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29/04/2022 | FRANCE | N°19/02452

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 29 avril 2022, 19/02452


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°214



N° RG 19/02452 et 19/02544 joints

N° Portalis DBVL-V-B7D-PV6M













SAS BESTSELLER STORES FRANCE



C/



Mme [J] [L]

















Jonction et réformation partielle















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


>COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 29 AVRIL 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de la chambre,

Assesseur : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,



GREFFIER :



Monsieur Philippe R...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°214

N° RG 19/02452 et 19/02544 joints

N° Portalis DBVL-V-B7D-PV6M

SAS BESTSELLER STORES FRANCE

C/

Mme [J] [L]

Jonction et réformation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 29 AVRIL 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de la chambre,

Assesseur : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Janvier 2022

devant Messieurs Rémy LE DONGE L'HENORET et Philippe BELLOIR, magistrats tenant l'audience en la formation rapporteur, sans opposition des représentants des parties, et qui ont rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [P] [F], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 29 Avril 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

La SAS BESTSELLER STORES FRANCE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

2 Rue Neuve Saint Pierre

75004 PARIS 04

Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU de la SELARL AVOLITIS, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Vincent BURLES de la SELARL BURLES VINCENT, Avocat au Barreau d'AIX-EN-PROVENCE, pour conseil

INTIMÉE et appelante à titre incident :

Madame [J] [L]

née le 1er Juillet 1990 à BREST (29)

demeurant 27 rue de la république

29200 BREST

Représentée par Me Christelle FLOC'H de la SELARL LEXOMNIA, Avocat au Barreau de BREST

.../...

INTERVENANT VOLONTAIRE :

L'Institut National Public POLE EMPLOI BRETAGNE pris en la personne de son représentant légal et ayant son siège :

36 rue de Léon

35053 RENNES CEDEX

Représenté par Me Charles PIOT substituant à l'audience Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Avocats au Barreau de RENNES

=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=+=

Mme [L] a été embauchée par la SAS BESTSELLER STORES FRANCE (dont le nom commercial est SAS BESTSELLER RETAIL FRANCE) à compter du 4 mai 2010 selon contrat à durée indéterminée à temps partiel en qualité de':

-Vendeuse,

- Régional Visual Merchandiser Trainter, statut agent de maîtrise à compter de septembre 2011,

- Visual Merchandiser Indoor et Window, statut cadre, à temps plein à compter du 1er février 2012.

Par courrier recommandé du 11 avril 2017, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire, fixé au 21 avril 2017.

Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 26 avril 2017.

Le 9 novembre 2017, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Brest aux fins de voir notamment déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la SAS BESTSELLER STORES FRANCE à lui verser certaines sommes à titre de dommages-intérêts, indemnité de préavis, rappel de salaire sur la période de mise à pied, congés payés afférents et indemnité légale de licenciement.

La cour est saisie de deux appels régulièrement formés par la SAS BESTSELLER STORES FRANCE par des déclarations du 10 avril 2019 (RG 19/02452) et du 15 avril 2019 (RG 19/02544) du jugement du 15 mars 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Brest a :

' Dit et jugé que le licenciement de Mme [L] est sans cause réelle et sérieuse,

' Condamné la SAS BESTSELLER RETAIL PARIS à verser à Mme [L] les sommes suivantes :

- 19.040 € à titre de dommages-intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 7.140 € brut au titre de l'indemnité de préavis,

- 714 € brut au titre des congés payés afférents

- 952 € brut à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire,

- 95,20 € brut au titre des congés payés afférents,

- 4.609 € brut à titre d'indemnité légale de licenciement,

' Disposé que les sommes allouées seront porteuses des intérêts de droit à compter de la demande en justice pour les montants à caractère salarial (soit le 17 novembre 2017), à compter de la notification pour les dommages-intérêts, en vertu des dispositions de l'article 1231-7 du code civil,

' Rappelé l'exécution provisoire de droit (article R 1454-28 du code du travail) du jugement,

' Ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités,

' Condamné la SAS BESTSELLER RETAIL PARIS à remettre à Mme [L] les documents suivants : bulletin de paie, attestation Pôle Emploi, solde de tout compte rectifiés pour tenir compte de la décision, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant notification du jugement à intervenir et pour une période limitée à 30 jours, le conseil s'en réservant la liquidation éventuelle,

' Condamné la SAS BESTSELLER RETAIL PARIS à payer à Mme [L] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens et éventuels honoraires et frais d'huissier,

' Débouté les parties du surplus de leurs demandes.

La clôture a été prononcée le 16 décembre 2021.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 12 octobre 2021, suivant lesquelles la SAS BESTSELLER STORES FRANCE demande à la cour de :

' Dire que le licenciement de Mme [L] repose sur une faute grave,

' Infirmer le jugement entrepris au titre des condamnations prononcées, y compris l'article 700 du code de procédure civile, la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte et le remboursement des indemnités de chômage,

' Condamner Mme [L] à rembourser la somme de 11 849,72 € perçue suite à l'exécution provisoire du jugement,

' Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de communication d'accords de groupe,

' Rejeter l'intégralité des demandes de Mme [L],

' Condamner Mme [L] à 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 29 novembre 2021, suivant lesquelles Mme [L] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions (licenciement, condamnations pécuniaires, documents sociaux) sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la SAS BESTSELLER STORES FRANCE de communiquer l'accord groupe applicable au sein du groupe BESTSELLER et de fournir toute information utile pour pouvoir calculer le montant de l'intéressement devant être perçu par Mme [L],

' Constater que Mme [L] est fondée à revendiquer auprès de son employeur une prime d'intéressement,

' Enjoindre à la SAS BESTSELLER STORES FRANCE de communiquer l'accord groupe applicable au sein du groupe BESTSELLER et fournir toute information utile pour pouvoir calculer le montant de l'intéressement devant être perçu par Mme [L],

' Débouter la SAS BESTSELLER STORES FRANCE de toutes ses demandes,

' Condamner la SAS BESTSELLER STORES FRANCE à payer à Mme [L] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens d'appel et y compris en cas d'exécution forcée, les éventuels honoraires et frais d'huissier.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 25 juillet 2019, suivant lesquelles Pôle Emploi Bretagne demande à la cour de :

' Condamner la SAS BESTSELLER STORES FRANCE à rembourser auprès de Pôle Emploi les indemnités versées à Mme [L], soit 7.982,62 €,

' Condamner la SAS BESTSELLER STORES FRANCE à verser à Pôle Emploi la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction

Il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de prononcer la jonction des deux deux procédures résultant des déclarations d'appel adressées le 10 et le 15 avril 2019 et enregistrées respectivement sous les numéros de RG 19/2452 et RG19/2544, les deux instances étant jointes sous le numéro le plus ancien.

Sur le licenciement pour faute grave

Pour infirmation, la société BESTSELLER STORES FRANCE soutient que Mme [L] a transmis une fausse facture à la société et à la compagnie d'assurance de celle-ci, falsification d'autant plus grave que Mme [L] a fait établir une facture par son employeur. L'appelante reproche également à Mme [L] de ne pas avoir respecté son obligation de suivi des magasins dont elle a la charge concernant l'agencement et la formation des salariés.

Mme [L] conteste avoir établi une fausse facture puisque sa demande auprès du magasin a bien été formulée comme étant nécessaire au remboursement par l'assurance du préjudice subi à la suite du vol dont elle a été victime dans le cadre de ses fonctions et dont elle a parfaitement informé son employeur, la date de cette facture étant d'ailleurs bien celle du 25 mars 2017 soit postérieurement aux faits. Concernant le manque de présence et de communication, Mme [L] fait valoir qu'elle avait sous sa responsabilité plus de 20 magasins ce qui rendait plus difficile sa réactivité que lorsqu'elle n'en suivait que 5 jusqu'en octobre 2016.

En matière de licenciement disciplinaire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'appelant dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée':

« (') le samedi 25 mars 2017, vous avez demandé au magasin de Brest Jaurès de vous fournir une facture. Vous avez alors demandé une facture contenant une tenue. La facture manuscrite fournie le 25 mars 2017 contient un pantalon d'un montant de 59.99 €, un pull d'un montant de 39.99 €, et une veste d'un montant de 59.99 €, pour un montant total de 159.97 €, et ce sans aucun ticket de caisse.

Vous avez ajouté cette facture à votre dossier envoyé à l'assurance de la Société Bestseller Retail France suite au vol à la roulotte de la voiture de location, dont vous avez été victime le 22 mars 2017 à Toulouse, dans le but de vous faire rembourser les effets personnels volés.

Or, cette facture ne correspond à aucune des ventes réalisées le samedi 25 mars 2017 à Brest Jaurès.

Par ailleurs, aucune réduction du personnel n'est appliquée sur cette facture alors que vous y avez droit en étant salariée de la Société.

Lors de l'entretien, vous reconnaissez les faits exposés ci-dessus : « A la suite du vol, j'ai agi sans arrière-pensée ni l'intention de nuire, c'était normal pour moi de demander une facture en magasin. » Vous ajoutez même : « A savoir que dans ma valise il y avait deux tenues, j'ai demandé une seule tenue afin de ne pas abuser. Je savais que c'était des produits que j'avais déjà achetés à Brest ou en France.»

Ce qui corrobore le fait que la facture versée au dossier destiné à l'assurance ne correspond pas à vos achats personnels.

Par ailleurs, en étant salariée de la Société vous avez droit à des réductions du personnel sur les articles achetés au sein de nos magasins. Or, sur la facture aucune réduction du personnel n'est appliquée. Ce que vous confirmez lors de l'entretien : « Le fait que les produits ne soient pas remisés sur la facture c'est parce que je n'y ai pas pensé car j'étais dans la précipitation ».

Ce constat est inadmissible. En effet, vous avez établi une fausse déclaration auprès de l'assurance de la Société, et ce en utilisant fausse facture (sic). D'une part vous mettez en porte à faux la Société auprès de l'assurance professionnelle, d'autre part vous donnez sciemment un justificatif erroné.

En outre, en demandant cette facture, vous mettez en porte à faux votre collègue.

Nous ne saurions tolérer de tels manquements. »

La société appelante verse au débat :

- La plainte pénale déposée le 23 mars 2017 par M. [W], le collègue de Mme [L] victime du même vol et seul déclarant (pièce n°7) qui détaille les effets qui lui ont été dérobés et qui mentionne en seconde page sur cinq lignes «'je vous avise également du vol du sac de ma copine (sic) nommée [L] [J] (') sa valise de marque Delsey contenait des vêtements dont une doudoune, chaussure de sport (sic), produits de toilettes (sic), sèche cheveux et lisseur, des boucles d'oreill (sic) une montre Swatch, et des clés de voiture de marque renault clio (sic) et des clés de maison'»'; outre que ce procès-verbal mentionne M. [W] comme seul déclarant et n'a pas été signé par Mme [L] dont la présence lors de la déclaration n'est pas mentionnée, force est de constater qu'il ne permet pas de déduire que les effets vestimentaires dérobés à l'intéressée se limiteraient à une doudoune et une seule chaussure de sport ni ne permet en conséquence comme le prétend l'appelante d'écarter la présence dans sa valise d'un pantalon, d'un pull et d'une veste,

- La facture de location du véhicule (pièce n°5) et la facture de vêtement sollicitée par Mme [L] et communiquée à son employeur et à l'assureur de celui-ci (pièce n°4) qui mentionne : 'Pantalon (59,99 euros), pull (39,99 euros), veste 59,99 euros', datée du 25 mars 2017 et donc manifestement établie après le vol,

- L'attestation de Mme [M], qui a établi cette facture manuelle (pièce n°8) qui indique précisément que Mme [L]lui a «'demandé si elle pouvait passer en magasin pour une facture car cette semaine-là elle s'était fait voler sa valise en déplacement à Toulon (') elle m'a expliqué ce qui lui état arrivée (sic). Je lui ai donc demandé ce qu'elle avait besoin sur le facture (sic) et elle m'a dit une tenue, j'ai donc noté sur la facture manuelle, un pantalon, un pull et une veste pour une somme de 159,97 € et lui ai demandé si cela était ok et elle a acquiescé'», ce qui corrobore exactement les conditions dans lesquelles Mme [L] a exposé avoir fait établir cette facture pour les besoins de la déclaration à l'assurance,

- Le courriel de transmission des factures pour indemnisation (Pièce n°6) rédigé par M. [W] et dont Mme [L] est seulement destinataire en copie,

- Le compte-rendu d'entretien préalable au licenciement, signé par Mme [N] qui a assisté Mme [L] à l'entretien, au cours duquel Mme [L] a confirmé les circonstances de l'établissement de la facture litigieuse en précisant n'avoir « fait la demande que pour une tenue pour ne pas abuser » (pièce n°9).

Dans ces conditions, la société appelante ne peut pas sérieusement soutenir que Mme [L] aurait été animée d'une intention frauduleuse, alors au contraire qu'elle a immédiatement signalé à son employeur avoir été victime d'un vol en même temps que son collègue lors d'un déplacement à TOULOUSE (courriel du 23 mars 2017 à 1h03, pièce n°29 de l'intimée), qu'elle a fourni une facture dont la date est authentique et dont elle n'a jamais prétendu qu'elle retraçait un achat qu'elle aurait effectué ni qu'elle désignait autre chose qu'une tenue «'similaire'» à celle qui lui avait été volée, cette similarité n'étant pas valablement contestée par la société appelante au regard de la formulation du procès-verbal sur lequel elle s'appuie.

Enfin, l'argument que M. [W], licencié pour faute grave «'pour cette même fraude'» (pièce n°27 de l'appelante) n'aurait pas contesté son licenciement, à le supposer démontré, est dénué de pertinence pour apprécier la situation de Mme [L].

Ce grief n'est donc pas constitué.

La société BESTSELLER STORES FRANCE reproche également à Mme [L] un manque de présence, de communication et de réactivité, la lettre de licenciement étant sur ce point rédigée ainsi que suit :

« En outre, votre poste est directement en lien avec la bonne tenue des magasins de notre réseau et l'application de la stratégie merchandising de la Société, et est donc essentiel à notre secteur d'activité. Vous avez la responsabilité de la bonne mise en place des produits commercialisés en magasin et de leur suivi.

Or, suite aux entretiens annuels des managers, la majorité des salariés rapportent un manque de présence, de communication, de réactivité de votre part.

Vous n'avez notamment pas respecté l'Article 3 « Fonctions » de votre contrat de travail selon lequel vous devez : « assurer la formation et le suivi du merchandising des équipes de vente (managers et vendeurs) lors des visites hebdomadaires au sein des magasins dont vous avez la charge ; ['] travailler en étroite collaboration avec l'équipe du magasin afin d'optimiser vos choix de produits ['] ; conseiller et former les équipes de vente en matière de styling [']».

Vous reconnaissez au cours de l'entretien : « je veux bien entendre mon manque de disponibilité même si j'ai fait de mon mieux ».

La majorité des salariés se plaignent de votre manque de présence et d'accompagnement. Ce constat n'est pas acceptable. Vos fonctions incombent une présence et une communication régulière, ce qui s'avère ne pas être le cas.

Dans ces conditions, la poursuite de votre contrat de travail est impossible. »

La société appelante produit au soutien de son argumentation sur ce point':

- sa pièce n°10 qu'elle désigne comme l'évaluation professionnelle, dénommée « PIT STOP», de M. [S] [U] datée du 20 février 2017, qui précise «'Il faudrait qu'il soit plus disponible à nos demandes'», «'Produits arrivent trop tard/[S] & [J] rarement joignable (sic) »'; ce document ne porte pas la contre-signature de Mme [L] ni celle de M. [W], il n'est pas justifié qu'il ait été porté à la connaissance de l'intimée, ni encore moins que ses observations ait été sollicitées,

- sa pièce n°11 qu'elle désigne comme l'évaluation professionnelle, dénommée « PIT STOP», de M. [C] [H], manager du Magasin de Fenouillet, du 10 mars 2017, qui soulève la même observation que la précédente et qui mentionne « [J] : Nous avons besoin qu'elle soit en Magasin, quel est son Job' Nos équipes manques (sic) de Formation Styling. Il faut venir sur les Magasins »,;

- Une attestation de M. [C] [H] rédigée en avril 2018 (Pièce n°20) qui mentionne': « Depuis l'ouverture du nouveau magasin de Fenouilet, le 8/11/16, j'avais pour référent merchandising [J] [L], que je n'ai eu qu'une seule fois en visite sur mon magasin. La visite a été brève et ne m'a pas apporté grand-chose. La relation professionnelle avec [J] était assez compliquée. Il était très difficile de la joindre lorsque j'avais besoin d'elle. J'aurais eu besoin de sa présence en magasin pour former mes équipes mais cela n'a jamais été le cas. »

- ses pièces n°12, 13, 14 constituées par les « PIT STOP », de Mme [R] [X], manager du Magasin de Saint Lazare, de M. [K] [Z], manager du Magasin de Saint Orens, du 23 février 2017 qui soulèvent la même observation que les précédentes s'agissant de leur absence de caractère contradictoire et qui mentionnent : « [J] pas beaucoup d'échange, pas assez de retour » et une attestation de M. [K] [Z] qui précise en avril 2018 : (Pièce 19) que sur la période de 2013 à 2017 il n'a «'eu qu'une seule visite de sa part en magasin. Il s'agissait d'une formation sur le jeans en 2014. De 2015 à 2017, je n'ai eu [J] que par téléphone, lorsqu'elle était joignable (rarement). En 2017, elle a visité mon magasin de Saint Orens durant mon jour de repos. Je n'ai jamais eu de feedback de sa part. Le feedback que j'ai eu de mon équipe était plutôt décevant : Je cite: ''Elle est arrivé avec [S], ils ont changés (sic) le mur de devant, m'ont posés (sic) 2 ou 3 questions et son partis (sic)'' ».

- sa pièce n°14 constituée par le «'PIT STOP'» de M. [O] [G], manager du Magasin de Strasbourg, du 9 mars 2017, qui indique au contraire à propos de Mlle [L]'«[J] : Bcp plus présente qu'avant » ,

- L'attestation de M. [D] [B], ancien manager du Magasin [L] Lazare (pièce n°18) qui expose que Mme [L] visitait «'le moins de fois possible mon magasin. Je la voyais une fois par mois à peu près. Les visites se résumaient à une somme de reproches et réprimandes sans jamais apporter de solutions. »,

- Le « PIT STOP » de M. [V] [E], manager du Magasin de Bayonne, du 20 février 2017 (pièce n°15) qui estime': « Non ils ne m'apportent pas tout ce dont j'ai besoin' Ca fait 6 mois que je me bat (sic) pour certaines Refs "comme Tim 919", 1 an que nous avons un prob de Lumiére, 1 an pour un TT! Sont'ils Assés' (sic) », ce dont la société appelante omet de relever qu'il soulève la question de l'adéquation des moyens donnés à la tâche à accomplir.

La société appelante se contente d'affirmer (page 17 de ses écritures), en réponse à l'observation de Mme [L] selon laquelle elle gérait 20 magasins, ce qui expliquerait son manque de présence et de disponibilité, que «'cette explication est erronée'», sans étayer davantage son argumentation. La société appelante ajoute (même page) que Mme [L] «'était assistée dans son activité par M. [I] [A], tel que cela apparaît dans les échanges de courriel dans lesquels M. [A] informe Mme [L] de ses dates de congés payés et RTT (Pièce 22)'» sans en justifier non plus par aucun élément puisque la seule pièce produite n'explique pas les relations entre l'intéressé et Mme [L] ni les conditions de leur travail en commun, leurs attributions respectives ou leur rapport hiérarchique.

Ainsi, les circonstances rapportées et s'agissant d'une salariée n'ayant aucun antécédent disciplinaire en près de sept années d'exercice, la sanction retenue par l'employeur n'apparaît pas justifiée au regard des seuls faits rapportés ne remettant pas en cause la poursuite du contrat de travail de Mme [L], ces seuls faits établis ne caractérisant dès lors ni une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

* Quant à l'indemnité compensatrice de préavis :

Dès lors que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [L] a droit à une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire, pour le montant retenu par les premiers juges en tenant compte d'un salaire de référence de 2.380 € brut non autrement discuté en cause d'appel. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

* Quant à l'indemnité légale de licenciement :

Mme [L] est également bien fondée à solliciter cette indemnité légale pour le montant retenu de 4.609 € tenant compte de son salaire et de son ancienneté, non autrement discuté en cause d'appel. Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.

* Quant au rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire :

En l'absence de faute grave, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a condamné à ce titre la société BESTSELLE STORES FRANCE à un rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire du 12 avril au 26 avril 2017, pour une somme de 952€ à laquelle s'ajoutent les congés payés pour 95,20€, suivant un calcul non autrement discuté par les parties en cause d'appel.

* Quant à l'indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse :

Par application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Ces dispositions sont applicables en raison de l'ancienneté de Mme [L], la société BESTSELLER STORES FRANCE ne contestant pas que son effectif était supérieur à dix salariés.

Agée de 27 ans à la date de rupture du contrat, Mme [L] ne produit pas d'élément relatif à sa situation postérieurement à la rupture du contrat'; la société appelante expose sans soulever de contradiction que l'intimée a repris une activité professionnelle au Québec (pièce n°21 de l'appelante), à une date non précisée.

Mme [L] fait valoir que les circonstances de son licenciement l'ont profondément affectée en mettant en question son honnêteté intellectuelle et sa probité ; elle produit les attestations de sa s'ur et de sa mère (pièces n°55 et 59) qui rapportent le changement soudain provoqué par le licenciement dans «'sa situation personnelle (morale et financière'», à l'origine d'un «'stress, une tristesse [qui] se sont installés Des questionnements sans réponse l'ont laissée dans le doute. Elle s'est sentie trahie'».

Compte tenu d'un salaire moyen de 2.380 € brut par mois au vu de la perte d'une ancienneté de 6 ans et 11 mois pour une salariée âgée de 27 ans ainsi que des conséquences matérielles et morales de la rupture à son égard, il convient d'allouer à Mme [L] une indemnité de 19.040 € net par suite de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, le jugement entrepris étant ainsi également confirmé de ce chef.

Sur la demande au titre de la prime d'intéressement

Pour infirmation, Mme [L] soutient qu'elle est fondée à solliciter qu'il soit fait injonction à la société BESTSELLER de communiquer l'accord groupe applicable au sein du groupe BESTSELLER et de fournir toute information utile pour pouvoir calculer le montant de l'intéressement devant être perçu par elle.

La société soutient pour confirmation qu'il n'existe aucun accord d'intéressement et que Mme [L] doit être déboutée de sa demande.

Selon l'article 1315 devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

En l'espèce, aucune des pièces versées aux débats ne mentionne l'existence d'une prime d'intéressement qui pourrait être attribuée à Mme [L], laquelle se contente de soutenir avoir « été informée de l'existence d'un accord de groupe au sein du groupe danois BESTSELLER dont font partie les SAS BESTSELLER STORES FRANCE et BESTSELLER WHOLESALE FRANCE'» (page 30 de ses écritures) mais ne produit strictement aucune pièce au soutien de sa demande, étant observé que sa demande auprès de la DIRECCTE n'a pas été suivie d'effet (pièces n°62 et 63 de la salariée).

La société appelante produite en outre une attestation de Mme [Y] [T], Responsable RH de la société (pièce n°23) qui témoigne de l'absence d'accord d'intéressement au sein de la Société BESTSELLER RETAIL FRANCE et de l'absence d'accord d'intéressement 'de groupe entre les Sociétés Bestseller Retail France et Bestseller Wholesale France'.

Mme [L] doit donc être déboutée de ce chef de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la société BESTSELLER STORES FRANCE à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à Mme [L] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités, soit 7.982,62 € suivant le décompte produit visant la période de juin à décembre 2017 (pièce n°1), par ailleurs non discuté par l'appelante.

Le jugement entrepris sera donc réformé seulement en ce que les premiers juges, ayant fixé la limite de cette indemnisation à six mois, n'en avaient pas pu en déterminer le montant.

Sur les frais irrépétibles

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur le montant du remboursement des indemnités de chômage perçues par Mme [L] ;

Statuant à nouveau de ce seul chef,

CONDAMNE la société BESTSELLER STORES FRANCE à payer à Pôle Emploi la somme de 7.982,62 € à titre de remboursement des indemnités de chômage perçues par Mme [J] [L] par suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Et y ajoutant,

CONDAMNE la société BESTSELLER STORES FRANCE à payer à Mme [L] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNE la société BESTSELLER STORES FRANCE à payer à Pôle Emploi la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

DÉBOUTE la société BESTSELLER STORES FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société BESTSELLER STORES FRANCE aux dépens d'appel.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/02452
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-29;19.02452 ?
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