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10/06/2022 | FRANCE | N°19/01080

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 10 juin 2022, 19/01080


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°283



N° RG 19/01080 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PRJW













M. [O] [P]



C/



SELARL PHARMACIE [J]

















Infirmation partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU

10 JUIN 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



A l'audience pu...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°283

N° RG 19/01080 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PRJW

M. [O] [P]

C/

SELARL PHARMACIE [J]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 Juin 2022

En présence de Madame Elise BOUYER, Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [O] [P]

né le 07 Janvier 1963 à NANTES (44)

demeurant 10 rue Pascal

44400 REZE

Représenté par Me Franck MARCAULT-DEROUARD de la SCP CALVAR & ASSOCIES, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉE :

La SELARL PHARMACIE [J] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

24 rue Georges Clémenceau

44840 LES SORINIERES

Représentée par Me Marie BIGOT de la SCP GODARD-DUMONT-BIGOT, Avocat au Barreau de NANTES

M. [O] [P] a été engagé par M. [N] le 27 juin 1989 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de pharmacien, les relations contractuelles étant régies par la Convention collective nationale des officines de pharmacie.

L'officine reprise en 1990 par Mme [A] a été cédée en 2011 à la SARL PHARMACIE [J] aujourd'hui dénommée SELARL [J].

M. [P] s'est vu notifier trois avertissements les 7 mai 2013, 18 avril et 26 mai 2014.

Lors d'un entretien le 8 octobre 2014, les parties ont évoqué la possibilité d'une rupture conventionnelle.

Le 13 octobre 2014, M. [P] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 20 octobre 2014 puis prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 30 novembre 2014.

M. [P] a repris le travail le 1er décembre 2014.

M.[P] a consulté le Docteur [R] du service de pathologie professionnelle et environnementale le 5 février 2015 à la demande du médecin du travail auquel il a indiqué que le maintien du salarié dans son emploi était contre-indiqué sur le plan psychique.

Lors d'une première visite médicale du 9 mars 2015 à l'initiative du médecin du travail, ce dernier a déclaré M. [P] inapte à son poste et apte à un poste dans un autre environnement de travail, par exemple une autre pharmacie.

M. [P] a été placé en arrêt de travail du 10 mars 2014 au 23 mars 2014 et prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 21 avril 2015.

A l'issue de la seconde visite médicale en date du 24 mars 2015, le médecin du travail a confirmée l'inaptitude de M. [O] [P] dans les termes suivants : « Inapte au poste, apte à un autre. 2e visite selon article R. 4624-31 du CT. Un poste dans un autre environnement de travail, par exemple dans une autre pharmacie, pourrait convenir. Etude de poste réalisée le 6/03/15. »

Le 3 avril 2015, M. [P] a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable de licenciement qui s'est tenu le 15 avril 2015, avant d'être licencié pour inaptitude par courrier du 21 avril 2015.

Le 27 août 2015, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins notamment d'annulation des avertissements prononcés à son encontre et de nullité de son licenciement.

L'affaire radié le 28 juin 2016 a été réenrôlée par M. [O] [P].

Dans le dernier état de ses prétentions, M. [O] [P] demandait au Conseil de prud'hommes de Nantes de :

' Annuler les avertissements des 7 mai 2013, 18 avril et 26 mai 2014,

' Dire nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse le licenciement,

' Dire que son inaptitude est d'origine professionnelle,

' Fixer le salaire mensuel moyen à la somme de 4.245,98 €,

' Condamner la SARL PHARMACIE [J] à lui verser les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts :

- 1.500 € au titre des avertissements injustifiés,

- 14.699,76 € brut au titre des heures supplémentaires,

- 1.469,98 € brut au titre des congés payés afférents,

- 1.265,22 € net au titre des contreparties obligatoires en repos,

- 2.492,28 € à titre de rappel de salaire sur prime d'ancienneté,

- 249,23 € au titre des congés payés afférents,

- 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et/ou manquements aux obligations de loyauté et de sécurité de résultat,

- 101.903,52 € à titre de dommages-intérêts pour la rupture (licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse),

- 12.737,94 € brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.273,79 € brut au titre des congés payés afférents,

- 24.394,91 € net au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 4.245,98 € net pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 3.000 € au titre de la procédure de première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile,

outre les entiers dépens,

' Ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi et de bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard,

' Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution (article 515 du code de procédure civile).

La cour est saisie de l'appel régulièrement formé le15 février 2019 par M. [O] [P] contre le jugement en date du 18 janvier 2019 notifié le 22 janvier 2019, par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que les avertissements notifiés à M. [P] sont fondés,

' Confirmé le licenciement pour inaptitude non professionnelle,

' Constaté l'irrégularité de la procédure de licenciement mais débouté M. [P] de sa demande de dommages-intérêts, faute de préjudice,

' Débouté M. [P] de son recours et de toutes ses demandes,

' Débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

' Condamné M. [P] aux dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 10 février 2022, suivant lesquelles M. [P] demande à la cour de :

' Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes,

' Annuler les avertissements des 7 mai 2013, 18 avril et 26 mai 2014,

' Dire nul ou à défaut sans cause réelle et sérieuse le licenciement,

' Dire que son inaptitude est d'origine professionnelle,

' Fixer le salaire mensuel moyen à la somme de 4.022,15 €,

' Condamner la SARL PHARMACIE [J] à lui verser les sommes suivantes :

- 1.500 € au titre des avertissements injustifiés,

- 9.654,57 € au titre des heures supplémentaires,

- 965,46 € au titre des congés payés afférents,

- 207,94 € net au titre des contreparties obligatoires en repos,

- 1.448,19 € à titre de rappel de salaire sur prime d'ancienneté,

- 147,67 € au titre des congés payés afférents,

- 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et/ou manquements aux obligations de loyauté et de sécurité de résultat,

- 96.531,60 € à titre de dommages-intérêts pour la rupture (licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse),

- 12.066,45 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.206,64 € au titre des congés payés afférents,

- 21.101,59 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- 4.022,15 € pour non-respect de la procédure de licenciement,

- 3.000 € au titre de la procédure de première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- 3.000 € au titre de la procédure d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- entiers dépens

' Débouter la SARL PHARMACIE [J] de l'intégralité de ses demandes, notamment au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

' Dire que toutes les condamnations prononcées seront assorties des intérêts de droit pour les condamnations à caractère salarial à compter de la saisine du conseil et pour les condamnations à caractère indemnitaire à compter du prononcé du jugement, les intérêts bénéficiant eux-mêmes des prescriptions de l'article 1154 du code civil, pour peu qu'ils soient dus pour une année entière,

' Ordonner la remise d'une attestation Pôle Emploi et de bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 14 février 2022, suivant lesquelles la SELARL PHARMACIE [J] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris,

' Fixer le salaire de référence à la somme de 3.715,16 € brut,

' Confirmer les avertissements et le licenciement pour inaptitude,

' Constater que :

- le salarié n'est pas fondé à solliciter des rappels d'heures supplémentaires,

- le salarié ne démontre pas de harcèlement moral ni de manquements de l'employeur à ses obligations de loyauté et de sécurité,

- l'inaptitude est d'origine non professionnelle,

- l'irrégularité de la procédure de licenciement mais l'absence de démonstration de préjudice par le salarié,

' Débouter M. [P] de ses diverses demandes financières de ces chefs,

' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code

de procédure civile,

Statuant à nouveau,

' Débouter M. [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en première instance et en appel,

' Condamner M. [P] à lui payer les sommes de :

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- entiers dépens,

' Débouter M. [P] du surplus de ses demandes.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 17 février 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exécution du contrat de travail :

* Quant au bien fondé des avertissements :

Pour infirmation et annulation des avertissements prononcés, M. [O] [P] sans remettre en cause la matérialité des faits qui lui sont imputés, invoque la disproportion des sanctions prononcées à son encontre au regard du caractère usuel des erreurs qui lui sont reprochées, des usages en vigueur au sein de l'officine et au regard de son ancienneté sans antécédent disciplinaire.

M. [O] [P] estime par ailleurs que le dernier avertissement pour des faits antérieurs au précédent ne peut lui être reproché, l'employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire.

L'employeur réfute l'argumentation de M. [O] [P] arguant de ce que l'inversion de piluliers comme le sous-dosage de médicament ou la délivrance d'un produit injectable sans ordonnance constituent des manquements graves tant au regard de la sécurité des patients que de l'image de la pharmacie.

La SELARL PHARMACIE [J] fait en outre valoir que M. [O] [P] ne peut invoquer la prescription concernant le troisième avertissement dès lors que ces faits ont été découverts postérieurement à la notification du précédent avertissement.

M. [O] [P] a fait l'objet de trois avertissements ainsi motivés :

Le 7 mai 2013,

'Monsieur,

Je suis contrainte de vous signifier un avertissement compte tenu des fautes que vous avez commises, et qui peuvent être ainsi précisées :

- Le 29 Avril 2013, alors qu'une préparatrice vous demandait un avis sur un renouvellement exceptionnel complémentaire sur une ordonnance, vous lui avez indiqué que cela était possible alors que ces renouvellements ne sont accordés que pour les traitements chroniques de trois mois, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

- Le 14 Mars 2013, vous avez délivré à un de nos clients du VALSARTAN 40, générique du NISIS, à la place du VALSARTAN 80.

Le 19 Avril 2013, alors que ce client venait pour son traiternent, nous avons détecté cette erreur, et lorsque nous l'avons interrogé, celui-ci nous a indiqué avoir 'eu des variations de tension' et ne s'être 'pas bien senti'.

Lorsque nous vous avons fait part de cette situation loin de vous excuser, vous avez tenté de vous justifier en nous indiquant: 'De toute façon, en pharmacie, il y a des erreurs qui se produisent, et d'ailleurs, il y a plein d'erreurs dans cette pharmacie'.

Nous vous avons alors demandé de préciser ce que vous vouliez dire et vous nous avez déclaré : 'Jenna, une jeune préparatrice, avait fait une erreur le mardi précédent cette discussion et ce n'était pas la première'.

En votre qualité de Pharmacien adjoint, et compte tenu de votre ancienneté, vous auriez dû me prévenir, ce qui m'aurait permis de prendre les mesures correctrices qui s'imposaient.

Depuis la reprise de la pharmacie, nous essayons de développer la rigueur et la qualité des prestations, en organisant de nombreuses formations.

En votre qualité, vous vous devez de concourir à ces améliorations, et favoriser le travail en équipe.

Compte tenu de notre activité sensible et des conséquences potentiellement très préjudiciables pour les patients et/ou pour la pharmacie, mais aussi de votre ancienneté de 24 ans au sein de l'officine en qualité de Pharmacien adjoint, les fautes que vous avez commises sont inacceptables.

Nous vous notifions donc le présent avertissement qui sera versé à votre dossier personnel.

Compte tenu de la gravité de vos fautes, nous aurions pu engager contre vous une procédure de licenciement.

Nous souhaitons néanmoins vous donner une chance vous permettant de corriger votre comportement.

Nous vous informons officiellement qu'une nouvelle faute de votre part pourrait nous amener à prendre une sanction plus importante, voire, le cas échéant, à envisager un licenciement.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'

Le 18 avril 2014

'Monsieur,

Je suis contrainte de vous signifier un second avertissement compte tenu des fautes que vous avez commises, et qui peuvent être ainsi précisées :

- Le mardi 01/04/2014, vous avez effectué les piluliers de trois résidents pour 'la maison bleue'. Le vendredi suivant, la mère d'un des résidents vous a fait part d'une erreur de dosage du médicament [E]. En effet, vous avez interverti les dosages entre 2 résidents. Je vous ai fait part immédiatement du fait que vous êtes relevé de cette fonction, la confiance des parents étant compromise, et c'est seulement moi qui dorénavant en aurait la charge.

- Environ un mois auparavant, nous avons constaté ensemble qu'une patiente était revenue : vous aviez délivré du MONURIL au lieu du MACROGOL.

En votre qualité de Pharmacien adjoint, vous vous devez de concourir à développer la qualité de dispensation des médicaments, l' objectif étant clairement le commentaire de 1'ordonnance ainsi que les conseils devant y être associés. Cette démarche aurait dû éviter la confusion MONURIL/MACROGOL.

Compte tenu de notre activité sensible et des conséquences potentiellement très préjudiciables pour les patients et/ou pour la pharmacie, mais aussi de votre ancienneté de 25 ans au sein de 1'officine en qualité de pharmacien adjoint, les fautes que vous avez commises font preuve d'insuffisance professionnelle et sont inacceptables.

Nous vous demandons solennellement de changer votre comportement.

Nous vous notifions donc le présent avertissement qui sera versé à votre dossier personnel.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'

Le 26 mai 2014.

'Monsieur,

Malgré deux précédents courriers en date des 7 mai 2013 et 18 avril 2014 derniers, vous rappelant à vos obligations de pharmacien adjoint, vous continuez à porter atteinte de manière grave à la qualité de service et à la réputation de notre pharmacie.

En effet, loin d'avoir tenu-compte de nos précédentes observations, votre comportement professionnel reste ponctué d'erreurs et de fautes professionnelles aux conséquences potentielles graves pour la santé de nos patients / clients, et notre pharmacie.

Ainsi, le 3 avril 2014, vous avez renouvelé une ordonnance du 16 octobre 2012, en contradiction avec la réglementation en la matière qui fixe la validité d'une ordonnance à 1 an, comme vous le savez. Je n'ai eu connaissance de cette faute que le 5 mai 2014. Cette erreur est d'autant plus regrettable que notre logiciel WINPHARMA, auquel vous avez été formé, comporte un système d'alerte en ce sens, alerte que vous n'avez pas consultée, comme vous me l'avez précisé ensuite.

De plus, le 24 avril 2014, vous avez avancé une boîte de PIPORTIL injectable à un patient sous surveillance clinique, sans présentation de son ordonnance. Or j'avais expressément prévenu toute l'équipe oralement, qu'il était interdit de le faire, puisque nous savons que ce patient pourrait fréquenter une autre pharmacie.

A nouveau, notre logiciel comportait une alerte en ce sens, a nouveau, vous êtes passé outre.

Cet agissement constitue à nos yeux un acte d'insubordination, puisque vous avez choisi délibérément de ne pas respecter les consignes claires qui vous avaient été données.

L'accumulation de vos erreurs, pourtant évitables grâce à l'organisation et aux outils mis en place au sein de la pharmacie, nous semble caractériser une véritable mauvaise volonté de votre part de vous conformer à nos directives, et à la nouvelle dynamique que nous avons souhaité insuffler à la pharmacie depuis son rachat. L'ensemble de ces faits nous amène donc à vous notifier ici un troisième avertissement qui sera versé à votre dossier personnel.

Cette dynamique repose à nos yeux sur une véritable coopération de chacun de ses acteurs. En tant que pharmacien-adjoint, doté de 25 ans d'ancienneté, nous souhaitons pouvoir nous appuyer sur votre expérience, et attendons de vous d'être un moteur dans notre organisation, en vous engageant à respecter les procédures et directives émanant de la nouvelle direction, dans le cadre d'une collaboration fructueuse.

Dans le cas contraire, si de tels incidents se reproduisaient, croyez-bien que nous prendrons les mesures qui s'imposent, et que nous pourrons être amenés à envisager votre licenciement.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'

En application des dispositions de l'article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige relatif à une sanction, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'employeur qui, ayant connaissance dans un ensemble de faits commis par le salarié, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction, la notification d'une mesure disciplinaire ayant pour effet d'épuiser son pouvoir disciplinaire concernant l'ensemble des faits, même distincts, imputés au salarié pendant la période antérieure.

En l'espèce, les faits imputés à M. [O] [P] ne sont pas discutés dans leur matérialité et le salarié ne peut se prévaloir du fait que le même type d'erreurs ait pu commis par son employeur pour s'exonérer de toute responsabilité et il est avéré que les faits du 3 avril 2014 n'ont été découverts que le 5 mai 2014, de sorte que la circonstance que l'intéressé ait fait postérieurement l'objet d'un avertissement ne peut pas plus être invoqué.

De la même manière, la circonstance que M. [O] [P] n'ait jamais fait l'objet antérieurement d'une sanction disciplinaire en plus de 23 ans de présence dans l'officine ne confère pas en soi un caractère disproportionné aux sanctions prononcées qui sont les plus basses dont dispose un employeur dans la hiérarchie des sanctions applicables, le fait qu'elles puissent s'inscrire dans un autre processus qui peut être différemment apprécié sur un autre fondement ne suffisant pas à leur conférer un caractère manifestement disproportionné.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris de ce chef et de débouter M. [O] [P] de la demande indemnitaire formulée à ce titre.

* Quant aux rappels de salaire :

- Au titre des heures supplémentaires :

Pour infirmation et bien fondé de ses prétentions à ce titre, M. [O] [P] fait essentiellement valoir que procédait quotidiennement à la fermeture de l'officine et que les tâches afférentes listées représentent au minimum quarante minutes, qu'en dépit de ses demandes, les heures supplémentaires qui en résultaient n'ont jamais été rémunérées.

M. [O] [P] entend par ailleurs faire observer que les éléments qui lui sont opposés ne sont pas pertinents en ce que les attestations produites se contredisent ou émanent de personnes qui n'étaient pas présentes dans l'officine sur la période considérée et au delà de leur irrégularité formelle, n'indiquent jamais qu'il ne procédait pas à sa fermeture.

La SELARL PHARMACIE [J] rétorque que les salariés avaient des horaires individualisés qui étaient affichés, que M. [O] [P] n'a jamais réclamé le paiement d'heures qui au demeurant ne lui étaient pas demandées et que la gérante procédait elle-même le plus souvent à la fermeture de l'officine.

La SELARL PHARMACIE [J] ajoute que M. [O] [P] n'étaye pas sa demande par des éléments tangibles et que la production d'un second décompte rectifié à la suite du pointage en première instance des incohérences du premier décompte produit en démontre le manque de sérieux, sachant que les opérations de fermeture ne prenaient au mieux que quelques minutes.

Selon l'article L. 3121-10 du Code du Travail, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaines civile ; l'article L. 3121-22 énonce que les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires, les heures suivantes donnant lieu à une majoration de 50 % ;

Une convention ou un accord de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir un taux de majoration différent qui ne peut être inférieur à 10% ;

En application de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [O] [P] produit un décompte des heures de travail qu'il indique avoir réalisées au cours des années 2012 et 2013, comportant une extraction à la semaine du nombre d'heures supplémentaires revendiquées et l'application à ces heures des majorations à 25 % quand il y a lieu et à 50% au delà de huit heures supplémentaires.

M. [O] [P] produit en outre l'attestation de Mme [Y] indiquant que les fermetures qu'elle faisait tous les soirs avec M. [O] [P] duraient en moyenne 40 à 45 minutes, un courrier de la SELARL PHARMACIE DELAIREdu 3 novembre 2014 lui demandant d'effectuer les vérifications sur les heures d'ouverture, de simplifier les opérations de fermeture, en limitant les vérifications et la liste des tâches à réaliser lors de la fermeture ainsi que l'attestation de Mme [P] confirmant l'application d'heures supplémentaires, tout en faisant état du constat réalisé par le médecin du travail lors de l'étude de poste, indiquant qu'il ne faisait plus la fermeture de la pharmacie.

La SELARL PHARMACIE [J] produit d'une part la lettre du four à pizza et l'attestation de Mme [X] indiquant pour la première que M. et Mme [J] assuraient fermaient eux-mêmes leur pharmacie le soir et pour la seconde, certifiant avoir vu Mme [J] fermer sa pharmacie seule depuis le rachat de l'officine mais également une lettre de Mme [W] gérante du salon de coiffure 'le cheveu' confirmant que la fermeture de la pharmacie à 19 h30 est souvent réalisée par Mme [J] depuis quelques années.

La SELARL PHARMACIE [J] produit également une lettre de Mme [S] indiquant que les opérations de fermeture ne nécessitent pas de réaliser du temps de travail supplémentaire sans autre précision concernant les tâches à réaliser et le témoignage de Mme [H] attestant qu'elle effectue la fermeture de la pharmacie [J] de manière identique aux autres officines et qu'elle 'n'occasionne pas de temps supplémentaires à ce que j'effectue dans d'autres pharmacies', ce qui en soit ne remet pas en cause l'estimation faite par le salarié.

Aux décomptes d'heures précis produits par ce dernier, l'employeur oppose en outre un tableau reprenant les tâches à réaliser lors de la fermeture pour un total cumulé n'excédant pas 75 secondes ainsi qu'un document dactylographié présenté sous forme de tableau, intitulé 'tableau de confirmation de l'affichage des horaires individuels depuis la reprise de la pharmacie collective' daté du 13 janvier 2018 et signé par cinq salariées ainsi.

Or, l'examen du registre du personnel produit au débat permet de constater qu'au milieu du nombre impressionnant de salariés embauchés en contrat à durée déterminée, aucune des quatre salariées signataires retrouvées dans ce document, n'était salariée de la société antérieurement au licenciement de M. [O] [P], mais embauchées une première fois, pour Mme [M] le 16 août 2016, Mme [L] le 17 août 2015, Mme [V] le 7 décembre 2015 et Mme [T] le 12 mai 2016, de sorte que la valeur probante de ce document est dérisoire.

Le mode de calcul du temps nécessaire aux opérations de fermeture de la pharmacie procède d'une approche dénuée de toute objectivité et ne peut pas être retenue comme remettant totalement en cause l'estimation du salarié selon laquelle il lui fallait environ quarante minutes tous les soirs pour procéder à sa fermeture et ce, quand bien même ce temps pouvait évoluer d'une fermeture à l'autre et que la cour évalue au vu des documents produits à 30 minutes minimum.

En outre, étant relevé qu'une fois la fermeture réalisée, le départ de la dernière personne présente se faisait par l'arrière de l'officine, les attestations au demeurant contradictoires des commerçantes et professionnelles voisines, affirmant que Mme [J], voire M. et Mme [J] procédaient souvent depuis plusieurs années à la fermeture de l'officine à 19h30, sont dénuées de caractère probant et il n'est produit aucune pièce établissant que lors des absences de Mme [J] qui procède à ce titre par affirmation, M. [O] [P] était assisté d'un ou d'une salariée, Mme [Y] témoignant qu'elle restait pour ne pas laisser M. [O] [P] seul dans l'officine, sans que son attestation fasse l'objet d'une inscription de faux.

Il résulte des développements que M. [O] [P] qui travaillait notamment cinq après-midi par semaine et un samedi après-midi sur deux, réalisait effectivement l'ensemble des tâches nécessaires à la fermeture de l'officine à la fin des après-midi où il travaillait, l'employeur ne produisant ni décompte des heures réalisées par le salarié ni d'élément suffisamment précis et probant pour remettre en cause ceux qu'il produit qui permettent d'en retenir au moins partiellement la réalité.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et de faire partiellement droit aux prétentions du salarié à ce titre.

Au vu des éléments produits, il y a lieu d'allouer à M. [O] [P] la somme de 7.241 € au titre des heures supplémentaires, outre 724,10 € au titre des congés payés afférents.

- au titre du repos compensateur :

Les articles L3121-11 et suivants du Code du travail et D3121-14-1 et suivants du même code du travail disposent que 'Le contingent annuel d'heures supplémentaires est défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche. A défaut d'accord, le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à 220 heures par salarié. Au delà de ce contingent, les heures supplémentaires ouvrent droit à un repos compensateur équivalent ou à une majoration salariale.'

L'article 13 de la convention collective de la pharmacie d'officine énonce que ' Le contingent d'heures supplémentaires pouvant être effectuées, après information de l'inspecteur du travail et, s'ils existent, des représentants du personnel, est de 130 heures par an et par salarié, conformément au décret n° 82-101 du 27 janvier 1982. Des heures supplémentaires peuvent toutefois être effectuées au-delà de ce contingent avec autorisation de l'inspecteur du travail ; dans ce cas, un repos compensateur sera donné conformément à la loi.'

L'article 18 IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 précise que la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent prévu aux deux derniers alinéas de l'article L. 3121-11 du code du travail est fixée à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.

En application des dispositions précitées, M. [O] [P] est fondé à obtenir le paiement de la somme de 156 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos outre 15,60€ au titre des congés payés afférents.

- au titre de la prime d'ancienneté :

Compte tenu des développements qui précèdent, M. [O] [P] est fondé à obtenir le règlement d'un rappel de prime d'ancienneté à hauteur de 1.086,15 €, outre 108,61 € au titre des congés payés afférents.

* Quant au harcèlement moral et l'exécution déloyale du contrat de travail :

Pour infirmation, M. [O] [P] fait essentiellement valoir qu'il a fait l'objet de trois sanctions injustifiées en 13 mois, que les heures supplémentaires effectuées quotidiennement ne lui ont pas été réglées et qu'il a subi une surveillance étroite, impliquant la vérification de tous ses actes et de sa facturation, une intervention à chaque conseil donné à un client, des pressions sur le nombre de clients servis, des remarques désobligeantes et humiliantes relatives à une rémunération jugée trop élevée, à une tenue vestimentaire inadaptée, à de la consommation de drogue, à une image nuisible pour la pharmacie ainsi que des moqueries et critiques infondées devant le personnel, dans l'unique but de provoquer son départ.

La SELARL PHARMACIE [J] objecte que les avertissements prononcés à l'encontre de l'intéressé sont parfaitement justifiés, que les heures supplémentaires revendiquées mais contestées ne peuvent caractériser le moindre harcèlement, que la vérification des actes et factures du salarié procède de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur et n'avait pour but que d'éviter de nouvelles erreurs, a fortiori portant sur des faits graves, que l'attestation de Mme [J] ne relate aucun fait de harcèlement ni de manquement, que le comportement attribué à Mme [J] est contesté, que l'attestation de Mme [Y] qui était absente, est à tous égards mensongère, que celle de Mme [U] n'a aucune utilité, que la chronologie démontre que les faits qu'il dénonce n'ont pas eu d'impact sur sa santé, que les éléments y compris concernant sa santé ne démontrent l'existence d'aucun lien avec le contexte professionnel, que le médecin du travail ne fait que rapporter ses propos tout comme le courrier du docteur [R], que M. [O] [P] ne justifie pas de la réalité du préjudice qu'il invoque.

En application des dispositions de l'article L. 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l'exécution de mauvaise foi dudit contrat incombe à celui qui l'invoque.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.

Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

L'article L.1152-4 du même code oblige l'employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ;

L'article 26 de la Charte sociale européenne dispose que :

« En vue d'assurer l'exercice effectif du droit de tous les travailleurs à la protection de leur dignité au travail, les Parties s'engagent, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs :

[...]

2. à promouvoir la sensibilisation, l'information et la prévention en matière d'actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements ».

Il suit de ces dispositions que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment de harcèlement moral ; l'absence de faute de sa part ou le comportement fautif d'un autre salarié de l'entreprise ne peuvent l'exonérer de sa responsabilité à ce titre ; les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, un licenciement intervenu dans ce contexte est nul.

En l'espèce, M. [O] [P] établit avoir fait l'objet en dix-huit mois de trois avertissements pour des erreurs de même nature que celles commises par son employeur alors qu'il n'avait jamais fait l'objet de sanction au cours des 24 années précédentes, d'entretiens répétés en septembre 2012, novembre 2012 et mars 2013 tendant à le pousser à s'installer, qu'il avait fait l'objet d'une surveillance étroite, qu'il a été conduit par son employeur à adresser à la CPAM des courriers par lesquels il reconnaissait ses erreurs, qu'il a fait l'objet d'un entretien au cours duquel lui a été proposé une rupture conventionnelle qu'il a acceptée mais à laquelle l'employeur n'a pas donné de suite, juste avant qu'il ne soit placé en arrêt de travail et se voit prescrire un traitement anti-dépresseur.

Ces faits répétés qui ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible d'altérer sa santé mentale, pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence de harcèlement.

Dès lors que l'avertissement constitue la sanction la plus basse dans la hiérarchie des mesures disciplinaires dont dispose l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de sanction et que les manquements imputés au salarié sont effectivement établis mais aussi que les trois mesures prononcées à l'encontre de M. [O] [P] ne sont pas manifestement disproportionnées, leur prononcé apprécié isolément constitue un élément objectif étranger à tout harcèlement dont peut se prévaloir l'employeur.

En revanche, le fait sous couvert d'ouvrir au salarié d'autres perspectives telles qu'une possibilité d'installation ou de participation à un capital social, de proposer jusqu'en octobre 2014 de manière répétée et insistante au salarié d'envisager son départ de l'officine où il travaillait depuis plus de 25 ans dans un contexte particulier de reprise de l'officine, également marqué par la répétition de telles sanctions certes fondées mais dans un délai très court pour des erreurs relativement usuelles et par l'obligation de rédiger des 'aveux' de ses erreurs à l'adresse de la Cpam, avec l'engagement de tout mettre en oeuvre pour ne plus reproduire de telles erreurs, n'est justifié par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement.

Il est par ailleurs établi qu'à la suite de la dégradation des conditions de travail de M. [O] [P] qui en est résulté, dans un enchaînement caractérisant une exécution déloyale du contrat de travail, accentuée par une surveillance constante qui n'est pas discutée, M. [O] [P] a été placé en arrêt de travail en octobre 2014 pour syndrome dépressif pendant 7 semaines, a fait l'objet d'un traitement anti-dépresseur, au point d'amener le médecin du travail à l'orienter vers le Docteur [R] du service de pathologie professionnelle et environnementale qui a estimé que le maintenir dans son travail actuel serait l'exposer à un danger sur le plan psychique et qu'une nouvelle dégradation pourrait l'amener à une dépression plus forte encore.

Il résulte des développements qui précèdent que M. [O] [P] a fait l'objet de harcèlement de la part de son employeur. Le préjudice moral qui en est résulté pour l'intéressé doit être évalué à la somme de 6.000 €, le jugement entrepris étant réformé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail :

* Quant à l'origine de l'inaptitude :

En l'espèce, dès lors qu'il est établi que c'est en particulier à la suite de l'entretien le 8 octobre 2014, au cours duquel la possibilité d'une rupture conventionnelle a été évoquée, que M. [P] a été placé en arrêt de travail prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 30 novembre 2014, qu'ayant repris le travail le 1er décembre 2014 et avoir consulté le Docteur [R] du service de pathologie professionnelle et environnementale le 5 février 2015qui a estimé que son maintien dans son emploi était contre-indiqué sur le plan psychique, placé à nouveau en arrêt de travail du 10 mars 2014 au 21 avril 2015, il a été déclaré inapte à son poste de travail mais apte à un poste dans un autre environnement de travail, par exemple une autre pharmacie à l'issue de deux visites de reprises et étude de poste, il est indéniable que l'inaptitude de M. [O] [P] trouve son origine dans les faits de harcèlement dont il été victime de la part de son employeur, de sorte qu'il y a lieu de prononcer la nullité de son licenciement.

Il résulte en outre des éléments ci-dessus rapportés que l'inaptitude de M. [O] [P] a une origine professionnelle.

* Quant aux conséquences du licenciement :

En application des articles L.1152-3 et L.1235-3 du code du travail, si le licenciement est nul et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur, en plus des indemnités de rupture, une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale aux six derniers mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

Compte tenu de la perte d'une ancienneté de plus de 25 ans pour un salarié âgé de 52 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application des articles L.1152-3 et L. 1235-3 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 76.500 € net à titre de dommages-intérêts, le jugement entrepris étant infirmé dans cette limite.

Aux termes de l'article L.1226-14 du Code du Travail dans sa version applicable au litige, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus par l'article L.1226-12 alinéa 2 du même code, ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de la seule indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 (sans congés payés afférents), ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L.1234-9 du même code ; il y a lieu en conséquence d'allouer à M. [O] [P] les sommes suivantes :

- 12.066,45 € brut au titre de l'indemnité compensatrice,

- 21.101,59 € net au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

le jugement entrepris étant infirmé dans ces limites.

* Quant au non respect de la procédure de licenciement :

En l'espèce, dès lors que le licenciement est nul, l'indemnisation résultant de la combinaison des dispositions des articles L.1152-3 et L.1235-3 du code du travail prend en compte le préjudice moral pouvant résulter du non respect de la procédure. Il y a lieu en conséquence de débouter M. [O] [P] de la demande formulée à ce titre et par conséquent de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur la capitalisation des intérêts :

En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; il doit être fait droit à cette demande';

Sur la remise des documents sociaux

La demande de remise de documents sociaux conformes est fondée ; il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-dessous sans qu'il y ait lieu à astreinte ;

Sur le remboursement ASSEDIC

En application de l'article L.1235-4 du Code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées

Les conditions d'application de l'article L 1235-4 du Code du travail étant réunies en l'espèce, le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur fautif, est de droit ; ce remboursement sera ordonné tel qu'il est dit au dispositif ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la SELARL PHARMACIE [J] qui succombe en appel, doit être débouté de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser le salarié des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [O] [P] de sa demande d'annulation des avertissements prononcés à son encontre et de la demande de dommages et intérêts afférente,

et statuant à nouveau,

DÉCLARE nul le licenciement de M. [O] [P],

CONDAMNE la SELARL PHARMACIE [J] à payer à M. [O] [P]:

- 7.241 € brut au titre des heures supplémentaires,

- 724,10 € au titre des congés payés afférents,

- 156 € brut au titre des contreparties obligatoires en repos,

- 15,60 € brut

- 1.086,15 € brut à titre de rappel de salaire sur prime d'ancienneté,

- 108,61 € brut au titre des congés payés afférents,

- 6.000 € net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 76.500 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 12.066,45 € brut au titre de l'indemnité compensatrice,

- 21.101,59 € net au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement ,

RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes, à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts

CONDAMNE la SELARL PHARMACIE [J] à remettre à M. [O] [P] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification

CONDAMNE la SELARL PHARMACIE [J] à payer à M. [O] [P] 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SELARL PHARMACIE [J] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

ORDONNE le remboursement par la SELARL PHARMACIE [J] à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à M. [O] [P] dans les limites des six mois de l'article L 1235-4 du code du travail.

CONDAMNE la SELARL PHARMACIE [J] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/01080
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;19.01080 ?
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