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29/04/2022 | FRANCE | N°19/01435

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 29 avril 2022, 19/01435


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°224



N° RG 19/01435 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PSQN













M. [N] [D]



C/



SARL LA MAISON AUTO-NETTOYANTE LYON

















Infirmation













Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 29

AVRIL 2022





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



A l'audienc...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°224

N° RG 19/01435 -

N° Portalis DBVL-V-B7D-PSQN

M. [N] [D]

C/

SARL LA MAISON AUTO-NETTOYANTE LYON

Infirmation

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 29 AVRIL 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Gaëlle DEJOIE, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Février 2022

En présence de Madame [K] [J], Médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 29 Avril 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [N] [D]

né le 30 Janvier 1987 à AUXERRE ((89))

demeurant 7 B, route des Côteaux

44450 LA CHAPELLE BASSE MER

Comparant à l'audience, ayant Me Dorothée CARFANTAN de la SELEURL DOROTHÉE CARFANTAN, Avocat au Barreau de NANTES, pour postulant

et représenté à l'audience par Me Samuel DE LOGIVIERE de la SCP SULTAN-SOLTNER-PEDRON-LUCAS, Avocat plaidant du Barreau d'ANGERS

INTIMÉE :

La SARL LA MAISON AUTO-NETTOYANTE LYON prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

35 Chemin de l'Afrique

69680 CHASSIEU

Ayant Me Vincent LAHALLE de la SELARL LEXCAP, Avocat du Barreau de RENNES, pour postulant et représentée à l'audience par Me Bertrand CREN de la SELARL LEXCAP, Avocat plaidant du Barreau d'ANGERS

M. [N] [D] a été embauché à compter du 6 avril 2007 par la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON (dont le nom commercial est TECHNITOIT) en contrat à durée indéterminée en qualité de VRP, puis en qualité successivement d'animateur de l'agence de Saint-Nazaire à compter de 2008, de directeur de l'agence de Lyon à compter de 2010 et de directeur régional à compter du 10 avril 2013, au salaire moyen de 11.306 € brut.

M. [D] a été placé en arrêt maladie du 1er au 15 juillet 2016, puis à compter du 26 août 2016, cet arrêt maladie s'étant prolongé jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Le 22 juillet 2016, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

Le 24 août 2016, la société TECHNITOIT a proposé une modification de son contrat de travail pour raisons économiques que M. [D] a déclinée par courrier du 30 août 2016.

Le 10 octobre 2016, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 octobre 2016 auquel il ne s'est pas présenté.

Par courrier du 19 octobre 2016, l'employeur a adressé à M. [D] les éléments qui devaient être présentés au cours de l'entretien, incluant la possibilité d'accepter un contrat de sécurisation professionnelle.

M. [D] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle'; son contrat a pris fin le 19 novembre 2016.

Après radiation le 11 septembre 2017 de l'instance initiée sur saisine de M. [D] du 22 juillet 2016, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes en référé au cours du mois de décembre 2017.

Par ordonnance du 17 janvier 2018, la formation des référés du conseil de prud'hommes de Nantes a fait partiellement droit aux demandes de M. [D] et a :

- Ordonné à la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON de payer à M. [D], par provision, une somme de 18.506,73 € net à valoir sur l'indemnité spéciale de rupture prévue à l'article 14 de l'ANI des VRP du 3 octobre 1975,

- Ordonné à la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à payer à M. [D] la somme de 1.200 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 29 janvier 2018, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins notamment de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de l'employeur à la date du 19 novembre 2016 à titre principal et d'indemnisation de ses préjudices et de condamnation de la société à l'indemnité due au titre de la clause de non concurrence dénoncée tardivement.

La cour est saisie d'un appel régulièrement formé par M. [D] le 28 février 2019 du jugement du 15 février 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

- Débouté M. [D] en sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- Dit que le licenciement a bien une cause réelle et sérieuse,

- Débouté M. [D] de ses autres demandes restantes,

- Condamné M. [D] à verser à la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON la somme de 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Reçu la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON en ses demandes reconventionnelles et y fait droit,

- Condamné M. [D] aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 26 février 2021 suivant lesquelles M. [D] demande à la cour de :

- Le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- Condamné M. [D] au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

- Reçu la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON en ses demandes reconventionnelles et y a fait droit,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à la date du 19 novembre 2016,

- Dire qu'elle doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 33.920,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

* 135.682 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

- Déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à payer à M. [D] les mêmes sommes de 33.920,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis et de 135.682 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou subsidiairement pour non-respect des critères d'ordre des licenciements,

En tout état de cause,

- Condamner la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 33.920,58 € brut à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence,

* 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés afférents,

* 5.949,80 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Rappeler que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et que les sommes de nature indemnitaire portent intérêts à compter de la notification de la décision à intervenir,

- Ordonner la délivrance d'un bulletin de paie, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail, sous astreinte de 50 € par jour de retard, à compter du 10ème jour suivant la notification de la décision à intervenir,

- Se réserver la faculté de liquider l'astreinte,

- Condamner la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 28 janvier 2022, suivant lesquelles la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON demande à la cour de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- Réduire à des justes proportions les demandes indemnitaires,

- Si le conseil de prud'hommes devait faire droit à la demande de M. [D] concernant le paiement de son indemnité compensatrice de préavis':

- Constater la remise en cause de manière rétroactive du CSP à l'égard de M. [D] et de la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON,

- Dire que cela conduirait donc Pôle Emploi à devoir restituer à la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON la contribution qui lui a été versée et à demander à M. [D] le remboursement de la différence entre les allocations versées dans le cadre du CSP et l'allocation d'aide au retour à l'emploi dont il aurait bénéficié sans cette adhésion,

En tout état de cause,

- Condamner M. [D] aux entiers dépens et à payer à la SARL LA MAISON AUTO NETTOYANTE LYON, la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 février 2022.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIVATION DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Il ressort des dispositions de l'article 802 du CPC que « après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. »

Il résulte de cette règle que, postérieurement à la date de l'ordonnance de clôture, les parties sont irrecevables à produire des conclusions et des pièces. Il est indifférent que la production tardive soit fautive, le seul critère d'irrecevabilité devant être apprécié étant la date de l'ordonnance de clôture. La conséquence en est que la décision ne peut être rendue qu'en se rapportant aux dernières conclusions déposées avant le prononcé de la clôture.

Il est constant en l'espèce que les parties ont bien eu connaissance de l'ordonnance de clôture du 3 février 2022.

Les conclusions notifiées par M. [D] le 3 février 2022 à 14h42 dans lesquelles il sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture ne précisent pas les circonstances ayant empêché la transmission de ces écritures avant la clôture dont la date était pourtant connue des parties dès l'avis de fixation du 19 juillet 2021 qui avait été porté à leur connaissance ; il n'est pas exposé non plus les motifs pour lesquels il serait nécessaire de prendre en compte ces dernières écritures, lesquelles doivent donc être déclarées irrecevables'; seules les écritures notifiées antérieurement au prononcé de la clôture seront donc prises en compte.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Pour infirmation, M. [D] fait valoir deux types de manquements graves de son employeur à ses obligations contractuelles consistant d'une part dans le fait d'avoir exercé sur le salarié un management tyrannique s'apparentant à du harcèlement moral et s'exprimant par des propos dont le caractère indigne a été relevé par le conseil de prud'hommes, d'autre part dans le fait que le salarié a été victime d'un déclassement professionnel.

Pour confirmation, la société MAISON AUTO NETTOYANTE LYON conteste les griefs invoqués par le salarié qui ne sont pas établis et ne sont pas de nature à fonder la demande de résiliation judiciaire.

Par application des articles L.1231-1 et suivants du code du travail, le contrat de travail peut être résilié en cas de manquements graves de l'employeur dans l'exécution de ses obligations, qu'il appartient au salarié de démontrer.

M. [D] produit en l'espèce des mails émanant de M. [I], P.D.G. de la société employeur, adressés entre juillet 2015 et le 20 juin 2016 aux directeurs de zone (D.Z.) et directeurs régionaux (D.R.) dont M. [N] [D] lui-même, et qui contiennent les propos suivants':

- « Bonjour, il nous reste 3 jours pour encaisser et facturer nos objo, il manque 2 million (sic) plus les chèques portefeuilles, merci de respecters (sic) les objo, je n'accepterai pas de mauvaise surprise » (Pièce n°18 : courriel du 29 juillet 2015)

- « Bjr, vous voulez me faire peter un plomb ['] Je vous jure que si vous faites pas votre taf beaucoup d'entre vous seront virer (sic) d'ici la fin du mois !!! que vous soyez dr, dz, Rtcr, rcm, ou ERIC, vous m'usez et me fatiguer (sic) il fait beau en plus et les dr, dz vous attendez koi ' » (Pièce n°19 : courriel du 21 août 2015

- « Bonjour. Moins je gueule, moins j'envoie des mails aux da etc moins y a de chiffre, je veux bien tous mais il va peut être falloir les secouer un moment o lieu (sic) de les caresser car c'est dans le mur que vous allez m'emmener ! encaissée pourri (sic) j'espère k que vous allez faire bouger les choses ! » (Pièce n°22 : courriel du 11 décembre 2015 à 10 heures 45';

- « Les gars je crois que vous foutez tous (sic) de ma gueule, vous avez vu la programmation cette semaine » (Pièce 23 : courriel du 11 décembre 2015 à 10 heures 55),

- « Les gars franchement vous me cassez les couilles a pas respecter les objo (') je faisait plus de chiffre avec les da en direct à l'époque que depuis dz dr Rtr etc bref merci de m foutre ds la merde'» (Pièce n°24 : courriel du 28 janvier 2016),

- « Bonjour les gars vous vous croyez aux club med (sic), pour certains voir la plupart (sic), vous attendez la canicule pour encaisser, bougez vous et respecter (sic) les objo, c'est après midi (sic) vous allez tousencaisser idem jusqu'à la fin de la semaine et respecter vos objo sinon je n'ai pas besoin de vous » (Pièce n°27 : courriel du 17 février 2016 à 14h37),

- « Bjr et apprenneé (sic) à vos gars a vendre (sic) iso tb vph, comment font les autres boites, putain de merde vous me soûlez avec vos oui mai (sic), bougez vous, je suis pas rotchild (sic) » (Pièce n°26 : courriel du 17 février 2016 14h43)

- « Je vous demande de respectez (sic) vos objo et sa veut dire prendre des risques manager, chaque dz, dr ou Rtr ou rt qui respectera pas son objo n'a rien à faire à son poste » (Pièce n°25: courriel du 17 février 2016 à 14h53),

- « sa sert a rien (sic) en mars d'aller dans les agences qui ont du chiffre, regardez les bas de tableaux et aller dans celle-ci (sic) et j'ai bien dit toute la semaine, ceux qui ne veulent pas le faire merci de donner votre démission ! » (Pièce n°29 : courriel du 25 février 2016).

Ces courriels contiennent des propos grossiers, insultants, brutaux, dont le conseil de prud'hommes a considéré à juste titre qu'ils étaient «'indignes d'une relation de travail, et qui traduisent en effet un mode de communication inutilement agressive, parfois menaçante, ainsi que des méthodes de management inappropriées et un comportement irrespectueux, insultant et rabaissant de la part de leur supérieur hiérarchique à l'égard des salariés de l'entreprise, dont M. [D] et qui ne pouvait relever d'un exercice normal de son pouvoir de direction »

La circonstance que M. [D] n'ait pas été personnellement et spécialement visé par les messages concernés et les termes employés n'est pas de nature à supprimer le caractère insultant à son égard des messages dont il était notamment destinataire.

Le fait que de tels messages n'auraient pas été adressés sur la totalité de la période de travail de M. [D] au sein de la société mais uniquement sur la période de juillet 2015 à juin 2016 et que M. [I] se soit montré courtois dans d'autres messages sur la même période ne saurait non plus effacer le caractère indigne des propos précités, étant observé':

- que ces messages se concentrent précisément sur la dernière année de la relation contractuelle,

- que les pièces médicales relevant l'épuisement professionnel de M. [D] interviennent dans les deux semaines qui suivent le dernier message,

- que M. [D] a signalé par courrier du 12 juillet 2016 par l'intermédiaire de son conseil à son employeur ce qu'il ressentait du caractère dénigrant des propos tenus (pièce n°4 de l'intimé),

- que la circonstance que M. [D] ne se serait pas plaint plus tôt ne permet pas dans ces conditions de caractériser l''«'innocuité'» ressentie de tels propos,

- que c'est dans ce contexte que doit se comprendre le message (pièce n°45 du salarié) par lequel M. [D] a, en réponse à un message de M. [W], répondu le 12 juillet 2016 en ces termes :

« Bonjour [E], le discours qui vous a été porté est totalement mensonger il fait croire que c'est plutôt un désir de ma direction je n'ai jamais évoqué le souhait d'un départ, je me sens très bien chez Technitoit, je suis actuellement en arrêt de travail et je reprends le lundi 18 juillet », ce message adressé alors que M. [D] avait déjà été arrêté deux semaines ne pouvant dans ces conditions signer son indifférence devant les propos précités, étant observé que le salarié justifie de la prescription d'antidépresseurs dès le 1er juillet 2016 (pièces n°13 et 14).

M. [D] produit également au soutien de ses demandes':

- le témoignage de Mme [F], secrétaire de région (Pièce n°56 de l'intimé) qui atteste': « Salariée chez TECHNITOIT depuis 3 ans, j'ai connu M. [D] très sollicité par ses équipes ['] Nous étions constamment au téléphone, étant donné qu'il gérait 8 agences, je faisais le relai, j'étais ses yeux et ses oreilles. Lorsque j'avais les secrétaires des autres agences au téléphone, elle me demandait (sic) de voir avec [N] comment traiter une commande ou avoir son avis pour divers sujets. Subitement le discours est devenu : 'Mon directeur a vu directement avec [P] ''. Au final M. [D] était souvent mis devant le fait accompli. Il faut savoir qu'en 2014, lorsque M. [D] était au bureau pour s'occuper du suivi des agences il n'avait pas une minute à lui'! Il était tout le temps au téléphone ['] Fin 2015 j'ai constaté que M. [D] était moins demandé, pour que début 2016, son téléphone ne sonne plus. Certaines personnes outrepassait (sic) son autorité de directeur région et faisait appel à la direction ['] Début 2016, M. [D] a été mis sur le banc de touche, il était spectateur des décisions prises par la direction. Il a été petit à petit mis de côté.

Le 12 juillet 2016 (pendant mon congés mat (sic) ), j'ai envoyé un sms à une collègue qui était en arrêt maladie afin d'avoir de ces nouvelles (sic), après plusieurs échanges sur nos vies perso, elle me demande si je suis au courant que M. [D] ne faisait plus partie de la société ! A mon plus grand étonnement, j'ai contacté M. [D] qui m'a confirmé être toujours dans la société. J'atteste donc avoir été témoin de la mise au placard progressive de M. [D] et que celui-ci a fait son travail jusqu'au dernier jour avec professionnalisme ».

- l'attestation rédigée par M. [C], directeur d'agence de Lyon, qui atteste (Pièce n°54):

« Pour relater les faits, je travaille avec M. [D] qui est mon responsable direct depuis juin 2010 en tant que directeur de l'agence de Lyon. Depuis avril 2013, j'ai moi-même repris la direction de l'agence de Lyon, de ce fait est passé responsable régional et donc toujours mon responsable direct. Depuis six ans, toutes mes directives me sont données par cette même personne. Depuis mars 2016, je constate un changement dans mes relation(sic) avec [W] [P] qui me demande de voir la plupart des choses importante(sic) avec lui directement ['] ».

Il ressort de l'ensemble de ces éléments la preuve de la part de l'employeur à l'égard de M. [D] d'un comportement excessif, autoritaire, vexatoire, humiliant et insultant, qui ne peut être justifié par le souci de rigueur et d'autorité inhérent aux fonctions de président directeur, une telle méthode de management qui s'apparente à du harcèlement étant constitutive d'une faute et ayant porté atteinte à la dignité salarié.

Il s'ensuit que le jugement entrepris doit être infirmé et que doit être prononcée la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs formulés par le salarié à titre principal.

Par suite, cette résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [D] a droit à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents pour les montants, non autrement discutés sur la base d'un salaire de référence s'élevant à 11.306,86 € brut par mois, de 33.920,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis augmentée de 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis.

M. [D] était âgé de 29 ans lors de la rupture du contrat et titulaire d'une ancienneté de 9 ans et 6 mois, de sorte qu'au regard des conséquences morales et financières de la rupture du contrat intervenue dans les circonstances rapportées, il convient de lui allouer une indemnité de 100.000€ net pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [D], qui évoque avoir été profondément choqué par l'attitude de son employeur dont il ne parvient toujours pas à s'expliquer la véritable raison et avoir subi non seulement un préjudice financier mais également un préjudice moral considérable, ne justifie d'aucun préjudice moral distinct de celui indemnisé au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, de sorte qu'il n'y a pas lieu à indemnisation complémentaire sur ce fondement.

Sur le respect de la clause de non-concurrence

M. [D] soutient pour infirmation que la société MAISON AUTO NETTOYANTE LYON ne l'a pas libéré de sa clause de non concurrence avant la date de son départ effectif, soit le 19 novembre 2016 après adhésion au contrat de sécurisation professionnelle comme elle en avait l'obligation ; que la société intimée lui reste en conséquence redevable de la somme de 33.920,58€ au titre de la contrepartie pécuniaire.

La société MAISON AUTONETTOYANTE fait valoir pour confirmation que le délai de réflexion laissé à M. [D] pour choisir d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle a pris fin le 19 novembre 2016, et qu'elle a respecté le délai de 15 jours suivant la notification de la rupture prévu à l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 puisqu'elle a renoncé à la clause de non-concurrence dans la lettre de licenciement du 21 novembre 2016'; qu'en tout état de cause, la contrepartie financière à la clause de non- concurrence n'est due qu'à la condition que la clause soit respectée'; que la description de la société BATIV'AIR SANTE parue dans les journaux d'annonces légales précise que les prestations proposées recouvrent notamment les travaux d'isolation intérieure et extérieure, le nettoyage de toitures et les travaux de menuiserie, ce qui montre que M. [D] n'a pas respecté la clause de non concurrence qui lui interdisait notamment la gérance ou l'encadrement de sociétés intervenant dans les domaines de la rénovation de toitures et façades par procédés hydrofuges, menuiseries, isolations et énergies renouvelables.

Vu les dispositions de l'article L. 1233-67 du code du travail ;

Il est établi qu'en cas de rupture du contrat de travail sans exécution d'un préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise.

Lorsqu'un salarié adhère au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture du contrat de travail, qui ne comporte ni préavis ni indemnité de préavis, intervient à l'expiration du délai dont il dispose pour prendre parti. Il en résulte qu'en cas de rupture du contrat de travail du fait de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence le faire au plus tard à la date du départ effectif de l'intéressé de l'entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires.

Il n'est en l'espèce pas justifié de la dénonciation de cette clause par l'employeur avant le courrier daté du 21 novembre 2016 (pièce n°22 de l'intimée) soit postérieurement à la rupture du contrat qui est intervenue à l'expiration, le 19 novembre 2016, du délai de 21 jours laissé au salarié pour adhérer au contrat de sécurisation professionnelle.

Dans ces conditions, la renonciation par l'employeur à la clause de non concurrence est tardive.

La clause de non concurrence prévue à l'article 16 du contrat (pièce n°2 du salarié) était par ailleurs applicable «'pendant une durée de 12 mois à compter de l'expiration'» du contrat, de sorte que les conditions d'exercice par M. [D] de son activité au sein de la société BATIV'AIR dont l'immatriculation au RCS date du 18 mai 2018 (pièce n°30 de l'intimée) ne peut constituer une violation de la clause de non concurrence.

Il est établi ensuite que l'indemnité compensatrice de l'interdiction de concurrence se trouve acquise dès lors que l'employeur n'a pas renoncé au bénéfice de celle-ci dans le délai conventionnel sans que le salarié qui a respecté son obligation ait à invoquer un préjudice.

Il est établi enfin que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence a la nature d'une indemnité compensatrice de salaires en sorte qu'elle ouvre droit à congés payés.

Au regard du montant du salaire moyen, le montant de la contrepartie mensuelle «'égale à un quart de mois de salaire'» sur la base de la «'rémunération brute moyenne mensuelle (...) des douze derniers mois'» prévu au contrat susvisé est égale à la somme réclamée de 33.920,58 €, somme dont devra être déduite la provision déjà versée à M. [D] en exécution de la décision rendue en référé par le conseil des prud'hommes le 17 janvier 2018 et augmentée de la somme de 3.392,57€ brut au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la remise des documents sociaux

La demande de remise de documents sociaux conformes à la décision étant bien fondée, le jugement entrepris sera également infirmé à ce titre'; le prononcé d'une astreinte n'apparaît en revanche pas nécessaire à la bonne exécution de la décision.

Sur la capitalisation des intérêts

En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée'; il sera fait droit à cette demande, étant précisé que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes et que les sommes de nature indemnitaire portent intérêts à compter de la notification de la présente décision.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

Par application combinée des articles L.1235-3 et L.1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue respectivement de l'ordonnance n°2007-329 du 13 mars 2007 et de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article L. 1233-69 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, l'employeur contribue au financement du contrat de sécurisation professionnelle par un versement représentatif de l'indemnité compensatrice de préavis, dans la limite de trois mois de salaire majoré de l'ensemble des cotisations et contributions obligatoires afférentes.

Il résulte de ces textes qu'en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

Sur ce fondement, il y a lieu de condamner la société MAISON AUTONETTOYANTE LYON à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage payées à M. [D] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

Sur les frais irrépétibles

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à la date du 19 novembre 2016,

CONDAMNE la SARL MAISON AUTO NETTOYANTE LYON à payer à M. [D] les sommes suivantes :

* 33.920,58 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

* 100.000 € net à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 33.920,58 € brut à titre de contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence,

* 3.392,05 € brut à titre d'indemnité de congés payés afférents';

* 5.949,80 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes et que les sommes de nature indemnitaire portent intérêts à compter de la notification de la présente décision,

CONDAMNE la société MAISON AUTONETTOYANTE à remettre à M. [D] les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision,

CONDAMNE la société MAISON AUTONETTOYANTE LYON à rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage payées à M. [D] à compter du jour de la rupture du contrat de travail, dans la limite de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail';

CONDAMNE la société MAISON AUTONETTOYANTE LYON aux entiers dépens d'appel';

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 19/01435
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-29;19.01435 ?
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