2ème Chambre
ARRÊT N°3
N° RG 17/05203
N° Portalis DBVL-V-B7B- ODOW
S.A.R.L. ASSOCIES PATRIMOINE
C/
M. [K] [N]
Madame [Z] [N]
SA MMA IARD
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Jean-David CHAUDET
Me Matthieu PERRAUD
Me Sylvie PELOIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 8 JANVIER 2021
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Laurence LE MEUR, lors des débats, et Monsieur Régis ZIEGLER, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 3 novembre 2020
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 8 janvier 2021 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
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APPELANTE :
La S.A.R.L. ASSOCIES PATRIMOINE exerçant sous l'enseigne ANTHEA
dont le siège social est [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Dounia HARBOUCHE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [K] [N]
né le [Date naissance 5] 1957 à [Localité 9]
Chez [E]
[Localité 6]
Madame [Z] [N]
née le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 8]
Chez [E]
[Localité 6]
Représentés par Me Matthieu PERRAUD de la SELARL LA FIDUCIAIRE GENERALE, avocat au barreau de VANNES
PARTIES INTERVENANTES :
La S.A. MMA IARD
dont le siège social est [Adresse 2]
[Localité 7]
La société civile d'assurance mutuelle à cotisations fixes MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
dont le siège social est [Adresse 2]
[Localité 7]
Représentées par Me Sylvie PELOIS de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentées par Me Philippe GLASER de la SELAS SELAS VALSAMIDIS AMSALLEM JONATH FLAICHER et ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
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EXPOSÉ DU LITIGE
Sur la proposition de la société Associés patrimoine, exerçant sous la dénomination commerciale 'Groupe Anthéa' et déclarant avoir pour activité le conseil en gestion de patrimoine ainsi qu'en investissements financiers, les époux [N] ont, selon engagement de libération d'apport et convention d'exploitation en commun du 12 novembre 2008, confié à la société DOM-TOM Défiscalisation (la société DTD) un investissement de 17 000 euros en vue de réaliser des apports dans des sociétés en participation en formation créées pour l'acquisition de centrales photovoltaïques en Guadeloupe et en Martinique.
Puis, toujours sur la proposition de la société Associés patrimoine, ils ont, selon convention d'exploitation en commun et engagement de libération d'apport du 30 octobre 2009, confié aux mêmes fins à la société DTD un investissement de 10 000 euros.
Ces investissements s'inscrivaient dans un objectif de défiscalisation qui, selon le dossier de présentation fourni, devait permettre aux époux [N] de bénéficier de substantiels avantages fiscaux au titre du dispositif dénommé 'Girardin industriel' codifié à l'article 199 undecies B du code général des impôts.
Ainsi, la société DTD leur a, au titre de leur investissement de 17 000 euros, délivré une attestation fiscale du 12 mai 2009 les invitant à déduire une somme de 25 704 euros de leur impôt sur les revenus 2008, puis ils ont, au titre de leur investissement de 10 000 euros, déduit de leur impôt sur les revenus 2009 une somme de 15 120 euros.
Relevant une disproportion entre les fonds collectés par la société DTD et les investissements effectivement réalisés outre-mer, et estimant que, faute de raccordement au réseau de transport d'électricité, ces investissements dans des centrales photovoltaïques ne pouvaient être considérés comme productifs au 31 décembre de l'année de l'investissement, l'administration fiscale a notifié le 30 novembre 2011 aux époux [N] son intention de procéder à un redressement fiscal remettant en cause les déductions opérées puis, après rejet de leurs contestations, a émis le 25 septembre 2012 des avis de mise en recouvrement des sommes de 31 256 euros et 15 120 euros à titre de rappel d'impôt sur les revenus des années 2008 et 2009.
Après rejet de leur réclamation contentieuse le 7 février 2013, les époux [N] ont saisi le tribunal administratif de Rennes qui, par jugement du 31 décembre 2015, a rejeté leur recours.
Corrélativement, les époux [N] ont, par acte du 24 septembre 2013, fait assigner la société Patrimoine conseil, exerçant sous la dénomination commerciale 'Anthéa', en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de grande instance de Rennes.
La société Associés patrimoine est intervenue volontairement l'instance en déclarant être le cocontractant des époux [N].
Par jugement du 11 juillet 2017, le premier juge a :
reçu l'intervention volontaire de la société Associés patrimoine,
condamné la société Associés patrimoine à verser aux époux [N] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts,
rejeté le surplus des demandes,
condamné la société Associés patrimoine aux dépens,
condamné la société Associés patrimoine à verser aux époux [N] une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire.
La société Associés patrimoine a relevé appel de cette décision le 19 juillet 2017.
Les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD (les MMA) sont intervenues volontairement à l'instance d'appel en déclarant se trouver aux droits de la société Covea Risks, assureur de responsabilité de la société Associés patrimoine.
Prétendant n'être intervenue dans l'opération qu'en qualité de conseil en gestion de patrimoine et non de conseiller en investissements financiers, contestant avoir commis des fautes dans l'exécution de sa mission, et faisant enfin valoir que le préjudice subi par les époux [N] ne pourrait consister qu'en une perte de chance quasi-nulle de ne pas contracter, la société Associés patrimoine demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué et de :
débouter les époux [N] de leurs demandes,
à titre subsidiaire, condamner les MMA à garantir la société Associés patrimoine de toutes condamnations éventuelles qui pourraient être mises à sa charge en application de son contrat d'assurance comportant une garantie contractuelle annuelle plafonnée à 4 000 000 euros et une seule franchise d'un montant de 15 000 euros au titre de la présentation d'opérations de défiscalisation réalisées au cours d'une même année ayant donné lieu à sinistre,
dire que la société Associés patrimoine ne sera pas tenue de s'acquitter de la franchise de 15 000 euros dans l'hypothèse où elle aurait d'ores et déjà été mise à sa charge dans le contexte du sinistre sériel afférent aux produits de la société DTD,
en tout état de cause, condamner solidairement les époux [N] au paiement d'une indemnité de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Insatisfaits des dédommagement alloués, les époux [N] ont quant à eux relevé appel incident, pour demander à la cour de :
confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré la société Associés patrimoine responsable,
le réformer en ce qu'il leur a alloué la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts,
condamner la société Associés patrimoine au paiement, à titre de dommages-intérêts, des sommes de 60 000 euros en réparation de leur préjudice matériel et de 5 000 euros en réparation de leurs troubles et tracas,
débouter la société Associés patrimoine de ses demandes,
condamner la société Associés patrimoine au versement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Les MMA concluent de leur côté à l'infirmation du jugement attaqué et demandent à la cour de :
à titre principal, rejeter les prétentions qui seraient formées à l'encontre des MMA,
à titre subsidiaire, constater que les MMA assurent la responsabilité civile professionnelle de la société Associés patrimoine dans la limite globale de 4 000 000 euros par sinistre sans limite par an dans le cadre du sinistre sériel résultant de la souscription, par son entremise, des produits de la société DTD, et ce après déduction du montant des règlements qu'elles auraient pu effectuer au titre des autres réclamations répondant du même sinistre intervenus au jour de la condamnation,
constater qu'une franchise d'un montant de 15 000 euros par sinistre est stipulée dans le contrat d'assurance souscrit par la société Associés patrimoine et qu'elle s'applique à l'ensemble des réclamations formulées à l'encontre de la société Associés patrimoine dans le cadre des contentieux dans lesquels est en cause l'opération DTD, et juger, dans le cas où la cour devait considérer que la globalisation ne s'applique pas, que cette franchise s'appliquerait intégralement,
en tout état de cause, condamner les époux [N] au paiement d'une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La société Patrimoine conseil n'a pas été intimée devant la cour.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Associés patrimoine le 3 septembre 2020, pour les époux [N] le 31 août 2020 et pour les MMA le 7 octobre 2020, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 22 octobre 2020.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la responsabilité de la société Associés patrimoine
Les époux [N] recherchent la responsabilité de la société Associés patrimoine en sa qualité de conseiller en investissements financiers, en lui faisant grief de ne pas leur avoir fourni de recommandations personnalisées les alertant loyalement sur les risques d'un montage fiscal qui présentait des non-conformités à la législation fiscale et s'est même avéré constituer une escroquerie.
La société Associés patrimoine et les MMA soutiennent quant à elles que la première ne serait pas intervenue dans l'opération de défiscalisation litigieuse en qualité de conseiller en investissements financiers, mais de conseil en gestion de patrimoine, qu'elle n'était pas garante de la réussite du montage conçu par la société DTD dont les époux [N], auprès desquels elle s'était correctement acquittée de son devoir d'information, connaissaient l'aléa, et qu'elle s'était suffisamment assurée de la fiabilité de ce montage qui n'aurait été remis en cause qu'à l'occasion d'une interprétation imprévisible des textes applicables par l'administration fiscale ainsi que par la fraude indécelable du dirigeant de la société DTD.
La société Associé patrimoine a, selon l'extrait du registre du commerce et des sociétés produit, une activité de conseiller en investissements financiers, transactions sur les immeubles et fonds de commerce, agent et promoteur immobilier, mais non celle de conseil en gestion de patrimoine.
Il résulte en outre de la combinaison des articles L. 541-1 et L. 550-1 du code monétaire et financier dans leur rédaction applicable à la cause que les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant, à titre de profession habituelle, une activité de conseil portant notamment sur la réalisation d'opérations sur biens divers, consistant à acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers dont les acquéreurs n'assurent pas eux-mêmes la gestion, en dehors des opérations d'assurance, de capitalisation ou de crédit différé, ou de celles donnant droit à l'attribution en propriété ou en jouissance de parties déterminées d'un immeuble.
Contrairement à ce que les MMA prétendent, le premier de ces textes ne renvoie au second que pour la définition matérielle de l'opération sur bien divers, sans que ce renvoi puisse être regardé comme instituant une condition, pour la personne du conseiller en investissements financiers, de présenter ces opérations d'acquisition de droits sur des biens divers par voie de publicité ou de démarchage.
En outre, l'investissement proposé ne consistait pas à acquérir des parts sociales ne pouvant être assimilées à des biens au sens de ces textes, et ne permettait pas aux investisseurs de gérer ces biens.
En effet, l'investissement litigieux consistait à acquérir, au travers de sociétés en participation, des droits de propriété sur une fraction de l'actif à partager constitué en commun, de sorte que les investisseurs acquéraient bien une quote-part indivise du matériel de production photovoltaïque d'électricité, dont la gestion était assurée par la société DTD et qui a été fourni par, puis loué à une société appartenant au même groupe.
La société Associés patrimoine a donc conseillé aux époux [N] l'acquisition de droits sur des biens mobiliers dont ils n'assuraient pas eux-mêmes la gestion, et s'est ainsi livrée à une activité de conseiller en investissements financiers.
La qualification de cette opération résulte des textes précédemment rappelés dans leur rédaction en vigueur à l'époque où les investissements ont été réalisés, de sorte que l'appelante ne peut utilement prétendre qu'elle ne l'aurait découvert qu'ultérieurement, au vu d'un avis de l'Autorité des marchés financiers (AMF) du 23 juillet 2013.
En sa qualité de conseiller en investissements financiers, la société Associés patrimoine était, aux termes de l'article L. 541-4 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à la cause, tenue de se comporter avec loyauté et d'agir avec équité au mieux des intérêts de ses clients, et notamment de s'enquérir auprès d'eux, avant de formuler un conseil, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, et de leur proposer, en agissant avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent et en mettant en oeuvre les ressources et les procédures nécessaires avec un souci d'efficacité, une offre de services adaptée à leur situation et proportionnée à leurs besoins et à leurs objectifs.
En outre, aux termes des articles 325-5 et 325-7 du règlement général de l'AMF dans sa rédaction applicable à la cause, toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissements financiers, doivent présenter un caractère exact, clair et non trompeur, le conseil au client étant formalisé dans un rapport écrit justifiant les différentes propositions, leurs avantages et les risques qu'elles comportent, en se fondant sur l'appréciation de la situation financière du client et son expérience en matière financière, ainsi que sur les objectifs du client en matière d'investissements.
Or, ainsi que le font pertinemment observer les époux [N], la société Associés patrimoine ne leur a fourni aucune proposition effective et précise adaptée à leur situation personnelle, se contentant de leur transmettre les plaquettes commerciales du concepteur du montage vantant, dans leur intitulé lui-même, une 'défiscalisation réussie et sécurisée', ainsi les documents contractuels établis par la société DTD à l'occasion des investissements de novembre 2008 et octobre 2009 minimisant le risque fiscal ou suggérant qu'il n'était que théorique.
Dans ces documents, la société DTD se présente en effet comme une spécialiste du montage d'opérations de location financière de matériels industriels, de construction d'ateliers et d'usines clef en main, et de projets immobiliers en défiscalisation dans les DOM-TOM, mettant en outre en avant son expérience importante dans les investissements productifs entrant dans le cadre du dispositif de défiscalisation 'Girardin'.
Il en ressort aussi que des matériels photovoltaïques devaient être acquis par la société DTD en qualité de gérante des sociétés en participation, en son nom et pour le compte des associés indivis, auprès de la société Lynx Industries, au moyen des apports provenant des investisseurs et d'un crédit fournisseur, et que ce montage offrait aux investisseurs associés de ces sociétés en participation l'opportunité, sur le plan fiscal, de déduire de leurs impôts sur les revenus 50% du coût d'achat hors taxes des biens industriels au prorata des parts qu'ils détiennent en application de l'article 199 undecies B du code général des impôts, avec cette précision que l'octroi de cette déduction fiscale était subordonnée à ce que les biens acquis soient donnés en location pendant une durée continue de 5 ans et que 50 % de la réduction d'impôt obtenue soit rétrocédée à l'entreprise locataire sous forme de loyer minoré.
Il était encore indiqué que ce montage avait été étudié, corrigé et validé par un cabinet d'avocats fiscalistes dirigé par un ancien agent de l'administration fiscale, et il était joint une attestation de garantie de risque fiscal par laquelle la société Lynx Industries s'engageait à rembourser à la société DTD 'le montant du redressement fiscal éventuel dans la société en participation' pour le cas où un exploitant interromprait l'exploitation de la centrale photovoltaïque avant l'expiration de la période de défiscalisation de cinq ans.
Il en résulte que la société Associés patrimoine n'a pas communiqué aux époux [N] un rapport détaillant de façon adaptée les avantages et les risques de l'opération, seuls les avantages étant mis en avant et le risque fiscal étant au contraire dénié.
Il n'appartenait certes pas au conseiller en investissements financiers, qui n'est pas le concepteur du montage, de vérifier sur place l'évolution des investissements, ni de garantir le bon achèvement des installations financées, mais il se devait cependant, avant de proposer un investissement à des clients, de se renseigner sur la situation financière des sociétés financées et des communications diverses qui pouvaient les concerner ainsi que sur le bien fondé des opérations fiscales envisagées, afin d'être en mesure de les prendre en compte dans sa décision de proposer ces investissements à ses clients et d'informer ces derniers le plus complètement possible.
Or, comme le font ressortir les époux [N] en se référant à d'autres décisions de la cour concernant la même société de conseil en investissements financiers et la même opération de défiscalisation conçue par la société DTD dont ils reproduisent les énonciations dans leurs conclusions, la société Associé patrimoine est membre de la chambre des indépendants du patrimoine et, à supposer qu'elle n'ait pas été directement destinataire des notes émises par cette chambre, elle y avait pour le moins accès et aurait notamment dû avoir son attention attirée par celles des 7 septembre 2007 et 23 juin 2008. relatives aux précautions à prendre concernant les opérations éligibles au dispositif d'incitation fiscale 'Girardin' et au fait que l'administration fiscale remettait en cause un grand nombre d'opérations, ce qui devait conduire à délivrer par écrit un niveau d'information irréprochable sur le risque fiscal toujours présent dans ce type d'opération, notamment en raison de la survenance de problèmes d'exploitation susceptibles d'entraîner un redressement fiscal pour les investisseurs qui devaient le comprendre et l'accepter avant d'investir.
Pourtant, elle a poursuivi la collecte de fonds pour le montage conçu par la société DTD, notamment auprès des époux [N] en novembre 2008 et octobre 2009, sans avertir les investisseurs des risques que certains analystes avaient mis en avant, l'avis de l'avocat fiscaliste que la société DTD s'était procuré ne la dispensant pas de faire part à ses clients des doutes et difficultés soulevés par ailleurs.
Elle a au contraire, alors qu'elle savait ou aurait dû savoir que le risque était réel, choisi de ne transmettre aux époux [N] que cette seule analyse faisant trompeusement apparaître le risque fiscal comme 'quasiment nul' et 'théorique' en raison de diverses 'parades' tenant aux précautions prises sur la solidité financière des exploitants, à la possibilité de trouver un nouvel exploitant dans un délai raisonnable et à la répartition des fonds sur plusieurs sociétés en participation au titre de plusieurs opérations distinctes.
Et, le seul fait de transmettre des documents contractuels comprenant une attestation de garantie du risque fiscal émanant d'une société soeur de la société DTD n'est, contrairement à ce qui est soutenu, nullement de nature à caractériser la délivrance par le conseiller en investissements financiers d'une information sur l'existence d'un risque fiscal, mais était au contraire de nature à laisser croire aux époux [N] que ce risque était inexistant et que l'opération litigieuse n'avait que des avantages et aucun inconvénient.
La société Associés patrimoine a ainsi manqué à son obligation de présenter une information ayant un caractère exact, clair et non trompeur.
Au surplus, il est patent qu'en préconisant la souscription de parts de sociétés en participation dans le cadre du montage fiscal conçu par la société DTD, l'appelante a délivré des conseils qui se sont avérés inadaptés, sinon désastreux.
En effet, l'opération de défiscalisation a été intégralement remise en cause par l'administration fiscale qui a procédé à un redressement fiscal que les divers recours administratif et juridictionnel, exercés par les époux [N] sur les mêmes conseils de la société Associés patrimoine, n'ont pu éviter.
En outre, ce montage, qui consistait pour la société DTD à proposer à des particuliers d'investir, au travers de sociétés en participation dépourvues de personnalité morale, dans des centrales photovoltaïques installées outre-mer fournies par, et louées à la société Lynx Industries qui, comme la société DTD, était une filiale de la société Lynx Finance Group, s'est avéré constituer une escroquerie ayant donné lieu à la condamnation pénale du dirigeant du groupe par jugement du tribunal correctionnel de Paris du 24 février 2017.
Même si la société Associés patrimoine n'était pas tenue d'une obligation de résultat, et même si le mécanisme de l'escroquerie conçu par le dirigeant social du groupe Lynx était sophistiqué et a pu surprendre la société Associés patrimoine, il demeure que l'opération de défiscalisation proposée présentait un risque sérieux de remise en cause par l'administration fiscale qu'elle connaissait ou aurait dû connaître, du fait notamment de la nature même du montage, basé sur un mécanisme complexe conçu dans le seul but d'exploiter, à la seule fin d'éviter le paiement de l'impôt, les limites d'un dispositif légal très généreux élaboré en vue d'encourager les investissements industriels dans l'économie réelle des collectivités françaises d'outre-mer, et en raison des nombreux aléas qui pouvaient surgir, dans le contexte de risques plausibles de fraudes favorisés, ainsi que les premiers juges l'ont à juste titre relevé, tant par l'éloignement des entreprises impliquées que par l'importance de l'avantage fiscal concédé, pour parvenir à une mise en service des biens ainsi financés avant la fin de l'année où l'investissement avait été réalisé.
Elle ne pouvait raisonnablement considérer cet investissement comme dépourvu de risques particuliers excédant les risques normaux d'une opération de défiscalisation connus de tous, au seul motif que le montage avait été vérifié par un avocat fiscaliste et bénéficiait d'une garantie du risque fiscal, alors que l'étude avait été réalisée à la demande de la société DTD elle-même, sans garantie d'indépendance vis-à-vis du donneur d'ordre, et était, ainsi que la cour l'a précédemment observé, contredite par l'avis d'autres analystes dont l'appelante ne pouvait ignorer l'existence.
En outre, la garantie était fournie par une société soeur de la société DTD, dont l'implication dans l'opération pouvait la conduire à la déconfiture en cas d'échec industriel ou commercial, ce qui rendait cette garantie illusoire.
De même, la société Associés patrimoine ne pouvait se convaincre sérieusement de l'absence de risques particuliers de l'opération au seul motif qu'un fonctionnaire, ancien agent de l'administration fiscale, se soit cru autorisé à transmettre à un responsable de son ancienne administration une note laudatrice sur le montage litigieux, d'évidence établie sur les seules déclarations du dirigeant de la société DTD.
Enfin, les constats d'huissier qui lui étaient transmis attestaient sans doute de la livraison du matériel destiné à la construction des centrales photovoltaïques, mais non de leur mise en service en vue de la vente de l'électricité produite.
Elle a par conséquent manqué à son obligation de conseil en ne proposant pas aux époux [N] un investissement dont l'objectif de défiscalisation avait une meilleurs chance d'aboutir.
Sur le préjudice
Le dommage résultant d'un manquement à l'obligation d'information et de conseil consiste en une perte de chance de ne pas contracter.
Contrairement à ce que soutiennent la société Associés patrimoine et les MMA, cette perte de chance ne procède pas de l'escroquerie commise par le dirigeant social de la société DTD, mais du manquement du conseiller en investissements financiers à ses obligations d'information et de conseil, qui, si elles avaient été correctement exécutées, aurait pu éviter aux époux [N] d'investir dans le montage défectueux et chimérique conçu par la société DTD.
Si les époux [N] admettent le principe d'une indemnisation limitée à la perte de chance, ils estiment que, contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, l'occurrence que, correctement informé et conseillé, ils persistent à investir auprès de la société DTD était très faible, de sorte que, chiffrant le préjudice financier résultant de l'éventualité de ne pas réaliser cet investissement à 69 409,80 euros correspondant :
pour 25 704 euros, aux impôts supplémentaires acquittés au titre des revenus de l'année 2008,
pour 15 120 euros, aux impôts supplémentaires acquittés au titre des revenus de l'année 2009,
pour 2 982 euros, aux intérêts de retard sur l'imposition supplémentaire,
pour 17 000 euros, à l'investissement réalisé en 2008,
pour 10 000 euros, à l'investissement réalisé en 2009,
et pour 1 584,80 euros, aux frais engagés dans le cadre du contentieux fiscal les ayant opposés à l'administration,
ils sollicitent la réparation de ce préjudice à hauteur de 60 000 euros.
La société Associés patrimoine soutient quant à elle que, les demandeurs ne démontrant pas que, correctement informés et conseillés, ils auraient porté leurs choix d'investissement sur d'autres produits de défiscalisation, la chance perdue est nulle, et qu'en toute hypothèse les apports ont été réalisés à fond perdu, que le paiement de l'impôt n'est pas un dommage indemnisable et que les frais d'avocat engagés dans le contentieux fiscal ne procèdent que de leur seule décision, les MMA ajoutant que les intérêts de retard sont compensés par l'avantage tiré de la conservation du montant de l'impôt dans leur patrimoine jusqu'à son paiement.
Les époux [N] ne sauraient en effet prétendre au remboursement des apports effectués dans les sociétés en participation, les dossiers de souscription qu'ils ont signés et paraphés stipulant que 'les associés réalisent un apport en numéraire, par principe, non récupérable'.
En outre, le montant des intérêts de retard que l'administration fiscale leur a réclamés à la suite du redressement fiscal se trouve compensé par l'avantage tiré, par les époux [N], de la conservation du montant de l'impôt pendant tout le temps où il n'a pas été versé au Trésor public, de sorte que ce poste de préjudice n'est pas davantage indemnisable.
En revanche, s'il est de principe qu'un préjudice ne peut découler du paiement de l'impôt auquel un contribuable est légalement tenu, il en va autrement s'il est établi que, dûment et correctement informé et conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.
Or, en l'occurrence, ainsi que le font pertinemment valoir les intimés, le mécanisme de défiscalisation existait légalement et aurait pu être efficacement mise en oeuvre s'ils avaient été orientés vers des investissements sérieux entrant de façon incontestable dans le cadre du dispositif prévu par la loi.
Enfin, les recours administratif et juridictionnel mis en oeuvre pour contester le redressement fiscal ont été suggérés par la société Associés patrimoine par courrier du 13 décembre 2011, et les frais d'avocat en découlant auraient pu être évités si les investissements litigieux n'avaient pas été réalisés.
Le préjudice indemnisable dans l'éventualité favorable de la renonciation des époux [N], dûment et correctement informés et conseillés, à investir auprès de la société DTD ressort donc à 42 408,80 euros (25 704 + 15 120 + 1 584,80).
Au regard des aléas inhérents au type d'opérations de défiscalisation susceptibles de procurer à des contribuables des avantages fiscaux aussi importants, il y a lieu d'indemniser la perte de chance à hauteur de 21 200 euros.
Le jugement attaqué sera donc réformé en ce sens.
Les époux [N] ne justifiant pas de l'existence du préjudice moral, distinct du préjudice économique précédemment réparé, dont ils demandent réparation, leurs prétentions y relatives ont été à juste titre rejetées par le premier juge.
Sur la garantie des MMA
Le contrat d'assurance liant la société Associés patrimoine et la compagnie Covea Risks, aux droits de laquelle se trouvent les MMA, stipule que la garantie souscrite pour les activités de conseil en gestion de patrimoine et de conseil en investissements financiers est de 1 525 000 euros par sinistre, avec une franchise, en matière d'opérations industrielles et immobilières de défiscalisation dans les DOM-TOM de 15 000 euros.
Bien qu'aucun avenant n'ait été produit, les MMA indiquent que le plafond de l'assurance a été porté, à compter du 1er juillet 2010, à 4 000 000 euros par sinistre sans limite annuelle, ce dont la cour prend acte, et elle soutient que l'ensemble des réclamations formées à l'encontre de la société Associés patrimoine au titre de l'opération de défiscalisation conçue par la société DTD constituerait une cause technique unique, de sorte qu'il y aurait lieu de ne les condamner à garantir leur assurée que dans la limite globale de 4 000 000 euros pour l'ensemble des litiges sériels résultant de la souscription par son entremise des produits de la société DTD, après déduction des règlements déjà effectués au titre d'autres réclamations, ou, à défaut, de dire qu'il y aura lieu à application d'une franchise de 15 000 euros au titre de cette seule réclamation.
La société Associés patrimoine demande quant à elle à la cour de considérer l'ensemble des réclamations dont elle a fait l'objet au titre des investissements dans les produits de la société DTD constitue un sinistre unique, et, partant, de ne pas appliquer la franchise de 15 000 euros à la présente réclamation si elle a déjà été mise à sa charge au titre d'une réclamation précédente.
Il résulte de l'article L. 124-1-1 du code des assurances que, constitue un sinistre, tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers résultant d'un fait dommageable, engageant la responsabilité de l'assuré et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations, avec cette précision qu'un ensemble de fait dommageable ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique.
En l'occurrence, le fait dommageable causé aux époux [N] consiste en un manquement aux devoirs d'information et de conseil que la société Associés patrimoine était personnellement tenue de délivrer aux époux [N] dans le cadre de la relation contractuelle spéciale nouée entre le conseiller en investissements financiers et ses clients au regard de leur situation particulière.
Le sinistre ne procède donc pas du vice des produits de défiscalisation conçus par la société DTD subi par l'ensemble des investisseurs, mais de l'exécution défectueuse de la mission contractuelle particulière de la société Associés patrimoine à l'égard des époux [N].
La réclamation de la société Associés patrimoine envers les MMA ne procède donc pas d'une cause technique unique et constitue un sinistre distinct de celui résultant des réclamations d'autres clients, de sorte qu'il doit donner lieu à un montant de garantie et de franchise unique.
Il en résulte ainsi que les MMA seront tenues de garantir la société Associés patrimoine sous déduction de la franchise de 15 000 euros.
Sur les frais irrépétibles
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge des époux [N] l'intégralité des frais exposés par eux à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il leur sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 11 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Rennes, sauf en ce qu'il a fixé le montant des dommages-intérêts à la somme de 25 000 euros ;
Condamne la société Associés patrimoine à payer aux époux [N] une somme de 21 200 euros à titre de dommages-intérêts ;
Condamne la société Associés patrimoine à payer aux époux [N] une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Additant au jugement attaqué, condamne les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à garantir la société Associés patrimoine des condamnations prononcées à son encontre, sous déduction de la franchise d'assurance de 15 000 euros ;
Condamne la société Associés patrimoine ainsi que les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD aux dépens d'appel ;
Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT