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24/05/2022 | FRANCE | N°21/04307

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 24 mai 2022, 21/04307


1ère Chambre





ARRÊT N°208/2022



N° RG 21/04307 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2OE













Mme [Y] [V]



C/



Me [Z] [S]



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 MAI 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS

DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du pronon...

1ère Chambre

ARRÊT N°208/2022

N° RG 21/04307 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2OE

Mme [Y] [V]

C/

Me [Z] [S]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 24 MAI 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Mars 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 24 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [Y] [V]

née le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 7] ([Localité 7])

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Bertrand MAILLARD, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Maître Laurent [S]

Notaire associé

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représenté par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Thierry CABOT, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

M. [R] [G] et Mme [Y] [V] se sont mariés le [Date mariage 2] 1999 à [Localité 9] (35), après contrat de mariage reçu le 23 février 1999 emportant adoption du régime de la participation aux acquêts.

Par jugement du 15 décembre 2004, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nantes a prononcé le divorce des époux [G] ' [V] dont il a reporté les effets à la date du 21 octobre 2002 et ordonné le partage des intérêts patrimoniaux des époux, commettant pour y procéder le président de la chambre départementale des notaires ou son délégué.

Saisi par requête conjointe des parties en date du 25 avril 2006, le juge aux affaires familiales a, par ordonnance du 17 août 2006, déchargé le président de la chambre des notaires et désigné, afin de procéder à la liquidation du régime matrimonial des époux [G] ' [V], la société notariale Hupel & [S] (devenue «'[Z] [S] et associés'»), notaire à [Localité 8], pour Mme [V], et Me [I], notaire à [Localité 5], pour M.'[G].

Le 9 février 2009, Me [S] a transmis à Me [I] un projet d'état liquidatif faisant ressortir au profit de Mme [V] une créance de participation de 51'602,19 euros.

Le 30 novembre 2011, Me [S] a dressé un procès-verbal de carence à l'encontre de M.'[G], ce dernier ne s'étant pas présenté malgré la sommation de comparaître qui lui avait été délivrée le 22 novembre précédant.

Par acte du 3 mai 2012, Mme [V] a saisi le tribunal de grande instance de Nantes, mais, par jugement du 16 juin 2014, confirmé par arrêt du 23 mai 2016, cette juridiction a déclaré prescrite l'action en liquidation de la créance de participation de la demanderesse.

Cette dernière a alors fait assigner en avril 2019 Me [Z] [S], notaire associé au sein de la société [Z] [S] et associés, devant le tribunal de grande instance de Nantes qui, par jugement du 10 juin 2021, a :

- déclaré recevables les demandes formées par Mme [V] à l'encontre de Me [S],

- débouté Mme [V] de ses demandes formées à l'encontre de Me [S],

- débouté Mme [V] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [V] à payer à Me [S] la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [V] aux dépens.

Mme [V] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 12 juillet 2021.

Aux termes de ses dernières écritures (22 février 2022), Mme [Y] [V] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel principal et le dire bien fondé,

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nantes en date du 10 juin 2021 en ce qu'il :

* l'a déboutée de ses demandes formées à l'encontre de Me [S],

* l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée à payer à Me [S] la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'a condamnée aux dépens ;

* a déclaré n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,

- débouter Me [S] de sa demande tendant à voir déclaré prescrite son action et ses demandes,

- dire et juger que la responsabilité civile professionnelle de la société [Z] [S] et associés est engagée du fait des différents manquements commis dans le cadre de la liquidation de son régime matrimonial,

à titre principal :

- condamner la société [Z] [S] et associés à lui verser les sommes suivantes :

* 40'135,88 euros correspondant au solde des créances que lui doit M. [G] dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, avec intérêt aux taux légal à compter du 22 novembre 2011, date de la sommation faite à M. [G] par Me'[S], et capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil,

* 10'881,77 euros sauf à parfaire, au titre des faits restés à charge pour faire valoir ses droits dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial,

à titre subsidiaire :

- déterminer le taux de perte de chance qu'il plaira à la cour de fixer,

- condamner la société [Z] [S] et associés à lui verser les sommes suivantes auxquelles sera appliqué le taux de perte de chance initialement fixé par la juridiction de céans :

* 40'135,88 euros correspondant au solde des créances que lui doit M. [G] dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, avec intérêt aux taux légal à compter du 22 novembre 2011, date de la sommation faite à M. [G] par Me'[S], et capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil,

* 10'881,77 euros sauf à parfaire, au titre des faits restés à charge pour faire valoir ses droits dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial,

en tout état de cause :

- condamner la société [Z] [S] et associés à lui verser la somme de 3'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction faite au profit de Me Bertrand Maillard en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner la société [Z] [S] et associés aux entiers dépens,

- dire que l'ensemble des condamnations porteront intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure adressée à la société [Z] [S] et associés en date du 29 octobre 2018, et ce avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil.

Mme [V] fait d'abord valoir que sa demande à l'encontre de Me [S] n'est pas prescrite car le point de départ du délai de prescription doit être fixé à la date de réalisation du dommage, soit à compter de l'épuisement des voies de recours (arrêt du 23 mai 2016).

Elle ajoute que Me [S] a manqué à son devoir de conseil en n'attirant pas son attention sur le risque de prescription de sa créance de participation. Elle rappelle que le notaire avait été désigné au soutien exclusif de ses intérêts et qu'il aurait du adopter une attitude plus combative pour passer outre l'inertie de Me [I] et de M. [G]. Elle fait valoir que Me [S] était informé de sa situation depuis 2004, s'agissant de son notaire de famille. Elle ajoute que la charge de la preuve du respect du devoir de conseil repose sur Me [S], étant le seul professionnel en charge de la liquidation de son régime matrimonial. Elle rappelle qu'elle n'est pas une professionnelle du droit et que le devoir de conseil du notaire est absolu, peu importe les compétences personnelles du client. Elle souligne que Me [S], après sa nomination en 2006, a établi deux actes en 2009 et 2011 mentionnant tous deux sa créance de participation soit plus de deux années après la prescription de ladite créance.

Enfin, elle affirme que son préjudice a un caractère direct et certain car ses droits avaient été établis par Me [S] dans le cadre de son projet d'état liquidatif. Elle s'estime donc bien fondée à réclamer le versement par Me [S] d'une somme de 51'017,65 euros correspondant à la somme de 40'135,88 euros ressortant de l'état liquidatif et à celle de 10'881,77 euros correspondant aux frais irrépétibles et dépens exposés.

Subsidiairement, elle se fonde sur la chance que lui a fait perdre le notaire de voir fixer judiciairement sa créance.

Aux termes de ses dernières écritures (29 novembre 2021), Me [Z] [S] demande à la cour de :

- le recevoir en son appel incident ;

statuant à nouveau :

- déclarer prescrite l'action et les demandes de Mme [V],

- confirmer la décision dont appel,

- débouter Mme [V] de toutes ses demandes, fins et prétentions à son encontre,

en tout état de cause :

- condamner Mme [V] à verser à la société [S] et associés la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens.

Me [S] conteste la recevabilité des demandes de Mme [V] soutenant que le point de départ de la prescription quinquennale est la date du «'fait connu'», soit le jour où cette dernière a su que les actions en liquidation de son régime matrimonial et en paiement de ses créances contre son ex-mari étaient prescrites, à savoir le 28 novembre 2011. Il ajoute que si le dommage est inéluctable alors le point de départ de la prescription ne peut pas être reporté à la manifestation de toutes ses conséquences.

Quant à sa responsabilité, il rappelle que le contrat de mariage de Mme [V] indiquait clairement qu'elle devait agir dans les trois ans du prononcé du divorce. Il ajoute qu'il se devait d'être objectif et impartial, étant commis par une juridiction et sa mission consistant seulement à dresser un projet d'état liquidatif et à établir un procès-verbal reprenant les dires des parties.

Enfin, sur le préjudice, il soutient que Mme [V] ne démontre pas qu'elle aurait pu obtenir les sommes présentées dans le projet d'état liquidatif car elle ne justifiait pas des sommes auxquelles elle pouvait prétendre dans le cadre de la liquidation, sommes que M. [G] contestait. Il estime, en tout état de cause, que Mme [V] ne peut lui réclamer la somme de 10 881,77 euros correspondant aux frais irrépétibles et dépens qu'elle a exposés en pure perte alors qu'elle pouvait agir directement contre lui.

SUR CE :

L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le contrat de mariage des époux [G] [V] stipule en son article consacré à l'action en liquidation (page 7 de l'acte du 23 février 1999) : «'à défaut d'accord amiable entre les parties quant à la liquidation de ce régime, il y sera procédé en justice à la demande de l'une d'entre elles. Cette action liquidation sera prescrite dans les trois ans à compter de la dissolution du régime. Toutefois, en cas de dissolution par divorce, ce délai de prescription de l'action en liquidation commencera à courir à compter du jour où le divorce sera définitif...'».

Cet article n'est que la transcription des dispositions contenues à l'article 1578 du code civil dans sa rédaction applicable au présent litige qui est celle issue de la loi du 23 décembre 1985 («'à la dissolution du régime matrimonial, si les parties ne s'accordent pas pour procéder à la liquidation par convention, l'une d'elles peut demander au tribunal qu'il y soit procédé en justice... L'action en liquidation se prescrit par trois ans à compter de la dissolution du régime matrimonial...'»).

Le divorce des époux [G] ' [V] a été prononcé le 15 décembre 2004. La date à laquelle ce jugement est devenu définitif n'est pas connue mais il est constant qu'aucune des parties n'en a interjeté appel et qu'elles l'ont toutes deux accepté puisque le 25 avril 2006, elles ont saisi conjointement le juge aux affaires familiales pour désigner tels notaires aux fins de procéder à la liquidation de leurs droits patrimoniaux que le tribunal avait ordonnée dans le jugement de divorce.

Il est constant que les notaires commis n'ont pu s'accorder pour dresser un projet de partage, Me [S] ayant tenté à plusieurs reprises (30 août 2006, 16 mars et 30 mai 2007) de débloquer la situation mais s'est heurté à l'inertie et à la mauvaise volonté de son confrère. Il a fini par dresser seul un projet de partage qu'il a adressé à ce dernier le 9 février 2009. Après plusieurs échanges courant 2009 et relances infructueuses en 2010 et 2011, il a fait délivrer à M. [G], par acte du 22 novembre 2011, sommation de comparaître le 30 novembre en son étude, ce dont il a informé son confrère [I].

Par lettre du 28 novembre 2011 que Me [S] a annexé au procès-verbal de carence qu'il a dressé le 30 novembre 2011 en l'absence tant de M. [G] que de son confrère, celui-là, par le truchement de son avocat, Me [X] [B], ayant fait savoir qu'il ne comparaîtrait pas soulevant la prescription de l'action en liquidation du régime matrimonial comme de celle en payement des créances entre époux et contestant subsidiairement devoir quelle que somme que ce soit.

Cette lettre a été adressée en copie à l'avocat de Mme [V], Me [D].

Ainsi dès le 30 novembre 2011, cette dernière savait que son action en liquidation était prescrite puisque près de sept années s'étaient écoulées depuis le prononcé du divorce (et plus de cinq années depuis la commission des notaires) et que son ex-mari entendait se prévaloir de la prescription.

Ayant fait assigner M. [G] en mai 2012 devant le tribunal de grande instance de Nantes, ce dernier a, de nouveau, opposé la prescription de trois ans de l'article 1578 par conclusions du 9 octobre 2013 ainsi qu'il résulte du jugement rendu 16 juin 2014.

Les termes tant du contrat de mariage (23 février 1999) que de l'article précité du code civil étant dénués de toute ambiguïté et la position de M. [G] étant parfaitement connue depuis le 30'novembre 2011, Mme [V] ne pouvait ignorer depuis cette date (et en tous cas depuis les conclusions du 9 octobre 2013) que toute action contre son ex-mari était vouée à l'échec et avait donc connaissance des faits lui permettant d'engager la responsabilité du (ou des) notaire(s) commis, faute d'avoir attiré son attention sur l'impérative nécessité de saisir le tribunal dans le délai de trois ans de la dissolution du régime matrimonial laquelle est une conséquence du divorce (article 264-1 du code civil dans sa rédaction alors applicable) et d'avoir inutilement continué à instrumenter pendant près de quatre ans (de la fin 2017 au 30 novembre 2011).

Contrairement à ce qu'a jugé le tribunal qui a retenu comme point de départ de la prescription quinquennale la date de l'arrêt confirmatif du 23 mai 2016 alors que les décisions rendues tant en première instance qu'en appel ne faisaient que consacrer une situation connue, parfaitement établie et inéluctable, celui-ci doit être fixé au 30 novembre 2011 et, au plus tard, au 9 octobre 2013.

Il s'en suit qu'ayant attendu le 12 avril 2019 pour assigner Me [S], l'action de Mme [V] à l'encontre du notaire est prescrite.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré cette action recevable.

Partie succombante, Mme [V] supportera les dépens de première instance et d'appel et devra verser à Me [S] une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire :

Infirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes le 10 juin 2021.

Statuant à nouveau :

Déclare irrecevable comme étant prescrite l'action de Mme [Y] [V] à l'encontre de Me'[Z] [S].

La condamne aux dépens.

Condamne Mme [Y] [V] à régler à Me Laurent [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/04307
Date de la décision : 24/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-24;21.04307 ?
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