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01/06/2022 | FRANCE | N°21/03831

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 01 juin 2022, 21/03831


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/03831 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RYNU













[15]



C/



CPAM DE LOIRE ATLANTIQUE

FIVA

[K] [M]































Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAIS

E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 JUIN 2022



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/03831 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RYNU

[15]

C/

CPAM DE LOIRE ATLANTIQUE

FIVA

[K] [M]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Mars 2022

devant Madame Elisabeth SERRIN et Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 18 Octobre 2019

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de NANTES - Pôle Social

****

APPELANTE :

La Société [15], immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro [N° SIREN/SIRET 3],

[Adresse 10]

[Adresse 4]

[Localité 6]

représentée par Me Xavier CAMBIER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE substitué par Me Romain RAPHAEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉS :

LE FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA), Etablissement public administratif,

[Adresse 14]

[Adresse 8]

[Localité 7]

représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES

LA CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE ATLANTIQUE,

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Mme [H] [T] en vertu d'un pouvoir spécial

Monsieur [K] [M]

[Adresse 11]

[Localité 1]

représenté par Me Frédéric QUINQUIS de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS

***********

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [K] [M] a travaillé comme salarié au sein de la société [9] du 17 avril 1972 au 28 juillet 1986 sur le site de [Localité 13] en Loire-Atlantique, son dernier emploi étant agent de fabrication.

Le 3 septembre 2014, il a complété une déclaration de maladie professionnelle pour des 'plaques pleurales - MP 30', avec une date de première constatation médicale fixée au 10 mai 2014. Il y mentionnait que son dernier employeur était la société [12] (de 1991 à 2002).

Le certificat médical initial, établi le 28 août 2014, précise que 'le patient présente des plaques pleurales sur le TDM du 10 mai 2014 l'intégrant dans un tableau 30 B du registre'.

Le 2 décembre 2014, la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique (la caisse) a pris en charge la maladie au titre de la législation professionnelle.

Par lettre du 4 décembre 2014, la caisse a fixé le taux d'incapacité permanent partielle (IPP) de l'assuré à 5%, précisant qu'une indemnité en capital d'un montant de 1 948,44 euros lui serait versée.

Le 23 janvier 2015, l'assuré a effectué une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) et accepté son offre d'indemnisation le 13 février 2015.

Le 21 mai 2015, M. [M] a saisi la caisse d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [15] 'venant aux droits de la société [9]' en exposant avoir travaillé pour cette dernière, radiée du Registre du Commerce et des Sociétés le 18 décembre 1986.

Le 29 mai 2015, M. [M] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société [15] (la société).

Par jugement du 18 octobre 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Nantes, a :

- déclaré irrecevables les demandes formulées par la société, visant à titre principal, à annuler la décision de la caisse du 2 décembre 2014 ayant reconnu le caractère professionnel de la maladie de M. [M], et à titre subsidiaire, à lui déclarer inopposable cette décision ;

- dit que la maladie professionnelle déclarée le 3 septembre 2014 par M. [M] et prise en charge au titre de plaques pleurales relevant du tableau n°30 des maladies professionnelles est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société ;

- fixé au taux maximum la majoration du capital attribuée à M. [M] ;

- dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanent de M. [M] en cas d'aggravation de son état de santé ;

- dit que cette majoration devra être versée au FIVA par la caisse ;

- dit qu'en cas de décès de M. [M] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de son conjoint survivant ;

- fixé aux sommes suivantes le montant des préjudices personnels de M. [M] :

* au titre des souffrances physiques : 200 euros

* au titre des souffrances morales : 13 400 euros

* au titre du préjudice d'agrément : 1 000 euros

- dit que la caisse devra verser ces sommes au FIVA, en sa qualité de créancier subrogé en réparation des préjudices personnels de M. [M] ;

- dit que toutes les sommes susvisées porteront intérêt au taux légal à compter du jugement ;

- condamné la société à rembourser à la caisse l'intégralité des sommes qu'elle aura avancées en exécution du jugement au titre de son action récursoire ;

- condamné la société à verser à M. [M] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- condamné la société aux dépens ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 2 décembre 2019, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 5 novembre 2019.

Le 18 mai 2021, le magistrat chargé de l'instruction a ordonné la radiation de l'affaire.

Le 10 juin 2021, la société a sollicité la réinscription de cette affaire au rôle de la cour, qui l'a enregistrée sous le n° 21/03831.

Par ses écritures parvenues au greffe le 10 juin 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau :

sur la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [M] :

-dire et juger qu'elle est recevable à solliciter, par voie d'exception, l'inopposabilité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle en raison de l'absence d'imputabilité de celle-ci à son égard ;

- dire et juger que la maladie professionnelle de M. [M] ne lui est pas imputable ;

- annuler la décision rendue le 2 décembre 2014 par la caisse par laquelle le caractère professionnel de la maladie et du décès (sic) de M. [M] a été reconnu ;

- à titre subsidiaire, prononcer l'inopposabilité à son égard de la décision rendue le 2 décembre 2014 par la caisse par laquelle le caractère professionnel de la maladie a été reconnu ;

- ordonner à la caisse de communiquer le jugement à intervenir à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Pays de la Loire, en lui demandant de procéder au retrait des incidences de la maladie professionnelle de M. [M] sur son compte accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) et de rectifier en conséquence les taux de cotisations accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) pour l'établissement concerné ;

sur la faute inexcusable :

- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable ;

En conséquence, débouter M. [M] et le FIVA de leurs prétentions ;

- à titre subsidiaire, dire et juger que la caisse n'est pas fondée à exercer une action récursoire contre elle sur le fondement de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale compte tenu de l'inopposabilité de fond de la décision de reconnaissance de maladie professionnelle ;

- à titre infiniment subsidiaire si la cour considérait qu'elle a commis une faute inexcusable dont les conséquences lui sont opposables :

* ramener le quantum des préjudices physique et moral subis par M. [M] à de plus justes proportions ;

* rejeter la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément subi par M. [M] ou a minima le ramener à de plus justes proportions ;

- condamner solidairement M. [M], la caisse et le FIVA aux dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 17 mai 2021 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet sur le point de savoir si la maladie de M. [M] est imputable ou non à une faute inexcusable de l'employeur ;

- dans l'affirmative, fixer le montant de la majoration de capital et des préjudices personnels et condamner la société à lui rembourser les sommes qu'elle sera amenées à verser au titre des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la même aux dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 22 septembre 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant :

- condamner la société à lui payer une somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la partie succombante aux dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 15 avril 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, M. [M] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société, anciennement [9], à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société reproche aux premiers juges d'avoir déclaré irrecevables ses demandes de nullité et d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de M. [M] au titre de la législation professionnelle, en faisant valoir qu'il est de jurisprudence constante que l'employeur peut, dans le cadre du débat sur la faute inexcusable, présenter 'une demande d'inopposabilité pour absence d'imputabilité'.

C'est dans ces conditions qu'elle soutient que la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par le salarié est nulle, à tout le moins inopposable, et que la maladie professionnelle ne lui est pas imputable en faisant valoir :

- qu'elle n'est pas le dernier employeur ayant pu exposer M. [M] au risque,

- que la caisse n'a pas mené d'instruction à son égard,

- qu'en tout état de cause la maladie ne remplit pas les conditions du tableau n° 30 B 'pour la période au cours de laquelle M. [M] a exercé son activité professionnelle pour le compte de la société [15] : la maladie professionnelle ne lui est pas imputable'.

Elle conteste par ailleurs avoir commis une faute inexcusable en faisant valoir en substance que :

- M. [M] n'a pas manipulé d'amiante, n'a pas effectué de travaux de calorifugeage ni de travaux de maintenance sur des matériels contenant de l'amiante ou dans des locaux revêtus d'amiante, ni même encore de travaux nécessitant le port de vêtements contenant de l'amiante ;

- elle n'avait pas conscience des risques liés à l'amiante dès lors qu'elle n'était pas transformateur d'amiante et que l'Etat a été reconnu défaillant dans l'adoption d'une réglementation contre les dangers de l'amiante.

Sur ce :

1- Sur le moyen tiré de la nullité ou de l'opposabilité de la décision de prise en charge de la maladie

L'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige, régit exclusivement la procédure applicable à la prise en charge au titre de la législation professionnelle d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou d'une rechute.

Il en résulte que si l'employeur peut soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester la décision de prise en charge de l'accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation professionnelle (2e Civ., 26 novembre 2020, n°19-18.244).

C'est donc en vain que la société invoque la 'nullité' et subsidiairement l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie déclarée par M. [M] au seul motif qu'elle n'est pas le dernier employeur ayant pu exposer le salarié au risque professionnel de l'amiante et que la caisse n'a pas mené d'instruction à son égard. Au surplus, il sera simplement rappelé que l'instruction a été menée à l'égard de la société [12], dernier employeur, comme en justifie la caisse avec notamment la communication aux débats de la lettre de clôture adressée le 12 novembre 2014. Quoiqu'il en soit, la question de l'imputabilité importe peu à ce stade.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de nullité et subsidiairement d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie présentées par la société.

2- Sur la faute inexcusable

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, n° 18-26.677).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter 'la preuve que celui-ci... n'a pas pris les mesures nécessaires pour [la] préserver du danger auquel elle était exposée'.

Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.

Dans le cadre d'une exposition à l'amiante, il suffit, pour qu'une faute inexcusable puisse être reconnue, que l'exposition du salarié au risque ait été habituelle, peu important le fait que le salarié n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation d'amiante.

Cela suppose la démonstration du caractère professionnel de la maladie et de l'exposition au risque dans des conditions constitutives d'une faute inexcusable à l'encontre de l'employeur dont la faute inexcusable est recherchée.

2-1 Sur le caractère professionnel de la maladie

L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose une présomption d'origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Fixés par décret, les tableaux précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, énumèrent les affections provoquées et le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge.

Le caractère habituel des travaux visés dans un tableau n'implique pas qu'ils constituent une part prépondérante de l'activité (2e Civ., 8 octobre 2009, n°08-17.005) et le bénéfice de la présomption légale n'exige pas une exposition continue et permanente du salarié au risque pendant son activité professionnelle (2e Civ., 21 janvier 2010, n° 09-12.060).

Lorsque la demande de la victime réunit ces conditions, la maladie est présumée d'origine professionnelle, sans que la victime ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail.

Il appartient à la victime ou à ceux qui sont subrogés dans ses droits, de rapporter la preuve que la maladie qu'elle a prise en charge est celle désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Une fois la présomption d'imputabilité établie, il appartient à l'employeur de démontrer que l'affection litigieuse a une cause totalement étrangère au travail ( 2e Civ., 13 mars 2014, n° 13-13.663).

En l'espèce, le tableau 30 B des maladies professionnelles relatif aux affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante vise les « Lésions pleurales bénignes avec ou sans modifications des explorations fonctionnelles respiratoires » et parmi elles les « plaques calcifiées ou non péricardiques ou pleurales, unilatérales ou bilatérales, lorsqu'elles sont confirmées par un examen tomodensitométrique ».

Le délai de prise en charge est de 40 ans sans durée d'exposition minimale et le tableau mentionne une liste indicative de travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante.

L'exposition au risque doit s'apprécier sur l'ensemble de la carrière professionnelle de l'assuré.

En l'espèce, l'établissement de [Localité 13] où M. [M] travaillait exerce une activité de fabrication de deux types d'engrais agricoles, des engrais dits composés et de l'ammonitrate.

Il n'est pas contesté qu'elle n'utilise aucun produit amianté dans le processus industriel.

La présence d'amiante est en revanche avérée et non contestée dans les joints de chaudière et les tresses d'étanchéité ainsi qu'au niveau des toitures et du bardage en tôle d'amiante ciment sur le site de [Localité 13] où M. [M] a travaillé de 1972 à 1986.

Comme indiqué par les premiers juges, il ressort du certificat de travail établi le 29 juillet 1986 par la société [9] que M. [M] a occupé les postes suivants :

- chargeur en 1972,

- 2ème opérateur conducteur de 1972 à 1974,

- opérateur déminéralisation en 1974,

- conducteur déminéralisation de 1975 à 1977,

- PO fab. eau épurée de 1978 à 1981,

- PO fab. ammonitrate de 1982 à 1985,

- agent de fabrication de 1985 à 1986.

Dans le questionnaire complété au cours de l'instruction, M. [M] indique que 'pendant les arrêts techniques, [il effectuait des ] travaux de découpage et soudure, pose de bâches amiantées quotidiennement pour protéger les transporteurs et chemins de câbles, secouage et pliage des bâches amiantées' ; qu'il intervenait 'avec la maintenance sur les brides, grattage des joints amiantés pour remontage' ; qu'enfin, il utilisait des 'bâches amiantées, des gants amiantés, des joints de chaudières, des tresses et garniture et des presse-étoupes amiantés'.

Deux de ses collègues (MM. [W] et [R]) ont également complété des questionnaires au cours de l'instruction dans les termes repris par le jugement entrepris, dont il ressort qu'au cours des travaux effectués ensemble, notamment comme opérateurs azote, ils étaient amenés, lors des arrêts d'unités pour maintenance ayant lieu chaque semaine, à intervenir avec les chaudronniers et les mécaniciens dans les granulateurs, les séchoirs, l'enrobeur, le broyeur, etc ; c'est ainsi qu'ils posaient des bâches amiantées afin d'éviter que l'engrais resté dans les installations n'entre en combustion ou lors des travaux de soudure et de découpage au chalumeau.

M. [M] verse par ailleurs un certain nombre d'attestations de collègues ayant travaillé avec lui confirmant son exposition à l'amiante :

- M. [P] précise que M. [M] intervenait 'avec les mécaniciens au démontage remontage des joints en amiante sur les brides des tuyauteries après avoir gratté et soufflé les restes des anciens' ;

- M. [I] indique qu'il 'y avait chaque semaine des arrêts pour maintenance ou pour arrêt accidentel , où se retrouvaient tous les corps de métier du site et chacun utilisait l'amiante, que ce soit : bâches, tresses, joints et autres...' ;

- M. [Z] confirme qu'ils aidaient souvent la maintenance à protéger les appareils et les tas d'engrais avec des bâches amiantées lors des opérations de soudure, de découpage et de meulage ; qu'ils ramassaient en outre les tôles en fibro ciment qui tombaient lors des tempêtes et restaient travailler dans les ateliers lorsqu'il était procédé à leur remplacement ;

Ces déclarations sont reprises par d'autres collègues (MM. [L], [V], [S], etc).

Ainsi et contrairement à ce que soutient la société, d'autres salariés que ceux de l'équipe de maintenance étaient amenés à intervenir au contact de l'amiante et ces interventions de salariés comme M. [M] et les collègues témoignant pour lui s'effectuaient très régulièrement de manière hebdomadaire.

Par ailleurs, comme relevé pertinemment par les premiers juges, si la cour administrative d'appel de Nantes, dans son arrêt du 13 avril 2018 (pièce n°3 de l'appelante), a confirmé l'annulation de l'inscription sur la liste ACAATA du site de Montoir pour la période de 1971 à 1996 au motif que les travaux qui y étaient exécutés ne pouvaient être regardés comme des opérations de calorifugeage au sens de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, elle relève néanmoins que :

- les procédés mis en oeuvre dans le cadre de la fabrication des engrais sur ce site nécessitaient l'utilisation de l'amiante sous des formes multiples, telles que tresses et joints, dans l'ensemble des unités de production ;

- les salariés de cet établissement ont régulièrement procédé à des travaux d'entretien ou de réparation des installations notamment pour les changements de joints et de tresses en amiante situées sur les deux chaudières de l'unité azote.

La cour de Nantes relève encore l'existence du port de gants et bottes amiantés ainsi que l'utilisation de bâches amiantées pour préserver les salariés lors des opérations de découpage et de soudage.

Ainsi, force est de constater qu'au cours de son activité professionnelle au sein de la société sur le site de Montoir, M. [M] a bien été exposé de manière habituelle à l'amiante dans le cadre des travaux qu'il effectuait décrits ci-dessus lesquels entrent en toute hypothèse dans la catégorie des 'travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante'.

Les conditions médicales du tableau n°30 B et de délai de prise en charge n'étant pas discutées, force est de constater que la présomption d'imputabilité au travail s'applique.

La société ne rapportant pas la preuve d'une cause totalement étrangère de nature à renverser cette présomption, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris rejetant la contestation du caractère professionnel de la maladie de M. [M].

2-2 Sur la conscience du risque et les mesures prises par l'employeur

Le jugement querellé détaille parfaitement l'évolution des connaissances scientifiques et l'état du droit en la matière au moment de l'exposition de M. [M] au risque et il y a lieu de s'y référer.

M. [M] indique sans être contredit que le site de Montoir où il a travaillé de 1972 à 1986 existe depuis 1969.

La société soutient qu'elle n'est pas le dernier employeur de M. [M] et qu'elle ignorait les risques liés à l'utilisation d'amiante.

Or, force est de constater que l'état des connaissances permettait, depuis de nombreuses années, aux entreprises de savoir qu'elles exposaient leurs salariés à des risques connus depuis le milieu du XXe siècle s'agissant des asbestoses ou des plaques pleurales et ce alors que la création des tableaux de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'amiante remonte à l'année 1945 et que la liste des travaux devenue simplement indicative à compter de 1955.

Ainsi, dès cette date, tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quel que soit le type de travail effectué et la pathologie concernée, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre l'inhalation de poussières d'amiante.

Ainsi, dès cette date, tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quel que soit le type de travail effectué et la pathologie concernée, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre l'inhalation de poussières d'amiante.

Si des incertitudes scientifiques pouvaient en certains domaines encore subsister à l'époque, il demeure que tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, ou ayant su que son personnel travaillait dans des locaux dans lesquels des poussières d'amiantes étaient présentes en grandes quantités, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau.

En outre, la taille de la société lui permettait même à l'époque concernée d'avoir un personnel compétent en matière d'hygiène et de sécurité et celle-ci ne pouvait pas connaître les avantages de l'amiante sans connaître en parallèle les risques liés à sa manipulation et à son exposition pour ses salariés.

Cette conscience du risque peut être d'autant moins contestée que, comme le relève en outre le tribunal, l'extrait du manuel de sécurité de la société [9] (pièce n° S 66 de M. [M]) couvrant la période 1972-1987, mentionne expressément sous la rubrique 'amiante' : 'l'inhalation de poussières d'amiantes est dangereuse pour la santé (...) Dans l'usine, nous effectuons des travaux occasionnels et de courte durée pour lesquels il est nécessaire d'utiliser des équipements de protection en amiante (...)'.

La carence de l'Etat ou des autorités de tutelle ne pouvait dispenser l'entreprise employeur, seule titulaire et débitrice à l'égard de son salarié d'une obligation générale de sécurité, même à l'égard de produits au contact desquels se trouvaient exposés ses salariés, de prendre les mesures de prévention et de protection qu'imposait la situation.

Comme en attestent les collègues de M. [M] déjà cités, aucune protection collective ou individuelle n'a été mise à leur disposition. La société, en tout cas, n'allègue ni établit que les masques anti-poussières évoqués dans l'extrait du manuel susvisé auraient été effectivement mis à la disposition des salariés, notamment M. [M].

L'absence de véritables mesures efficaces pendant de nombreuses années malgré la conscience qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur du danger auquel le salarié était exposé permet de caractériser la faute inexcusable de l'employeur.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

2-3 Sur les conséquences de la faute inexcusable

En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

- la majoration de capital

M. [M] s'est vu attribuer le 4 décembre 2014 un taux d'incapacité permanente partielle de 5% ouvrant droit à un capital de 1 948,44 euros lequel lui a été versé par la caisse.

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a fixé au taux maximum la majoration du capital alloué à M. [M], a dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité en cas d'aggravation de l'état de santé de l'intéressé et que cette majoration sera versée au FIVA par la caisse ou encore qu'en cas de décès de l'intéressé résultant des conséquences de la maladie professionnelle, le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant.

- les souffrances endurées

L'état de santé de M. [M] a été déclaré consolidé le 25 août 2014, alors qu'il était âgé de 66 ans, la première constatation médicale de la maladie ayant été fixée au 10 mai 2014.

S'agissant du préjudice moral, celui-ci est constitué en l'espèce dès l'annonce de la maladie par la perspective d'avoir à se soumettre à des mesures de surveillance et par la crainte d'une évolution de la pathologie, majorée par un sentiment d'injustice et par le fait que le frère de la victime serait décédé d'une pathologie due à l'amiante (comme rapporté par la famille, ce qui n'est pas contesté par les parties).

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour fixer le préjudice moral subi par M. [M] à 13 400 euros, le jugement étant confirmé de ce chef.

S'agissant des souffrances physiques subies entre la première constatation médicale de la maladie et la consolidation, la cour trouve là encore dans la cause les éléments suffisants pour confirmer l'évaluation retenue par le tribunal à hauteur de 200 euros.

- le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.

Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.

Il ressort des attestations de proches versées aux débats (pièces n° 13 à 15 du FIVA) que M. [M], depuis l'annonce de la maladie, a réduit les activités auxquelles il s'adonnait 'avec passion' c'est-à-dire le jardinage, le bricolage et la chasse.

Ce préjudice a été à juste titre évalué par les premiers juges à la somme de 1 000 euros.

Le jugement entrepris sera dans ces conditions confirmé en ce qu'il a dit que les sommes précitées seront versées au FIVA par la caisse et que les intérêts seront dus au taux légal à compter du jugement.

3- Sur l'action récursoire de la caisse

Il résulte du dernier alinéa l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices allouée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de rente, est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur. Le bénéfice de ce versement direct s'applique également aux indemnités réparant les préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale (2e Civ., 10 mars 2016, n° 15-10.824).

Même dans le cas où les dépenses afférentes à la maladie ont été inscrites comme en l'espèce au compte spécial, la caisse, tenue de faire l'avance des sommes allouées en réparation des préjudices personnels complémentaires et de payer la majoration de rente, conserve contre l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue, les recours prévu à l'article L.452-3 alinéa 3, et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, et peut donc en récupérer les montants auprès de celui-ci (Cass 2è civ, 12 mai 2011, n°10-15187 ; Cass 2è civ 11 octobre 2012, n°11-22066).

Il y a lieu dans ces conditions de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à l'action récursoire de la caisse à l'encontre de la société.

4- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [M] et du FIVA leurs frais irrépétibles.

La société sera en conséquence condamnée à leur verser à ce titre les sommes suivantes, en sus de celles allouées en première instance :

- 1 500 euros pour le FIVA,

- 2 000 euros pour M. [M].

S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la société [15] à verser, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- au FIVA, la somme de 1 500 euros ;

-à M. [M], la somme de 2 000 euros ;

Condamne la société [15] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 21/03831
Date de la décision : 01/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-01;21.03831 ?
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