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16/10/2020 | FRANCE | N°17/07937

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 16 octobre 2020, 17/07937


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°312



N° RG 17/07937 -

N° Portalis DBVL-V-B7B-OMJN













ASSOCIATION INTERCOMMUNALE DE MAISONS DE RETRAITE (AIMR)



C/



Mme [N] [W] épouse [L]

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


r>COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Conseillère,

Monsieur Emmanuel ROCHARD, Conseiller,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du p...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°312

N° RG 17/07937 -

N° Portalis DBVL-V-B7B-OMJN

ASSOCIATION INTERCOMMUNALE DE MAISONS DE RETRAITE (AIMR)

C/

Mme [N] [W] épouse [L]

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 OCTOBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Conseillère,

Monsieur Emmanuel ROCHARD, Conseiller,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

En chambre du Conseil sanitaire du 11 Septembre 2020 en application des dispositions de l'article 6 alinéa 3 de l'ordonnance N°2020-304 du 25 mars 2020 et conformément à la charte sanitaire de la cour mise à jour suite au décret N°2020-884 du 17 juillet 2020, devant Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [R] [X], médiatrice judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Octobre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

L'Association AIMR -ASSOCIATION INTERCOMMUNALE DE MAISONS DE RETRAITE- prise en la personne de son Président en exercice et ayant son siège :

[Adresse 5]

[Localité 4]

ayant Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée à l'audience par Me Anne-Sophie LE FUR-LECLAIR de la SELARL CVS, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

INTIMÉE et appelante à titre incident :

Madame [N] [W] épouse [L]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6] (Cameroun)

[Adresse 2]

[Localité 3]

(bénéficiaire d'une aide juridictionnelle totale numéro 2018/7986 du 19/10/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)

représentée par Me Jean-Christophe DAVID, Avocat au Barreau de NANTES

Mme [N] [L] a été embauchée le 1er avril 2006 par l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel, porté à temps plein par avenant du 15 mai 2006, en qualité d'aide soignante diplômée d'état, coefficient 351 pour un salaire moyen de 1.609,82 € brut dans le dernier état des relations contractuelles régies par la Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.

Le 4 novembre 2008, Mme [L] a été victime d'un accident de travail et placée en arrêt de travail du 6 novembre 2008 au 3 février 2009. A l'issue d'une visite de reprise du 6 février 2009, Mme [L] a été déclarée apte à son poste par la médecine du travail.

Mme [L] a été placée en arrêt de travail du 6 octobre au 15 décembre 2009, du 8 septembre au 30 octobre 2010.

Mme [L] s'est vue reconnaître le statut de travailleur handicapé le 22 octobre 2010.

Mme [L] a à nouveau été placée en arrêt de travail du 7 mars au 3 avril 2011.

A compter du 4 avril 2011, Mme [L] a repris son poste dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique jusqu'au 31 décembre 2011.

A l'issue de la visite de reprise du 2 janvier 2012, Mme [L] a été déclarée "inapte à la reprise de son poste, reste apte à un poste de type administratif sédentaire".

A l'issue de la seconde visite de reprise du 19 janvier 2012, Mme [L] a été déclarée inapte en ces termes : "inapte à un poste comportant des mouvements répétés des épaules, des membres supérieurs au-dessus des épaules et au port de charges, type transfert de résidents - Reste apte à un poste sédentaire, de type administratif ne comportant pas de restrictions physiques".

Statuant sur le recours de Mme [L] contre cet avis d'inaptitude, l'Inspection du travail, auprès audition du médecin inspecteur régional du travail, a annulé par décision du 10 février 2012, l'avis d'inaptitude et décidé que "Mme [L] est apte à son poste d'aide soignante avec restriction sur les manutentions très lourdes qui ne pourront être effectuées qu'avec l'aide d'un deuxième aide-soignant".

Mme [L] a repris son poste le 16 février 2012.

Le 14 mars 2012, l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite a formé un recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'Inspection du travail auquel aucune suite n'a été donnée.

Mme [L] a été placée en arrêt de travail du 10 au 31 mars 2013 puis à compter du 24 mars 2014.

Le médecin conseil de la CPAM a déclaré Mme [L] consolidée au 31 juillet 2014.

Mme [L] a été placée en arrêt de travail du 1er août au 30 septembre 2014 puis du 29 octobre 2014 au 28 février 2015.

Le 20 février 2015, la CPAM a estimé que l'arrêt de travail n'était plus médicalement justifié et a mis fin au paiement des indemnités journalières à compter du 1er mars 2015.

A l'issue des visites de reprise des 03 et 17 avril 2015, Mme [L] a été déclarée inapte en ces termes : "Inapte à ce poste dans cette résidence ; reste apte à un poste d'aide-soignante, adapté, avec restrictions sur les manutentions très lourdes dans une autre résidence, étude du poste et des conditions de travail effectuée le 8 avril 2015".

Cette inaptitude a été confirmée par décision de l'Inspection du travail le 12 mai 2015.

Le 15 mai 2015, Mme [L] a fait l'objet d'une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 27 mai 2015. Mme [L] a été licenciée pour inaptitude par lettre du 3 juin 2015.

Mme [L] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes le 27 mai 2015 aux fins de juger son licenciement nul pour harcèlement moral et a présenté les chefs de demandes suivants :

- 32.197,80 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 32.197,80 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

- 20.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et médical résultant du harcèlement,

- 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Remise des documents sociaux sous astreinte,

- Se réserver la liquidation de l'astreinte,

- Intérêts au taux légal et anatocisme,

- Fixer la moyenne des salaires à 1.609,82 €

- Exécution provisoire.

- Dépens

La cour est saisie de l'appel régulièrement formée le 15 novembre 2017par l'AIRM contre le jugement du 26 octobre 2017 notifié le 27 octobre 2017, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que le licenciement de Mme [L] est dénué de cause réelle et sérieuse,

' Fixé le salaire moyen mensuel à la somme de 1.609,82 € brut,

' Condamné l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite à lui verser :

- 16.100 € net à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

' Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement pour la totalité des sommes allouées,

' Débouté Mme [L] du surplus de ses demandes,

' Condamné l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [L] dans la limite de deux mois d'indemnité,

' Condamné l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite aux dépens.

Vu les écritures notifiées le 6 juillet 2018 par voie électronique par lesquelles l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite demande à la cour de :

' Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a reconnu le licenciement de Mme [L] sans cause réelle et sérieuse,

' Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'existence de faits d'harcèlement moral,

' Débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamner Mme [L] au paiement de la somme de 3.500 € en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux frais et aux dépens incluant les actes de signification.

Vu les écritures notifiées le 9 avril 2018 par voie électronique par lesquelles Mme [L] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que son licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse et condamné l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite à lui verser les sommes de 16.100 € à titre de dommages-intérêts et 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Infirmer le jugement pour le surplus et, jugeant de nouveau,

' Dire qu'elle a été victime du harcèlement moral de son employeur,

' Dire que la rupture du contrat de travail doit s'analyser comme étant un licenciement nul,

' Condamner l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite au versement de :

- 32.197,80 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 20.000 € en réparation du préjudice moral et médical résultant du harcèlement,

- 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

' Ordonner la remise des documents sociaux rectifiés sous astreinte,

' Condamner l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite aux entiers dépens de la présente instance.

Vu l'ordonnance de clôture 17 décembre 2019

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral :

Pour infirmation et bien fondé de ses prétentions au titre du harcèlement moral, Mme [N] [L] expose qu'elle a fait l'objet d'une agression de la part d'un collègue qui a menacé de l'écraser pour une histoire de place de parking, qu'elle a été mise en cause à tort au sujet l'alimentation d'une personne en fin de vie, qu'à la faveur d'un problème d'odeur dans les vestiaires du personnel, la gouvernante a fracturé son casier et rapporté les effets qui s'y trouvaient en les plaçant au milieu d'une salle en affirmant qu'ils étaient à l'origine de l'odeur, qu'en février et mars 2014, elle a subi le comportement hostile du cuisinier et à plusieurs reprises d'une infirmière, auxquels elle a été par la suite confrontée en se faisant traiter de menteuse par la directrice.

Pour confirmation et débouté de la salariée à ce titre, l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite fait essentiellement plaider qu'à partir du moment où elle a saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Nantes d'une procédure pour faute inexcusable, la salariée a changé d'attitude, faisant preuve d'opposition à sa supérieure devant les familles et refusant d'exécuter des tâches, qu'à la suite d'une réunion de service, elle n'est plus revenu au travail et a écrit à l'Inspection du travail.

L'Association Intercommunale de Maisons de Retraite entend préciser qu'après un premier entretien avec l'employeur en vue d'une rupture conventionnelle, qui s'est tenu à sa demande sans difficulté et au cours duquel elle n'a jamais fait référence à du harcèlement moral, elle ne s'est pas présentée au second entretien, en faisant état de difficulté concernant le complément de salaire mais sans plus de référence à du harcèlement, de même qu'elle n'a jamais saisi les délégués du personnel de la situation qu'elle invoque à ce titre.

L'employeur ajoute que l'intéressée a fait l'objet d'un nouvel avis d'inaptitude, confirmé par l'Inspection du travail, excluant même l'aide de matériel de levage, que la salariée dépressive depuis 2009 n'a jamais saisi les IRP, que les certificats médicaux ne font que reprendre ses propos, qu'elle se borne à produire une attestation du kiné, à faire état d'une altercation isolée avec le délégué du personnel en 2013, de la fracture de son casier en 2011.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

En application des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

L'article L.1152-4 du même code oblige l'employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ;

L'article 26 de la Charte sociale européenne dispose que :

« En vue d'assurer l'exercice effectif du droit de tous les travailleurs à la protection de leur dignité au travail, les Parties s'engagent, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs :

[...]

2. à promouvoir la sensibilisation, l'information et la prévention en matière d'actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements ».

Il suit de ces dispositions que l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, notamment de harcèlement moral ; que l'absence de faute de sa part ou le comportement fautif d'un autre salarié de l'entreprise ne peuvent l'exonérer de sa responsabilité à ce titre ; que les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l'espèce, pour caractériser les éléments permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme [N] [L] rapporte les circonstances de l'altercation avec M. [K], homme d'entretien et délégué du personnel concernant l'usage d'une place de parking, ayant conduit ce dernier à plusieurs reprises à entourer le véhicule de Mme [N] [L] de conteneurs à usage de poubelle, du forçage de son casier en 2011 et de l'humiliation résultant du déversement de ses effets personnels sur une table en indiquant qu'ils étaient à l'origine d'une odeur infestant les locaux, d'imputation à tort de faits graves concernant une personne en fin de vie en juin 2012, du refus de son employeur de lui permettre d'assister aux obsèques de son neveu et d'événements des mois de février/mars 2014, au cours desquels elle a subi des pressions dans l'exécution de ses missions, en étant contrainte d'effectuer immédiatement la douche d'une résidente à la place d'une de ses collègues alors qu'elle en avait déjà réalisées plusieurs, d'achever seule son service en raison du départ de son binôme pour la médecine du travail et en se faisant mal traiter par une infirmière puis par le cuisinier alors qu'elle ne faisait que réaliser son travail.

Mme [N] [L] produit également les avis du médecin du travail, du Médecin Inspecteur Régional du travail et du Docteur [C], médecin expert du Centre de Pathologie Professionnelle et Environnementale, du médecin traitant et du psychiatre assurant le suivi de la salariée, desquels il ressort que l'intéressée présente une décompensation psychique secondaire caractérisée par des troubles anxio-dépressifs avec pleurs, crises d'angoisses et perte de sommeil en lien avec des difficultés relationnelles et conflictuelles avec sa direction et certains collègues, dans des conditions de nature à affecter sa santé psychique.

Ainsi la salariée établit l'existence de faits répétés qui pris dans leur ensemble, ont eu pour effet dans la durée de dégrader ses conditions de travail et d'altérer son état de santé, permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur auquel il appartient de démontrer que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, indique à juste titre que le contenu de l'attestation du kinésithérapeute de Mme [N] [L] qui rapporte les propos de cette dernière, ne peut suffire à établir les faits allégués, que la salariée ne peut soutenir que l'incident concernant sa place de parking n'a suscité aucune réaction de sa part dès lors qu'il justifie avoir sanctionné le salarié concerné d'un avertissement, en le menaçant de sanction plus grave en cas de réitération et qu'aucun refus d'assister à l'enterrement de son neveu ne lui a été opposé, en l'absence de demande de la part de l'intéressée qui n'en justifie pas autrement que par une attestation de la mère du défunt évoquant ce refus.

S'agissant des reproches injustifiés qui lui sont imputés, l'employeur affirme sans être contredit que Mme [N] [L] a été reçue avec une autre collègue concernant l'alimentation d'une personne en fin de vie aux fins de justification dans le bureau du responsable d'établissement qui ne dispose d'aucun pouvoir disciplinaire, sans qu'il ne lui ait été fait le moindre reproche. L'employeur invoque par ailleurs l'exercice de son pouvoir de direction, en particulier de son pouvoir disciplinaire pour justifier d'avoir convoqué Mme [N] [L] en présence de l'infirmière et du chef cuisinier en mars 2014, compte tenu de plusieurs incidents survenus concernant des refus et des oppositions de l'intéressée à l'égard de ces responsables.

Nonobstant les motifs du refus invoqués par la salariée concernant la douche, l'employeur établit sans être contredit que dans un espace de temps relativement bref, Mme [L] a opposé à l'infirmière référente, un refus d'effectuer la douche d'un résident le 11 février 2014 qui ne lui imposait que de modifier son organisation, que le 27 février 2014, Mme [L] s'est opposée de manière véhémente au chef de restauration qui refusait de lui remettre des aliments en l'absence de fiche de traçabilité, que le 5 mars 2014, elle est intervenue dans une discussion entre la fille d'une résidente et l'infirmière référente, en contredisant les propos de cette dernière, que le 9 mars 2014, elle a refusé de servir un plateau léger à une résidente qui le demandait, que le 9 mars 2014, elle n'a pas accompagné les résidents dans la salle du 1er étage.

Dans ces conditions, en convoquant l'intéressée à une réunion en présence de l'infirmière et du chef cuisinier concernés, le 11 mars 2014, l'employeur n'a fait qu'exercer son pouvoir de direction dans lequel s'inscrit l'exercice du pouvoir disciplinaire, lui permettant de convoquer des salariés en conflit, le cas échéant de niveaux hiérarchiques différents afin de confronter de manière contradictoire les différentes versions d'un même événement.

Dès lors qu'il résulte de ce qui précède que les décisions prises à l'égard de Mme [N] [L] comme les attitudes adoptées à son égard étaient fondées sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et que l'employeur avait pris des mesures tendant à prévenir le comportement hostile d'un salarié à son égard, en l'espèce en prononçant un avertissement à l'encontre de l'intéressé, il y a lieu de confirmer la décision entreprise et de dire que Mme [N] [L] n'a pas été victime de harcèlement.

Sur le licenciement :

Pour infirmation et débouté de la salariée, l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite fait essentiellement valoir que le manquement allégué concernant le non respect des restrictions à l'avis d'aptitude est infondé, qu'il ressort du dossier médical de la salariée que contrairement à ses affirmations, elle a bénéficié de l'aide de ses collègues, d'un de ses courriers qu'elle peut travailler normalement grâce à l'aide du lève personne sans être obligée de les solliciter, qu'elle a bénéficié d'une formation aux gestes et postures le 14 juin 2013, que l'Inspection du travail a reconnu que le matériel de levage mis à la disposition de la salariée était en nombre suffisant, qu'en mai 2014 le médecin du travail s'orientait vers un avis d'aptitude au travail incompatible avec la souffrance au travail invoquée, que le manquement allégué ne peut se fonder sur l'échange de courriers entre le médecin du travail et le docteur [Z], lequel se borne à rapporter les propos de la salariée suivie pour dépression depuis 2009, concernant en particulier la référence à l'humiliation liée à l'ouverture de son casier.

Mme [N] [L] rétorque que son employeur n'a pris aucune mesure pour faire respecter l'avis d'aptitude de 2012, qu'il l'a renvoyée à se faire aider par ses collègues mais que chaque aide dont elle a bénéficié, a suscité une réaction de reproche de son employeur à l'égard de ceux qui l'avaient aidée ainsi que cela ressort de l'audition d'un témoin par les premiers juges, que l'employeur le reconnaît tout en estimant que les restrictions à son aptitude telles qu'elles ressortent de l'avis du médecin du travail sont incompatibles avec les conditions d'exercice, que certaines de ses collègues n'étaient pas informés de la nécessité de l'aider et qu'elle a été victime d'un accident du travail lors du port d'une personne de 100kg, qu'elle n'a bénéficié d'une formation gestes et postures que deux mois après accident du travail .

Mme [N] [L] ajoute que l'Inspecteur médecin du travail comme le médecin de travail établissent un lien entre son inaptitude et ses conditions du travail, un spécialiste estimant qu'elle s'exposait à un danger en retournant dans cette structure.

Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail imposent à l'employeur de prendre et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en évitant les risques, en évaluant ceux qui ne peuvent être évités, en les combattant à la source et en adaptant le travail à l'homme.

En application de l'article L 4624-1 du Code du travail, l'employeur est tenu de prendre en considération les mesures individuelles proposées par le médecin du travail et en cas de refus de faire connaître les motifs qui s'y opposent, un recours devant l'inspecteur du travail lui étant ouvert comme au salarié, en cas de difficulté ou de désaccord.

L'article L 5213-6 du Code du travail fait obligation à l'employeur de prendre, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre notamment aux travailleurs handicapés ou victimes d'accidents du travail ou de maladie professionnelle ayant entraîné une ITT d'au moins 10%, d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée leur soit dispensée, le refus de prendre de telles mesures pouvant être assimilé à de la discrimination.

Il ressort de la procédure qu'à l'issue de l'arrêt de travail consécutif à l'accident de travail dont elle a été victime le 4 novembre 2008, Mme [L] a été déclarée apte à son poste le 6 février 2009, qu'elle a à nouveau été placée en arrêt de travail du 6 octobre au 15 décembre 2009, du 8 septembre au 30 octobre 2010, s'est vue reconnaître le statut de travailleur handicapé le 22 octobre 2010.

A l'issue d'un arrêt de travail du 7 mars au 3 avril 2011 Mme [L] a repris son poste dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique jusqu'au 31 décembre 2011 et a été déclarée "inapte à la reprise de son poste, reste apte à un poste de type administratif sédentaire" le 2 janvier 2012.

L'avis d'inaptitude du 19 janvier 2012 de Mme [L] modulé à l'issue de la seconde visite de reprise dans les termes suivants : "inapte à un poste comportant des mouvements répétés des épaules, des membres supérieurs au-dessus des épaules et au port de charges, type transfert de résidents - Reste apte à un poste sédentaire, de type administratif ne comportant pas de restrictions physiques" a été annulé par décision du 10 février 2012 de l'Inspecteur du travail statuant sur recours de Mme [N] [L], au terme de laquelle "Mme [L] est apte à son poste d'aide soignante avec restriction sur les manutentions très lourdes qui ne pourront être effectuées qu'avec l'aide d'un deuxième aide-soignant"

Mme [L] ayant repris son poste le 16 février 2012, l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite a formé sans succès un recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'Inspection du travail .

A l'issue des visites de reprise consécutives aux arrêts de travail des 10 au 31 mars 2013, du 24 mars 2014 au31 juillet 2014, du 1er août au 30 septembre 2014 et du 29 octobre 2014 au 28 février 2015, Mme [L] a été déclarée inapte en ces termes : "Inapte à ce poste dans cette résidence ; reste apte à un poste d'aide-soignante, adapté, avec restrictions sur les manutentions très lourdes dans une autre résidence, étude du poste et des conditions de travail effectuée le 8 avril 2015".

Il ressort des pièces versées au débat que l'employeur permettait à la salariée qui a bénéficié d'une formation spécifique de geste et posture, de solliciter l'aide de ses collègues pour exécuter les tâches pour lesquelles des restrictions avaient été émises, qu'elle préférait utiliser les lèves-personne mis à sa disposition en nombre suffisant, pour ne pas avoir à solliciter et déranger ses collègues et parvenait à exécuter ses missions normalement dans ces conditions, de sorte qu'il ne peut être soutenu que l'employeur s'abstenait de faire respecter l'avis d'aptitude de 2012, la circonstance que certaines salariées soient dans l'ignorance de cette possibilité étant à cet égard indifférent.

En outre, l'examen des différents avis d'aptitude et d'inaptitude ci-dessus repris démontre que les restrictions à son aptitude sont demeurées les mêmes entre la décision de l'Inspecteur du travail du 10 février 2012 jusqu'à l'avis du 17 avril 2015 qui précise que l'intéressée est inapte à ce poste dans cette résidence mais demeure apte à un poste d'aide soignante adapté avec les mêmes restrictions dans une autre résidence.

Or, il résulte des échanges entre les docteurs [Z] et [U] qu'outre la charge de travail, les difficultés de Mme [N] [L] étaient plutôt d'ordre relationnel, en écho notamment à l'humiliation ressentie en 2011, à la suite de l'ouverture de son casier et aux propos tenus à l'égard des effets lui appartenant qui en avaient été extraits.

Ceci étant, cet épisode isolé donnant lieu à des versions différentes mais néanmoins légitimement mal ressenti par la salariée, ne caractérise pas un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et dès lors qu'il est établi que la salariée demeurait apte à l'exercice des fonctions d'aide soignante dans une autre résidence, avec des restrictions identiques à celles précédemment préconisées le 10 février 2012 par l'Inspecteur du travail, il ne peut être soutenu que son inaptitude soit liée à une dégradation de ses conditions de travail imputable à un manquement de son employeur à son obligation de sécurité.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer la décision entreprise et de débouter la salariée des demandes formulées à ce titre.

Sur la remise des documents sociaux :

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande de remise de documents sociaux conformes est dépourvue d'objet; il y a lieu par conséquent de débouter la salariée de la demande formulée à ce titre.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la salariée qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser l'association des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [N] [L] de ses demandes au titre du harcèlement moral,

et statuant à nouveau,

DÉBOUTE Mme [N] [L] de l'ensemble de ses demandes,

CONDAMNE Mme [N] [L] à payer à l'Association Intercommunale de Maisons de Retraite 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Mme [N] [L] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE Mme [N] [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 17/07937
Date de la décision : 16/10/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 08, arrêt n°17/07937 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-10-16;17.07937 ?
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