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31/05/2022 | FRANCE | N°20/05984

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 31 mai 2022, 20/05984


1ère Chambre





ARRÊT N°215/2022



N° RG 20/05984 - N° Portalis DBVL-V-B7E-REOZ













M. [X] [G]

Mme [J] [X] épouse [G]

Mme [D] [G]

Mme [A] [G]

M. [T] [X]

M. [M] [X]

S.A.S. [G]

S.A. BISCUITERIE DU BLAVET



C/



Me [W] [Z]























Copie exécutoire délivrée



le :



à :











‰PUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MAI 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, C...

1ère Chambre

ARRÊT N°215/2022

N° RG 20/05984 - N° Portalis DBVL-V-B7E-REOZ

M. [X] [G]

Mme [J] [X] épouse [G]

Mme [D] [G]

Mme [A] [G]

M. [T] [X]

M. [M] [X]

S.A.S. [G]

S.A. BISCUITERIE DU BLAVET

C/

Me [W] [Z]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 31 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère enendue en son rapport

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 31 Mai 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 24 mai 2022 à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [X] [G]

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représenté par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

Madame [J] [X] épouse [G]

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

Madame [D] [G]

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

Madame [A] [G]

[Adresse 9]

[Localité 10]

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

Monsieur [T] [X]

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représenté par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

Monsieur [M] [X]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

INTIMÉ :

Maître [W] [L]

né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 11]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Benjamin ENGLISH de la SCP MARION-LEROUX-SIBILLOTTE-ENGLISH-COURCOUX, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

INTERVENANTES VOLONTAIRES :

La S.A.S. [G] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 12]

[Localité 10]

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

La S.A. BISCUITERIE DU BLAVET, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 12]

[Localité 10]

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Gérard DEPLANQUE, Plaidant, avocat au barreau de PERPIGNAN

EXPOSÉ DU LITIGE

M. et Mme [X] [G] étaient propriétaires d'un fonds de commerce de fabrication et distribution de produits alimentaires, notamment de biscuits, biscottes et pâtisseries de conservation, situé à [Localité 10].

Ce fonds de commerce était exploité en location-gérance par la société Biscuiterie du Blavet dont M. [G] était également le dirigeant.

Désireux de cesser leur activité, les époux [G] ont cédé leur fonds de commerce, moyennant un prix global de 600 000 €, à la société Loc Maria, représentée par M. [E] [F].

L'acte de cession du fonds de commerce en date du 10 février 2012 a été rédigé par Me [W] [L].

Me [Z] était par ailleurs détenteur d'une part de la SA Biscuiterie du Blavet.

Ultérieurement, les époux [G], estimant avoir été lésés dans le cadre de cette cession, ont reproché à Me [W] [Z] :

- d'avoir rédigé un acte unique de cession alors qu'il aurait fallu rédiger un acte pour la cession des éléments du fonds, propriété des époux [G] et un acte séparé pour la cession des éléments corporels et incorporels, propriété de la société locataire-gérante, la SA Biscuiterie du Blavet,

- d'avoir omis de régler la question du prix des stocks de marchandises,

- d'avoir réalisé la vente à un prix très nettement inférieur à la valeur réelle du fonds,

- de ne pas avoir fait précéder la rédaction de l'acte de cession d'un avant-contrat,

- de pas avoir informé les associés du prix de cession et des liens qu'il entretenait avec le gérant de la société Loc Maria. À cet égard M. et Mme [G] estiment que Me [Z] s'est rendu coupable d'un conflit d'intérêts, d'abus de confiance et ont déposé des plaintes pénale et ordinale entre 2017 et 2019.

Par acte d'huissier du 10 avril 2019, M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mmes [D] [G] et [A] [G], MM. [T] [X] et [M] [X] ont fait assigner Me [W] [Z] devant le tribunal de commerce de Quimper, sur le fondement des articles L. 1112-1 et 1130 du code civil, pour obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 600 000 € à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 12 juillet 2019 le tribunal de commerce de Quimper s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Quimper.

Par jugement du 03 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Quimper a :

- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X] et M. [M] [X],

- déclaré irrecevable l'action introduite par M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X] et M. [M] [X], comme étant prescrite,

- condamné in solidum M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X] et M. [M] [X] à verser à Me [W] [Z] les sommes suivantes :

* 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,

- rejeté toute autre demande,

- condamné in solidum M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X] et M. [M] [X] aux dépens.

Suivant déclaration du 07 décembre 2020, M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G]. M. [T] [X] et M. [M] [X] ont relevé appel du jugement en toutes ses dispositions.

Par conclusions du 22 février 2021, la SAS [G] et la SA Biscuiterie du Blavet sont intervenues volontairement à l'instance.

Aux termes de leurs conclusions transmises le 14 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X] et M. [M] [X] ainsi que la SAS [G] et la SA Biscuiterie du Blavet, intervenantes volontaires, demandent à la cour de :

vu les articles 1112-1 et 1130 du code civil,

- réformer la décision entreprise,

- constater que l'action contre Me [Z] n'est pas prescrite,

- vu les fautes et manquements de Me [Z], dire que celui-ci a engagé sa responsabilité professionnelle,

- vu également l'abus de confiance dont M. et Mme [G] ont été victimes de la part de Me [Z], avec la complicité de M. [E] [F], le condamner à régler aux requérants à titre d'indemnisation la somme globale de 1.500.000,00 €, ainsi que 561 064,26 €, soit au total la somme de 2 061 064,26 € sauf à parfaire par une expertise, compte tenu de la nature particulière de cette affaire, avec une mission habituelle en la matière et désignation d'un expert au choix de la cour,

- subsidiairement, ordonner une expertise judiciaire avec mission de rechercher si Me [Z] a failli à son devoir de conseil et en chiffrer le coût ;

- condamner Me [Z] au règlement d'une somme de 15.000€ au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de l'avocat qui a fait l'avance des frais.

Aux termes de ses conclusions transmises le 11 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions, Me [W] [Z] demande à la cour de :

Vu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable à l'époque ;

- à titre principal, confirmer le jugement dont appel :

- dire et juger que l'action des demandeurs est prescrite,

à titre subsidiaire, par substitution de motifs, si la cour ne faisait pas droit sur la question de la prescription :

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de Me [W] [L] ;

en tout état de cause, confirmant le jugement dont appel sur les condamnations déjà prononcées à ce titre en première instance et y ajoutant pour l'instance d'appel :

- condamner in solidum M. et Mme [X] [G], Mme [D] [G], Mme [A] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] à payer à Me [W] [L] la somme de 8000 € en application de l'art. 32-1 du code de procédure civile à titre de dommages-intérêts, y ajoutant à la condamnation prononcée sur ce point en première instance,

- condamner les mêmes in solidum à payer à Me. [W] [Z] la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1°/ Sur les remarques liminaires

a. sur les parties en appel

La cour donne acte à la SAS [G] et de la SA Biscuiterie du Blavet de leur intervention volontaire à la procédure par conclusions du 22 février 2021. Il est cependant constaté que dans le dispositif des conclusions, aucune demande n'est formulée au profit des sociétés intervenantes. En effet, seuls M. et Mme [G] sont visés en tant que victimes des agissements supposés de Me [Z]. La cour en déduit donc que l'indemnisation sollicitée au profit « des requérants » doit s'entendre d'une demande formée au seul bénéfice de M. et Mme [G].

En outre, en page 16/26 des conclusions d'appelants, il est indiqué que «  les époux [G] restaient seuls dans la procédure puisqu'ils étaient concernés alors que M. [X] [M], M. [X] [T], Mme [G] [D], Mme [G] [A], ne sont plus dans la procédure puisqu'ils n'avaient effectivement aucune raison d'y participer ». La cour observe cependant qu'elle n'a été saisie d'aucun désistement de la part de ces derniers, qui restent donc parties à l'instance d'appel. Pour autant, comme précédemment indiqué, les demandes indemnitaires ne sont présentées qu'au nom et pour le compte de M. et Mme [G].

b. sur l'exception d'incompétence

Aux termes de leurs dernières conclusions, les appelants ne critiquent plus le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par les consorts [G] au profit du tribunal de commerce. Aucune demande n'est d'ailleurs formée à ce titre dans le dispositif des conclusions. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce point, en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile.

2°/ Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription

Il est constant que l'avocat rédacteur doit veiller à la validité et à l'efficacité de l'acte qu'il rédige. Il est également tenu d'un devoir de conseil à l'égard des contractants, notamment sur la portée de leurs engagements. À défaut, il engage sa responsabilité contractuelle à l'égard des parties à l'acte.

En l'espèce, d'après les moyens développés par les appelants, la responsabilité de Me [Z] est recherchée en sa qualité de rédacteur de l'acte de cession du 10 février 2012.

Il est relevé que les appelants fondent à tort leur action sur les articles 1112-1 et 1130 du code civil, dès lors que d'une part, ces dispositions ne sont pas applicables au litige au regard de la date du contrat de cession et que d'autre part, elles ne peuvent être utilement invoquées au soutien d'une action à l'encontre de l'avocat rédacteur, qui est un tiers au contrat.

En effet, Me [Z] n'a signé l'acte de cession qu'en qualité de séquestre. N'étant pas partie au contrat, l'action à son encontre ne peut donc ressortir que de la responsabilité contractuelle de droit commun, sur le fondement l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.

L'action en responsabilité contractuelle de l'avocat en sa qualité de rédacteur d'acte est soumise aux dispositions de l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, selon lesquelles « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

En application de cet article, le point de départ du délai de prescription se situe au jour de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime, si celle-ci n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Le critère retenu par le législateur pour déterminer le point de départ de la prescription n'est pas la certitude du dommage mais le jour où le titulaire du droit a connu les faits lui permettant d'agir.

a. sur le point de départ du délai quinquennal

M. et Mme [G] considèrent que l'acte de cession du 10 février 2012 est lésionnaire et qu'ils ont été victimes d'un abus de confiance et d'une collusion frauduleuse entre Me [Z] et le gérant de la société Loc Maria (M. [F]), qui leur ont dissimulé l'existence de relations personnelles antérieures.

Ils reprochent donc à Me [Z] d'avoir man'uvré pour favoriser la société cessionnaire, notamment en rédigeant un acte unique pour la cession du fonds de commerce alors qu'il aurait fallu rédiger un acte portant cession des éléments du fonds, propriété des époux [G] d'une part, et un acte distinct, portant cession des éléments corporels et incorporels, propriété de la SA Biscuiterie du Blavet, locataire-gérante, d'autre part.

Ils estiment que la vente pour un prix global de 600.000 €, a permis de ne pas prendre en compte la valeur des stocks de marchandises. Dans sa plainte pénale du 14 juin 2018, M. [G] se disait également lésé en ce que le prix de cession global ne tenait pas compte de la valeur réelle de ses marques. Au total, la cession s'est faite selon eux, à un prix bien inférieur à sa valeur réelle.

La cour relève cependant que le contenu de l'acte de cession a été négocié par les parties et signé par M. et Mme [G] qui en ont approuvé le contenu, notamment s'agissant des stocks de marchandises et de la valorisation des marques et brevets (cession de la propriété des marques et des brevets pour l'euro symbolique).

S'agissant des stocks de marchandises, l'acte de cession prévoyait que le stock décrit en annexe 1A était cédé au prix de 48.504,41 € HT, tandis que le stock décrit en Annexe 1 B devait faire l'objet d'une valorisation négociée entre les parties et qu'à défaut d'accord, M. [B] serait désigné pour trancher le différend conformément à l'article 1592 du code civil. Les difficultés liées à l'exécution de cette clause se sont révélées rapidement puisque dès le 24 avril 2013, la société [X] [G] et les époux [G] ont fait assigner la société Loc Maria devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc en paiement de la somme de 107 645,88 € TTC correspondant au prix de reprise du stock 1B et subsidiairement, en expertise aux fins de valorisation de ce stock. (pièces 6, 7, 17 appelants)

Il y a lieu de constater que si une faute devait être reprochée à l'avocat dans la rédaction de l'acte, notamment s'agissant de la fixation du prix des stocks, les époux [G] en étaient informés dès la signature de l'acte. En tout état de cause, dès le 24 avril 2013, le préjudice qu'ils invoquent encore aujourd'hui, lié à l'absence de reprise par le cessionnaire d'une partie des stocks, leur était déjà connu.

Par ailleurs, il ressort des pièces produites que M. [G], qui cherchait à céder son activité, était directement en affaire avec des acquéreurs potentiels. Dans sa plainte du 14 juin 2018 auprès du commissariat de police de [Localité 11], il précise même « avoir parlé  prix » avec M. [N], lequel était très intéressé par le rachat de son entreprise (pièce 10 appelants).

Étant chef d'entreprise et rompu aux affaires, M. [G] n'ignorait donc pas la valeur de son fonds de commerce. En tout état de cause, il a eu connaissance dès 2010, des prix offerts par les acquéreurs potentiels, pour avoir été personnellement destinataire de ces offres (pièces 8 et 9 intimé, pièce 10 appelants).

Les époux [G] disposaient donc dès la signature de l'acte de cession, des éléments leur permettant de savoir si le prix de cession était, comme il le prétendent, nettement sous évalué.

Surtout, comme l'a justement retenu le tribunal, l'échange de courriels sur lequel se fondent M. et Mme [G] pour établir que l'avocat rédacteur entretenait des relations personnelles antérieures avec le gérant de la société cessionnaire, est daté des 16 et 17 juillet 2012. Il en résulte que, dès juillet 2012, M. et Mme [G] ont été informés de ce qu'ils qualifient de 'collusion frauduleuse' entre Me [Z] et M. [F]. À cette date, ils disposaient alors de tous les éléments pour agir en responsabilité contre l'avocat rédacteur.

La cour relève au surplus que dans le rapport de M. [H], dont les appelants entendent se prévaloir en cause d'appel, « l'expert » retrace de manière précise et détaillée la chronologie des faits telle qu'elle lui a été rapportée par M. et Mme [G]. Il indique en page 8 : « Le 13 juin 2013, Me [Z] adressait un courrier recommandé avec accusé de réception à M. [G] [X] pour lui indiquer que le choix de vente du fonds de commerce était bien fondé, eu égard aux problèmes d'hygiène, sécurité, mise aux normes, et environnemental. Maître [Z] ajoutait notamment que le fonds de commerce avait été vendu à un prix intéressant par rapport au loyer de gérance et qu'il connaissait M. [F], pour avoir assisté M. [O] [I] lors de la cession de la biscuiterie Jos Péron. »

Manifestement, ce courrier daté du 13 juin 2013 est une réponse apportée par Me [Z] à des reproches que M. [G] lui avait précédemment formulés. Il s'agit des mêmes griefs que ceux invoqués au soutien de l'action en responsabilité, tenant notamment à la rédaction d'un acte unique de cession, au prix de cession et à l'existence d'un conflit d'intérêts avec le gérant de la société Loc Maria.

Cet élément nouveau ne fait que confirmer que les époux [G] avaient déjà en 2013 parfaitement appréhendé tous les manquements pouvant être reprochés à Me [Z].

Il peut donc être retenu que dès le 17 juillet 2012 et au plus tard le 13 juillet 2013, les époux [G] disposaient de tous les éléments leur permettant d'engager la responsabilité civile contractuelle de Me [Z], en qualité de rédacteur de l'acte de cession du 10 février 2012.

Le délai pour agir expirait donc au plus tard le 13 juillet 2018, sauf si les époux [G] ont pu interrompre la prescription.

b. sur l'absence de cause interruptive de prescription

Aux termes des articles 2240 et 2241 du code civil, l'interruption de la prescription ne peut résulter que de la reconnaissance du droit de celui contre lequel il prescrit ou d'une demande en justice.

En l'espèce, M. et Mme [G] font valoir que la prescription a été interrompue par :

- la plainte ordinale déposée à l'encontre de Me [Z] le 13 juillet 2017, laquelle serait toujours en cours,

- la plainte pénale déposée le 9 décembre 2017, classée sans suite le 8 octobre 2018 et la plainte pénale réitérée le 3 janvier 2019, de nouveau classée sans suite le 11 avril 2019. (pièce n°4 et 13 appelants),

- la plainte avec constitution de partie civile le 8 février 2019 (pièce n°14 appelants).

Cependant, contrairement à ce que soutiennent les époux [G], ni la plainte ordinale (au demeurant non produite) ni les plaintes pénales (celle du 9 décembre 2017 n'est pas produite), n'ont pu interrompre la prescription.

Il est, en revanche, admis qu'une plainte avec constitution de partie civile peut avoir un effet interruptif, dès lors qu'elle n'est pas faite aux seules fins de corroborer l'action publique et qu'elle renferme une demande de réparation d'un préjudice (1ère Civ., 25 janvier 2000, n°97-22.658)

En l'espèce, la plainte avec constitution de partie civile adressée le 8 février 2019 au doyen des juges d'instruction de Quimper, des chefs d'abus de confiance et de collusion, incluait bien des demandes indemnitaires. Cependant, cet acte n'a pas pu interrompre la prescription qui était déjà acquise depuis le 17 juillet 2018, au plus tard.

De fait, c'est tout aussi vainement que les consorts [G] exposent que le délai de prescription a été interrompu par l'assignation du 24 avril 2013 devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc et qu'il n'a recommencé à courir qu'à compter de l'extinction de l'instance, soit à compter de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 27 mars 2018, pour expirer cinq ans plus tard, le 27 mars 2021.

Il est en effet admis que l'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande, différente de la première par son objet.

En l'espèce, contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'action introduite le 24 avril 2013 par les époux [G] à l'encontre de la société Loc Maria relative à la reprise d'une partie du stock et à sa valorisation, ne peut être considérée comme liée à l'action en responsabilité de l'avocat rédacteur initiée le 10 avril 2019, en ce que ces deux procédures ne concernent pas les mêmes parties, ne portent pas sur un même contrat et n'ont pas le même objet.

L'existence de ce contentieux ayant trait à l'exécution postérieure du contrat de cession n'est donc pas de nature à avoir interrompu la prescription de l'action en responsabilité initiée contre Me [Z], qui n'était partie ni à l'acte de cession ni au procès devant le tribunal de commerce.

Au surplus, comme précédemment indiqué, si les époux [G] estimaient que le contentieux lié à la valorisation et à la reprise des stocks par le cessionnaire trouvait son origine dans la rédaction défaillante de l'acte de cession ( notamment pour ne pas avoir prévu la fixation définitive du prix des stocks), ils ne pouvaient qu'en avoir pris la mesure au moment de la signature de l'acte et en tout état de cause, lorsqu'ils ont introduit l'action contre le cessionnaire, en avril 2013.

Au total, les époux [G] ne peuvent faire utilement valoir aucune cause d'interruption du délai de prescription.

Aussi bien, que l'on retienne comme point de départ du délai de prescription, le 17 juillet 2012 ou le 13 juillet 2013 au plus tard, l'action introduite par l'assignation du 10 avril 2019 est dans tous les cas tardive, le délai de cinq ans pour agir étant expiré.

L'action étant prescrite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'action des consorts [G] irrecevable.

3°/ Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

En complément de la somme de 1.500 € accordée à ce titre en première instance, Me [Z] sollicite sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, la condamnation de M. et Mme [G], Mme [A] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], de la SA Biscuiterie du Blavet et de la SA [G] à lui payer la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts.

À titre liminaire, la cour n'est saisie par les consorts [G] d'aucune demande tendant au rejet des prétentions indemnitaires de Me [Z], ni au titre de ce qui lui a été accordé en première instance ni au titre de la demande complémentaire formée en appel.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la disposition du jugement ayant alloué à Me [Z] la somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts.

En l'espèce, les dommages et intérêts ne peuvent être sollicités que sur le fondement de l'article 1240 du code civil, ce qui suppose de caractériser l'exercice fautif par les consorts [G] de leur droit d'appel.

La cour observe tout d'abord qu'au plan procédural, l'action n'apparaît pas sérieuse et qu'elle peut à ce titre, être considérée comme abusive, notamment en raison :

- des fondements juridiques imprécis et inappropriés ainsi que du caractère confus des moyens auxquels Me [Z] a dû longuement répondre,

- de la complexification inutile de la procédure, liée d'une part, à l'intervention volontaire devant la cour, de la SA [G] et de la SA Biscuiterie du Blavet, lesquelles ne forment finalement aucune demande, étant précisé que la SA Biscuiterie du Blavet est radiée depuis le 20 novembre 2002 (pièce n°10 intimé). D'autre part, en raison de l'appel formé et maintenu au nom de Mme [A] [G], de Mme [D] [G], de M. [T] [X] et de M. [M] [X] pour lesquels il est finalement conclu qu'ils ne 'sont plus dans la procédure, puisqu'ils n'avaient effectivement aucune raison d'y participer'. Il est cependant observé qu'aucun désistement n'a été formalisé et qu'ils figurent dans l'en-tête des dernières conclusions notifiées par les appelants,

- de la notification, la veille de la clôture, de nouvelles conclusions modifiant significativement le montant des demandes ainsi que d'une nouvelle pièce censée faire la démonstration du préjudice (rapport d'expertise de M. [H] du 28 février 2022).

La cour relève à cet égard que le préjudice allégué est passé de 600 000 € en première instance, à la somme globale de 2 061 064,26 € en l'état des dernières écritures notifiées la veille de la clôture. Ce montant colossal, sans rapport avec le prix de l'acte de cession, n'est ni explicité ni justifié par aucune pièce, et apparaît en tout état de cause fantaisiste, au regard de la perte de chance alléguée.

Par ailleurs, la demande subsidiaire d'expertise judiciaire présentée pour la première fois en cause d'appel avec pour objectif de «rechercher si Me [Z] a failli à son devoir de conseil et d'en chiffrer le coût » achève de convaincre la cour, sans même avoir à examiner le fond du litige, de la légèreté de cette action.

Cette action vise à faire reconnaître les incidences civiles des délits d'abus de confiance et de collusion que les époux [G] reprochent à Me [Z] aux travers de multiples procédures, notamment pénales et disciplinaire. Il y a lieu de considérer qu'elle cause un préjudice moral incontestable à Me [Z], dont l'honneur et la probité sont attaquées et en raison des troubles et tracas liés à l'obligation pour lui de se défendre, ce depuis plusieurs années.

Par conséquent, M. et Mme [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] seront condamnées in solidum à payer à Me [Z] la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts.

4°/ Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement seront confirmées s'agissant des dépens et des frais irrépétibles.

Succombant de nouveau en cause d'appel, M. et Mme [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et déboutés de leurs demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

En outre, il n'est pas inéquitable de les condamner in solidum à payer à Me [Z], la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Donne acte à la SA [G] et de la SA Biscuiterie du Blavet de leur intervention volontaire mais constate qu'aucune demande n'est formée en leur nom et pour leur compte dans le dispositif des conclusions ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 03 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Quimper;

Y ajoutant :

Condamne in solidum M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], de M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] à payer à Me [W] [Z] la somme de 3.000 € à titre de dommages-et-intérêts pour recours abusif ;

Condamne in solidum M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] aux dépens d'appel ;

Déboute M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [X] [G], Mme [J] [X] épouse [G], Mme [A] [G], Mme [D] [G], M. [T] [X], M. [M] [X], la SA Biscuiterie du Blavet et la SA [G] à payer à Me [W] [L] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/05984
Date de la décision : 31/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-31;20.05984 ?
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