8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°229
N° RG 19/01292 -
N° Portalis DBVL-V-B7D-PSAI
SA B.A.I. (BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE)
C/
M. [S] [Z]
Confirmation
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 24 Février 2022
En présence de Madame [N] [H], Médiatrice judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
La SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE (B.A.I) prise en la personne de ses représentants légaux et ayant son siège social :
Port de Bloscon - CS 60072
29680 ROSCOFF
Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Avocat postulant du Barreau de RENNES et par Me Gaid PERROT de la SELARL MAZE-CALVEZ & ASSOCIES, Avocat plaidant du Barreau de BREST
INTIMÉ :
Monsieur [S] [Z]
né le 27 Octobre 1964 à CANCALE (35)
demeurant 45 rue Henri Sellier
56570 LOCMIQUELIC
Représenté par Me Christine MINGAM de la SCP CABEL-MANANT-NAOUR LE DU-MINGAM, Avocat du Barreau de SAINT-BRIEUC
M. [Z] a été embauché par la compagnie de transport maritime BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE SA le 1er janvier 1995 en contrat à durée indéterminée en qualité de Lieutenant officier pont - chef de quart machine, puis de Second mécanicien, puis de Chef mécanicien.
La convention collective applicable est celle des entreprises de transport et de services maritimes
Par lettre en date du 1er décembre 2017, M. [Z] a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 11 décembre 2017, en vue d'une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.
Son licenciement lui a été notifié le 04 janvier 2018 pour faute grave en raison d'une consommation d'alcool à bord, dépistée lors d'un contrôle aléatoire le 26 novembre 2017.
Le 9 juillet 2018, M. [Z] a saisi le tribunal d'instance de Lorient aux fins de voir:
' Dire que son licenciement est irrégulier et sans cause réelle et sérieuse,
' Condamner la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à lui payer les sommes suivantes :
- 7.475,12 € à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure,
- 14.950,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.495,02 € au titre des congés payés afférents,
- 74.751,20 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 127.077 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Subsidiairement,
' Requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
' Condamner la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à lui payer les sommes suivantes:
- 74.751,20 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 14.950,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.495,02 € au titre des congés payés afférents,
' Dire que ces condamnations produiront intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2018, date de la convocation à la tentative de conciliation,
' Ordonner la remise de bulletins de salaire et de documents de fin d'emploi conformes au jugement sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter de la notification de la décision et se réserver le droit de liquider l'astreinte,
' Condamner la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à verser à M. [Z] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.
La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE le 25 février 2019 du jugement du 24 janvier 2019 par lequel le tribunal d'instance de Lorient a :
' Déclaré le licenciement de M. [Z] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' Condamné la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à payer à M. [Z] les sommes de':
- 127.075 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 74.750 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 14.950 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.495 € au titre des congés payés afférents,
' Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts légaux à compter du 9 juillet 2018,
' Dit que les sommes à caractère non salarial produiront intérêts à compter du 24 janvier 2019,
' Débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,
' Ordonné à la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE de remettre à M. [Z] dans le délai de 20 jours suivant la date de notification de la présente décision, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire rectifiés,
' Dit qu'à défaut de respecter cette obligation la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE y sera contrainte, par astreinte de 50 € par jour de retard, pendant 150 jours,
' Ordonné le remboursement par la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE des indemnités de chômage versées par les organismes sociaux à M. [Z] dans la limite de six mois d'indemnités,
' Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
' Condamné la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à payer à M. [Z] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamné la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE aux entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 25 octobre 2019, suivant lesquelles la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE demande à la cour de :
' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [Z] dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à verser à M. [Z] diverses sommes,
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande au titre d'une prétendue procédure irrégulière,
' Débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes,
' Condamner M. [Z] à régler à la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE une somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 1er février 2022, suivant lesquelles M. [Z] demande à la cour de :
A titre principal,
' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Jugé que le licenciement de M. [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- Condamné la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à payer à M. [Z] diverses sommes avec intérêts au taux légal,
- Ordonné à la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE de remettre à M. [Z] ses documents sociaux sous astreinte,
A titre subsidiaire,
' Requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
' Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,
' Condamner la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal :
- 7.475,12 € à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure,
- 14.950,24 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.495,02 € au titre des congés payés afférents,
- 74.751,20 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance,
En toute hypothèse,
' Condamner la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens, y compris les frais d'exécution éventuels.
La clôture a été prononcée le 17 février 2022.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIVATION DE LA DECISION
Sur le bien fondé du licenciement
Pour infirmation, la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE fait valoir que M. [Z] n'a pas respecté la norme fixée par l'article 4 du règlement intérieur de l'entreprise relative au taux maximum d'alcool dans le sang, qui doit être respecté de manière permanente, fixé à 0,5g/litre (soit 0,25 mg/litre d'air expiré) au-delà duquel le salarié est considéré comme en état d'ébriété ; que la réglementation internationale et nationale retient la même limite, en particulier la directive 2012/35/UE relative aux gens de mer'; que le code des transports prévoit dans son article L5531-45-1 que le fait notamment pour un chef mécanicien de se trouver sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool égale ou supérieure à 0,25 mg/L d'air expiré est un délit'; que conformément au manuel des Opérations Bord Machine M. [Z] devait être capable d'intervenir à tout moment notamment pour des raisons de sécurité ; que le taux d'alcoolémie de M. [Z] de 0,38mg/L a été constaté à une période pendant laquelle il n'était pas en repos, peu important qu'il ait bu sur son temps de repos'; que les autorités peuvent empêcher le navire de prendre la mer dans de telles circonstances et bloquer ainsi tous les passagers en interdisant au marin de travailler'; que M. [Z] était le seul chef mécanicien à bord.
M. [Z] fait valoir pour confirmation que sa consommation a eu lieu pendant sa période de repos, qu'elle était liée à ses problèmes de santé (dépression, insomnies répétées en l'absence de son traitement médical), qu'elle était limitée au regard du faible dépassement du taux autorisé, qu'elle n'a eu aucune répercussion'; que compte tenu de l'ancienneté et de la qualité du travail de M. [Z] en l'absence d'antécédent disciplinaire, les griefs invoqués ne caractérisent pas une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise ; que M. [Z] a d'ailleurs poursuivi ses fonctions le jour du contrôle, effectuant notamment trois man'uvres sans la moindre difficulté'; que les griefs invoqués ne constituent pas davantage une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il résulte des articles'L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle fait obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles'; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi rédigée (pièce n°6 du salarié)':
Pour faire suite à notre entretien préalable du 11 décembre 2017, nous avons le regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave en raison des manquements au règlement intérieur et aux règles de sécurité, qui vous sont précisés ci-après.
Les faits établis sont les suivants :
- Dimanche 26 novembre 2017, au cours d'un contrôle alcoolémie aléatoire effectué à la demande du Chef d'Armement à bord du navire M/V NORMANDIE, vous avez été soumis à un contrôle révélant un taux de 0.41 mg/I d'air expiré à 7h27.
- Le Commandant, M. [P] [I], vous a alors demandé de vous présenter 30 minutes plus tard pour vous soumettre à un nouveau contrôle.
- Vous vous êtes présenté à 7h54 pour être soumis à un nouveau contrôle en présence de M. [W] [G], Matelot Postal et Délégué de bord. Préalablement à ce contrôle, vous avez confirmé ne pas avoir fumé.
- Ce second contrôle a révélé un taux de 0.38 mg/I d'air expiré.
- Le Commandant vous a par conséquent immédiatement demandé de quitter votre poste de travail, d'aller vous reposer et vous a convoqué à un entretien ce même jour à 13h30 à Portsmouth.
- En début d'entretien, le Commandant vous a demandé de vous soumettre à un nouveau contrôle d'alcoolémie qui a révélé un taux à O mg/I d'air expiré.
- Le Commandant vous a signifié que vous aviez enfreint l'article 4 du chapitre ll du Règlement lntérieur du personnel navigant.
- Vous avez déclaré souffrir de dépression, que vous n'aviez plus le traitement médical adéquat et qu'en proie à des insomnies la nuit précédente, vous aviez bu quelques verres d'alcool.
- Le Commandant vous a convoqué pour un nouvel entretien ultérieur, accompagné de la personne de votre choix.
- A 16h30, en présence de M. [R] [X], Second Mécanicien et Délégué de bord Officiers Suppléant, le Commandant vous a reçu en entretien.
- En raison de la gravité des faits reprochés, il vous a demandé de débarquer à l'arrivée à Ouistreham ce même jour à 20h30.
Vous avez enfreint les règles du Règlement Intérieur concernant la consommation de boissons alcoolisées décrite au Chapitre II, article 4. Ce comportement n'est pas acceptable et engage la santé, la sécurité du navire, des biens et des personnes transportées.
Cette situation est aggravée par le fait que, compte tenu de votre expérience et de votre position d'Officier Supérieur, vous ne pouvez ignorer les règles de base applicables à bord. Il est d'ailleurs à noter que ce contrôle a été effectué tôt le matin et que vous dépassiez déjà les limites prévues par le règlement intérieur.
Ce manquement constitue une non-conformité aux systèmes de gestion de la sécurité de la Compagnie, dont les règles sont fixées par le Manuel de procédures générales Compagnie, Direction Technique et le Manuel des opérations bord Machine. Ces derniers imposent la présence du chef mécanicien lors des opérations d'arrivée et de départ du navire, ce à des fins de sécurité pour le navire, la marchandise et les personnes transportées.
Compte tenu de la fonction que vous occupez, votre responsabilité est particulièrement engagée sur la sécurité du navire dans la mesure où votre service garantit la bonne marche de l'ensemble des systèmes, dont certains très complexes et requérant une attention et un professionnalisme sans faille. En tant qu'officier, vous avez assisté aux séances de sensibilisation sur la prévention de la consommation d'alcool à bord et ses incidences sur la santé mais aussi sur la vigilance. Il était attendu de vous que vous vous conduisiez avec exemplarité sur ce point vis-à-vis notamment des navigants de l'équipe machine.
Nous sommes donc au regret de vous notifier une décision de licenciement pour faute grave en raison des manquements au règlement intérieur et aux règles de sécurité à bord que vous ne pouvez ignorer et que vous êtes tenu d'appliquer et de faire appliquer à bord. Ce licenciement prendra effet immédiatement à la date du présent courrier soit le 4 janvier 2018 et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date.
S'agissant d'un licenciement pour faute grave, aucun préavis ne vous est dû, ni indemnité de licenciement. La période de mise à pied conservatoire précédant cette notification ne vous sera pas non plus rémunérée.
Nous vous adresserons par courrier séparé les éléments concernant votre solde de tout compte, attestation Pole Emploi et certificat de travail.
Nous vous demandons de nous restituer votre badge (...)
Nous vous rappelons qu'à compter de la rupture de votre contrat de travail, vous pouvez conserver le bénéfice des régimes de prévoyance (...)'»
Il est établi en l'espèce que le 26 novembre 2017, sur le navire Normandie, à l'occasion d'un contrôle aléatoire, M. [Z] a présenté un taux d'alcool de 0,41 mg/litre d'air expiré à 07h27 et un taux de 0,38 mg/L d'air expiré 30 minutes plus tard à 7h54 (pièce n°5 de l'appelante).
Le Règlement Intérieur de la BAI (pièce n°1 de l'appelante) prévoit dans son article 4 relatif à la «'consommation de boissons alcoolisées'» qu'elle est «'totalement interdite pendant le service'» et qu'une «'norme '' taux maximal d'alcoolémie '' a été retenue': elle est fixée à 0,5 g/litre d'alcool dans le sang [soit l''équivalent de 0,25mg d'alcool par litre d'air expiré] et doit être respectée de façon permanente'».
M. [Z] se trouvait en fonction lors du contrôle positif ainsi que le mentionne la décision de mise à pied conservatoire du 26 novembre 2017 (pièce n°3 du salarié).
Les qualifications délictuelles du code des transports auxquelles se réfère la société appelante ne sont pas applicables aux faits, qu'il s'agisse de celle prévue par l'article L5531-45 ' prévoyant notamment fait pour le chef mécanicien dans l'exercice de ses fonctions de se trouver sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,25 mg/L ' qui n'est entré en vigueur qu'à compter du 9 juin 2018 ou qu'il s'agisse des dispositions de l'article L5531-13 qui ne concernent que la situation du marin (hormis le capitaine) qui 's'enivre habituellement' ou dont l'état d'ivresse est constaté pendant le service de quart.
Il ressort ensuite des pièces produites que l'état d'alcoolémie de M. [Z] n'a pas eu d'incidence dans l'exercice de ses fonctions': rien ne vient en effet suggérer que le contrôle, présenté comme strictement aléatoire, aurait été motivé par un autre élément ou que M. [Z] aurait eu un comportement inadapté. Rien ne vient donc établir que M. [Z] aurait été privé, du fait de son taux d'alcoolémie, de sa capacité d'intervention immédiate telle que découlant de l'article 4.1.1.2 du manuel des opérations bord machines (pièce n°2 de l'appelante) qui prévoit les cas dans lesquels l'Officier de quart machine doit prévenir «'le Chef mécanicien sans retard'» étant précisé que ces mêmes dispositions prévoient [Nota en fin d'article] de prévenir «'le chef mécanicien ou le Second mécanicien selon les consignes'».
Il est établi en outre, ainsi que relaté en détail dans la lettre de licenciement précitée, alors que M. [Z] était en poste lors du contrôle de 7h27, que ce n'est qu'après le second souffle à 7h54 qu'il lui a été demandé de quitter son poste et «'d'aller se reposer'», jusqu'à un nouveau contrôle à 13h30 qui a révélé un taux d'alcoolémie égale à zéro'; que c'est au cours d'un nouvel entretien le même jour à 16h30 que le commandant lui a demandé de débarquer le jour même à l'arrivée à Oustreham à 20h30. M. [Z], désigné comme seul chef mécanicien à bord, affirme dans ses écritures (page 6) sans être contredit avoir, après son contrôle d'alcoolémie positif, néanmoins été chargé d'effectuer plusieurs man'uvres dans la journée.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'agissement fautif de M. [Z] est certes établi et de nature à justifier une sanction disciplinaire, mais que ce seul manquement à ses obligations ne peut être considéré comme suffisamment sérieux dans les circonstances rapportées pour fonder à lui seul un licenciement pour faute grave, à plus forte raison s'agissant d'un salarié dépourvu d'antécédent disciplinaire en 23 années de travail dans l'entreprise'; la sanction ainsi retenue s'avère disproportionnée au regard des circonstances dans lesquelles se sont inscrits les faits et des autres moyens de réponse disciplinaire à disposition de l'employeur dans la hiérarchie des sanctions adaptées au manquement reproché.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 23 années pour un salarié âgé de 53 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à l'égard de l'intéressé, des revenus de M. [Z] au cours des six derniers mois après réintégration du rappel de salaire sur la mise à pied, ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, c'est à juste titre que lui a été alloué, en application de l'article'L.'1235-3 du Code du travail dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 une somme de 127.075 € correspondant à 17 mois de salaire, montant maximum du barème.
M. [Z] est également fondé à solliciter le paiement, pour des sommes non autrement contestées, d'une indemnité compensatrice de préavis de 14.950 €, outre 1.495 € au titre des conges payés afférents, ainsi que d'une indemnité de licenciement d'un montant de 74.750 €.
Sur la régularité de la procédure de licenciement
M. [Z] soutient pour infirmation que la SA BAI a enfreint la procédure conventionnelle et qu'en application de l'article L. 1235-2 du Code du Travail, il s'agit d'une irrégularité de la procédure de licenciement ; qu'en effet il a sollicité la tenue d'une réunion de la commission de discipline ; que cependant, il a été écarté de cette réunion et n'a donc pas été entendu par la commission ni n'a eu connaissance de l'avis rendu, au mépris des dispositions de l'article 3.5.2.4 de la convention collective.
La SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE fait valoir pour confirmation que M. [Z] a régulièrement pu bénéficier de la tenue de la Commission disciplinaire mais a refusé d'y être entendu ; que non seulement les délais de procédure ont été respectés, mais que M. [Z] a bien bénéficié de la présence des deux personnes qu'il avait évoquées puisqu'elles participaient à la Commission'; que la SA BAI a donc parfaitement respecté ses obligations.
Aux termes de l'article L. 1235-2 du Code du Travail dans sa version applicable résultant de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et modifiée par ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017': «'Lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.'»
M. [Z] lui-même soutient dans ses écritures que les ordonnances «'dites MACRON'» du 22 septembre 2017 ont remis en cause la jurisprudence antérieure de la chambre sociale de la Cour de Cassation qui considérait que les procédures conventionnelles de consultation préalable au licenciement constituaient des garanties de fond dont la violation rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse et ne forme, au visa de l'article L1235-2 du Code du Travail, qu'une demande d'indemnisation d'une irrégularité de procédure et la condamnation subsidiaire de la Société BAI à lui verser la somme de 7.475€ équivalant à un mois de salaire.
Le licenciement étant jugé sans cause réelle et sérieuse, la décision du Tribunal d'Instance de LORIENT ne pourra qu'être confirmée en ce qu'il a débouté M. [Z] de sa demande d'indemnité à ce titre, sans qu'il y ait lieu dans ces conditions d'examiner cette irrégularité.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif'; la société appelante qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser le salarié intimé des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE à payer à M. [Z] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
DEBOUTE la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SA BRETAGNE ANGLETERRE IRLANDE aux entiers dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT.