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03/12/2020 | FRANCE | N°18/04985

France | France, Cour d'appel de Rennes, 4ème chambre, 03 décembre 2020, 18/04985


4ème Chambre





ARRÊT N°431



N° RG 18/04985 -

N° Portalis DBVL-V-B7C-PA2F











HR / JV













Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 DECEMBRE 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Bri

gitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Juliette VANHERSEL, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



A l'audience publique du 22 Octobre 2...

4ème Chambre

ARRÊT N°431

N° RG 18/04985 -

N° Portalis DBVL-V-B7C-PA2F

HR / JV

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 DECEMBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Hélène RAULINE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Juliette VANHERSEL, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Octobre 2020

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Décembre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

SA AVIVA ASSURANCES, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège et es qualité d'assurance de la société AIRWELL FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 11]

Représentée par Me Anne Claire CAP, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Maître [J] [N], es qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la Société AIRWELL FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 10]

Représenté par Me Patrick TABET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

SELARL FIDES anciennement dénommée EMJ, représentée par Maître [U] [R], prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire du GAEC DES SERRES FLORALES, désignée à cette fonction par jugement du Tribunal de grande instance de BREST du 24 février 2017

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Olivier BOULOUARD de la SELARL MAGELLAN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST

SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, prise en la personne de ses représentants légaux, ès qualités d'assureur de la société AIRWELL WESPER FRANCE

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Jean-Pierre COIC de la SELARL ANTELIS COIC ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

COOPERATIVE ARTISANALE CORIA, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 13]

[Localité 7]

Représentée par Me Yann PAILLER de la SELARL BRITANNIA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST

SAS TECH'MAP, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Daniel LE FUR, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST

****

FAITS ET PROCÉDURE

Le Gaec des Serres Florales est une exploitation agricole spécialisée dans la production de fleurs sous serres à [Localité 12] (29).

La société Coopérative artisanale Coria a établi un devis le 9 septembre 2008 pour la mise en place d'une pompe à chaleur de marque Wesper fabriquée par la société Airwell, moyennant le prix de 299 000 euros pour le chauffage des serres.

Rapidement, des dysfonctionnements sont apparus auxquels la société Airwell et la société Tech'Map n'ont pas pu remédier, y compris en changeant les compresseurs en juin 2011.

Une expertise a été ordonnée le 23 janvier 2012 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest au contradictoire des sociétés Coria, Airwell et Tech'Map. Les opérations ont été étendues à la société Axa Corporate Solutions, assureur de la société Airwell, et la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices, décision contestée par la société Airwell qui a donné lieu à un arrêt confirmatif du 13 juin 2014.

Le Gaec a été placé en liquidation judiciaire le 24 février 2014. La société Fidès représentée par Me [R], son mandataire liquidateur, a repris l'instance.

En avril 2014, la société Airwell France a été placée en redressement converti en liquidation judiciaire. La société Fidès ès qualités a déclaré sa créance et les opérations d'expertise ont été étendues à Me [N], mandataire liquidateur de la société Airwell.

M. [X] a déposé son rapport le 30 juin 2015.

Par acte d'huissier en date du 15 mars 2016, la société Fides ès qualités a fait assigner les sociétés Coria, Tech'Map, Me [N] ès qualités et la société Axa Corporate Solutions devant le tribunal de grande instance de Brest pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Le 29 février 2016, la société Coria a appelé à la cause la société Aviva Assurances, précédant assureur de la société Airwell.

La société Tech'Map ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, la société Fides ès qualités a déclaré sa créance. Un plan de redressement a été adopté par un jugement en date du 6 décembre 2016.

Par un jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 30 mai 2018, le tribunal a :

- rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise ;

- dit que la Coopérative Artisanale Coria et la société Airwell France représentée par son mandataire liquidateur Me [N] sont responsables des désordres affectant la pompe à chaleur sur le fondement des dispositions des articles 1792 et 1792-4 du code civil ;

- fixé la créance de la société Fidès au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell France à la somme de 393 294 euros ;

- condamné in solidum la Coopérative artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Fides au titre des préjudices du Gaec les sommes de :

- 175 000 euros HT au titre des travaux de remise en état de la PAC ;

- 218 294 euros au titre de son préjudice économique ;

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- condamné la société Aviva Assurances à garantir la Coopérative Artisanale Coria des condamnations prononcées à son encontre ;

- fixé la créance de la Coopérative Artisanale Coria au passif de la société Airwell France à la somme de 393 294 euros ;

- débouté la société Fides et la société Aviva de leurs demandes en garantie à l'encontre de la société Axa Corporate Solutions ;

- débouté la société Fides des demandes présentées contre la société Tech'Map ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Axa Corporate Solutions la somme de 1 000 euros en remboursement de la provision pour expertise ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Fides la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;

- rejeté toute les autres demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances in solidum aux dépens comprenant les frais de procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire.

La société Aviva Assurances a interjeté appel de cette décision par déclaration du 20 juillet 2018.

Par une ordonnance en date du 9 octobre 2018, le premier président a débouté l'appelante de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire et donné acte au mandataire liquidateur du Gaec de son engagement de conserver le montant de la condamnation jusqu'à ce que la cour ait rendu son arrêt au fond.

Me [N] ès qualités, la société Fidès ès qualités et la société Coria ont relevé appel incident.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 octobre 2020.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions en date du 8 septembre 2020, la société Aviva Assurances demande à la cour de :

- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- dit que la Coopérative Artisanale Coria et la société Airwell France représentée par son mandataire liquidateur Me [N] sont responsables sur le fondement des dispositions des articles 1792 et 1792-4 du code civil des désordres affectant la PAC ;

- fixé la créance de la société Fides au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell France à la somme de 393 294 euros ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Fides au titre des préjudices du Gaec les sommes de :

- 175 000 HT au titre des travaux de remise en état de la PAC ;

- 218 294 euros au titre de son préjudice économique ;

- dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;

- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- condamné la société Aviva Assurances à garantir la Coopérative Artisanale Coria des condamnations prononcées à son encontre ;

- fixé la créance de la Coopérative Artisanale Coria au passif de la société Airwell France à la somme de 393 294 euros ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Axa Corporate Solutions la somme de 1000 euros ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances à verser à la société Prigent la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné in solidum la Coopérative Artisanale Coria et la société Aviva Assurances aux dépens ;

- dire et juger qu'aucune condamnation ne pourra être mise à sa charge ; débouter les sociétés Fidès, Coria, Tech'Map, Axa Corporate Solutions et Me [N] ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes ;

- subsidiairement, réduire en de notables proportions le montant des réclamations formulées par la société Fides ès qualités ; appliquer les conditions générales et particulières de la police souscrite par la société Airwell, à tout le moins s'agissant de la franchise contractuelle à la charge de l'assuré de 4 500 euros et des plafonds de garantie applicables au titre des frais de dépose et repose et au titre des dommages immatériels ;

- condamner en tout état de cause la société Fidès ou toute autre partie succombante à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 28 mars 2019, Me [N], mandataire à la liquidation judiciaire de la société Airwell France, demande à la cour de :

- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel incident ;

- infirmer le jugement entrepris ;

- à titre principal, prononcer purement et simplement l'annulation du rapport expertal, et ainsi, de toutes les opérations d'expertise ; en conséquence, débouter purement et simplement le GAEC des Serres Florales et toutes les autres parties de toutes demandes formées à son encontre, qu'il s'agisse de demandes tendant à ce que la responsabilité de cette dernière en tout ou partie soit retenue, concernant la cause des désordres, que toutes demandes tendant à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell France, de quelque créance que ce soit ;

- subsidiairement, si les opérations expertales n'étaient pas annulées, dire et juger celles-ci inopposables, l'accès des lieux où se trouve la pompe à chaleur lui ayant été interdit ainsi qu'aux experts mandatés par lui ; débouter purement et simplement le GAEC et toutes les autres parties de toutes demandes formées à son encontre, qu'il s'agisse de demandes tendant à ce que la responsabilité de cette dernière en tout ou partie soit retenue, concernant la cause des désordres, que toutes demandes tendant à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell France, de quelque créance que ce soit ;

- encore plus subsidiairement, si les opérations expertales venaient à ne pas être annulées et la responsabilité d'Airwell France retenue, en tout ou partie, débouter le GAEC eu égard à l'absence totale de préjudice ; dire et juger qu'Axa France doit sa garantie en qualité d'assureur de à la société Airwell France, subsidiairement, la société Aviva auprès de laquelle Airwell France était assurée de 2008 à fin 2010, avec les conséquences de droit y attachées ;

- en tout état de cause, condamner les parties qui succomberont, solidairement ou à tout le moins in solidum, à lui verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ce montant incluant les frais irrépétibles exposés tant pendant le cours de la procédure expertale, que dans le cadre de la présente instance au fond ;

- mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge du Gaec, subsidiairement, in solidum à celles du GAEC, de la société Coria et de la société Tech'Map.

Dans ses dernières conclusions en date du 2 avril 2019, la société Axa Corporate Solutions demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Brest du 30 mai 2018 ; débouter l'ensemble des parties de leurs demandes et appels incidents ;

- à titre subsidiaire, en cas de condamnation, dire opposables aux parties les franchises contractuelles de la police d'assurance souscrite par la société Airwell ;

- en tout état de cause, condamner la société Aviva ou toute partie succombante au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

Dans ses dernières conclusions en date du 9 janvier 2019, la société Coopérative Artisanale Coria demande à la cour de :

- à titre principal, réformer le jugement dont appel et débouter la société Fidès ès qualités de ses demandes à son encontre ;

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que la demande de la société Fides ès qualités au titre de son préjudice matériel ne saurait excéder 175 000 euros ;

- en tout état de cause, la débouter de ses demandes au titre du surcoût théorique de fuel, du préjudice économique, du coût des interventions Tech'map et Coria, de l'emprunt à long terme;

- à titre infiniment subsidiaire, condamner la société Axa Corporate Solutions, à défaut la société Aviva Assurances, à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ; dans cette hypothèse, fixer sa créance au passif de laliquidation judiciaire de la société Airwell à hauteur de la condamnation qui serait prononcée à son encontre ;

- condamner la société Fidès ès qualités et à défaut toute partie qui succombera à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 9 janvier 2019, la société Tech'Map demande à la cour de constater que la cour n'est saisie d'aucune demande à son encontre ni au titre de l'appel principal de la société Aviva Assurances ni au titre d'un appel incident des autres intimés et de condamner la société Aviva Assurances à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 599 du code de procédure civile pour appel dilatoire et abusif, la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions en date du 9 avril 2019, la société Fides, mandataire liquidateur du Gaec des Serres Florales, demande à la cour de:

- débouter la société Aviva Assurances de son appel, Me [N] ès qualités de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes et les appelants de toute demande présentée à son encontre ès qualités ; débouter l'ensemble des parties de leurs demandes, fins, conclusions et appels incidents ;

- confirmer le jugement déféré, à l'exception du montant des sommes allouées à la liquidation judiciaire du Gaec ;

- accueillir son appel incident ; en conséquence, condamner in solidum la coopérative artisanale Coria et la société Aviva Assurances à lui verser la somme de 567 194 euros, toutes causes de préjudice confondues, avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 30 mai 2018 et capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell France à la somme de 567 194 euros ;

- condamner in solidum la coopérative artisanale Coria et la société Aviva Assurances à lui verser la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'instance et d'appel,

MOTIFS

Sur le rapport d'expertise

Sur la demande d'annulation présentée par le mandataire liquidateur de la société Airwell France

Le mandataire liquidateur ès qualités formule un certain nombre de griefs contre l'expert judiciaire devant conduire selon lui à l'annulation de son rapport.

Aucun n'est cependant établi :

- l'expert s'est opposé à l'extension des opérations d'expertise à la société Danfoss, fabricant des compresseurs, comportement qui serait inacceptable : le tribunal ne peut qu'être approuvé pour avoir rappelé que la société Airwell n'avait pas à solliciter cet avis avant de saisir le juge des référés d'une demande d'extension, cet avis n'étant requis que pour une extension de mission (article 245 alinéa 2 du code de procédure civile) ; l'expert n'a commis aucune faute en émettant un avis qui n'allait pas dans le sens qu'elle souhaitait ;

- l'expert a refusé d'entendre contradictoirement le BET Dilasser qui était le conseil de la société Airwell : le tribunal a exactement rappelé qu'il était maître du déroulement de ses opérations à condition de respecter le principe du contradictoire et que l'avis du BET avait été librement débattu par les parties devant lui ; il précise dans le rapport avoir refusé de l'entendre parce qu'il n'a procédé à aucun examen de l'installation, outre le fait que ses observations s'étaient révélées inappropriées dans les deux autres expertises dans des affaires similaires ;

- l'expert a rédigé un pré-rapport et un rapport succincts de 21 pages et il a répondu en deux pages et demi au dire récapitulatif de la société Airwell, comportement là encore inacceptable : le rapport répond de manière argumentée à toutes les questions de la mission; en outre, il est complété par les rapports des deux sapiteurs ; alors que les premiers juges ont rejeté ce grief parce que le liquidateur n'avait pas explicité les observations auxquelles il n'aurait pas été répondu, force est de constater qu'il ne le fait pas davantage devant la cour ;

- l'expert a empêché Me [N] d'accéder au site et donc aux pompes à chaleur : il indique que ce n'était pas à lui de faire visiter l'installation au mandataire liquidateur et qu'il a organisé la dernière réunion dans un autre lieu en raison d'un risque de chute de la couverture, l'exploitation n'étant plus assurée ; le mandataire n'invoque aucun grief, étant précisé que cinq réunions s'étaient préalablement déroulées sur le site.

Le rapport est clair et circonstancié et l'expert ne s'est pas contenté des conclusions du laboratoire HRS mais a examiné toutes les causes possibles des dysfonctionnements de la pompe à chaleur.

Le jugement est confirmé par adoption de motifs en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation.

Sur l'opposabilité du rapport d'expertise à la société Aviva

L'appelante expose que l'EARL a saisi le juge des référés par assignation du 23 décembre 2011 et qu'elle n'a été attraite à la cause que le 29 février 2016, un an après le dépôt du rapport, alors que la société Axa avait émis le 23 avril 2015 un dire dans lequel elle déniait sa garantie. Elle considère que les opérations d'expertise ne lui sont pas opposables, invoquant le caractère fautif du comportement de son ancienne assurée.

L'assureur ne démontre pas que l'absence d'assignation aux opérations expertales résulte d'une volonté de fraude de la société Airwell à son égard.

Par conséquent, c'est à bon droit que le tribunal n'a pas accueilli cette demande.

Sur les responsabilités

La société Tech'Map a été définitivement mise hors de cause par les premiers juges qui ont retenu la responsabilité in solidum de la société Coria et de la société Airwell France sur le fondement de l'article 1792 du code civil pour la première, de l'article 1792-4 pour la seconde.

Ces dernières sollicitent l'infirmation du jugement.

La société Coria soutient que l'installation a été profondément modifiée par la société Airwell au cours des interventions postérieures à la mise en service, citant le changement des compresseurs et les modifications des logiciels internes attestés par les bulletins qualité produits par la société Danfoss au cours des opérations d'expertise. Elle en déduit que l'installation définitive n'est pas celle qu'elle a facturée le 28 avril 2009.

Me [N] ès qualités soutient que le laboratoire HRS n'a émis que des hypothèses, que l'une d'entre elles mettait en cause la société Danfoss et que c'est la société Coria qui a fait le choix des pompes à chaleur en refusant de suivre ses préconisations. Il considère, en outre, que le maître de l'ouvrage a contribué à son préjudice en réarmant la pompe à chaleur après chaque alarme alors qu'il convenait d'en examiner les motifs et en refusant de souscrire un contrat de maintenance.

La compagnie Aviva fait valoir que, selon le sapiteur, la présence d'incompressible peut avoir plusieurs causes et que les compresseurs n'ont pas fait l'objet d'analyses suffisantes. Elle estime que la démonstration de l'expert est insuffisante et qu'il n'a pas examiné les causes extrinsèques, notamment le dimensionnement des pompes à chaleur et les interventions inappropriées de l'exploitant lors du déclenchement des alarmes. Selon elle, aucun élément ne permet d'imputer avec certitude la cause des désordres au fabricant. Subsidiairement, elle considère que les conditions d'application de l'article 1792-4 du code civil ne sont pas réunies.

Sur la nature des désordres

Il ressort du dossier que l'ambiance des serres doit être maintenue à des températures précises selon les moments de la journée, que celles-ci devaient être assurées par deux pompes à chaleur, avec la relève de la chaudière à fuel lorsque les températures extérieures sont très froides, que l'installation a présenté des dysfonctionnements dès le mois de mars 2009 puis de manière récurrente (l'expert a relevé 23 interventions en 2010 et 49 en 2011). Le mandataire liquidateur précise que, du fait de l'insuffisance de température, les roses ne sont pas commercialisables. Un constat d'huissier du 31 août 2012 montre que toutes les variétés de roses sont abîmées par la maladie.

Ces éléments caractérisent à la fois une impropriété à destination de la pompe à chaleur qui n'a pas rempli son office et une impropriété à destination des 22 976 m² de serres du Gaec.

Le désordre est donc de nature physique décennale.

Sur la cause des désordres

Le sapiteur HRS a constaté une forte concentration de limaille sur les aimants de fond de carter, la détérioration du stator 'bobinage' par des courts-circuits causés par des morceaux de métal en provenance de la chambre de compression et du guide d'entraînement, la rupture de la fonte du bloc 'Scroll Mobil' consécutive à la destruction des spirales de compression, la rupture d'une glissière d'ergot du guide d'entraînement mécanique 'Scroll Mobil'. Il conclut : 'L'hypothèse la plus rationnelle ... nous oriente vers une destruction par incompressible de type huile par retour en grande quantité dans la chambre de compression', retour d'huile qui peut avoir cinq causes.

L'expert judiciaire a examiné la cause tenant à des démarrages fréquents et de courte durée qui peut être imputable à la conception de l'installation et non à la pompe à chaleur elle-même. Il a conclu que le dimensionnement était satisfaisant et que le type de pompe à chaleur choisi était adapté aux besoins. La bouteille casse pression ne respectant pas scrupuleusement la règles des 3D, il a effectué des enregistrements du 11 janvier au 3 février 2013 dont l'analyse n'a fait apparaître aucune anomalie. Il a indiqué que le fonctionnement des algorithmes des pompes à chaleur Airwell étant toujours le même, il n'y avait pas lieu de reproduire les essais pratiqués le 25 mars 2014 sur le site de l'EARL Prigent (affaire donnant lieu à un arrêt de ce jour).

M. [X] conclut en indiquant que l'expertise du compresseur défaillant, ses propres investigations début 2013 et celles réalisées sur la pompe à chaleur Prigent le conduisent à retenir un problème d'intégration d'éléments dans les pompes à chaleur par la société Airwell en soulignant l'absence d'essais de qualification.

Il résulte de ces éléments que les dysfonctionnements ont pour cause un vice de fabrication de la pompe à chaleur.

Ils se sont manifestés dès le démarrage de l'installation de sorte que le mandataire liquidateur et l'assureur sont malvenus d'invoquer une intervention intempestive du maître de l'ouvrage à la suite du déclenchement des alarmes ou l'absence de contrat de maintenance.

Sur les fondements juridiques

La société coopérative artisanale Coria

Un contrat d'entreprise a été conclu entre le Gaec et la société Coria par suite de l'acceptation du devis du 9 septembre 2008.

Ce devis précisant que le maître de l'ouvrage devra construire un socle un béton, le mandataire liquidateur du Gaec est fondé à revendiquer la qualification d'ouvrage de la pompe à chaleur du fait du recours aux techniques du bâtiment.

Il a été vu plus haut que la nature décennale des désordres était établie.

C'est bien la pompe à chaleur mise en place par la société Coria qui est défaillante, les modifications apportées ultérieurement par la société Airwell ayant eu pour but de remédier à ses dysfonctionnements apparus dès la mise en service.

La responsabilité de plein droit de la société Coria est engagée ainsi qu'il a été jugé.

La société Airwell France

Le mandataire liquidateur du Gaec rappelle exactement qu'il dispose d'une action contractuelle directe contre le fabricant de la pompe à chaleur mais pour autant, l'article 1792 du code civil, qui suppose l'existence d'un contrat d'entreprise, n'est pas applicable.

Il invoque à titre subsidiaire la garantie des vices cachés.

Contrairement à ce qui est soutenu par la société Axa Corporate Solutions, la cour peut modifier le fondement juridique de la condamnation si les parties le lui demandent.

Comme le rappelle la société Aviva, l'article 1792-4 du code civil est applicable aux ouvrages ou éléments d'équipement conçus et produits pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l'avance. Il n'est pas discuté que les pompes à chaleur litigieuses n'ont pas été conçues spécifiquement pour le Gaec mais fabriquées en série.

Le défaut de fabrication mis en évidence par l'expertise constitue un vice caché pour ce dernier.

Le jugement est confirmé par substitution de motifs en ce qu'il a déclaré la société Airwell responsable in solidum avec la société Coria des dommages subis par le Gaec Les Serres Florales.

Sur le partage de responsabilité

S'agissant d'un défaut de fabrication et M. [X] n'ayant mis en évidence aucune faute de la société Coria, elle est fondée à solliciter la garantie intégrale de la liquidation judiciaire de la société Airwell.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur la garantie des assureurs de la société Airwell France

Me [N] ès qualités et la société Coria réclament la garantie de la société Axa Corporate Solution, à titre subsidiaire, celle de la société Aviva. Le mandataire liquidateur du Gaec sollicite la confirmation du jugement qui a retenu la garantie d'Aviva sans présenter de demande subsidiaire.

Pour s'opposer à sa condamnation, la société Axa invoque l'article L. 124-5 du code des assurances qui dispose que l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de souscription des garanties.

Me [N] ès qualités fait valoir que le désordre n'a été révélé à la société Airwell qu'après la prise d'effet de la police souscrite auprès d'Axa, le 1er janvier 2011, par la désignation de l'expert le 23 janvier 2012 qui caractérise la découverte du sinistre.

Le fait dommageable ne résulte pas des dysfonctionnements de la pompe à chaleur, comme le prétend Axa, mais de la détermination de leur cause qui permet de retenir la responsabilité de son assurée sur le fondement de l'article 1641 du code civil. Compte tenu de ce qui précède, le fait dommageable est la fabrication des pompes à chaleur défectueuses. A la date de la souscription de la police d'assurance, la société Airwell était parfaitement informée des dysfonctionnements mais il ne ressort d'aucune pièce du dossier, notamment des rapports d'intervention de la société Tech'Map établis à sa demande, qu'elle connaissait l'existence du vice de fabrication, lequel a été mis en évidence par le rapport d'expertise après les analyses du laboratoire HRS.

La société Axa fait état de deux autres affaires similiaires concernant les pompes à chaleur de la société Prigent et de la SCEA APS Cleusmeur qui connaissaient les mêmes dysfonctionnements à la même période, les trois ayant été installées courant 2009, mais la situation est identique.

Subsidiairement, elle oppose les clauses d'exclusion de garantie des dommages matériels relevant des articles 1792 et suivants du code civil et des travaux de réparation ou remplacement des produits livrés.

Me [N] réplique que les clauses de limitation et d'exclusion de garantie ne lui sont pas opposables faute de preuve qu'elles avaient été portées à la connaissance de la débitrice.

C'est à l'assureur de rapporter la preuve qu'il a porté les clauses de limitation ou d'exclusion de garantie dont il se prévaut à la connaissance de son assuré. En l'espèce, la société Axa ne produit qu'une attestation d'assurance et une note de couverture. Faute de rapporter cette preuve, elle ne peut donc invoquer le bénéfice des clauses 4.3.1 et 4.3.3 des conditions générales.

Il en est de même des franchises contractuelles de 5 000 euros pour les dommages matériels et 50 000 euros pour les dommages immatériels.

Il est fait droit à l'appel de la société Aviva tendant à être mise hors de cause et à l'appel incident du mandataire liquidateur de la société Airwell, la société Axa Corporate Solutions étant condamnée à garantir ce dernier.

Il est également fait droit à la demande de garantie intégrale présentée à son encontre par la société Coria.

Sur l'indemnisation des préjudices de la liquidation judiciaire du Gaec Les Serres Florales

Le mandataire liquidateur du Gaec n'explicite pas le fondement juridique sur lequel il revendique la valeur du prix d'achat de la pompe à chaleur.

Compte tenu de la nature des désordres, l'expert a conclu au changement des pompes à chaleur, évaluant le coût des travaux à 175 000 euros HT. Le tribunal ne peut qu'être approuvé pour avoir limité la condamnation à ce montant.

Il réclame la confirmation de la disposition du jugement lui ayant alloué 218 194 euros au titre du surcoût de consommation d'énergie sur la base du rapport du sapiteur.

La société Coria la conteste au motif que le sapiteur a déterminé un surcoût théorique de consommation du fuel, le Gaec n'ayant fourni aucune facture en justifiant.

Ce moyen n'est pas sérieux. En effet, il résulte du rapport du sapiteur du 23 juillet 2014 qu'il a soumis sa méthode de travail aux parties pour évaluer le préjudice du Gaec et recueilli leur accord. Il a exclu la perte de production en raison des difficultés de la filière et calculé le surcoût en énergie. Il a évalué la production manquante par année et déduit de la consommation de fuel l'économie de consommation d'électricité. Il a évalué le montant total du surcoût de 2009 à 2013 à la somme de 218 194 euros.

Le jugement est également confirmé en ce qu'il a accueilli cette prétention.

Enfin, le liquidateur invoque un préjudice financier, commercial, moral et de jouissance qu'il évalue à 50 000 euros.

Le tribunal a exactement jugé que la preuve du lien de causalité entre les dysfonctionnements de l'installation de chauffage et la procédure collective n'était pas établi.

Il lui sera accordé une indemnité de 5 000 euros pour l'indemniser des tracas et du temps passé dans les différentes démarches et procédures qui ont été nécessaires pour obtenir satisfaction ainsi que des perturbations qui en ont découlé pour l'exploitation.

Le quantum de la créance du Gaec au passif de la liquidation Airwell est porté à 398 194 euros.

La société Coria est condamnée à payer cette somme au mandataire liquidateur, avec les intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2018, date du jugement, lesdits intérêts étant capitalisés conformément aux dispositions de l'ancien article 1154 du code civil.

Sa créance de garantie est inscrite au passif de la liquidation de la société Airwell.

Sur les autres demandes

La société Tech'Map est déboutée de sa demande de dommages-intérêts contre la société Aviva pour appel abusif.

La société Axa Corporate Solutions qui succombe en toutes ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance comprenant les frais de référé et d'expertise et aux dépens d'appel et à payer les sommes de 9 000 euros au GAEC Les Serres Florales représenté par son liquidateur, 3 000 euros à la société Coria et la même somme à la société Tech'Map au titre de leurs frais irrépétibles.

Il n'y a pas lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des autres parties.

La disposition du jugement ayant condamné in solidum la société Coria et la société Aviva à rembourser à la société Axa Corporate la somme de 1 000 euros versée lors de l'expertise est infirmée par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement :

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise, dit que la Coopérative Artisanale Coria et la société Airwell France représentée par son mandataire liquidateur sont responsables des désordres affectant la pompe à chaleur et débouté le mandataire liquidateur du Gaec des Serres Florales de ses demandes contre la société Tech'Map ;

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la société Coopérative artisanale Coria à payer à la société Fidès représentée par maître [R] prise en qualité de mandataire liquidateur du Gaec Les Serres Florales la somme de 398 194 euros au titre des travaux de reprise et des dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 30 mai 2018,

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.

DEBOUTE la société Fidès ès qualités du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la liquidation judiciaire de la société Airwell France représentée par son mandataire liquidateur à garantir intégralement la société Coria des condamnations prononcées au profit de la société Fidès ès qualités,

CONDAMNE la société Axa Corporate Solutions à garantir la liquidation judiciaire de la société Airwell,

DIT que la société Airwell France est entièrement responsable des préjudices subis par le Gaec Les Serres Florales,

CONDAMNE la société Axa Corporate Solutions à garantir la société Coopérative artisanale Coria de toutes les condamnations prononcées à son encontre au profit de la société Fidès ès qualités,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Airwell les créances suivantes :

- celle de la société Fidès ès qualités au titre des travaux de reprise et des dommages-intérêts à la somme de 398 194 euros,

- celle de la société Coria au titre de l'appel en garantie à la somme de 398 194 euros,

CONDAMNE la société Axa Corporate Solutions à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile :

- à la société Fidès ès qualités, la somme de 9 000 euros,

- à la société Coria, la somme de 3 000 euros,

- à la société Tech'Map, la somme de 3 000 euros,

CONDAMNE la société Axa Corporate Solutions aux dépens de première instance comprenant les frais de référé et d'expertise et aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Greffière,La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18/04985
Date de la décision : 03/12/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 04, arrêt n°18/04985 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-03;18.04985 ?
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