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01/06/2022 | FRANCE | N°19/02185

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 01 juin 2022, 19/02185


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 19/02185 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PVDI













[17]



C/



FIVA

CPAM DE LA LOIRE ATLANTIQUE

































Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE>
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 JUIN 2022



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des déb...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 19/02185 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PVDI

[17]

C/

FIVA

CPAM DE LA LOIRE ATLANTIQUE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 01 JUIN 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Mars 2022

devant Madame Elisabeth SERRIN et Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrats rapporteurs, tenant seules l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 01 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 28 Février 2019

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de NANTES - Pôle Social

****

APPELANTE :

LA Société [17], immatriculée au RCS de ST NAZAIRE sous le numéro [N° SIREN/SIRET 7],

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 19]

représentée par Me Joumana FRANGIE MOUKANAS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Agathe MARCON, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

LE FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA), Etablissement public administratif,

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 11]

représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES

LA CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE ATLANTIQUE,

[Adresse 10]

[Localité 6]

représentée par Mme [Y] [Z] en vertu d'un pouvoir spécial

INTERVENANTES VOLONTAIRES :

Madame [W] [E]

[Adresse 9]

[Localité 5]

représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS

Madame [L] [R] née [E]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS

Madame [H] [C] née [E]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS

************

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 15 juillet 2013, [X] [E], né le 27 juillet 1938, ancien salarié de la société [18], désormais dénommée [17] (la société) en tant que technicien d'atelier, a souscrit une déclaration de maladie professionnelle en raison d'un 'cancer du poumon'.

Le certificat médical initial établi le 5 juin 2013 fait état d'un 'adénocarcinome broncho-pulmonaire (lobectomie supérieure droite 10/05/2013) - exposition passée à l'amiante'.

Le 30 octobre 2013, la caisse a ainsi pris en charge la maladie déclarée, au titre de la législation professionnelle (tableau n°30 bis).

Un taux d'incapacité permanente partielle de 80% a été attribué à [X] [E] ainsi qu'une rente à compter du 15 février 2014.

Le 26 juin 2014, ce dernier a saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation de ses préjudices. Il a formulé une demande d'indemnisation complémentaire le 8 octobre 2014 compte tenu de l'aggravation de son état de santé. Il a accepté les offres du FIVA.

Le 28 avril 2015, le FIVA a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes d'une procédure visant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société.

[X] [E] est décédé des suites de sa maladie le 19 avril 2016. Mme [E] s'est vue attribuer une rente de conjoint survivant à compter du 1er mai 2016.

Mme [E] ainsi que les ayants droit de [X] [E] ont été indemnisés par le FIVA en réparation de leurs préjudices personnels.

Par jugement du 28 février 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Nantes a :

- déclaré recevable l'intervention du FIVA dans le cadre du présent recours en sa qualité de subrogé dans les droits de M. [E] et de ses ayants droit;

-débouté la société et la caisse de leurs demandes de jonction des recours n°214.406 et 215.566 ;

- dit que la maladie professionnelle déclarée par [X] [E], s'agissant du cancer broncho- pulmonaire primitif, est imputable à la faute inexcusable de son employeur ;

- fixé à son maximum la majoration de rente servie à [X] [E] pendant la période ante mortem et dit que cette majoration de rente sera directement versée par la caisse à la succession de [X] [E] ;

- fixé à son maximum la majoration de rente servie à Mme [W] [E], conjoint survivant de la victime, et dit que cette majoration de rente sera directement versée par la caisse au conjoint survivant ;

- fixé à la somme de 48 600 euros le montant des indemnités dues au titre des préjudices personnels de [X] [E], comprenant 47 600 euros au titre des souffrances endurées et 1 000 euros au titre du préjudice esthétique;

- fixé le préjudice de chacun des ayants droit à des sommes de :

*32 600 euros à Mme [W] [E] (veuve) ;

*8 700 euros à Mme [H] [E] (fille) ;

*8 700 euros à Mme [L] [R] (fille) ;

*3 300 euros à Mme [I] [C] (petite-fille) ;

*3 300 euros à Mme [D] [C] (petite-fille) ;

*3 300 euros à Mme [B] [C] (petite-fille) ;

*3 300 euros à M. [U] [R] (petit-fils) ;

*3 300 euros à M. [T] [R] (petit-fils) ;

- dit que la caisse devra avancer l'ensemble des sommes au FIVA en sa qualité de créancier subrogé ;

- condamné la société à rembourser la caisse les sommes avancées par cette dernière en exécution de la présente décision ;

- condamné la société à verser la somme de 1 000 euros au FIVA au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile ;

- débouté le FIVA de sa demande d'indemnité au titre du préjudice d'agrément ;

- débouté la société de sa demande visant à enjoindre à la caisse de procéder au calcul de la majoration de la rente ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration adressée le 27 mars 2019, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 mars 2019.

Par ses écritures parvenues au greffe le 15 juillet 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour, de :

- dire et juger la société recevable et bien fondée en son appel ;

- dire et juger que le caractère professionnel de la maladie de [X] [E] n'est pas démontré ;

- dire et juger que les éléments constitutifs de la faute inexcusable ne sont pas réunis ;

- en conséquence, débouter le FIVA de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable dirigée à son encontre ;

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le FIVA de sa demande au titre du préjudice d'agrément ;

- réduire à de plus justes proportions les autres chefs de demande ;

- en tout cas, dire et juger que le caractère professionnel de la maladie de [X] [E] n'est pas démontré par la caisse à l'égard de la société ;

- en conséquence, dire et juger que la caisse est mal fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de la société ;

- à titre subsidiaire, il est demandé à la cour d'enjoindre la caisse de procéder au calcul de la majoration de la rente afin que le montant puisse en être connu et les modalités de calcul éventuellement discutées par l'employeur.

Par ses écritures parvenues au greffe le 10 mars 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour de :

- déclarer l'appel recevable mais mal fondé ;

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté le FIVA de sa demande d'indemnisation du préjudice d'agrément subi par [X] [E] ;

Et statuant à nouveau sur ce point :

- fixer l'indemnisation du préjudice d'agrément subi par [X] [E] à la somme de 15 900 euros à verser par la caisse au FIVA, créancier subrogé ;

Y ajoutant :

- condamner la société à payer au FIVA une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe le 8 mars 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées son représentant à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour sur le point de savoir si la maladie contractée par [X] [E] est imputable ou non à la faute inexcusable de son employeur ;

- dans l'affirmative, fixer le montant de la majoration de rente et des préjudices personnels et condamner la société à lui rembourser toutes les sommes qu'elle sera amenées à verser au titre des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Par leurs écritures visées à l'audience, auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, Mme [W] [E], Mme [L] [R] née [E], Mme [H] [C] née [E], ayants droit de [X] [E], qui interviennent volontairement à l'instance en cause d'appel, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 28 février 2019 par le tribunal de grande instance de Nantes en ce qu'il a :

* dit que la maladie professionnelle déclarée par [X] [E] s'agissant du cancer broncho-pulmonaire primitif est imputable à une faute inexcusable de son employeur ;

* fixé à son maximum la majoration de la rente servie à [X] [E] pendant la période ante mortem et dit que cette majoration de rente sera directement versée par la caisse à la succession de [X] [E] ;

* fixé à son maximum la majoration de la rente servie à Mme [W] [E] et dit que cette majoration de rente sera directement versée par la caisse au conjoint survivant ;

* condamné la société aux dépens ;

Et y ajoutant :

- allouer à la succession de [X] [E] l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation à laquelle ce dernier aurait pu prétendre avant son décès, conformément aux dispositions de l'article 452-3 du code de la sécurité sociale ;

- à titre subsidiaire, ordonner une expertiser judiciaire sur pièces avec mission de fixer le taux d'incapacité dont était atteint M. [E] à l'instant de sa mort ;

En tout état de cause :

- dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

- condamner en cause d'appel la société au paiement d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Oralement, la société sollicite l'irrecevabilité des demandes formulées par les consorts [E], comme étant nouvelles en cause d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 - Sur l'intervention volontaire des consorts [E] en cause d'appel :

Aux termes de l'article 554 du code de procédure civile :

« Peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité ».

L'intervention volontaire en cause d'appel est subordonnée à la seule existence d'un intérêt pour celui qui la forme et d'un lien suffisant avec les prétentions originaires, conditions souverainement appréciées par les juges du fond. ( 3e Civ., 9 octobre 1991, pourvoi n° 89-13.299)

En l'espèce, la demande des consorts [E] s'agissant de l'indemnité forfaitaire se rattache sans conteste au litige existant dès lors qu'elle constitue une conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

L'intervention volontaire des consorts [E] et leurs demandes sont en conséquence recevables.

2 - Sur la faute inexcusable :

La carrière de [X] [E] peut être reconstituée comme suit (pièce n°14 de la société) :

- du 11 août 1955 au 10 janvier 1961 : Chantier du Penhouët en qualité d'aide professionnel et d'ajusteur ;

- du 11 janvier 1961 au 31 décembre 1976 : société [14], division mécanique, en qualité d'ajusteur puis de monteur spécialiste ;

- du 1er janvier 1977 au 31 décembre 1987 : société [12] en qualité de monteur spécialiste puis de technicien d'atelier ;

- du 1er janvier 1988 au 31 juillet 1998 : société [18] aujourd'hui [16] et [20] devenue [17], en qualité de technicien d'atelier.

Il n'est pas contesté que la société est le dernier employeur de [X] [E].

De l'article L. 230-2, I et II du code du travail devenu L. 4121-1 et L. 4121-2 dudit code, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. (2e Civ., 8 octobre 2020, n° 18-26.677).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter « la preuve que celui-ci... n'a pas pris les mesures nécessaires pour [la] préserver du danger auquel elle était exposée ».

Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.

Dans le cadre d'une exposition à l'amiante, il suffit, pour qu'une faute inexcusable puisse être reconnue, que l'exposition du salarié au risque ait été habituelle, peu important le fait que le salarié n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation d'amiante.

Cela suppose la démonstration du caractère professionnel de la maladie et de l'exposition au risque dans des conditions constitutives d'une faute inexcusable.

2.1- Sur le caractère professionnel de la pathologie et du décès :

L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose une présomption d'origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Fixés par décret, les tableaux précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, énumèrent les affections provoquées et le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge.

Il appartient à la victime ou à la caisse subrogée dans ses droits de rapporter la preuve que la maladie prise en charge est celle désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau (2e Civ., 30 juin 2011, n° 10-20.144).

Une fois la présomption d'imputabilité établie, il appartient à l'employeur de démontrer que l'affection litigieuse a une cause totalement étrangère au travail (2e Civ., 13 mars 2014, pourvoi n° 13-13.663).

Le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles s'appliquant au « cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante » vise le « cancer broncho-pulmonaire primitif », avec un délai de prise en charge de 40 ans sous réserve d'une exposition de 10 ans et la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie suivante :

Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante.

Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac.

Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante.

Travaux de retrait d'amiante.

Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante.

Travaux de construction et de réparation navale.

Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante.

Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante.

Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.

Seule la condition relative à la liste des travaux est discutée par la société, celle-ci faisant valoir que les témoignages versés aux débats ne font état que d'une exposition environnementale, [X] [E] n'ayant jamais été affecté à un des postes entrant dans la liste du tableau.

En réponse au questionnaire adressé par la caisse (pièce n°5 de la caisse), [X] [E] a décrit les travaux qu'il a réalisés chez ces différents employeurs :

« montages et essais en cellule de moteur diesel destiné aux bateaux de la marine marchande et des centrales thermiques pour [15] ».

Il a indiqué qu'étaient mis à sa disposition des « matelas et toile d'amiante souvent usagés pour calorifuger les moteurs au banc d'essai. Ces travaux se faisaient sans aucune protection ».

La caisse produit les attestations suivantes obtenues au cours de son enquête :

- M. [J] [A], ancien collègue de travail, qui indique que « Les moteurs étaient assemblés en totalité dans l'atelier y compris les collecteurs d'échappement et diverses tuyauteries calorifugées avec de l'amiante. Lorsque le moteur passait au banc d'essai on retrouvait des poussières d'amiante partout car tout était calorifugé avec ce produit. Vu le poids et le volume des pièces, nous travaillions en binôme et j'ai travaillé de nombreuses fois avec [X] [E] ou monter d'autres éléments sur le même moteur (sic). [...] J'ai travaillé avec [X] [E] du début des années 1970 jusqu'en 1987 dates à laquelle j'ai été muté au SAV. [X] [E] est lui resté à l'atelier jusqu'à son départ en pré-retraite. Pour information, je suis moi-même victime de l'amiante déclaré en maladie professionnelle en date du 20 octobre 1999 » (sa pièce n°6) ;

- M. [M] [O], ancien collègue de travail, qui indique en réponse au questionnaire de la caisse, avoir travaillé en commun avec [X] [E] lors du « montage des moteurs diesel - chantiers de l'Atlantique - Etablissement mécanique » de 1955 à 1993 (sa pièce n°5 b) ;

- M. [N] [V], ancien collègue de travail, qui indique en réponse au questionnaire de la caisse, avoir travaillé en commun avec [X] [E] lors du « chantiers de l'Atlantique - montage diesels » de 1956 à 1996 (sa pièce n°5 c) ;

- M. [S] [G], ancien collègue de travail, qui indique, en réponse au questionnaire de la caisse, avoir travaillé en commun avec [X] [E] au sein des « ateliers de montage moteurs diesel (SEMT Pielstick - ateliers mécaniques [Localité 19]) » de novembre 1979 à mai 1987 (sa pièce n°5 d).

Le FIVA produit les attestations détaillées de ces mêmes anciens collègues de travail de [X] [E] (ses pièces n°16, 17, 18, 19) desquelles il ressort qu'ils étaient en contact permanent avec des produits amiantés (calorifuges, joints d'échappement, isolation, chaufferie, utilisation de chasses d'air qui propageaient les poussières d'amiante) ; que les échappements de moteurs étaient isolés avec des toiles d'amiante dans les bancs d'essai ; que des matelas d'amiante étaient utilisés pour recouvrir les collecteurs d'échappement.

M. [F], qui précise avoir travaillé avec [X] [E] de 1974 à 1996 dans le même atelier, relève que « sur les échappements et collecteurs d'air calorifugés, nous étions amenés à meuler et à souffler des joints en amiante ce qui engendrait un nuage de particules tout autour de nous » ; que « pour la manipulation de pièces chaudes nous disposions des gants en amiante qui se détérioraient rapidement ».

M. [O] indique avoir travaillé avec [X] [E] de 1955 à 1993 aux chantiers de l'Atlantique et ensuite à l'établissement [18]. Il dit ceci :

« Nous avons travaillé au montage et aux essais de ces moteurs. Pendant ces essais les collecteurs, tuyaux d'échappement et tuyauteries combustibles étaient calorifugés avec des coussins et toile d'amiante qui étaient parfois en mauvais état ce qui provoquait des poussières et fibres d'amiante que nous avons inhalées. Après essais, ces toiles et coussins étaient entreposés dans l'atelier sans être protégés. Nous étions aussi appelés à intervenir sur les navires pour la réparation des moteurs. Là aussi nous étions exposés aux poussières d'amiante en intervenant sur les parties calorifugées ».

Il ressort suffisamment de ces éléments qu'au cours de sa carrière, [X] [E] a bien été employé à des travaux de construction et de réparation navale. Au sein des sociétés [12] et [18] devenue [17], ses tâches l'ont amené à collaborer à des travaux d'isolation en utilisant des matériaux contenant de l'amiante et à des travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante.

Les sociétés [14], [12] et [18] sont en outre répertoriées dans la liste des établissements, chantiers navals et ports ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité de l'amiante (ACAATA).

La preuve est donc suffisamment rapportée d'une exposition de [X] [E] pendant au moins 10 années à l'amiante, dans le cadre des travaux limitativement énumérés à l'article 30 bis des maladies professionnelles.

La maladie et le délai de prise en charge n'étant pour le surplus pas contestés, il s'ensuit que la présomption d'origine professionnelle de cette maladie, désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, telle que résultant des dispositions de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale, trouve à s'appliquer.

La société ne démontre pas qu'une cause étrangère au travail serait à l'origine de la maladie de [X] [E].

Le caractère professionnel de la maladie est donc établi.

2.2 - Sur la conscience du danger et les mesures prises par l'employeur :

Le jugement querellé détaille parfaitement l'évolution des connaissances scientifiques et l'état du droit en la matière au moment de l'exposition de [X] [E] au risque et il y a lieu de s'y référer.

La société ne peut sérieusement soutenir, au regard de sa taille et de son importance économique, qu'elle ignorait les risques liés à l'utilisation d'amiante alors même que l'état des connaissances permettait, depuis de nombreuses années, aux entreprises de savoir qu'elles exposaient leurs salariés à des risques connus depuis le milieu du XXe siècle s'agissant des asbestoses ou des plaques pleurales et ce alors que la création des tableaux de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'amiante remonte à l'année 1945 et que la liste des travaux devenue simplement indicative à compter de 1955.

Ainsi, dès cette date, tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quel que soit le type de travail effectué et la pathologie concernée, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre l'inhalation de poussières d'amiante.

Si des incertitudes scientifiques pouvaient en certains domaines encore subsister à l'époque, il demeure que tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, ou ayant su que son personnel travaillait dans des locaux dans lesquels des poussières d'amiantes étaient présentes en grandes quantités, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau.

En outre, la taille de la société lui permettait d'avoir un personnel compétent en matière d'hygiène et de sécurité et celle-ci ne pouvait pas connaître les avantages de l'amiante sans connaître en parallèle les risques liés à sa manipulation et à son exposition pour ses salariés.

La carence de l'Etat ou des autorités de tutelle ne pouvait dispenser l'entreprise employeur, seule titulaire et débitrice à l'égard de son salarié d'une obligation générale de sécurité, même à l'égard de produits au contact desquels se trouvaient exposés ses salariés, de prendre les mesures de prévention et de protection qu'imposait la situation.

Comme en attestent les collègues de [X] [E] déjà cités, aucune protection collective ou individuelle n'a été mise à leur disposition.

Il n'est par ailleurs justifié d'aucune mesure d'information quant aux risques liés à la présence d'amiante dont aurait bénéficié [X] [E].

L'absence de véritables mesures efficaces pendant de nombreuses années malgré la conscience qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur du danger auquel le salarié était exposé permet de caractériser la faute inexcusable de l'employeur.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

3 - Sur les conséquences de la faute inexcusable :

En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

La majoration de la rente versée ante mortem à [X] [E] ainsi que celle versée à Mme [W] [E] en sa qualité de conjoint survivant n'est pas critiquée par la société.

Le tribunal a en outre fait une exacte évaluation des préjudices personnels de [X] [E] qu'il a admis (47 600 euros au titre des souffrances endurées et 1 000 euros au titre du préjudice esthétique) qui ne sont pas utilement discutés par la société. Il en est de même des sommes allouées aux ayants droit et à sa veuve en réparation de leurs préjudices personnels.

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour confirmer le jugement entrepris.

Restent en discussion l'indemnité forfaitaire et le préjudice d'agrément de [X] [E].

Sur l'indemnité forfaitaire :

Comme indiqué supra, en application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, la victime atteinte d'un taux d'incapacité de 100% est en droit d'obtenir une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Les consorts [E] font valoir que [X] [E], en soins palliatifs, souffrant d'une insuffisance respiratoire sévère et incapable de la moindre activité à la fin de sa vie, était nécessairement atteint d'un taux d'incapacité de 100% avant son décès ; que le texte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne prévoit pas que le taux à prendre en compte est celui attribué par la caisse à la date de la consolidation.

Or, le taux d'incapacité auquel renvoie le texte est celui qui résulte de la décision de la caisse attribuant un taux d'incapacité susceptible de recours devant le tribunal du contentieux de l'incapacité et n'est pas celui résultant des seuls éléments tirés soit de la gravité estimée de la pathologie, soit de la prise en charge du décès par la caisse. Ce n'est que dans l'hypothèse où aucun taux n'a été notifié que les juges du fond doivent déterminer si la victime était atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100% avant son décès.

En l'espèce, le seul taux d'incapacité notifié à [X] [E] est 80 % selon la décision du 17 mars 2014, au regard des séquelles présentées à la date du 14 février 2014 (pièce n°11 des consorts [E]). Ce taux n'a pas été contesté et la caisse n'a pas été saisie d'une demande de fixation d'un taux différent depuis cette date.

Il y a lieu par conséquent de rejeter la demande des consorts [E].

Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.

Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.

Ce poste de préjudice a été indemnisé par le FIVA à hauteur de la somme de 15 900 euros.

Le FIVA fait valoir qu'en raison de sa maladie, [X] [E], décrit comme un homme actif et sportif, ne pouvait plus se livrer à ses activités favorites : jardinage, grandes randonnées en montagne tel que cela ressort des attestations de ses proches (pièces n°24 et 25 du FIVA).

La cour trouve dans le dossier les éléments suffisants pour évaluer ce poste à la somme de 15 900 euros.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

4- Sur l'action récursoire de la caisse :

C'est en vain que la société soutient, pour s'opposer à l'action récursoire de la caisse, que le montant de la créance de celle-ci, notamment en ce qui concerne la rente et sa majoration, est indéterminé.

Le calcul de la majoration de rente et du capital représentatif de la majoration dû au final par l'employeur s'effectue à la date de la reconnaissance de la faute inexcusable. Les bases de calculs, qui sont déterminées par les dispositions du code de la sécurité sociale, sont connues de la société.

C'est tout aussi vainement que la société demande à la cour d'enjoindre à la caisse de procéder au calcul de la majoration de rente.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que la caisse dispose d'une action récursoire à l'encontre de la société et en ce qu'il a débouté la société de ses demandes de ce chef.

5 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge du FIVA et des consorts [E] leurs frais irrépétibles.

La société sera en conséquence condamnée à verser, au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

- au FIVA, la somme de 2 000 euros ;

- aux consorts [E], la somme de 4 000 euros.

S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

DÉCLARE recevables l'intervention volontaire des consorts [E] en cause d'appel ainsi que leurs demandes ;

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande du FIVA s'agissant du préjudice d'agrément ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

FIXE l'indemnisation du préjudice d'agrément subi par [X] [E] à la somme de 15 900 euros ;

DIT que cette somme sera versée au FIVA par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique ;

RAPPELLE que la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique dispose d'une action récursoire à l'encontre de la société [17] s'agissant de toutes les sommes qu'elle verse au titre des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ;

DÉBOUTE les consorts [E] de leur demande d'indemnité forfaitaire ;

CONDAMNE la société [17] à verser, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- au FIVA, la somme de 2 000 euros ;

- aux consorts [E], la somme de 4 000 euros ;

CONDAMNE la société [17] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 19/02185
Date de la décision : 01/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-01;19.02185 ?
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