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21/10/2020 | FRANCE | N°18/01191

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 21 octobre 2020, 18/01191


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRET N°661



N° RG 18/01191 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OUDM









Société GAZOCEAN



C/



Mme [W] [C]

M. [I] [C]

M. [V] [C]

Mme [Z] [C] épouse [T]

M. [S] [T]

M. [Y] [T]

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

L'ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE - BCSSM





Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée






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Copie exécutoire délivrée

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Copie certifiée conforme délivrée

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2020





COMPOSITION DE LA COUR...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRET N°661

N° RG 18/01191 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OUDM

Société GAZOCEAN

C/

Mme [W] [C]

M. [I] [C]

M. [V] [C]

Mme [Z] [C] épouse [T]

M. [S] [T]

M. [Y] [T]

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

L'ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE - BCSSM

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Hélène CADIET, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Morgane LIZEE, lors des débats, et Mme Loeiza ROGER, lors du prononcé,

DÉBATS :

En chambre du Conseil du 01 Juillet 2020

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 21 Octobre 2020 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement fixé au 07 octobre 2020 ;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 14 Décembre 2017

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de SAINT-BRIEUC

****

APPELANTE :

Société GAZOCEAN, Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Philippe TOISON de la SCP TOISON VILLEY BROUD, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Madame [W] [C], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

comparante en personne,

assisté de Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [I] [C], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 6]

[Adresse 6]

comparant en personne,

assisté de Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [V] [C], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 5]

[Adresse 5]

comparant en personne,

assisté de Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Madame [Z] [C] épouse [T], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 3]

[Adresse 3]

comparante en personne,

assistée de Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [S] [T], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [Y] [T], ès qualités d'ayant droit de M. [U] [C] décédé

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

représenté par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES

L'ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Philippe ARION de la SELARL ARES, avocat au barreau de RENNES

FAITS ET PROCÉDURE :

[U] [C] a exercé la profession de marin et a notamment travaillé du 10 avril 1960 au 26 mai1985 au sein de la société Gazocéan (la société).

En 1999, des plaques pleurales lui ont été diagnostiquées et par avis du 6 mai 1999, le conseil supérieur de santé a estimé que le risque professionnel maritime pouvait être admis à hauteur de 10 %.

Suivant décision du 5 juillet 1999, l'établissement national des invalides de la marine (l'ENIM) a accordé à [U] [C] une pension d'invalidité sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % à compter du 1er juillet 1999.

Selon le certificat médical initial du 6 mai 2009, [U] [C] s'est vu diagnostiquer par la suite un carcinome épidermoïde bronchique.

Le docteur [M], pneumologue, a examiné M. [C] à la demande du médecin conseil de l'ENIM et a conclu le 4 janvier 2010 ainsi qu'il suit :

« Il s'agit d'un cancer broncho-pulmonaire primitif inscrit au tableau n° 30 bis chez un patient exposé à l'amiante et reconnu comme tel. Le taux d'IPP est de 100 % ».

Par décision du 8 avril 2010, l'ENIM a porté le taux d'IPP à 100 % et lui a attribué une pension d'invalidité calculée sur la base de ce taux.

[U] [C] est décédé des suites de cette maladie le 6 novembre 2010.

L'ENIM a reconnu le caractère professionnel du décès et sa veuve s'est vue attribuer une rente d'ayant droit par décision du 24 août 2011.

Le 22 septembre 2011, Mme [W] [C] sa veuve, M. [I] [C], Mme [Z] [C] et M. [V] [C] ses enfants, M. [S] [T] et M. [Y] [T] ses petits-enfants ont saisi l'ENIM en vue de voir reconnaître la faute inexcusable de la société.

Le 17 avril 2013, les consorts [C] ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor, lequel, par jugement du 17 décembre 2017, a :

- déclaré recevable l'action des consorts [C] ;

- déclaré opposable à la société la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de [U] [C] déclarée selon certificat médical initial du 6 mai 2009 ;

- dit que la société a commis une faute inexcusable dans la survenance de cette maladie professionnelle dont il est décédé ;

- fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente servie à Mme [W] [C] en qualité de conjoint survivant et a condamné l'ENIM à la lui payer selon le calcul prescrit par l'instruction de l'ENIM n°08 du 9 mars 2017, et ce avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- fixé à la requête du FIVA subrogé dans les droits des demandeurs la répartition des préjudices personnels subis par Mme [W] [C] sa veuve, M. [I] [C], Mme [Z] [C] et M. [V] [C] ses enfants, M. [S] [T] et M. [Y] [T] ses petits-enfants au titre de leurs préjudices moraux respectivement à 32 600 euros pour l'épouse, 8 700 euros pour chacun des enfants et 3300 euros pour chaque petit-enfant ;

- condamné l'ENIM à payer au FIVA subrogé la somme de 65 300 euros ;

- condamné la société à rembourser à l'ENIM les sommes que celui-ci est amené à payer aux ayant droits de la victime et au FIVA en exécution du jugement, intérêts compris, ainsi que l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;

- condamné la société à verser aux consorts [C] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire de cette condamnation ;

- condamné la société à verser à l'ENIM la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné le sursis à statuer pour le surplus des demandes du FIVA dans l'attente d'une quittance subrogatoire qu'il lui appartiendra de fournir au tribunal et de communiquer aux parties ;

- dit qu'à l'issue de ce sursis le dossier sera rappelé à l'initiative du FIVA ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- rappelé la gratuité de la procédure en application des dispositions de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale.

Par courrier adressé le 12 février 2018, la société a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 25 janvier 2018.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par ses conclusions n°2 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

IN LIMINE LITIS :

- juger irrecevable comme prescrite l'action en faute inexcusable engagée par les consorts [C] et le FIVA ;

- constater que le principe du contradictoire n'a pas été respecté dans le cadre de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de [U] [C] ;

- dire et juger inopposable à la société la décision de reconnaissance de la malade professionnelle de l'ENIM et que les conséquences financières de cette prise en charge et de l'éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable seront à la charge définitive de l'ENIM sans recours possible contre l'employeur ;

A TITRE PRINCIPAL :

- dire et juger recevable et bien fondée ses demandes ;

- dire et juger qu'en sa qualité d'ancien employeur, elle n'a commis aucune faute inexcusable au sens des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;

- débouter en conséquence les consorts [C] et le FIVA de l'intégralité de ses demandes ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

- constater que le lien de causalité entre la pathologie et une éventuelle faute de la société ne sont pas établis ;

- débouter en conséquence les demandeurs et le FIVA de leurs demandes ;

A TITRE TRÈS SUBSIDIAIRE, si la cour déclarait établie la faute inexcusable de la société et l'existence d'un lien de causalité :

- débouter le FIVA de ses demandes en paiement du préjudice d'agrément et à défaut, ramener le montant sollicité à de plus justes proportions ;

- ramener les demandes en paiement du FIVA au titre du pretium doloris de [U] [C] et du préjudice moral de sa veuve, des enfants et des petits-enfants à de plus juste proportions ;

- dire et juger que la majoration de la rente ne devra pas dépasser le plafond prévu par l'article 21 du décret du 17 juin 1938 relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- dire et juger que l'indemnisation éventuellement allouée au FIVA subrogé dans les droits des consorts [C] sera le cas échéant supportée par l'ENIM ;

- condamner solidairement les consorts [C] et le FIVA au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par leurs conclusions auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, les consorts [C] demandent à la cour de :

A TITRE PRINCIPAL :

- confirmer le jugement rendu le 14 décembre 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc ;

A TITRE SUBSIDIAIRE:

Vu les dispositions du régime spécial de sécurité sociale applicables aux gens de mer en vigueur avant la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011 (n°2011-127 QPC) ;

Vu les dispositions du régime spécial de sécurité sociale applicables aux gens de mer en vigueur après la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011 (n°2011-127 QPC) ;

Vu les articles 62 al. 2 et 3 de la Constitution, 2234 du code civil et 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Si la cour devait considérer que le cancer dont est décédé [U] [C] est une aggravation de ses plaques pleurales diagnostiquées le 23 juin 1998 et qu'il devait en conséquence agir en faute inexcusable avant le 23 juin 2000 :

- dire et juger que jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel, les armateurs bénéficiaient d'un principe d'immunité légale au titre de l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur engagée du fait d'une maladie professionnelle survenue dans l'exécution du contrat d'engagement maritime ;

- dire et juger que cette immunité légale constituait un obstacle légal rendant impossible tout recours à ce titre contre les armateurs ;

- dire et juger que les marins victimes d'une maladie professionnelle survenue dans l'exécution du contrat d'engagement maritime étaient donc dans l'impossibilité d'agir valablement à ce titre ;

- dire et juger que cet obstacle légal a pris fin, de droit, à compter de la publication au journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011 prise au visa du principe constitutionnel de responsabilité ;

En conséquence,

- dire et juger que le cours de la prescription attachée à l'action en reconnaissance de faute inexcusable n'a commencé à courir, s'agissant des marins victimes d'une maladie professionnelle survenue dans l'exécution du contrat d'engagement maritime, qu'à compter de la publication au journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011 ;

- dire et juger que le cours de la prescription biennale attachée à l'action en reconnaissance de faute inexcusable engagée par les ayant droits de [U] [C] n'a commencé à courir qu'à compter du 7 mai 2011 ;

- dire et juger recevable et bien fondée le recours en faute inexcusable des consorts [C] initié dans les deux ans suivants la publication au journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011 ;

En conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc du 14 décembre 2017 ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

- dire et juger que les consorts [C] sont privés d'un accès effectif au juge et d'un procès équitable au sens des dispositions de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- dire et juger recevable le recours en faute inexcusable initié par les consorts [C] ;

En conséquence,

- confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc du 14 décembre 2017 ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- condamner en cause d'appel la société à leur verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses conclusions auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a sursis à statuer sur l'indemnisation des préjudices personnels de la victime ;

Statuant à nouveau dans le cadre de l'appel incident relevé par le FIVA :

- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de [U] [C] à la somme totale de 80 600 euros se décomposant comme suit :

souffrances morales : 48 000 euros (47 100 +900)

Souffrances physiques : 16 300 euros (16000+300)

Préjudice d'agrément : 16 300 euros (16 000 +300)

- juger que l'ENIM devra verser la somme de 80 600 euros au FIVA ;

Y ajoutant :

- condamner la société à lui payer une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la parte succombante aux dépens.

Par ses conclusions n°1 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, l'ENIM demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale en toutes ses dispositions ;

- débouter le FIVA de ses prétentions en tant que subrogé dans les droits de la victime directe ou, à défaut, les réduire à de plus justes proportions ;

- dans tous les cas, dire et juger que tout préjudice permanent de la victime directe devra faire l'objet d'une proratisation prorata temporis par multiplication de 0,49 années puis division par l'espérance de vie au jour de la consolidation, soit 10 723 euros ;

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la majoration de la PIMP d'ayant cause accordée à sa veuve, Mme [W] [C] ;

- condamner la société à lui rembourser toutes sommes qu'il pourrait être amené à avancer sous quelque forme que ce soit tant aux consorts [C] qu'au FIVA, au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable ;

- débouter la société de toutes ses demandes ;

- condamner la société à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience du 1er juillet 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il est désormais constant depuis le 6 mai 2011, en suite de la décision du Conseil constitutionnel, que tout marin victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle au cours de l'exécution du contrat d'engagement maritime, ou ses ayants droit, peuvent, en cas de faute inexcusable de l'employeur, demander devant la juridiction de sécurité sociale le bénéfice du livre IV du code de la sécurité sociale ainsi que l'indemnisation des préjudices complémentaires non expressément couverts par les dispositions de ce livre.

1. Sur la recevabilité du recours en faute inexcusable de l'employeur au regard de la prescription :

Il résulte des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues au titre de la faute inexcusable se prescrivent par deux ans à dater notamment soit de la date de la première constatation médicale de la maladie, soit de la date de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, celle-ci interrompant l'action en reconnaissance de la faute inexcusable et faisant courir un nouveau délai de deux ans (2ème Civ., 24 janvier 2013, n°11-28.707, 11-28.595), soit de la date de cessation du paiement des indemnités journalières.

En l'espèce, suivant décision du 5 juillet 1999, l'ENIM a accordé à [U] [C] une pension d'invalidité sur la base d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % à compter du 1er juillet 1999 du fait de la présence de plaques pleurales, tableau n°30 A (pièce n°2 de l'ENIM).

Selon le certificat médical initial du 6 mai 2009 (pièce n°9 des consorts [C]), [U] [C] a présenté une nouvelle maladie en lien avec l'exposition à l'amiante, déclarée en tant que telle à l'ENIM dans les termes suivants :

« carcinome épidermoïde bronchique chez un patient suivi pour plaques d'asbestose - MP n°30 C ».

Le docteur [M], pneumologue, a examiné M. [C] à la demande du médecin conseil de l'ENIM et a conclu le 4 janvier 2010 comme suit :

« Il s'agit d'un cancer broncho-pulmonaire primitif inscrit au tableau n° 30 bis chez un patient exposé à l'amiante et reconnu comme tel. Le taux d'IPP est de 100 % ».

Par décision du 8 avril 2010, l'ENIM a porté le taux d'IPP à 100 % et lui a attribué une pension d'invalidité calculée sur la base de ce taux (pièce n°3 de l'ENIM) en ces termes :

« Considérant que Monsieur [U] [C] s'est vu accorder par décision du 5 juillet 1999 une pension d'invalidité pour maladie professionnelle calculée sur la base de 10 % d'incapacité permanente partielle pour compter du 1er juillet 1999 ;

Considérant que le conseil supérieur de santé en séance du 17 mars 2010 a émis l'avis que le taux d'incapacité permanente partielle s'est modifié depuis le précédent examen ;

Que Monsieur [U] [C] est atteint, du fait de cette maladie, d'une incapacité permanente partielle de évaluée à 100 % ;

(...)

DÉCIDE :

Article 1 : Monsieur [U] [C] peut bénéficier d'une révision de sa pension d'invalidité pour maladie professionnelle pour compter du 17 juin 2009, date fixée par le conseil supérieur de santé et correspondant à la date de la demande de révision de pension de l'intéressé ; (...). »

La manière dont l'ENIM a conduit l'instruction du dossier importe peu dès lors qu'il s'agit sans conteste de deux pathologies distinctes déclarées comme telles par [U] [C], qu'elles ont un siège anatomique pulmonaire différent, qu'elles sont prévues par des tableaux de maladie professionnelle distincts, et que selon la littérature médicale, la seconde ne peut résulter de l'évolution spontanée des séquelles de la première maladie prise en charge.

En statuant sur le taux d'incapacité et la rente en découlant, pour majorer la rente déjà allouée au titre d'une première maladie professionnelle, la décision de l'ENIM emporte nécessairement reconnaissance du caractère professionnel de la maladie nouvellement apparue.

Il sera en conséquence considéré que le point de départ de la prescription biennale se situe le 8 avril 2010, date de la décision de l'ENIM par laquelle [U] [C] a été informé du taux d'IPP attribué mais également de la prise en charge de sa pathologie cancéreuse au titre de la législation professionnelle.

Les consorts [C] ayant saisi l'ENIM d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société le 22 septembre 2011, soit dans le délai sus rappelé, aucune prescription ne saurait leur être opposée.

Leur demande sera déclarée recevable et le jugement confirmé sur ce point.

2. Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable :

La faute inexcusable de l'employeur ne peut être recherchée qu'autant qu'est établi le caractère professionnel de la maladie ou de l'accident.

2.1. Sur le caractère professionnel de la maladie dans les rapports entre l'employeur et l'assuré :

S'applique en l'espèce le décret du 17 juin 1938 précité, qui, dans son article 21-4 dispose que « les maladies mentionnées au tableau prévu à l'article L. 461-2 du code de la sécurité sociale sont présumées trouver leur origine dans un risque professionnel, dès lors qu'est établi, après avis du Conseil de Santé du régime de sécurité sociale des marins et des gens de mer, le lien avec l'exercice d'une activité entraînant affiliation au régime de sécurité sociale des marins. Dans ce cas les durées d'exposition aux risques et les délais de prise en charge définis par ses tableaux s'applique au régime des marins. »

La maladie est présumée professionnelle quand sont réunies les conditions d'un tableau de maladies professionnelles relatives à la désignation de la maladie, au délai de prise en charge, et aux principaux travaux susceptibles de provoquer la maladie.

En l'espèce, le certificat médical initial rédigé par le médecin généraliste de [U] [C] fait état de « carcinome épidermoïde bronchique chez un patient suivi pour plaques d'asbestose - MP n°30 C ».

Le professeur [M], pneumologue, qui a examiné [U] [C] à la demande du médecin contrôleur de l'ENIM, a conclu au terme de son examen que [U] [C] présente une pathologie correspondant au tableau 30 bis du régime général et non 30 C, en l'occurrence « un cancer broncho-pulmonaire primitif (...) chez un patient exposé à l'amiante et reconnu comme tel ».

La maladie déclarée n'a pu qu'être prise en charge par l'ENIM sous cette dernière classification.

Le décès de [U] [C] est bien la conséquence d'un cancer broncho-primitif au regard de la décision de l'ENIM (pièce13 des consorts [C]) laquelle n'est pas utilement contredite.

Les travaux susceptibles de provoquer cette maladie professionnelle sont listés de façon limitative dans les tableaux.

Ils comprennent notamment des travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.

Les délais de prise en charge (40 ans) et d'exposition (10 ans) ne sont pas discutés.

La société conteste en revanche que [U] [C] a été exposé à l'amiante dans des proportions de nature à générer une telle maladie.

Elle fait valoir que l'existence d'une exposition fautive doit s'apprécier au regard des valeurs limites d'exposition en vigueur durant la période pour laquelle les consorts [C] prétendent que [U] [C] a été exposé auprès de son employeur ; que même si la présence d'éléments d'équipement à base d'amiante ne peut être exclue, les relevés d'empoussièrement produits sont très en-deçà de la valeur limite d'exposition en vigueur.

Ces affirmations de la société sont contredites par les pièces du dossier et les attestations versées au dossier par les consorts [C].

[U] [C] a occupé le poste de mécanicien, puis officier et chef mécanicien au sein de la société, principalement sur des navires à moteur transporteurs de gaz de pétrole liquéfiés.

La société définit dans ses écritures le métier de mécanicien comme consistant à « réaliser les opérations d'entretien, de maintenance et de réparation des installations du navire afin d'assurer la sécurité de la navigation et de l'exploitation » ; celui d'officier mécanicien comme consistant « à assurer la surveillance et la conduite des moteurs et machines, suivant un service par quart sur des navires non automatisés » ; celui de chef mécanicien comme « une fonction de commandement et de donneur d'ordres tendant à superviser les travaux de maintenance et assurer le bon fonctionnement des appareils ».

Il résulte de l'attestation de M. [J] [P], commandant de bord, les éléments suivants :

« M. [U] [C] a navigué plusieurs fois avec moi. Il était chef mécanicien sur les Navires « Marcelin Berthelot » et Pythagore ». Ces navires n'avaient pas de cabine insonorisée et le mécanicien faisait son quart dans le local moteur et était exposé aux bruits, aux poussières d'amiante tous les jours pendant 8 heures et parfois plus. Il faut noter que les collecteurs étaient isolés et ignifugés avec de l'amiante ». (pièces n°18 des consorts [C])

De même, M. [L] [A] relate que :

« J'ai commandé des navires de la société Gazocéan de 1959 à 1983. C'est pendant cette période que M. [C] [U] a été employé par cette société comme officier mécanicien. Le hasard des affectations a fait que nous avons été, de nombreuses fois, embarqués ensemble sur différents navires. A cette époque, pour l'isolation de certains compartiments machines, la construction navale utilisait surtout de l'amiante. Tout le personnel du bord mais tout principalement les mécaniciens étaient exposés aux risques présentés par ce matériau et cela vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant tout leur embarquement. Les embarquements s'étiraient sur une période de trois à six mois, suivant l'époque et les circonstances, séparés par les congés légaux ». (pièce n°19 des consorts [C])

Enfin, M. [H] [C] indique dans son attestation « avoir navigué à la société Gazocéan en compagnie de M. [U] [C], pendant une durée de 15 ans. Nous étions tous les deux officier mécanicien et faisions le quart (2X4) dans la machine sans cabine insonorisée ni climatisation dans les poussières d'amiante qui enrobaient les colleteurs d'échappement des moteurs ». (pièce n°15)

Ces attestations concordantes, précises et factuelles ont toute valeur probante.

Les mesures de l'empoussièrement au niveau de la salle des machines produites par la société (pièce n°2) sont récentes (à compter de 2001) et ne concernent pas les navires sur lesquels M. [C] a navigué étant souligné que l'intéressé a cessé son activité en 1985. Elles sont donc sans utilité pour les débats, la société se contentant d'affirmer sans le démontrer que ces relevés sont transposables aux navires sur lesquels [U] [C] a exercé ses fonctions.

S'agissant d'un salarié ayant été exposé à l'amiante, pour qu'une faute inexcusable puisse être reconnue, son exposition doit avoir été habituelle, peu important le fait qu'il n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation d'amiante. Il n'est pas nécessaire d'établir que l'exposition a été massive.

Il est ainsi établi que M. [C] travaillait en salle des machines, que l'amiante était un matériau très répandu à bord s'agissant des navires sur lesquels M. [C] était affecté et qu'il était en contact habituel avec ce matériau de par sa présence dans cette salle et du fait tant de ses fonctions de mécanicien opérant la maintenance d'équipements calorifugés à l'amiante que de celles d'encadrement qui l'amenaient nécessairement à se trouver à proximité des mécaniciens.

Ainsi, la condition d'exposition à l'amiante est clairement démontrée, en sorte que trouve à s'appliquer la présomption d'imputabilité de l'article 21-4 précité. Le caractère professionnel de la maladie est parfaitement établi.

2.2. Sur les autres conditions de la faute inexcusable :

Des articles L.230-2 et suivants du code du travail, dans leur version applicable au moment de l'exposition aux risques, devenus L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code, rendus applicables par l'article L. 5541-1 du code des transports aux marins salariés des entreprises d'armement maritime, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation de sécurité constitue une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit d'en apporter la preuve.

En considération de l'importance et de la nature de son activité, des moyens d'information à sa disposition, du poste de mécanicien auquel était affecté [U] [C] et de l'état de la réglementation applicable à l'époque, la société ne pouvait ignorer au moins depuis 1945, date de création du tableau n°30 qu'elle exposait ses mécaniciens aux dangers de l'inhalation de poussières d'amiante contenue dans ses navires utilisée comme isolant et dont les poussières étaient dispersées dans les salles des machines.

Quelle que soit la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques pouvant en certains domaines encore subsister à l'époque, tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau.

Dès 1955, la liste des travaux exposant aux risques d'inhalation des poussières d'amiante est devenue indicative et tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quelque soit le type de travail effectué, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre celui-ci.

De la même façon, le décret du 17 août 1977 imposant des mesures particulières dans les locaux où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante, n'avait pas pu ne pas attirer l'attention de la société sur les dangers de l'exposition de [U] [C] à l'inhalation de telles poussières.

L'interdiction de l'utilisation de l'amiante en 1996 n'est que la conclusion qui s'imposait et la phase ultime de la prise de conscience des dangers de ce matériau pour la santé humaine dont la réalité était connue depuis de nombreuses années. Elle ne peut donc être utilement invoquée par la société pour invoquer l'absence de conscience du danger avant cette date.

La carence de l'Etat ou des autorités de tutelle ne peut dispenser l'entreprise employeur, seule titulaire et débitrice à l'égard de son salarié d'une obligation générale de sécurité même à l'égard de produits au contact desquels se trouvaient exposés notamment par manipulation ses salariés, de prendre les mesures de prévention et de protection qu'imposait la situation, alors qu'il était officiellement reconnu que les travaux en relation avec l'amiante étaient de nature ou susceptibles d'apporter chez le personnel des affections professionnelles.

La société ne peut être admise à faire valoir qu'elle n'a pris aucune de ces mesures dans l'ignorance où elle se serait trouvée des dangers encourus.

Il est par ailleurs établi que l'employeur n'avait fourni aux marins embarqués aucune mesure de protection, et l'employeur n'excipe d'ailleurs d'aucune mesure de protection qu'il aurait été amené à fournir, qu'elle soit individuelle ou collective, permanente, appropriée, suffisante et efficace et de nature à protéger les salariés.

Il appartenait à l'employeur de prendre toutes mesures nécessaires pour connaître et contrôler les conditions réelles et effectives dans lesquelles il faisait travailler [U] [C], ce qu'il n'a pas fait.

L'employeur n'a enfin délivré aucune information sur la nature de ce produit et ses dangers.

Il est justifié en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle dont [U] [C] était atteint et qui a entraîné son décès est due à la faute inexcusable de son l'employeur la société Gazocéan.

3. Sur les conséquences de la faute inexcusable de l'employeur :

3.1. Sur l'action successorale :

Dès lors que la maladie est reconnue comme étant d'origine professionnelle et qu'elle est imputable à la faute inexcusable de l'employeur, il est justifié de faire application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale selon lequel : « indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».

S'agissant de la majoration de rente, l'article L. 452-2 du même code précise en son alinéa 3 que « lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.

Il est établi que l'état de santé de [U] [C] était consolidé avant son décès et qu'à la date de la consolidation son incapacité était bien de 100 %, ainsi que cela résulte de l'expertise du docteur [M] et de la décision de l'ENIM du 8 avril 2010.

Au regard de cette décision fixant le point de départ de la PIMP (pension d'invalidité pour maladie professionnelle) au 17 juin 2009, c'est à cette date que sera fixée la consolidation avec un taux d'incapacité permanente fixé à 100 %.

La date de 1ère constatation de la maladie doit être fixée au 27 mars 2009, ainsi que mentionnée par le docteur [O], pneumologue, dans son certificat médical (pièce n°7 des consorts [C]).

3.1.1 Sur l'attribution à la succession de l'indemnité forfaitaire :

Dans la mesure où la PIMP de [U] [C] ne peut être majorée, puisque assise sur un taux utile de 100 %, ses ayants droit ne peuvent que solliciter le versement de l'allocation à la succession de l'indemnité forfaitaire, sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, correspondant au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de la consolidation, soit le 17 juin 2009.

Elle sera versée directement par l'ENIM à la succession.

La décision entreprise sera confirmée sur ce point.

3.1.2 Sur les préjudices complémentaires :

Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Il résulte des articles L.434-1, L.434-2 et L.452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, en sorte que sont réparables en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent. (Pourvoi 1529437).

Les premiers juges ayant sursis à statuer sur les préjudices personnels de la victime dans l'attente de la production par le FIVA d'une quittance subrogatoire, il convient d'infirmer la décision de première instance eu égard à l'attestation de l'agent comptable du FIVA (pièce n°11 du FIVA) et de fixer ceux-ci.

' Sur les souffrances physiques :

Il est justifié de retenir qu'entre la date de première constatation de la maladie (27 mars 2009) et la consolidation de celle-ci (17 juin 2009) [U] [C] a souffert d'une dégradation de son état général avec une majoration de la dyspnée.

Il a subi un traitement chimiothérapique (6 cures) purement palliatif.

Il est décédé 18 mois après la première constatation de la maladie.

En réparation de ce préjudice nécessairement subi avant consolidation, la cour trouve dans la cause des éléments suffisants pour allouer la somme de 16 300 euros et de faire droit à due concurrence au recours subrogatoire du FIVA.

' Sur les souffrances morales :

Il convient de relever que l'annonce d'un cancer broncho-primitif engendre, par elle-même et dès sa formulation, par nature extrêmement brutale, l'inquiétude d'une évolution défavorable s'agissant d'une pathologie incurable d'une part et qui implique d'autre part la perspective, dès cette annonce, d'avoir à se soumettre à des traitements invasifs dont les effets secondaires sont eux mêmes préjudiciables.

Il s'en suit que ce préjudice est nécessairement subi avant la consolidation et n'est pas réparé par la rente.

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour allouer en réparation de ce préjudice la somme de 48 000 euros et de faire droit à due concurrence au recours subrogatoire du FIVA.

' Sur le préjudice d'agrément :

Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure. Il appartient à la victime ou à ses ayants droit de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.

En l'espèce, le FIVA a versé aux ayant droits la somme de 16 300 euros de ce chef de préjudice.

Il n'est produit aux débats aucune attestation s'agissant de la pratique par [U] [C] d'une activité spécifique de sport ou de loisirs de sorte qu'aucune indemnisation ne peut être allouée de ce chef.

Le FIVA sera débouté de sa demande.

3.2. Sur la réparation du préjudice personnel des ayants droit :

3.2.1. Sur la majoration de la rente du conjoint survivant :

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente servie à Mme [W] [C] en qualité de conjoint survivant, selon l'instruction de l'ENIM du 9 mars 2017.

3.2.2. Sur le préjudice moral des ayants droit :

La vie commune des époux [C] a duré 48 ans.

En réparation du préjudice moral de Mme [C], qui a assisté à la dégradation de l'état de santé de son époux et l'a accompagné dans sa dernière maladie, il est justifié d'allouer la somme de 32'600 euros.

Il est également justifié d'allouer à chacun des enfants, majeur et qui avait quitté le domicile familial, la somme de 8 700 euros.

Il est également justifié d'allouer à chacun des petits-enfants, la somme de 3 300 euros.

Le jugement sera en conséquence confirmé sur l'ensemble de ces indemnisations.

4. Sur le recours de l'ENIM contre l'employeur :

4.1. Sur l'opposabilité à l'employeur de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle :

Les dispositions applicables à la procédure d'instruction de la demande de prise en charge, dans les rapports entre l'ENIM et l'employeur, relèvent du décret loi du 17 juin 1938 modifié, dans leur version applicable.

Ces dispositions spéciales ne contraignent pas l'ENIM au respect de la procédure prévue au code de la sécurité sociale dans le cadre du régime général, s'agissant de l'instruction d'une demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle.

La décision du Conseil constitutionnel du 6 mai 2011 précitée ne doit pas être interprétée au-delà de son objet et s'étendre à l'applicabilité de la procédure prévue par les articles R.441-11 et suivants du code de la sécurité sociale.

A ce titre, le décret n°2015-356 du 27 mars 2015 a modifié le décret loi du 17 juin 1938 en insérant un article 9-1, transposant ainsi les dispositions du régime général au régime spécial de l'ENIM s'agissant de l'obligation d'information de l'employeur.

Ce décret du 27 mars 2015 prévoit expressément une entrée en vigueur du texte le lendemain de sa publication, soit le 30 mars 2015, ce qui signifie que le dispositif visant à encadrer le caractère contradictoire de la procédure n'était pas applicable antérieurement.

L'inopposabilité à l'employeur de la décision de l'ENIM ne saurait venir sanctionner la méconnaissance de règles alors inexistantes.

Pour autant, l'employeur n'est pas privé de la possibilité de contester le caractère professionnel de la maladie devant la juridiction de sécurité sociale, cette reconnaissances étant au contraire le préalable à l'action dont s'agit.

Il n'est en conséquence pas porté atteinte au principe de l'égalité des armes au sens des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme invoquée dès lors que dans le cadre de la présente instance, la société a la possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

La décision entreprise qui lui a déclaré opposable la décision de reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie sera confirmée.

4.2. Sur l'assiette du recours :

Selon les dispositions de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013 «quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L. 452-3 ».

La réserve d'interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel, certes relative au 8° de l'article L.412-8 du code de la sécurité sociale et 2° de l'article L.413-12 du code de la sécurité sociale aux termes desquels aucune pension majorée ou indemnité complémentaire n'était prévue au profit des marins en cas de faute inexcusable de leur employeur, dès lors que le dommage est survenu en mer, modifie le droit existant en ouvrant aux marins le bénéfice de la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable, y compris pour les maladies professionnelles survenues dans l'exécution du contrat d'engagement maritime, droit qui leur était jusqu'alors refusé par la loi.

Ces dispositions sont déclarées conformes à la Constitution sous la réserve qu'elles « ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, être interprétées comme faisant, par elles-mêmes, obstacle à ce qu'un marin victime, au cours de l'exécution de son contrat d'engagement maritime, d'un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son employeur puisse demander, devant les juridictions de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 du titre V du livre IV du code de la sécurité sociale».

Ces dispositions susvisées relatives à la faute inexcusable ou intentionnelles de l'employeur renvoient aux articles L.452-1 à L.452-5 du code de la sécurité sociale. Or, les dispositions d'ordre public de l'article L.452-2 ne fixent comme seule limite à la majoration, en son alinéa 4, que le montant du salaire annuel pour l'ensemble des ayants droit.

La majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par l'organisme social dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement de la rente.

En l'espèce, seule la veuve peut prétendre à une rente et il n'est pas établi que la majoration de cette rente, en application de l'instruction du 9 mars 2017 qui ne fait que tirer les conséquences des décisions précitées du Conseil constitutionnel, porte celle-ci à un montant supérieur au salaire annuel de référence de la victime.

Ce n'est donc pas sur le fondement de cette circulaire en effet dépourvue de valeur normative qu'il convient d'examiner la demande de l'ENIM mais sur celui de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

L'ENIM est en conséquence bien fondé à faire valoir qu'il dispose d'un recours à l'encontre de la société en remboursement des sommes qu'il sera amené à verser tant aux consorts [C] qu'au FIVA.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

5. Sur les mesures accessoires :

Pour des motifs tirés de l'équité, il sera fait droit aux demandes d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile par les consorts [C], le FIVA et l'ENIM.

S'agissant des dépens, si la procédure était, en application de l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale gratuite et sans frais, l'article R.142-1-1 II, pris en application du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, dispose que les demandes sont formées, instruites et jugées selon les dispositions du code de procédure civile, de sorte que les dépens sont régis désormais par les règles de droit commun conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société, laquelle succombe en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor en date du14 décembre 2017 en ce qu'il a :

- déclaré recevable l'action des consorts [C] ;

- dit que la maladie professionnelle déclarée par le certificat médical du 6 mai 2009 dont [U] [C] était atteint est due à la faute inexcusable de son employeur ;

- fixé la majoration de la rente due à sa veuve à son maximum ;

- dit que cette rente sera versée par l'ENIM ;

- accordé à la succession de [U] [C] l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal au 17 juin 2009 à laquelle [U] [C] aurait pu prétendre avant son décès en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

- dit que cette indemnité forfaitaire sera versée directement à la succession de [U] [C] par l'ENIM ;

- fixé la réparation des préjudices personnels subis par Mme [W] [C] sa veuve, M. [I] [C], Mme [Z] [C] et M. [V] [C] ses enfants, M. [S] [T] et M. [Y] [T] ses petits-enfants au titre de leurs préjudices moraux respectivement à 32 600 euros pour l'épouse, 8 700 euros pour chacun des enfants et 3300 euros pour chaque petit-enfant ;

- condamné l'ENIM à payer au FIVA subrogé la somme de 65 300 euros ;

- déclaré opposable à la société la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de [U] [C] déclarée selon certificat médical initial du 6 mai 2009 ;

- condamné la société Gazocéan à rembourser à l'ENIM les sommes que celui-ci est amené à payer aux ayant droits de la victime et au FIVA en exécution du jugement, intérêts compris, ainsi que l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;

- débouté les parties du surplus de leur demande ;

- condamné la société à verser aux consorts [C] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné l'exécution provisoire de cette condamnation ;

- condamné la société à verser à l'ENIM la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- ordonné le sursis à statuer pour le surplus des demandes du FIVA dans l'attente d'une quittance subrogatoire qu'il lui appartiendra de fournir au tribunal et de communiquer aux parties ;

- dit qu'à l'issue de ce sursis le dossier sera rappelé à l'initiative du FIVA ;

STATUANT sur les chefs infirmés :

FIXE les préjudices personnels de [U] [C] comme suit :

- souffrances morales : 48 000 euros ;

- souffrances physiques : 16 300 euros ;

DEBOUTE le FIVA de sa demande au titre du préjudice d'agrément ;

CONDAMNE en conséquence l'ENIM à payer au FIVA subrogé la somme de 64 300 euros au titre des préjudices personnels de [U] [C] ;

Y AJOUTANT ;

CONDAMNE la société Gazocéan à verser aux consorts [C] la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Gazocéan à verser au FIVA la somme de 1  500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Gazocéan à verser à l'ENIM la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Gazocéan aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 18/01191
Date de la décision : 21/10/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes SS, arrêt n°18/01191 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-21;18.01191 ?
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