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20/10/2020 | FRANCE | N°20/02156

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 20 octobre 2020, 20/02156


1ère Chambre





ARRÊT N°374/2020



N° RG 20/02156 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QS6R













S.A.S.U. RT FRANCE



C/



S.A.S.U. CIMEO CONSTRUCTION

S.A.S.U. DE GIVRAY





















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 O

CTOBRE 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRE, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et ...

1ère Chambre

ARRÊT N°374/2020

N° RG 20/02156 - N° Portalis DBVL-V-B7E-QS6R

S.A.S.U. RT FRANCE

C/

S.A.S.U. CIMEO CONSTRUCTION

S.A.S.U. DE GIVRAY

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRE, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 01 Septembre 2020

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Octobre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La société RT FRANCE, SASU agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenée par Me Basile ADER de la SCP August Debouzy, plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

La société CIMEO CONSTRUCTION, SASU, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 2]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Philippe GUILLOTIN de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

La société DE GIVRAY, SARL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 8]

[Localité 3]

Représentée par Me Charlotte GARNIER de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Philippe GUILLOTIN de la SELARL GUILLOTIN, LE BASTARD ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er avril 2020 à 22 heures 25, la SASU RT France, entreprise de presse, a publié sur son site internet, dont le nom de domaine est RT.com, en illustration d'un article intitulé 'Attestations illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés '' stigmatisant des employeurs du secteur d'activité de la construction et du BTP, une photographie représentant une grue de chantier portant le logo de la société Cimeo Construction avec la légende 'une grue sur un chantier breton (image d'illustration)'. Cette photographie était reprise en lien avec l'article sur les comptes Facebook et Twitter de la société. La SASU Cimeo Construction, filiale de la SARL de Givray qui en est le représentant légal, société exerçant son activité dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, lui adressait le 2 avril 2020 un courriel à la suite duquel, le même jour à 13 heures 18, la photographie litigieuse était retirée de l'article. Cette suppression était également opérée, le 7 avril 2020, des sites Twitter et Facebook de la société RT France. Cependant l'article, accompagné de son illustration initiale, avait été auparavant copié par des internautes et reproduit sur leurs blogs ou comptes Twitter, la photographie litigieuse restant également associée, par le moteur de recherche Google, aux mots clés 'Attestations illégales' ou 'Attestations illégales employeurs'.

Après mise en demeure du 3 avril 2020 et autorisation du 7 avril 2020, les sociétés Cimeo Construction et de Givray ont, le 10 avril 2020, fait assigner d'heure à heure devant le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Brieuc, la société RT France aux fins de la voir condamnée à retirer ou faire retirer du réseau internet, notamment du réseau Twitter et du moteur de recherche Google, tout lien entre l'article et l'image litigieuse. Elles faisaient valoir que cinq occurrences de la photographie litigieuse existaient toujours sur des sites appartenant à des tiers à la société RT France :

- une image tirée du blog d'un certain [05]

- une image tirée du blog d'un certain [06],

- une image tirée du blog [07],

- une image tirée du compte Twitter lAmSyria,

- une image tirée du compte Twitter deaduck.

Elles se plaignaient également du fait que la photographie légendée par référence à l'article était toujours associée sur le moteur de recherche Google image aux mots clés 'Cimeo', 'attestations illégales' ou 'attestations illégales employeur'.

Par ordonnance du 14 avril 2020, le président du tribunal de commerce de

Saint-Brieuc a :

- débouté la société RT France de l'ensemble de ses demandes tendant à déclarer irrecevable l'assignation du 8 avril 2020 et de ses autres demandes ;

- condamné la société RT France à retirer ou faire retirer du réseau internet, notamment du moteur de recherche Google, tout lien vers l'image litigieuse comportant la dénomination commerciale Cimeo Construction avec l'article paru le 1er avril 2020 à 22 heures 25 et dénommé «Attestations illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés '» et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

- dit que dans le délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance, l'astreinte provisoire deviendra exécutoire ;

- dit qu'il appartiendra aux sociétés Cimeo Construction et de Givray de saisir à nouveau le juge des référés du tribunal pour faire exécuter l'astreinte ;

- condamné la société RT France à supprimer l'adresse URL correspondant à la page internet qui contient l'article paru le 1er avril 2020 à 22 heures 25 et dénommé « Attestations illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ' », et mise en ligne le 1er avril 2020 à 22 heures 25 ;

- condamné la société RT France à payer aux sociétés Cimeo Construction et de Givray la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Après le prononcé de la décision critiquée, la société RT France a procédé à la modification de l'adresse URL de son article, l'adresse URL initiale renvoyant vers une page d'erreur, puis vers un article étranger aux faits de la cause. Elle a également entrepris des diligences aux fins d'obtenir des éditeurs ou hébergeurs de sites ayant repris l'article dans sa version initiale, la suppression de la photographie en cause.

Le 30 avril 2020, la SASU RT France a relevé appel de l'ordonnance du 14 avril 2020 et a été autorisée, le 12 mai 2020, à faire assigner son adversaire à jour fixe à l'audience du 1er septembre 2020. Elle demande à la cour à titre principal :

- de requalifier l'action sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et de son article 29 alinéa 1er ;

- d'annuler la procédure de 1ère instance et le 'jugement',

- dans tous les cas, de juger l'action irrecevable consécutivement à la nullité et pour le moins à la non-conformité de l'assignation du 8 avril 2020 en application de l'article 53 de la loi de 1881,

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- juger la société de Givray irrecevable pour défaut d'intérêt à agir à défaut d'être identifiable ou désignée par la photographie litigieuse,

- juger les sociétés Cimeo et de Givray irrecevables pour défaut d'intérêt à agir, les demandes étant privées d'objet pour avoir été spontanément exécutées avant l'introduction de l'instance,

- juger l'action irrecevable à son encontre à raison du défaut de qualité à agir du défendeurr,

- dire n'y avoir lieu à référé en raison de l'existence d'une contestation sérieuse à raison notamment de l'inexistence légale d'un droit à l'image pour les sociétés qui serait fondé sur l'article 9 du code civil réservé aux personnes physiques,

- dire n'y avoir lieu à référé en raison de l'absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent au sens de l'article 873 du code de procédure civile,

- en conséquence, infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Saint Brieuc le 14 avril 2020 en toutes ses dispositions,

- statuant à nouveau, débouter les sociétés Cimeo et de Givray de toutes leurs demandes et les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure et les dépens, en ce compris ceux de première instance incluant les frais de constat, de signification et de greffe.

En réponse, les sociétés intimées concluent à la confirmation de l'ordonnance critiquée et demandent à la cour de :

- constater que les demandes de la société RT France sont sans objet et donc infondées ; en conséquence, de la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- y additant, la condamner à payer à chacune d'entre elles la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ,

- condamner la société RT France à leur payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'instance.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux conclusions déposées par la société RT France le 29 août 2020 et par les intimées le 28 juillet 2020.

Les parties ont été invitées à l'audience à présenter leurs observations sur le moyen soulevé d'office par la cour de l'irrecevabilité comme tardive de l'exception de nullité de l'assignation introductive d'instance et de la décision subséquente. La société appelante a convenu de l'irrecevabilité de l'exception soulevée par elle à titre principal tandis que les intimées s'en sont rapportées à justice, les parties indiquant ne pas souhaiter adresser de note en délibéré comme proposé par la cour.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Les sociétés intimées soutiennent que l'ordonnance dont appel ayant été intégralement exécutée conformément à leur attente, les demandes de la société RT France seraient devenues sans objet. Elles en déduisent que l'appel est sans objet. Mais l'exécution nonobstant appel d'une décision de première instance assortie de l'exécution provisoire, telle la décision critiquée, ne vaut pas acquiescement à cette décision de sorte que le moyen n'est pas fondé. En conséquence, la demande de dommages-intérêts pour appel abusif ne peut qu'être rejetée.

Devant la cour, la société RT France soulève pour la première fois la nullité de l'assignation introductive d'instance au motif qu'elle ne respecte pas les dispositions de l'article 53 de la loi 29 juillet 1881. Elle fait valoir que les faits dénoncés par les sociétés Cimeo construction et de Gifray, s'analysant en une diffamation, devaient être poursuivis sur le fondement de cette loi et que l'assignation devait en conséquence, à peine de nullité, respecter le formalisme prévu par les dispositions de son article 53.

Cependant, conformément à l'article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public et que la partie à laquelle elle est opposée n'invoquerait pas sa tardiveté. Il s'ensuit que le moyen tiré de la nullité de l'assignation et de l'ordonnance subséquente est irrecevable. Cette exception de nullité tardivement soulevée étant irrecevable ne peut avoir d'effet sur la recevabilité de l'action en référé elle-même, laquelle était fondée sur les articles 872 et 873 du code de procédure civile et non sur l'article 9 du code civil.

A titre subsidiaire, la société RT France invoque l'irrecevabilité de l'action intentée par la société de Givray faute d'intérêt à agir, dans la mesure où celle-ci ne serait ni identifiable, ni désignée par la photographie litigieuse. Mais contrairement à ce qu'elle soutient, la société de Givray, tant en sa qualité de société mère et de représentant légal de la société Cimeo construction que de propriétaire de la marque figurant sur la photographie, justifie d'un intérêt à se joindre à l'action exercée par sa filiale pour la soutenir et pour défendre ses propres intérêts. A cet égard, il convient de rappeler que la marque, qui a pour but d'établir l'origine des services qu'elle protège, suffit à la désigner comme concernée par les pratiques dénoncées. Par ailleurs, le moyen tenant au fait que l'action a été exercée devant la juridiction consulaire et non devant la juridiction civile compétente en matière de contrefaçon de marque est inopérant dès lors, d'une part, qu'aucune exception d'incompétence n'a été soulevée et, d'autre part, qu'aucune demande fondée sur une contrefaçon de marque n'a été soumise à la juridiction saisie.

La société RT France soutient également que les sociétés Cimeo construction et de Givray ne justifiaient pas d'un intérêt à agir devant le juge des référés dès lors que leurs demandes étaient privées d'objet pour avoir été spontanément exécutées avant l'introduction de l'instance. Mais les sociétés demanderesses invoquaient un trouble manifestement illicite persistant au jour de l'introduction de leur action et réclamaient de la société défenderesse de nouvelles mesures destinées à mettre fin à ce trouble, demandes qui ont d'ailleurs été accueillies par la juridiction saisie et pour l'essentiel correctement exécutées par la société RT France postérieurement à la décision critiquée, ce qui démontre a posteriori leur intérêt à agir en justice. En toute hypothèse, la fin de non-recevoir de défaut d'intérêt à agir, qui s'apprécie au jour de l'introduction de l'action, ne se confond pas avec le bien-fondé, critiqué par la société RT France, des demandes, l'intérêt à agir n'étant pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ou de la pertinence des mesures de réparation sollicitées.

La société RT France soutient enfin que l'action était irrecevable en ce qu'elle était dirigée contre elle alors qu'elle n'avait pas qualité pour modifier les sites internet de tiers et qu'elle n'était pas responsable de leur contenu. Mais la demande formée à son encontre tendait à la réparation, par tous moyens licites appropriés, du préjudice qu'elle avait personnellement occasionné en associant indûment le nom de la société Cimeo Construction ainsi que la marque de la société de Givray avec les pratiques qualifiées d'illégales qu'elle dénonçait et en permettant la reproduction de ces informations par des tiers dans des conditions conduisant les lecteurs, notamment ceux dépendant du même milieu géographique, social et professionnel, à croire que ces sociétés étaient auteurs des dites pratiques. Sous couvert d'irrecevabilité de l'action, le moyen tend en fait à critiquer la pertinence de certaines des condamnations prononcées par le juge des référés à son encontre pour mettre fin au trouble qu'il relevait.

La société RT France fait valoir que le juge des référés ne pouvait accueillir l'action en présence d'une contestation sérieuse à raison de l'inexistence légale d'un droit à l'image fondé sur l'article 9 du code civil réservé aux personnes physiques et en l'absence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent.

Mais le fait que les sociétés demanderesses aient inexactement et inutilement fait référence à l'article 9 du code civil au soutien de leur prétention à voir protéger leur droit à l'image et à leur réputation, disposition d'ailleurs non reprise par le juge des référés, ne signifie pas qu'elles ne soient pas titulaires du dit droit. En effet, ayant la personnalité juridique, elles peuvent bénéficier de tous les attributs extra patrimoniaux qui ne sont pas exclusivement attachés à la personne physique, tels le droit invoqué dont l'existence n'est pas sérieusement contestable.

Au demeurant, même en présence d'une contestation sérieuse, le juge peut prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Or le fait de désigner faussement, par l'illustration litigieuse, les sociétés portant le nom ou titulaire de la marque reproduite, comme concernées par des pratiques présentées comme illégales et frauduleuses envers leurs salariés, constitue un trouble manifestement illicite portant gravement atteinte à leur réputation dans des conditions susceptibles de leur être lourdement et durablement préjudiciables dans leurs relations avec les tiers, notamment les organismes publics, de même qu'avec leur clientèle et leurs salariés et ainsi de nuire significativement à leur activité. A cet égard, il sera relevé que l'indication 'image d'illustration' était impuissante à éviter l'amalgame que la société RT France a suscité comme le révèle notamment sa pièce 25 selon laquelle le moteur de recherche Google images associait au mot clé 'Cimeo'la photographie litigieuse accompagnée de la légende 'Attestations illégales en pleine pandémie'. L'existence de ce trouble manifestement illicite qui persistait au jour de sa saisine autorisait le juge des référés à prendre les mesures de nature à y mettre un terme ou au moins à éviter l'aggravation de ses conséquences préjudiciables.

Sur le fond, la société RT France expose qu'elle est dans l'incapacité d'exécuter parfaitement la condamnation mise à sa charge dès lors que le lien entre la société Cimeo construction et les pratiques illégales qu'elle dénonçait, a été repris par des tiers sur lesquels elle n'a pas de pouvoir et qu'elle ne peut garantir, en dépit des nombreuses et fastidieuses démarches effectuées, la suppression définitive de ce lien sur l'intégralité du réseau internet. Elle conteste les condamnations prononcées à son encontre en ce qu'elles procéderaient, selon elle, d'une confusion entre le statut d'éditeur et celui d'hébergeur, soutenant qu'il appartient aux sociétés victimes des fausses informations qu'elle a diffusées sur internet d'agir, à leurs risques et frais, contre les tiers qui ont relayé les dites informations avec son autorisation.

Mais le juge des référés a le pouvoir de prendre toutes les mesures licites de nature à mettre fin au trouble constaté ou au moins à le limiter, y compris d'imposer à l'auteur des faits préjudiciables la charge d'effectuer lui-même auprès de ses lecteurs les démarches nécessaires pour en limiter les conséquences. En l'occurrence, s'il n'est pas douteux que les diligences que la société RT France a dû réaliser pour se conformer à l'ordonnance critiquée ont été fastidieuses, celles-ci ont été pour l'essentiel efficaces de sorte que les sociétés intimées se déclarent actuellement satisfaites par l'exécution de l'ordonnance qu'elles estiment complète. Il s'en déduit que cette condamnation, qui n'était ni illicite, ni impossible à exécuter puisque la société RT France bénéficiait d'un titre légitimant ses demandes, était adaptée au but recherché.

La société RT France conteste la pertinence de l'obligation qui lui a été faite de supprimer l'adresse URL de l'article litigieux sauf pour elle, si elle le souhaitait, à le rediffuser sous une nouvelle adresse URL. Cependant, cette contestation n'est pas fondée dès lors que les internautes autorisés par elle à copier l'article dans sa première version devaient indiquer leur source et y joindre le lien avec l'article en cause, ce qui conférait de la crédibilité à l'information reproduite. L'ineffectivité de ce lien ou la circonstance qu'il corresponde désormais à un article étranger aux faits vilipendés affecte considérablement la crédibilité et partant le caractère préjudiciable des allégations contenues dans les blogs et comptes Twitter en cause. Ainsi, la dite mesure était adaptée au but poursuivi sans porter une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d'expression dès lors que la société RT France a pu rediffuser sur une autre adresse URL, le même article dans sa version expurgée de l'illustration préjudiciable. Par ailleurs, le grief tenant au fait que la prétention n'ait pas été formulée dans l'assignation introductive d'instance mais dans les conclusions ultérieures soumises au premier juge est inopérant dès lors que ceci ne la rendait pas irrecevable.

La société RT France soutient que le juge des référés aurait excédé ses pouvoirs en ordonnant des mesures de suppression irréversibles mettant définitivement un terme au différend. Mais les mesures ordonnées avaient pour but et ont eu pour effet de mettre un terme au trouble manifestement illicite occasionné par l'article litigieux dans sa première version sans porter atteinte à la liberté d'expression de la société RT France qui ne conteste pas n'avoir eu aucune raison objective d'associer les sociétés intimées aux faits qu'elle dénonçait et ne soutient pas avoir eu la volonté de le faire, l'association préjudiciable ne résultant que d'un manque de vigilance de sa part. Le moyen n'est donc pas davantage fondé.

En revanche en opportunité, en ce qu'elles portaient sur la suppression de tout lien quel qu'il soit, accessible ou non au public normalement compétent, susceptible d'être repéré sur le réseau internet dans sa globalité et ce, sous peine d'astreinte illimitée dans le temps, le dispositif de l'ordonnance critiquée était trop large et excédait les mesures qui s'imposaient pour faire cesser le trouble manifestement illicite qu'elle constatait. Il porte ainsi en germe un risque de contentieux opportuniste illimité sans lien avec la persistance du trouble effectivement subi. Il y a lieu en conséquence de réformer les mesures ordonnées par le juge des référés. Par ailleurs, les sociétés intimées estimant que l'ordonnance a été correctement exécutée et que le trouble invoqué n'existe plus, il n'y a pas lieu de maintenir l'astreinte ordonnée par le premier juge.

La saisine du juge des référés étant justifiée dans son principe, il n'y a pas lieu de réformer la décision s'agissant des frais et dépens. De même, la société appelante succombant dans l'essentiel de ses prétentions supportera les dépens de la procédure d'appel et devra en équité verser aux sociétés intimées prises ensemble, une somme supplémentaire de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Déclare irrecevable l'exception de nullité de l'assignation introductive d'instance et de l'ordonnance dont appel ;

Confirme l'ordonnance rendue le 14 avril 2020 par le juge des référés du tribunal de commerce de Saint-Brieuc en ce qu'elle a :

- débouté la société RT France de l'ensemble de ses demandes tendant à déclarer irrecevable l'assignation du 8 avril 2020 ;

- débouté la société RT France de ses autres demandes ;

- condamné la société RT France à supprimer l'adresse URL correspondant à la page internet qui contient l'article paru le 1er avril 2020 à 22 heures 25 et dénommé « Attestations illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ' », et mise en ligne le 1er avril 2020 à 22 heures 25 ;

- condamné la société RT France à payer aux sociétés Cimeo Construction et de Givray la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- liquidé au titre des dépens, les frais de greffe à la somme de 60,67 euros TTC.

La réformant pour le surplus,

Condamne la société RT France à effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d'huissier des 2 et 9 avril 2020, ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d'obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo Construction en ce qu'elle est associée à l'article intitulé « Attestations illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ' ' mis en ligne par elle le 1er avril 2020 ;

Décerne acte aux sociétés de Givray et Cimeo Constructions de ce qu'elles estiment que les diligences sus-ordonnées ont été correctement exécutées ;

Dit n'y avoir lieu à prononcé d'une astreinte ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour appel abusif formée par les sociétés de Givray et Cimeo Construction ;

Condamne la société RT France à payer aux sociétés de Givray et Cimeo Construction, une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;

Condamne la société RT France aux dépens de la procédure d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/02156
Date de la décision : 20/10/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°20/02156 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-20;20.02156 ?
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