Chambre des Baux Ruraux
ARRÊT N° 20
N° RG 20/06350 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RGJB
M. [T] [M]
Mme [S] [J] épouse [M]
C/
M. [U] [B]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Gobbé
Me Dervillers
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Mars 2022, devant Madame Virginie HAUET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 05 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [T] [M]
né le 6 mai 1943 à Clayes, de nationalité française
La Buzardais
35590 CLAYES
Madame [S] [J] épouse [M]
née le 18 septembre 1949 à Bédée, de nationalité française
La Buzardais
35590 CLAYES
représentés par Me Myriam GOBBÉ de la SCP AVOCATS LIBERTÉ GLON-GOBBE- BROUILLET-AUBRY-TESSIER, substituée par Me Laura BERNARDET, avocats au barreau de RENNES
INTIME :
Monsieur [U] [B]
né le 2 novembre 1977 à Rennes, de nationalité française, exploitant agricole
[W] [R]
35590 CLAYES
représenté par Me Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, substitué par Me Maxime CHRISTIEN, avocats au barreau de RENNES
Par acte en date du 19 juin 1979, les consorts [M] ont donné à bail à M. [Y] [B] et Mme [K] [B] plusieurs parcelles de terre d'une superficie de 4 ha 71 ca sises commune de Clayes.
Le bail a commencé à courir le 29 septembre 1979 et a été conclu pour une durée de 9 ans. Il s'est renouvelé à pareille époque en 1988, 1997 et 2006 et arrivait à échéance le 29 septembre 2015.
Les époux [M] ont, par la suite, acquis les terres litigieuses.
Le bail a, par ailleurs, été cédé par les époux [B] à leur fils, M. [U] [B], à compter du 1er janvier 2008.
Par acte en date du 14 mars 2014, les époux [M] ont fait délivrer à M. [U] [B] un congé rural aux fins de reprise pour voir exploiter par leur fils, M. [T] [C] [M] sur le fondement des articles L.411-58 et suivants du Code rural et pour le 29 septembre 2015.
[U] [B] a contesté ce congé par lettre de saisine en date du 2 juillet 2014.
Faute de conciliation, l'affaire a été renvoyée en audience de jugement.
Suivant jugement contradictoire rendu par mise à disposition du greffe le 20 septembre 2016 , le tribunal paritaire des baux ruraux de Rennes a :
- déclaré recevable la demande M. [B],
- prononcé la nullité du congé reprise,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné les époux [M] à verser à M. [B] une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les époux [M] aux dépens.
Suivant déclaration en date du 7 octobre 2016, les époux [M] ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 6 septembre 2018, la cour d'Appel de Rennes a :
- sursis à statuer sur l'appel formé par M. et Mme [M] dans le litige les opposant à M. [B] ;
- dit que le cours de l'instance sera repris, à la requête de la partie la plus diligente, lors de la survenance d'une décision définitive des juridictions administratives statuant sur le recours formé par l'EARL [M] à l'encontre de la décision préfectorale prise le 19 octobre 2016 confirmée le 28 février 2017 par le préfet d'Ille et Vilaine ;
- ordonné que la présente affaire soit retirée du rôle des affaires en cours pour y être rétablie sur simple demande de la partie la plus diligente lors de la survenance de l'événement cause du sursis.
Suite au dépôt des conclusions de l'intimé, puis des appelants, après sursis à statuer, ils ont indiqué que, par décisions des 5 novembre 2018 et 18 décembre 2020, le tribunal administratif puis la cour administrative de Nantes avaient rejeté la requête de l'EARL [M].
La cour a procédé au réenrôlement de l'affaire.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 02 mars 2022, M et Mme [M] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau :
- juger que les conditions du régime applicable au bénéficiaire de la reprise doivent être appréciées à la date à laquelle le congé devait prendre effet soit au 29 septembre 2015,
- constater qu'à cette date, le schéma directeur régional des exploitations agricoles n'était pas encore publié,
- juger en conséquence que la 4ème condition prévue par le nouvel article L331-2 n'était pas déterminée à cette date,
- juger que M. [G] [M] bénéficiaire du régime dérogatoire de la déclaration remplit les trois autres conditions prévues à l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime pour bénéficier du régime de la déclaration préalable,
- valider en conséquence le congé pour reprise délivré à M. [U] [B],
- condamner M. [U] [B] à laisser libre les parcelles dont s'agit dans un délai de un mois à compter de la notification de la décision à intervenir par la voie du greffe,
- en cas de besoin, ordonner l'expulsion de M. [U] [B] et de tout occupant de son chef, avec l'assistance de la force publique et ce, sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard pendant un délai de deux mois, passé lequel il sera à nouveau statué,
- se réserver la liquidation de l'astreinte,
en tout état de cause:
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [U] [B],
- condamner M. [U] [B] à payer à M. et Mme [M] une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 23 février 2022, M. [U] [B] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de Rennes le 20 septembre 2016,
- condamner les époux [M] à verser à M. [U] [B] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les époux [M] au paiement des entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux articles 946, 455 et 749 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la validité du congé de reprise
M. et Mme [M] soutiennent que le congé délivré à M. [B] était parfaitement valable et que leur fils dispose du matériel et du cheptel nécessaires à la reprise des terres.
Ils font valoir que l'état de la réglementation des structures applicables à la reprise doit être apprécié à la date à laquelle le congé doit prendre effet soit le 29 septembre 2015, de sorte que la quatrième condition édictée par l'article L331-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, ne doit pas être déclarée opposable au bénéficiaire de la reprise dans la mesure où le schéma directeur régional n'était pas fixé à la date de la reprise.
Ils ajoutent que leur fils M. [G] [M] remplit les trois conditions en vigueur pour bénéficier du régime de la déclaration et que le fait qu'il ait sollicité une autorisation d'exploiter, qui lui a été refusée, est sans incidence sur la validité du congé délivré.
M. [B] ne conteste pas que M. [G] [M] est titulaire d'un diplôme lui conférant la capacité agricole, qu'il satisfait aux conditions d'expérience professionnelle et qu'il réside à proximité des biens litigieux mais il soutient qu'il ne justifie pas être en possession du matériel et du cheptel nécessaires à la reprise des terres ni qu'il dispose des moyens de les acquérir.
Il ajoute que l'article 93 XI de la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 a précisé que, jusqu'à l'entrée en vigueur du schéma directeur régional des exploitations agricoles, le contrôle des structures s'applique selon les modalités, les seuils et les critères définis par le schéma directeur des structures agricoles de chaque département. Il précise que le schéma directeur des structures agricoles d'Ille et Vilaine prévoit une surface à prendre en compte de 50 ha et que l'entrée en vigueur du nouveau schéma a fixé le seuil à 20 ha. Il indique que M. [G] [M] qui exploite dans le cadre de l'EARL [M] une surface de 55 ha environ devait obtenir une autorisation d'exploiter et que cette autorisation lui a été refusée par une décision administrative désormais définitive par arrêt de la cour administrative d'Appel de Nantes le 18 décembre 2020.
Il en déduit que comme l'EARL [M] ne pourra pas exploiter les biens faute d'avoir obtenu une autorisation administrative, il ne respecte pas les dispositions de l'article L411-59 du code rural qui imposent de se consacrer à l'exploitation des biens pendant a minima 9 ans. Il sollicite le confirmation du jugement.
En vertu de l'article L411-48 du code rural et de la pêche maritime, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé.
Aux termes des dispositions de l'article L 411-59 du code rural et de la pêche maritime, le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe.
Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions.
Toutefois, l'exercice du droit de reprise constitue une installation, un agrandissement ou une réunion d'exploitation par le bénéficiaire et, à ce titre, l'opération est soumise au contrôle des structures des articles L 331-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.
Le paragraphe I de l'article L 331-2 du code rural et de la pêche maritime précise les opérations qui sont soumises au régime de l'autorisation préalable. Le paragraphe II du même article prévoit un régime dérogatoire à l'autorisation d'exploiter au profit des biens de famille.
L'article 331-II dans sa rédaction antérieure à la loi d'avenir pour l'agriculture du 13 octobre 2014 prévoyait qu'était soumise à déclaration préalable la mise en valeur d'un bien agricole reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré lorsque les conditions suivantes sont remplies :
1° le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnée au 3° du I,
2° les biens sont libres de location,
3° les biens sont détenus par ce parent ou allié depuis neuf ans au moins.
Dans sa version issue de la loi précitée, cet article a rajouté un 4° ainsi rédigé ': «'Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application de l'article L 312-1'.'»
Ce seuil a été fixé par l'arrêté du préfet de la région Bretagne du 28 juin 2016 fixant le schéma directeur régional des exploitations agricoles à 20 hectares. Il n'est pas contesté que M. [M] exploite environ 55 ha.
Toutefois, il est constant que les conditions du régime applicable doivent être appréciées à la date à laquelle le congé doit prendre effet (Civ3ème - 24 janvier 2019, pourvoi n°17-10.095) soit le 29 septembre 2015 et à cette date, si la loi du 13 octobre 2014 était applicable, le schéma directeur général n'était pas fixé de sorte que la quatrième condition n'était pas déterminée à cette date. Elle doit donc être déclarée inopposable à M. [G] [M].
Le fait que la juridiction administrative ait confirmé la décision préfectorale du 19 octobre 2016 de refuser l'autorisation d'exploiter sollicitée par M. [M] est sans incidence sur le régime applicable pour apprécier la validité du congé de reprise délivré en l'espèce puisque l'appréciation du régime applicable est celui en vigueur au jour de la date d'effet du congé contrairement à la décision administrative.
Il convient, dès lors, d'examiner si M. [G] [M] remplissait à cette date les trois premières conditions pour bénéficier du régime dérogatoire de la déclaration :
- il n'est pas contesté que les biens sont détenus par M. et Mme [M] parents du bénéficiaire de la reprise depuis au moins 1979 soit depuis plus de neuf ans' ;
- les biens sont libres de location au jour de la déclaration puisque cette condition doit être considérée comme remplie dès lors que par application de l'article R. 331-7 du code rural, le bénéficiaire devra adresser sa déclaration au plus tard dans le mois suivant le départ effectif du preneur en place, ce dont il résulte que la procédure de déclaration est utilisable même lorsque la transmission suppose l'éviction du preneur en place ;
- il n'est pas contesté que M. [G] [M] justifie d'un diplôme lui conférant la capacité agricole et qu'il satisfait aux conditions d'expérience professionnelle
M. et Mme [M] démontrent que leur fils [G] [M] dispose du matériel et du cheptel lui permettant cette reprise en produisant un état de ses immobilisations et les résultats de l'EARL [M] du 1er mai 2014 au 30 avril 2015 et du 1er mai 2019 au 30 avril 2020 justifiant d'un pourcentage d'excédent brut d'exploitation/produits de 59 % et d'un critère d'endettement de 35 %. Au vu de ses résultats satisfaisants, M. et Mme [M] établissent que leur fils dispose des moyens nécessaires à la reprise des terres, de sorte qu'il remplit toutes les conditions prévues à l'article L 411-59 du code rural.
Le jugement sera réformé en ce qu'il a prononcé la nullité du congé pour reprise donné par M. et Mme [M] et ledit congé pour reprise sera validé.
Il est rappelé qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et juger' qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
Par conséquent, il convient de condamner M. [B] à laisser libres les parcelles dont s'agit dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir et en cas de besoin, d'ordonner l'expulsion de M. [U] [B] et de tout occupant de son chef. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'astreinte présentée par M. et Mme [M], cette demande n'étant pas justifiée en l'espèce.
- Sur la demande au titre des frais irrépétibles et des dépens
Succombant, M. [B] sera condamné à payer la somme de 1 500 euros à M. et Mme [M] au titre des frais irrépétibles de première instance et en cause d'appel ainsi qu'aux dépens en première instance et en cause d'appel, étant précisé que les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens seront infirmés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Valide le congé pour reprise délivré à M. [U] [B] par M. [T] [M] et Mme [S] [J] épouse [M] ;
Condamne M. [U] [B] à laisser libres les parcelles dont s'agit dans un délai de un mois à compter de la signification de la décision à intervenir et en cas de besoin ;
Ordonne l'expulsion de M. [U] [B] et de tout occupant de son chef, avec l'assistance de la force publique ;
Condamne M. [U] [B] à payer à M. [T] [M] et Mme [S] [J] épouse [M] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles en première instance et en cause d'appel ;
Condamne M. [U] [B] aux entiers dépens ;
Déboute M. [U] [B] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Déboute M. [T] [M] et Mme [S] [J] épouse [M] du surplus de leurs demandes.
Le greffier, La présidente,