2ème Chambre
ARRÊT N°253
N° RG 19/00702
N° Portalis DBVL-V-B7D-PQAD
(3)
Mme [B] [O] épouse [Y]
M. [C] [Y]
C/
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me ADAM-RIBAULT
- Me BERGER-LUCAS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 29 AVRIL 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Aichat ASSOUMANI, lors des débats, et Madame Ludivine MARTIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 Février 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 29 Avril 2022, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [B] [O] épouse [Y]
née le [Date naissance 3] 1949 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Monsieur [C] [Y]
né le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentés par Me Véronique ADAM-RIBAULT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
SA CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Gaëlle BERGER-LUCAS, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me DOREL de la SCP DOREL-LECOMTE-MARGUERIE, plaidant, avocat au barreau de CAEN
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte notarié en date du 25 septembre 2009, le Crédit immobilier de France Ouest ( ci-après le Crédit immobilier) a consenti à M. [U] [Y] et son épouse Mme [A] [Y] née [X] trois prêts pour l'acquisition d'un terrain et la construction d'un immeuble sur la commune de [Localité 8] de la façon suivante :
- un prêt à taux zéro de 49 650 euros,
- un prêt d'un montant de 10 000 euros au taux de 3 %
- un prêt d'un montant de 124 828 euros au taux de 5,5 %.
Par acte sous seing privé du 10 juin 2009, M. [C] [Y] et son épouse Mme [B] [Y] se sont portés caution solidaire de ces trois prêts à hauteur de :
- 269 488,09 euros sur une durée de 324 mois pour le prêt de 124 828 euros,
- 13 742,2 euros pour le prêt de 10 000 euros,
- 59419,40 euros sur une durée de 336 mois pour le dernier prêt.
A la suite d'échéances impayées, le Crédit immobilier a mis en demeure les emprunteurs par courrier recommandé en date du 16 janvier 2017. Il a fait de même avec les cautions.
Sans effet, la banque a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure les cautions de régler la totalité des prêts devenus exigibles.
Par acte d'huissier en date du 28 avril 2017, le Crédit immobilier a assigné devant le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire M. [C] [Y] et son épouse Mme [B] [Y] en leur qualité de caution, en paiement des sommes dues à raison de la défaillance des emprunteurs.
Par jugement en date du 22 novembre 2018, le tribunal a :
- condamné solidairement M. et Mme [Y] à verser, en deniers ou quittances à la société Crédit immobilier de France Développement :
la somme de 135 086,77 euros avec intérêts au taux conventionnel de 5,5 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706001,
la somme de 8 259,64 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706002,
la somme de 49 762,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n°53000000776003,
- débouté M. [C] [Y] et Mme [B] [Y] de l'ensemble de leurs demandes,
- rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement M. [C] [Y] et Mme [B] [Y] aux dépens.
Par déclaration en date du 31 janvier 2019, M et Mme [Y] ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2021, ils demandent à la cour de :
Vu les articles 1231-1 du code civil,
Vu les articles L. 312-8, L. 312-11, L.312-33 et L.313- 1 du code de la consommation,
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire du 22 novembre 2018 en ce qu'il a : - condamné solidairement M et Mme [Y] à verser, en deniers ou quittances à la société Crédit immobilier de France Développement :
la somme de 135 086,77 euros avec intérêts au taux conventionnel de 5,5 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706001,
la somme de 8 259,64 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706002,
la somme de 49 762,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n°53000000776003,
- débouté M [C] [Y] et Mme [B] [Y] de l'ensemble de leurs demandes,
et statuant à nouveau,
- juger que le Crédit immobilier de France Développement ne peut pas se prévaloir des engagements de caution à l'encontre de Mme et M. [Y],
- débouter le Crédit immobilier de France Développement de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire,
- juger que le Crédit immobilier de France Développement a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard des cautions,
- juger que la responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde est engagée,
- condamner le Crédit immobilier de France Développement à payer à Mme et M. [Y] des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement du prêteur à son devoir de mise en garde des cautions à hauteur de l'intégralité des sommes réclamées par le prêteur,
- prononcer la compensation judiciaire entre les condamnations respectives et débouter en conséquence le Crédit immobilier de France développement de toutes ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire,
- prononcer la déchéance du droit aux intérêts et pénalités pour la souscription des prêts,
- subsidiairement prononcer la déchéance du droit aux intérêts et pénalités courus entre juin 2016 et janvier 2017,
Dans tous les cas,
- allouer à M. et Mme [Y] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner le Crédit immobilier de France Développement aux entiers dépens.
Par conclusions récapitulatives signifiées le 3 décembre 2021, le Crédit immobilier demande à la cour de :
- débouter purement et simplement les époux [Y] de l'intégralité de leurs prétentions,
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire en date du 22 novembre 2018 sauf en ce qui concerne le montant de la créance,
- infirmer le jugement en ce qui concerne le montant de la créance,
- A ce titre, statuant à nouveau, condamner solidairement M. et Mme [Y] à payer au Crédit immobilier de France Développement les sommes de :
115 80,57 euros avec intérêts au taux conventionnel de 5,5 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706001,
la somme de 286,09 euros avec intérêts au taux conventionnel de 3 % à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n° 530000007706002,
la somme de 3 214,72 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 2017 au titre du prêt n°53000000776003,
- condamner solidairement M. et Mme [Y] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement M et Mme [Y] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations du jugement ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 décembre 2021.
EXPOSE DES MOTIFS :
Sur la disproportion de l'engagement de caution :
Pour condamner les époux [Y] en leur qualité de cautions à payer les sommes réclamées par le Crédit immobilier, le tribunal de grande instance de Saint-Nazaire a considéré que si l'engagement de caution apparaissait disproportionné à leurs revenus et biens au moment de la conclusion du contrat, M et Mme [Y] étaient au contraire, en mesure de faire face aux obligations résultant de leur engagement de caution au moment de l'appel en garantie de la banque.
En appel, M. et Mme [Y] contestent cette analyse, estimant que le tribunal a justement considéré que leur engagement était disproportionné au moment de la souscription mais que la banque ne démontre pas que leur patrimoine leur permettait de faire face à l'obligation de payer la somme globale de 194 500 euros lorsqu'elle les a appelés en paiement. Ils soulignent notamment qu'ils étaient débiteurs d'un prêt à la consommation de 4 000 euros en avril 2017 et contestent avoir détenu une quelconque épargne bancaire.
Le Crédit immobilier fait valoir de son côté que les époux [Y] n'apportent pas la preuve de la disproportion de leur engagement lors de la souscription et que leur patrimoine leur permet de régler sa créance qui s'élève désormais à la somme de 119 358,38 euros.
Aux termes de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.
Il appartient à la caution qui invoque le caractère disproportionné de son engagement de le démontrer. En l'espèce, la banque n'a pas fait remplir aux cautions de fiche de renseignement patrimonial préalable. Il sera rappelé toutefois qu'aucun texte ne lui impose une telle obligation ou ne sanctionne l'absence d'un tel document. Les cautions sont dès lors libres de démontrer quelle était leur situation financière réelle lors de leur engagement. Il est de principe que l'appréciation du caractère disproportionné de l'engagement lors de sa conclusion suppose de prendre en compte les revenus contemporains de la souscription du cautionnement et l'endettement global de la caution.
M. et Mme [Y] produisent leur avis d'imposition 2010 sur leurs revenus de l'année 2009, un avis de valeur de la maison dont ils étaient propriétaires en juin 2009, et les justificatifs du montant de leurs contrats d'assurance vie au 31 décembre 2009 ainsi que les relevés de leurs livrets d'épargne au 2 janvier 2009. Ils ne font état d'aucun prêt.
Il résulte de ces pièces qu'ils disposaient en 2009 d'un revenu annuel de 19 171 euros et d'un patrimoine immobilier d'une valeur comprise entre 160 000 et 170 000 euros. S'agissant du montant de leur épargne, ils en justifient à hauteur de 16 676,81 euros mais il sera constaté que devant le tribunal, ils ont déclaré un montant d'épargne de 35 000 euros alors que devant la cour, ils font état d'une épargne d'environ 25 000 euros.
Compte tenu du montant total du cautionnement souscrit soit 342 649,69 euros, c'est à juste titre que le tribunal, qui a retenu un montant d'épargne de 35 000 euros, a considéré que ce cautionnement était, au moment de la souscription, manifestement disproportionné aux revenus et biens des époux [Y].
En revanche, la banque échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de ce qu'au moment de l'appel en garantie, M. et Mme [Y] étaient en mesure de faire face au paiement de la somme qui lui était due. Il sera rappelé que la possibilité pour la caution de faire face à son engagement, lorsqu'elle est appelée, s'apprécie au jour de l'assignation, soit en l'occurrence au 28 avril 2017, et non à celui du jugement de sorte que la précision du Crédit immobilier sur le fait que sa créance s'élève désormais à la somme de 119 358,38 euros est sans incidence dès lors qu'elle sollicitait, dans l'acte d'assignation, le paiement d'une somme totale de 193 108,63 euros.
Or, si les revenus annuels des époux [Y] sont sensiblement les mêmes (19 053 euros) qu'au moment de la conclusion du contrat de cautionnement, et si la valeur de leur bien immobilier, dont ils sont toujours propriétaires, n'a pas augmenté, il n'est pas établi qu'ils disposaient toujours du même montant d'épargne en avril 2017 qu'au moment de la conclusion du contrat de cautionnement, quel que soit le montant retenu, 35 000 euros comme l'a fait le tribunal ou 25 000 euros comme allégué par les appelants devant la cour. Les premiers juges ne pouvaient dès lors considérer que les cautions étaient en mesure de faire face à leur engagement alors que l'établissement financier ne faisait pas la preuve du montant de leur épargne en avril 2017 et alors que celles-ci démontraient de surcroît, qu'elles étaient redevables à cette date de la somme de 4 000 euros au titre d'un prêt à la consommation, souscrit en août 2015.
Il s'ensuit que le Crédit immobilier qui ne démontre pas le retour à meilleure fortune de M. et Mme [Y] ne peut se prévaloir de leur engagement de cautionnement en date du 10 juin 2009.
Le jugement sera donc infirmé.
Sur les demandes accessoires :
Le Crédit immobilier qui succombe en sa demande en paiement supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M et Mme [Y] les frais non compris dans les dépens, occasionnés par l'instance en appel. Aussi, la banque sera condamnée à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Saint-Nazaire le 22 novembre 2018,
Déboute le Crédit immobilier de France Ouest de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de M. [C] [Y] et de Mme [B] [Y],
Condamne le Crédit immobilier de France Ouest à payer à M. et Mme [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le Crédit immobilier de France Ouest aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT