémoire, il était inscrit au répertoire des métiers depuis 1995 mais n'a pas eu d'activité indépendante de mars 2004 à janvier 2010 comme indiqué par l'URSSAF non contredite utilement sur ce point ; la société produit du reste au dossier la déclaration sociale d'immatriculation de M. [F] du 10 janvier 2010 laissant apparaître une cessation d'activité de son entreprise de 'mécanique réparation autos motoculture achat vente véhicules' au 31 mars 2004 ainsi qu'un extrait du site société.com mentionnant une radiation du RCS au 5 avril 2004.
Il appartient par conséquent à l'URSSAF de rapporter la preuve d'un lien de subordination juridique au sens précité.
Or, force est de constater que les développements de l'inspecteur relayés par l'URSSAF dans ses conclusions sont inopérants s'agissant de démontrer l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la société (Soc., 13 avril 2022, n°20-14.870) et ne permettent pas de retenir que pendant l'exécution des missions, la société disposait d'un pouvoir de contrôle et de sanction à l'égard de M. [F].
Il n'est pas établi ni même allégué que M. [F], spécialiste reconnu en matière de camping-cars à l'exclusion de toute autre personne au sein de l'entreprise, travaillait en équipe et recevait des consignes ou des ordres de la société ou d'un salarié de celle-ci dans le cadre de l'exécution de ses prestations.
Quoiqu'il en soit, le simple contrôle usuel de l'exécution de la prestation effectuée par le sous-traitant ne suffit pas à caractériser le lien de subordination.
De même, un sous-traitant ne détermine pas unilatéralement le montant de ses prestations, son offre de prix étant toujours soumise à la discussion de son cocontractant.
Il s'ensuit que, par voie d'infirmation, le redressement sera annulé, y compris au titre du chef n° 2 sur l'annulation des exonérations Fillon, ainsi que la mise en demeure du 26 juin 2014.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société le montant des frais irrépétibles qu'elle a exposés pour faire valoir ses droits.
L'URSSAF sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 2 000 euros.
S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de l'URSSAF qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Annule le redressement résultant de la lettre d'observations du 12 novembre 2013 ;
Annule en tant que de besoin la mise en demeure du 26 juin 2014 ;
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne à verser à la société [3] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale de Bretagne aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT