9ème Ch Sécurité Sociale
ARRET N°
N° RG 19/02921 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PXTH
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
C/
SELARL [7]
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU FINISTERE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 AVRIL 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Adeline TIREL, lors des débats, et Monsieur Philippe LE BOUDEC, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 23 Février 2022
ARRÊT :
Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 27 Avril 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 03 Avril 2019
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal de Grande Instance de BREST - Pôle Social
****
APPELANT :
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
SELARL [7], mandataire judiciaire de la Société [8]
[Adresse 2]
[Localité 3]
non comparante, non représentée
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU FINISTERE
Service contentieux
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Mme [L] [J] en vertu d'un pouvoir spécial
EXPOSE DU LITIGE
M.[G] a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle datée du 21 décembre 2015 relativement à un cancer pulmonaire, maladie que la caisse a prise en charge au titre des risques professionnels selon décision du 4 mai 2016 comme suit : « cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante » maladie inscrite au tableau numéro 30 bis.
Le 2 mai 2016, il a été notifié à M.[G] que cette maladie professionnelle était considérée comme consolidée par le médecin-conseil à la date du 1er décembre 2015 et par décision du 6 juin 2016, il lui a été notifié l'allocation d'une rente d'un montant annuel de 12'551,88 euros sur la base d'un taux d'incapacité permanente fixé à 67%. Les conclusions médicales portées sur la notification de rente sont les suivantes : «adénocarcinome pulmonaire après exposition professionnelle à l'amiante.»
Le 13 juin 2016, M. [G] a saisi le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) et a accepté le 19 juillet 2016 l'offre qui lui a été présentée.
Le 19 avril 2017, le FIVA a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Brest d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] (la société).
Par jugement du 3 avril 2019, ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Brest, au visa des dispositions des articles L. 461-1, L. 431-2, R. 441-11 et R. 441-l4 du code de la sécurité sociale, et du tableau n° 30B (sic) des maladies professionnelles relatives aux affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, a :
- constaté que la demande du FIVA relativement à son action subrogatoire quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de la société envers M.[G] a été présentée dans les délais légaux ;
- dit que la maladie professionnelle dont est atteint M. [G] est la conséquence de la faute inexcusable de la société ;
- fixé à son maximum la majoration de la rente servie à M. [G], en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;
- dit que la caisse devra verser :
les arriérés de majoration de rente dus jusqu'au 30 juin 2016, au FIVA, dans la limite de 2 913,38 euros,
les arriérés de majoration de rente dus à compter du 1er juillet 2016 et jusqu'au jour de l'exécution de la décision à intervenir, au FIVA, à hauteur des sommes versées par ce fonds, au titre de la période considérée, soit 8 857,08 euros,
les arrérages futurs de majoration de rente, à M. [G], étant précisé que le FIVA révisera l'indemnisation à sa charge, en application des dispositions de l'article 53 - VI de la loi du 23 décembre 2000 ;
- dit que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de M. [G], en cas d'aggravation de son état de santé ;
- dit qu'en cas de décès de la victime résultant des conséquences de sa maladie professionnelle due à l'amiante, le principe de la majoration de rente restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant ;
- débouté le FIVA de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour le préjudice moral, les souffrances physiques et le préjudice d'agrément qui ont été versés par lui pour 1'indemnisation des préjudices personnels de M. [G] ;
- reçu le FIVA en son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour le préjudice esthétique de M. [G] à hauteur de 1 000 euros ;
- dit que la caisse devra verser au FIVA la somme totale de 1 000 euros en
réparation des préjudices personnels de M. [G] ;
- condamné la société, représentée par la SELARL [7], mandataire judiciaire liquidateur, au remboursement des indemnités mises à la charge de la caisse au titre de la majoration de la rente actuelle et future et des condamnations mises à sa charge en principal et intérêts ;
- condamné la société à payer au FIVA une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné la société aux dépens.
Par déclaration adressée le 25 avril 2019, le FIVA a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 8 avril 2019, appel limité en ce que le tribunal l'a débouté de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour le préjudice moral, les souffrances physiques et le préjudice d'agrément qui ont été versés par lui pour 1'indemnisation des préjudices personnels de M. [G].
Par ses écritures adressées par le RPVA le 9 juillet 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour, statuant dans le cadre de l'appel limité interjeté, de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses
demandes relatives aux préjudices personnels de M. [G] ;
- le reformer sur ce point, et statuant à nouveau, fixer l'indemnisation des préjudices personnels de M. [G] comme suit :
préjudice moral 26 500 euros
souffrances physiques 13 300 euros
préjudice d'agrément 13 300 euros
préjudice esthétique 1 000 euros
total 54 100euros
- juger que la caisse devra lui verser la somme totale de 54 100 euros
en réparation des préjudices personnels de M. [G].
Par ses écritures parvenues au greffe le 6 septembre 2021 auxquelles s'est référé et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour, au visa des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le FIVA de son action subrogatoire envers la caisse s'agissant de l'indemnisation de M. [G] du préjudice moral, des souffrances physiques et du préjudice d'agrément ;
- en cas d'infirmation du jugement, apprécier l'indemnisation des différents postes de préjudices dans de justes proportions ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à rembourser à la caisse les sommes qu'elle sera amenée à avancer au titre de l'indemnisation des préjudices en principal et intérêts.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
Bien que régulièrement convoquée par lettre recommandée dont elle a signé l'accusé de réception le 19 août 2021, la SELARL [7], mandataire judiciaire de la société n'était ni présente ni représentée. L'arrêt est réputé contradictoire.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour n'ayant pas été saisie d'un appel principal ou incident des dispositions du jugement reconnaissant la faute inexcusable de la société [8], celles-ci sont désormais irrévocables.
Sont de même irrévocables les dispositions par lesquelles le tribunal a ordonné la majoration de la rente servie à M. [G], fixé le préjudice esthétique à la somme de 1 000 euros et condamné la caisse à verser cette somme au FIVA subrogé.
Est en revanche en discussion la fixation des autres chefs de préjudices indemnisés par le FIVA et que le tribunal a rejetés.
Est également en débat l'action récursoire de la caisse qui a été invitée par le magistrat chargé de l'instruction des affaires à justifier de la déclaration de sa créance.
Sur le préjudice réparable dans les suites de la reconnaissance de la faute inexcusable
En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.
Comme l'a jugé la Cour de cassation, il résulte des articles L.434-1, L.434-2, L.452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables en application de l'article L. 452-3 du code précité les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent. (notamment, 2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.126).
Au sens de la nomenclature « Dintilhac », sont réparées, au titre des souffrances endurées, les souffrances physiques et psychiques ainsi que les troubles associés endurés par la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident ou de l'apparition de la maladie, jusqu'au jour de sa consolidation.
Après consolidation, le déficit définitif est réparé au titre du déficit fonctionnel permanent qui indemnise la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.
Il en résulte que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que les souffrances physiques et morales subies à compter de la première constatation médicale de la maladie et antérieurement à la consolidation.
S'agissant d'un cancer, le préjudice moral est constitué dès le diagnostic, par nature extrêmement brutal, s'agissant d'une pathologie incurable.
Toutefois, il est admis de réparer en outre le préjudice moral spécifique consistant dans l'anxiété permanente face au risque, à tout moment, de dégradation de l'état de santé et de menace sur le pronostic vital. (2e Civ., 13 mars 2014, pourvoi n° 13-13.507).
En raison de sa nature, cette maladie engendre par elle-même et dès son annonce l'inquiétude d'une évolution fatale à plus ou moins brève échéance et qui aurait pu être évitée si la société avait respecté les règles d'hygiène et de sécurité en prenant des mesures pour supprimer, sinon réduire, les risques d'exposition et a minima exactement informé les salariés de ceux-ci. Cette inquiétude est donc majorée par un sentiment d'injustice.
S'y ajoute la perspective d'avoir à se soumettre à des mesures de surveillance ainsi qu'à des traitements invasifs et éprouvants par leurs effets secondaires.
Cette évolution péjorative est irréductible à toute notion de consolidation et n'est pas déjà réparée par l'allocation de la rente.
Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure. Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.
Au cas particulier, il convient de retenir que M. [G] qui est né le 1er février 1951 a subi une lobectomie (lobe supérieur gauche) le 16 novembre 2015 justifiée par la présence d'une lésion repérée sur un examen tomodensitométrique du 22 juin 2015. L'anatomopathologie a conclu à « un adénocarcinome à prédominance acineuse TTFN+ mesurant 22 mm avec absence d'envahissement pleural et absence d'envahissement ganglionnaire pédiculaire sur la pièce de lobectomie ».
Il a été hospitalisé du 20 au 24 novembre 2015 pour surveillance post opératoire.
Le colloque médico-administratif fixe la date de la première constatation médicale au 16 novembre 2015, soit à la date de l'intervention chirurgicale.
La consolidation étant fixée au 1er décembre 2015, la cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour fixer l'indemnité à allouer en réparation des souffrances endurées à la somme de 13 300 euros et celle à allouer en réparation du préjudice moral à 26 500 euros.
Il est justifié par l'attestation de M. [O] que c'est bien dans les suites de sa maladie que M. [G] a abandonné la musculation, décrite comme une activité sportive qu'il affectionnait particulièrement.
Il résulte encore de cette attestation, comme de celles de ses proches, que dans les suites de sa maladie M. [G] a dû abandonner le jardinage et s'est trouvé dans l'obligation de confier cette tâche à un tiers.
La preuve étant suffisamment rapportée dans ces conditions de l'existence d'un préjudice d'agrément, il est justifié d'allouer, en réparation de ce préjudice, une indemnité de 8 500 euros.
Le jugement étant infirmé de ces chefs, il sera alloué au FIVA la somme de 48'300 euros s'ajoutant à la somme de 1 000 euros allouée en réparation du préjudice esthétique qui n'est pas contestée en cause d'appel.
Sur l'action récursoire de la caisse
Par ordonnance du 17 août 2021, le magistrat chargé de l'instruction de l'affaire a invité la caisse à justifier de sa déclaration de créance, ce qu'elle n'a pas fait.
Il convient de relever que c'est par un jugement du 13 décembre 2011 que le tribunal de commerce de Brest a ouvert la procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société, tandis que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable a été engagée le 19 avril 2017.
Les dispositions d'ordre public de l'article L. 622-21 du code de commerce interdisent, nonobstant la défaillance du mandataire liquidateur, d'accueillir l'action récursoire de la caisse et de faire droit à sa demande de condamnation de la société, s'agissant d'une créance dont le fait générateur est antérieur au jugement d'ouverture.
Il s'ensuit que le jugement entrepris doit être infirmé et que la caisse doit être déclarée irrecevable en son recours.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement du 3 avril 2019 du pôle social du tribunal de grande instance de Brest en ce qu'il :
- déboute le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de son action subrogatoire à l'encontre de la caisse pour le préjudice moral, les souffrances physiques et le préjudice d'agrément qui ont été versés par lui pour 1'indemnisation des préjudices personnels de M. [G] ;
-condamne la société [8], représentée par la SELARL [7], mandataire judiciaire liquidateur de la société [8] au remboursement des indemnités mises à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère au titre de la majoration de la rente actuelle et future et des condamnations mises à sa charge en principal et intérêts ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Fixe le préjudice de M. [G] au titre des souffrances endurées à la somme de 13 300 euros ;
Fixe le préjudice moral de M. [G] à la somme de 26 500 euros ;
Fixe le préjudice de M. [G] au titre du préjudice d'agrément à la somme de 8 500 euros ;
Alloue en conséquence au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante subrogé dans les droits de M. [G] une indemnité de 48'300 euros ;
Condamne en tant que de besoin la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère au paiement de cette somme ;
Déclare la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère irrecevable en son recours en paiement contre la société [8] ;
Condamne la société [8] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT