3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°237
N° RG 19/01731 - N° Portalis DBVL-V-B7D-PTPP
SARL ABF COURTAGE
C/
SARL ABG COURTAGE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me LE FRIANT
Me EVENO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 26 AVRIL 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 Mars 2022 devant Monsieur Dominique GARET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Avril 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
ABF COURTAGE, immatriculée au RCS de LORIENT (56100) sous le numéro B 512 983 602, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Pascal LE FRIANT de la SELARL LE FRIANT AVOCAT CONSEIL & FISCALITE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉE :
ABG COURTAGE, en cours de liquidation, immatriculée au RCS de VANNES sous le numéro 820 944 460, agissant en la personne de son liquidateur amiable Monsieur [V] [I]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Patrick EVENO de la SELARL P & A, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de VANNES
FAITS ET PROCEDURE
Suivant acte du 13 juillet 2016, la société ABG Courtage (la société ABG) concluait un contrat d'agent commercial avec la société ABF Courtage (la société ABF).
Aux termes de ce contrat, il était prévu que la société ABG rechercherait, pour le compte de la société ABF, des risques assurables en vue de recueillir des souscriptions en matière d'assurances de personne, de vie, de retraite, de frais de santé etc.
En contrepartie de ce service, la société ABF s'engageait à rétrocéder à la société ABG la moitié des commissions qu'elle percevrait sur les affaires nouvelles qu'elle réaliserait grâce à l'intervention de la société ABG, de même que sur des opérations qu'elle pourrait réaliser avec des tiers dont la société ABG avait déjà obtenu la clientèle par le passé pour des opérations du même genre.
Il était également prévu que les rétrocessions seraient acquises à l'agent commercial dans le mois suivant le versement des commissions servies par les assureurs à la mandante et que, par ailleurs, les règlements seraient accompagnés d'un relevé des commissions dues à l'agent mentionnant tous les éléments de calcul desdites commissions, sans préjudice du droit pour l'agent d'exiger de sa mandante toutes informations complémentaires lui permettant de vérifier l'exhaustivité des commissions versées, notamment un extrait des documents comptables s'y rapportant.
A partir du début de l'année 2017, un différend allait opposer les deux parties, la société ABG reprochant en effet à la société ABF de ne pas lui avoir régler toutes les commissions auxquelles elle avait droit, la société ABF se prévalant au contraire d'un trop-versé de commissions, celle-ci expliquant en effet avoir accordé des avances à sa mandataire alors même que, depuis le début de l'année 2017, cette dernière avait cessé de lui apporter de nouvelles affaires.
Par acte du 11 janvier 2018, la société ABG faisait assigner la société ABF devant le tribunal de commerce de Lorient aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement d'un solde de commissions, d'une indemnité pour rupture du contrat d'agence, enfin de dommages-intérêts en réparation des préjudices financiers et moral que l'attitude de sa mandante lui avait causés.
Au contraire, la société ABF concluait au débouté des demandes adverses, réclamant, à titre reconventionnel, la condamnation de la société ABG à lui rembourser un trop-versé de commissions.
Par jugement du 16 janvier 2019, le tribunal :
- condamnait la société ABF à payer à la société ABG une somme de 5.407,95 € au titre d'un solde de commissions, avec intérêts au taux légal majoré de deux points à compter du 21 novembre 2017;
- déboutait la société ABF de sa demande de restitution d'avances sur commissions trop-perçues;
- prononçait la résiliation du contrat d'agence à effet du 21 novembre 2017;
- condamnait la société ABF à payer à la société ABG une somme de 5.000 € à titre d'indemnité de rupture;
- condamnait la société ABF à payer à la société ABG une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- déboutait les parties du surplus de leurs demandes;
- condamnait la société ABF aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 mars 2019, la société ABF interjetait appel de cette décision.
Il apparaissait alors que, dès avant la délivrance de l'assignation de première instance, la société ABG avait fait l'objet d'une dissolution anticipée avec liquidation amiable décidée suivant procès-verbal de son associé unique en date du 31 décembre 2017 avec effet immédiat; or, bien qu'ayant été désigné en qualité de liquidateur amiable, M. [I] [V] n'était pas apparu en cette qualité sur l'acte introductif d'instance, pas plus que cet acte n'avait fait mention de ce que la société demanderesse était en liquidation.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 3 février 2022, l'intimée les siennes le 2 février 2022.
Finalement, la clôture de la mise en était prononcée par ordonnance du 3 février 2022.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société ABF demande à la cour :
Vu les articles L 237-2 et suivants du code de commerce,
Vu l'article R 237- du code de commerce,
Vu les articles 117 et suivants du code de procédure civile,
Vu l'article 1353 du code civil,
A titre principal,
- constater que l'assignation délivrée à la société ABF viole les dispositions des articles L 237-2 et suivants et R 237-2 et suivants du code de commerce;
- prononcer la nullité de l'assignation pour vice de fond, en application de l'article 117 du code de procédure civile;
- en conséquence, annuler les actes subséquents, en ce compris le jugement entrepris;
- débouter la société ABG de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
- réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
- condamner la société ABG à verser à la société ABF la somme de 1.582,03 € en restitution des avances sur commissions trop-perçues, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir;
- débouter la société ABG de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner la société ABG à verser à la société ABF la somme de 7.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel;
- condamner la société ABG aux entiers dépens d'appel, lesquels seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, la ssociété ABG, apparaissant désormais comme 'en cours de liquidation' et 'représentée par son liquidateur amiable M. [V]', demande à la cour de :
Vu les articles 1103 et 1231-1 du code civil,
Vu l'article L 134-12 du code de commerce,
- dire et juger la société ABG recevable et bien fondée en son appel, ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions;
- dire et juger la société ABF irrecevable et mal fondée son appel, ainsi qu'en toutes ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* débouté la société ABF de sa demande de restitution d'avance sur commissions trop-perçues ;
* prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial à effet du 21 novembre 2017;
* condamné la société ABF à payer à la société ABG la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société ABG aux dépens;
Le réformer pour le surplus et en conséquence,
- condamner la société ABF à payer à la société ABG :
* la somme de 7.948,60 € correspondant au montant des commissions impayées, sauf à parfaire, outre les intérêts conventionnels au taux légal majoré de deux points à compter du 21 octobre 2017;
* la somme de 9.570,08 € à titre d'indemnité de clientèle ;
* la somme de 2.000 € au titre de l'indemnisation de ses préjudices financier et moral ;
- condamner la société ABF à payer à la société ABG la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société ABF aux entiers dépens.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
L'article 117 du code de procédure civile dispose':
'Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
Le défaut de capacité d'ester en justice ;
Le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;
Le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.'
Ainsi, constitue une irrégularité de fond, justifiant la nullité de l'acte introductif d'instance, le fait que l'assignation du 11 janvier 2018 ne fasse pas mention de ce que la société demanderesse était alors en liquidation, d'ailleurs en violation de la règle prescrite à l'article R 237-1 du code de commerce, plus précisément que l'assignation n'ait pas été délivrée au nom de la seule personne qui avait alors pouvoir pour la représenter, en l'occurrence son liquidateur amiable pris en la personne de M. [V].
A cet égard, il est indifférent, pour l'appréciation de cette irrégularité de fond, que la décision de liquidation n'ait pas encore fait l'objet d'une publicité légale à l'époque de l'assignation, ni par une mention au registre du commerce et des sociétés ni par une publication dans un journal d'annonces légales, dès lors en effet :
- que le procès-verbal actant la décision de dissoudre la société mentionne une 'prise d'effet' au 31 décembre 2017, soit précisément onze jours avant la délivrance de l'assignation;
- que si, par application de l'article L 123-9 du code de commerce, la personne tenue de déposer un acte au RCS ou d'en assurer la publicité dans un journal d'annonces légales ne peut opposer cet acte aux tiers que s'il a accompli la formalité exigée, a contrario les tiers peuvent toujours se prévaloir d'un acte, même non publié, dès lors qu'ils en ont connaissance;
- qu'en tout état de cause et par application de l'article L 237-24 du code de commerce, seul le liquidateur amiable de la société ABG en liquidation était habilité à la représenter en justice, qu'il s'agisse d'agir ou de défendre.
Dès lors, l'assignation du 11 janvier 2018 ne pouvait pas être valablement délivrée au nom de la société ABG sans que l'acte fasse mention de son état de liquidation et, surtout, sans qu'il précise que la demanderesse était représentée par son liquidateur amiable, M. [V].
Par ailleurs, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 118 du code de procédure civile, les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond peuvent être proposées en tout état de cause à moins qu'il en soit disposé autrement, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
En l'espèce, la société ABF, qui n'a soulevé cette irrégularité qu'aux termes de ses conclusions d'appel n° 2 en date du 30 août 2021, explique cette tardiveté par le fait qu'elle n'a découvert l'état de liquidation de la société ABG qu'à cette époque.
En toute hypothèse, elle demeurait recevable à le faire, alors au surplus que l'article 119 du code de procédure civile dispose que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure, ce qui est le cas de la nullité d'une assignation pour défaut de pouvoir, doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d'un grief.
Enfin, l'article 121 du même code précise que dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
A contrario, aucune régularisation n'est possible dès lors qu'elle prétend intervenir après que le juge a statué.
En l'espèce et afin de couvrir la nullité de son assignation, il aurait fallu que la société ABG, dûment représentée par son liquidateur amiable, fasse réassigner la société ABF avant qu'intervienne le jugement de première instance.
Faute de l'avoir fait, aucune régularisation ne pouvait être admise, notamment sous la forme d'une constitution en cause d'appel au nom de la société ABF en liquidation et représentée par son liquidateur amiable, formalité qui, en tout état de cause, demeure sans effet sur la validité de la saisine des premiers juges.
Il s'en suit que l'assignation du 11 janvier 2018 est irrémédiablement nulle.
Il en résulte que la juridiction de première instance n'a jamais été valablement saisie, et que le jugement du 16 janvier 2019 ne peut qu'être annulé.
Par suite, la cour n'étant elle-même saisie d'aucun effet dévolutif, elle ne peut pas examiner l'affaire sur le fond.
Partie perdante, la société ABG sera condamnée à payer à la société ABF une somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour':
- constate la nullité de l'assignation de première instance;
- annule en conséquence le jugement entrepris;
- constate l'absence d'effet dévolutif de l'appel sur le fond de l'affaire';
- condamne la société ABG Courtage à payer à la société ABF Courtage une somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamne la société ABG Courtage aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffierLe président