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31/05/2022 | FRANCE | N°20/06489

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 31 mai 2022, 20/06489


1ère Chambre





ARRÊT N°216/2022



N° RG 20/06489 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGWK













Me [O] [R]



C/



M. [C] [V]

Mme [F] [V] épouse [P]

Mme [U] [V] épouse [H]

















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MAI 20

22





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère, entendue en son rapport





GREFFIER :



Madame Marie-Clau...

1ère Chambre

ARRÊT N°216/2022

N° RG 20/06489 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGWK

Me [O] [R]

C/

M. [C] [V]

Mme [F] [V] épouse [P]

Mme [U] [V] épouse [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère, entendue en son rapport

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Mai 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 24 mai 2022 à l'issue des débats

****

APPELANT :

Maître [O] [Y]

né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 11]

[Adresse 9]

[Localité 14]

Représenté par Me Sylvie PELOIS de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Carine PRAT, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Monsieur [C] [V]

né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 15] (51)

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, avocat au barreau de RENNES

Madame [F] [V] épouse [P]

née le [Date naissance 7] 1961 à [Localité 14] (29)

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, avocat au barreau de RENNES

Madame [U] [V] épouse [H]

née le [Date naissance 4] 1959 à [Localité 14] (29)

[Adresse 3]

[Localité 14]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon acte sous seing privé du 9 mars 2018, M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] (les consorts [V]) ont vendu à M. et Mme [S], par l'intermédiaire de l'agence immobilière SARL Accelerimmo exerçant sous l'enseigne commerciale AVIS, un bien immobilier sis à [Localité 12], au prix net vendeur de 425 000 euros.

L'acte prévoyait une clause particulière concernant l'assainissement collectif aux termes de laquelle : «Un contrôle de l'assainissement collectif sera réalisé au plus tard pour le jour de la signature de l'acte authentique. Si ce contrôle révèle une non-conformité, les travaux de remise en état seront à la charge exclusive du vendeur ».

La réitération de la vente était fixée au 15 juin 2018 par devant Me [R], notaire à [Localité 14] avec la participation de Me [J], notaire à [Localité 13], conseil des acquéreurs.

Un contrôle de raccordement de l'immeuble aux réseaux publics a été réalisé par la société Suez le 10 avril 2018 dont les conclusions sont les suivantes :

« Mettre en conformité l'installation en raccordant l'ensemble des eaux usées de la maison à la boîte d'égout en attente, puis supprimer la fosse septique. Les eaux pluviales doivent être dissociées des eaux usées, il faut donc supprimer le drain qui arrive dans la boîte d'égout. Prévoir un nouveau rendez-vous pour le contrôle en tranchées ouvertes, de la bonne exécution des travaux de mise en conformité ».

Les vendeurs ont fait établir deux devis de mise en conformité, l'un émanant de l'entreprise Jean Hemidy en date du 1er juin 2018 pour un montant de 5 845,44 euros TTC et l'autre de la société ARTP daté du 5 juin 2018 pour une somme de 4 620,00 euros TTC.

Après échange entre les parties et leur notaire respectif, il a été convenu que les acquéreurs feraient leur affaire personnelle de la réalisation des travaux de mise en conformité du branchement d'assainissement moyennant une baisse de prix de 5 200 euros correspondant à la moyenne des deux devis obtenus, avec un report de la date de signature au 26 juin 2018.

Me [R] a adressé un projet d'acte authentique, remis en mains propres aux époux [S] les 14 et 15 juin 2018 les informant qu'ils disposaient d'un nouveau délai de rétractation en application de l'article L.271-1 du Code de la construction et de l'habitation.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 18 juin 2018, les époux [S] ont avisé Me [O] [R] qu'ils renonçaient à leur acquisition.

Soutenant n'avoir jamais reçu ce projet d'acte modifié et n'avoir pas été informés de cette notification faisant courir un nouveau délai de rétractation, M. [C] [V], Mme [U] [H] et Mme [F] [P] ont vainement tenté auprès du notaire et des acquéreurs d'obtenir l'indemnisation amiable de leur préjudice.

Par acte du 10 juillet 2019, M. [C] [V], Mme [U] [H] et Mme [F] [P] ont fait assigner Me [O] [R] devant le tribunal de grande instance de Quimper sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Quimper a :

- dit que Me [O] [R] a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] ;

- condamné Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire ;

- condamné Me [O] [R] aux dépens et à payer à M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] la somme de 40 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- ordonné l'exécution provisoire.

Suivant déclaration du 31 décembre 2020, Me [O] [R] a relevé appel de ce jugement s'agissant de la faute du notaire, de la condamnation au paiement de dommages et intérêts ainsi qu'aux dépens et aux frais irrépétibles.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 22 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, Me [O] [R] demande à la cour de :

- réformer le jugement dont appel ;

- débouter M. [C] [V], Mme [F] [V] épouse [P] et Mme [U] [V] épouse [H] de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions à l'encontre de Me [O] [R] ;

- rejeter l'appel incident de M. [C] [V], de Mme [F] [V] épouse [P] et de Mme [U] [V] épouse [H] ;

- les condamner in solidum à verser à Me [R] une indemnité de 4 000 € au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner en tous les dépens ;

- autoriser la SELARL Ab Litis-De Moncuit-Saint Hilaire-Pelois- Vicquelin, Avocats postulants à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

En appel, Me [R] expose qu'il y a eu novation du contrat au sens de l'article 1329 du code civil, en ce que l'accord des parties intervenu entre l'avant-contrat et l'acte authentique a eu pour effet d'éteindre l'obligation préexistante (celle des vendeurs, de faire procéder à leurs frais à la réalisation des travaux de mise en conformité de l'assainissement, avant la signature de l'acte authentique) et de créer corrélativement une nouvelle obligation (celle pour les acquéreurs de payer un prix moindre). Cette novation était selon lui nécessairement éligible aux dispositions de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation.

Le notaire fait valoir qu'en tout état de cause, il y eu une modification substantielle de l'avant-contrat portant sur les deux éléments essentiels de la vente, à savoir en application de l'article 1583 du code civil :

- sur la chose : l'immeuble vendu ne disposait finalement pas d'un raccordement conforme au réseau d'assainissement collectif, contrairement à ce que les vendeurs affirmaient dans le compromis, ce qui était de nature à le rendre impropre à sa destination,

- sur le prix : qui était revu à la baisse par rapport au compromis de vente.

Dès lors selon lui, la purge d'un droit de rétractation s'imposait sans contestation possible, étant rappelé que l'article L.271-1 du code de la construction et de l'habitation est d'ordre public et que le notaire n'est pas tenu de recueillir l'accord des vendeurs pour offrir à l'acquéreur un nouveau délai de rétractation.

Me [R] rappelle que le projet d'acte a été adressé et validé par Mmes [H] et [P] qui l'ont retourné signé alors que celui-ci comportait la mention en rouge, selon laquelle compte tenu de la modification substantielle du prix de vente, une remise en main propre du projet d'acte avait été effectuée le 13 juin 2018 à l'acquéreur. Les vendeurs n'ignoraient donc pas qu'un nouveau délai de réflexion avait été offert aux acquéreurs. Selon lui, aucun manquement à son devoir d'information à l'égard des vendeurs n'est caractérisé.

Enfin, Me [R] conteste le préjudice allégué en rappelant que les consorts [V] ne peuvent solliciter la différence entre le prix qu'ils auraient retiré de la vente si les acquéreurs ne s'étaient pas rétractés (soit 419.800 euros) et le prix auquel le bien a finalement été vendu (soit 233.333,33 euros), en ce que la vente réalisée le 6 août 2019 n'a porté que sur 2/3 des droits indivis, lesquels ont été cédés dans un cadre familial, ce qui impliquait nécessairement une décote.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 23 février 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [C] [V], Mme [F] [V] épouse [P] et Mme [U] [V] épouse [H] demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel incident ;

- infirmer le jugement dont appel du chef du quantum ;

- condamner Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P], in solidum, la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Subsidiairement,

- condamner Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P], in solidum, la somme de 42 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

- confirmer en toutes ses autres dispositions le jugement dont appel ;

Plus subsidiairement,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

En tout état de cause,

- débouter Me [O] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;

- condamner Me [O] [R] à payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Gauvain Demidoff & Lhermitte, avocats associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En substance, les consorts [V] font valoir les éléments suivants :

- Me [R] ne pouvait de son propre chef modifier les termes du contrat sans recueillir l'accord de tous les vendeurs en leur adressant le projet d'acte. Or, l'un des co-indivisiaires ([C] [V]) ne l'a jamais reçu,

- il n'est pas contesté que ce projet d'acte a bien été communiqué à Mmes [F] [P] et [U] [H]. Toutefois, celui-ci ne mentionnait aucunement qu'un nouveau délai de rétractation avait été accordé aux acquéreurs. En revanche, les justificatifs de la remise en main propre du projet d'acte à M. et Mme [S] en date des 14 et 15 juin 2018, qui mentionnaient clairement l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation, n'ont pas été communiqués aux vendeurs. De plus, le notaire a adressé aux venderesses le projet d'acte le 16 juin 2018 (après la remise en mains propres aux acquéreurs précisant l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation), de sorte que lorsqu'elles l'ont signé le 19 juin suivant, les acquéreurs s'étaient déjà rétractés,

- il n'y a pas eu de modification substantielle du contrat ni novation. Le prix de vente était déterminé dès le compromis de vente, de même que la prise en charge du coût des travaux d'assainissement par les vendeurs, lesquels n'avaient en revanche pris aucun engagement s'agissant de la réalisation des travaux avant la signature de l'acte authentique. Les négociations ultérieures n'avaient nullement pour objet de renégocier le prix de vente mais de définir le coût des travaux d'assainissement et les modalités de paiement, les parties étant convenues de procéder par compensation en déduisant des fonds versés au titre du prix de vente, les sommes dues par les vendeurs au titre des travaux.

S'agissant du préjudice, les consorts [V] estiment qu'ils ont perdu une chance :

- à titre principal, de vendre le bien au prix de 425.000 euros. Ils font valoir que faute d'acquéreurs, le bien a été vendu à un membre de la famille pour les 2/3 de sa valeur (seules Mmes [P] et [H] ayant cédé leurs parts au prix de 233.333,33 euros). La vente s'est donc faite sur une valeur de 350 000 euros, soit 75.000 euros de moins que le prix de vente accepté par les époux [S],

- à titre subsidiaire, la somme de 42.500 euros correspondant au montant de la clause pénale,

- à titre très subsidiaire, la somme accordée par le tribunal à hauteur de 40.000 euros.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1°/ Sur la faute du notaire

La responsabilité du notaire est recherchée sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, aux termes duquel 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer'.

Le notaire rédacteur d'acte a l'obligation d'assurer l'efficacité des actes qu'il instrumente, le devoir de conseil étant le complément de ce devoir d'efficacité. À ce titre, il est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l'acte auquel il prête son concours.

a. sur l'obligation de notifier aux acquéreurs un nouveau délai de rétractation en application de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation

Me [R] soutient que la novation du contrat rendait nécessaire l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation aux acquéreurs.

Au sens de l'article 1329 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. Elle peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.

En l'espèce, la clause particulière insérée dans le compromis de vente était ainsi libellée :

« Un contrôle de l'assainissement collectif sera réalisé au plus tard pour le jour de la signature de l'acte authentique.

Si ce contrôle révèle une non-conformité, les travaux de remise en état seront à la charge exclusive du vendeur ».

Contrairement à ce que soutient le notaire, il ne ressort pas de cette clause que les vendeurs avaient pris l'engagement de réaliser eux-même, les travaux de mise en conformité avant la vente.

Il est tout d'abord observé que le contrôle pouvait être réalisé au plus tard le jour de la signature de l'acte authentique. En fixant une date si tardive, les parties ont donc plutôt envisagé que les travaux de mise en conformité seraient réalisés par les acquéreurs.

D'ailleurs, les consorts [V] ont fait réaliser deux devis. Le devis de la société A.R.T.P produit en pièce n°5 par les consorts [V] a bien été accepté le 9 juin 2018, soit après que les parties soient parvenues à un accord sur le montant des travaux à hauteur de 5.200 euros (courriel de Me [J] du 8 juin 2018). Le devis mentionne toutefois que les travaux seront effectués en juillet 2018, soit après la signature de l'acte authentique.

Il est à souligner que la réalisation des travaux de mise en conformité du réseau d'assainissement avant la réitération de la vente n'a pas été érigée en condition suspensive.

La cour en déduit qu'il était donc exclu que les travaux de mise en conformité soient réalisés avant la signature de l'acte authentique et donc par les vendeurs.

Par cette clause, il s'agissait seulement pour les acquéreurs, qui avaient accepté l'éventualité d'une non conformité, de ne pas devoir supporter le coût des travaux éventuels. Ce coût n'était pas encore connu lors de la signature du compromis. Les parties ont donc dû postérieurement s'accorder sur le montant des travaux qui resteraient à la charge des vendeurs et sur les modalités de cette prise en charge.

Il ne ressort d'aucune pièce que les parties aient voulu, postérieurement à l'avant-contrat, renégocier le prix de vente et modifier les obligations de chacun.

L'animus novandi évoqué par Me [R] n'est pas caractérisé et faute pour les vendeurs de s'être engagés à réaliser eux-même les travaux avant la vente, aucune obligation ancienne n'a été éteinte.

C'est donc de manière inopérante que Me [R] invoque la novation pour justifier l'ouverture aux acquéreurs d'un nouveau délai de rétractation.

C'est tout aussi vainement que Me [R] soutient qu'il y aurait eu une modification substantielle de la convention initiale.

En premier lieu, il ne peut être soutenu que la chose vendue a été substantiellement modifiée du fait de la non conformité du raccordement au réseau collectif d'assainissement, révélée par le contrôle réalisé postérieurement à la signature du compromis. En effet, en insérant la clause particulière litigieuse, la possibilité pour les acquéreurs d'acheter un bien non parfaitement raccordé aux réseaux publics était entrée dans le champ contractuel. De plus, il était d'ores et déjà prévu que les travaux éventuels seraient à la charge financière des vendeurs. Cet élément ne pouvait être déterminant de leur consentement.

En second lieu, il ne ressort d'aucune pièce que les vendeurs aient entendu modifier le contrat initial, s'agissant du prix de vente. Dans son courriel du 11 juin 2018 adressé à l'étude de Me [R], Mme [U] [H] indiquait «  Maitre [R] et le notaire associé de l'acquéreur [S] ont tranché pour 5.200 euros (mise en conformité de l'assainissement), montant déductible de la vente, ce qui implique une signature le 26 juin 2018 ».

Dans la mesure où les travaux devaient être effectués par les acquéreurs, il convenait logiquement de déduire du prix de vente initial (425.000 euros), le coût des travaux tel qu'arrêté par les parties (5.200 euros). La volonté des parties n'était donc pas de renégocier le prix de vente mais d'opérer une simple compensation entre les sommes dues par les acquéreurs au titre du prix et celles dues par les vendeurs au titre des travaux.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu que cette réduction du prix devait s'analyser comme une simple modalité d'exécution de l'obligation contractuelle des vendeurs de prendre en charge les travaux de mise en conformité de l'assainissement et qu'au surplus, elle ne représentait que 1,22% du prix de vente.

C'est donc à tort que Me [R] a considéré que l'accord des parties sur les modalités de la prise en charge des travaux constituait une modification substantielle du contrat initial, rendant nécessaire l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation.

En tout état de cause, la cour constate que Me [R] a pris l'initiative d'insérer dans l'acte authentique un prix de vente différent de celui- figurant au compromis, sans aucune explication ni rappel de l'historique, et sans avoir préalablement interrogé les parties sur le sens et la portée qu'elles entendaient donner à leur accord ni s'assurer de leur volonté de convenir d'une telle disposition dans l'acte définitif.

À défaut de justifier d'un quelconque accord préalable des vendeurs, Me [R] ne peut valablement soutenir que la modification du prix correspondait à la volonté des parties.

Le tribunal a d'ailleurs pertinemment relevé d'une part, que le notaire des acquéreurs ne faisait pas état de la nécessité de procéder à cette nouvelle notification dans son courriel du 8 juin 2018 confirmant l'accord de ses clients et, d'autre part, que le délai de rétractation expirait pour l'un des époux le 25 juin 2018 et pour l'autre le 26 juin 2018 ce qui était incompatible avec la date de signature convenue entre les parties (le 26 juin 2018).

b. sur le manquement au devoir d'information à l'égard des vendeurs

Au surplus, Me [R] peut difficilement s'exonérer de sa responsabilité en faisant valoir que le projet d'acte a été adressé aux vendeurs et signé par ces derniers, de sorte qu'ils auraient donné leur accord à la baisse de prix, en ayant parfaitement connaissance du nouveau délai de réflexion offert aux acquéreurs.

En premier lieu, il n'est pas justifié ni même soutenu que le projet d'acte a bien été adressé à M. [C] [V]. Dès lors, tous les vendeurs n'en ont pas eu connaissance.

En second lieu, le projet d'acte a bien été adressé à Mme [U] [H] et à Mme [F] [P] qui l'ont validé.

Ce projet comporte en page 8, un paragraphe intitulé « Purge du droit de rétractation » aux termes duquel il est rappelé que les acquéreurs n'ont pas usé de leur faculté de rétractation à l'issue la signature de l'avant-contrat.

Il est par ailleurs précisé que « compte tenu des modifications substantielles intervenues dans l'avant-contrat et concernant le prix de vente (baisse du prix de vente pour tenir compte des travaux de mise en conformité de l'installation d'assainissement) une remise en main propre du projet a été effectuée à l'acquéreur le 13 juin 2018. Une copie de la lettre de notification de remise en main propre ainsi que l'accusé de réception sont annexés ».

Contrairement à ce que soutient Me [R], ce projet ne fait pas clairement état d'un nouveau délai de rétractation accordé aux acquéreurs, mais seulement de la modification du prix pour tenir compte de l'accord intervenu sur les travaux. Il appartenait au notaire d'attirer l'attention des vendeurs sur la portée de cette mention.

D'autant que les consorts [V] contestent avoir reçu en annexe la copie des lettres de notification de remise en main propre signées par chacun des époux [S]. Ce document était pourtant important car il était beaucoup plus explicite quant à l'ouverture d'un nouveau délai de rétractation aux acquéreurs. De fait, le notaire ne prouve pas que la copie de ces lettres était bien annexée au projet adressé aux venderesses.

En troisième lieu, il ressort de l'échange de courriels entre Mme [P] et l'étude de Me [R], que le projet d'acte et la procuration lui ont été adressés le samedi 16 juin 2018, à sa demande, soit postérieurement à la remise en main propre notifiant un nouveau délai aux acquéreurs. Mme [P] en a accusé réception le dimanche 17 juin 2018 et l'a signé le 19 juin, alors que les acquéreurs s'étaient déjà rétractés, la veille.

La date de remise du projet d'acte à Mme [H] n'est pas connue et elle l'a signé sans le dater.

Quant à M. [V], il n'est pas démontré qu'il aurait été destinataire du projet d'acte. Me [R] n'est d'ailleurs pas en mesure de produire un exemplaire signé de sa part.

Il se déduit de ces éléments que l'information des vendeurs par le notaire a été soit inexistante soit bien tardive, en tout état de cause défaillante.

C'est donc à tort et sans informer en temps utile les vendeurs de la portée de son initiative que Me [R] a ouvert une faculté de rétractation aux acquéreurs, dont ces derniers ont usé de manière fort opportuniste comme l'a souligné le tribunal.

La faute est caractérisée.

2°/ Sur le lien de causalité et le préjudice

Les consorts [V] font valoir que si le notaire n'avait pas fait courir un nouveau délai de rétractation, les acquéreurs n'auraient pas pu se rétracter, sauf à régler la clause pénale, dans la mesure où les conditions suspensives (notamment d'obtention d'un prêt) avaient été levées.

En l'occurrence, les acquéreurs n'étaient manifestement plus intéressés par l'achat de ce bien. Il n'existe donc aucune certitude quant à la signature de l'acte authentique et quant à la perception de la somme de 419 800 euros par les vendeurs.

Toutefois, sans la faute du notaire, les acquéreurs auraient difficilement pu se retirer de la vente, sans frais ni pénalité.

À cet égard, l'avant-contrat prévoit en page 14, le versement d'une clause pénale de 42.500 euros pour le cas où une partie refuserait de signer l'acte authentique alors que toutes les conditions suspensives seraient levées. Il est précisé que cette clause est stipulée conformément aux articles 1152 et 1226 (anciens) du code civil.

Dans la mesure où la clause pénale est toujours soumise au pouvoir modérateur du juge, qui en apprécie le caractère manifestement excessif ou dérisoire en vertu de l'article 1231-5 du code civil, il peut être considéré qu'il existait un léger aléa quant au montant de la clause pénale à laquelle les consorts [V] pouvaient prétendre. En l'occurrence, il s'agit d'une clause pénale égale à 10% du prix de vente, soit la fourchette haute de ce type de clause. La possibilité de réduction par le juge du montant de la clause pénale doit être considérée comme faible mais pas nulle. La cour estime que les consorts [V] avaient 94 % de chance d'obtenir le montant contractuel de la clause pénale.

Par ailleurs, il ne peut être tenu compte, pour l'évaluation du préjudice, du prix auquel l'immeuble a finalement été vendu (233 333,33 euros), dès lors que cette vente s'est faite dans un cadre familial et qu'elle ne portait plus que sur des droits indivis (2/3 de la valeur de l'immeuble, soit 350 000 euros). La décision de céder l'immeuble dans ces circonstances impliquait nécessairement un prix minoré. Il n'est d'ailleurs justifié par aucune pièce que les consorts [V] ont vainement recherché un nouvel acquéreur au prix de 419 800 euros.

Dès lors, s'il existe un préjudice financier causé par la faute notaire, celui-ci ne saurait correspondre à la différence entre le prix offert par les époux [S] et le prix auquel le bien a finalement été vendu.

Au total, la cour considère que le seul préjudice financier que les consorts [V] ont indéniablement subi correspond à la perte de chance de pouvoir percevoir 94 % de la clause pénale, soit 40.000 euros.

Le jugement ayant condamné Me [R] au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts sera confirmé.

3°/ Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Me [R] aux dépens. En revanche, il convient de l'infirmer en ce qu'il a condamné celui-ci à régler aux consorts [V] ' semble-t-il aux termes d'une erreur matérielle qui n'a pas été soumise à la cour ' la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant de nouveau en appel, Me [R] sera condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Il n'est pas inéquitable de le condamner à payer à M. [C] [V], à Mme [U] [H] et à Mme [F] [P] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel.

PAR CES MOTIFS

- Confirme le jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Quimper en ce qu'il a :

* dit que Me [O] [R] a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] ;

* condamné Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [U] [V] épouse [H], Mme [F] [V] épouse [P] la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Infirme le jugement rendu le 15 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Quimper en ce qu'il a :

* condamné Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [F] [V] épouse [P] et Mme [U] [V] épouse [H] la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant :

- condamne Me [O] [R] à payer à M. [C] [V], Mme [F] [V] épouse [P] et Mme [U] [V] épouse [H] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Me [O] [R] aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/06489
Date de la décision : 31/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-31;20.06489 ?
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