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18/09/2020 | FRANCE | N°17/07637

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 18 septembre 2020, 17/07637


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N° 327



N° RG 17/07637



N° Portalis DBVL-V-B7B-OLI4













SA PANPHARMA



C/



SAS FERRING



















Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée















Copie exécutoire délivrée



le :



à : Me Demidoff

Me Verrando

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Dom...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N° 327

N° RG 17/07637

N° Portalis DBVL-V-B7B-OLI4

SA PANPHARMA

C/

SAS FERRING

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Demidoff

Me Verrando

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur,

GREFFIER :

Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 02 Juin 2020

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 18 Septembre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

SA PANPHARMA, immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 328 297 841, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés au siège

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Eric DEMIDOFF de la SCP GAUVAIN-DEMIDOFF, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Katia BONEVA-DESMICHT de la SCP BAKER & MC KENZIE, plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

SAS FERRING, immatriculée au RCS de Créteil sous le n° 322 624 735, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jean-Noël COURAUD de la SELAS DENOVO, plaidant, avocat au barreau de PARIS

FAITS ET PROCEDURE

La société Ferring exploite un laboratoire pharmaceutique qui, notamment, commercialise sous le nom de «'Tractocile'» un médicament dénommé atosiban, molécule destinée à retarder l'accouchement prématuré des femmes en situation de grossesse pathologique.

Pendant plusieurs années, la société Ferring a eu le monopole de cette commercialisation, jusqu'à ce que son brevet tombe dans le domaine public, un autre laboratoire, exploité par la société Sun Pharmaceuticals, ayant alors été autorisé à «'génériquer'» la même molécule et ayant obtenu par ailleurs, en date du 27 février 2014, le marché public de l'approvisionnement exclusif en atosiban d'un certain nombre d'établissements hospitaliers par l'intermédiaire du groupement d'achat UNIHA.

Dans le cadre de ce marché, la société Sun Pharmaceuticals s'est engagée à ce que les hôpitaux soient toujours approvisionnés en atosiban et, en cas de rupture de stock, à supporter le coût supplémentaire qu'induirait le recours à d'autres laboratoires.

Courant juillet 2015, la société Sun Pharmaceuticals a informé le groupement UNIHA d'un défaut d'approvisionnement en atosiban jusqu'à la fin de l'année 2015, cette pénurie s'étant ensuite prolongée jusqu'au mois de juin 2016.

Le groupement UNIHA s'est d'abord adressé à la société Ferring pour lui commander du «'Tractocile'», un marché de gré à gré ayant ainsi été conclu entre les parties pour une fourniture du médicament jusqu'au 30 janvier 2016.

Au mois d'avril 2016, à l'occasion de la visite d'un service de soins du CHU de [Localité 4], un représentant de la société Ferring a constaté la présence de boîtes d'atosiban provenant d'un troisième laboratoire, Panpharma, société située en Ille-et-Vilaine.

Le 27 mai 2016, suivant ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Nantes, la société Ferring a fait constater par huissier de justice la présence de ces boîtes de médicaments dans les locaux du CHU de [Localité 4] et a ainsi pu établir que depuis plusieurs mois déjà, la société Panpharma fournissait un certain nombre d'établissements hospitaliers en atosiban.

Considérant que ce laboratoire n'avait pas le droit de fournir les hôpitaux dans la mesure où son médicament, bien que disposant d'une autorisation de mise sur le marché, ne figurait pas encore sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L 5123-2 du code de la santé publique (la société Panpharma n'ayant obtenu cette inscription qu'à effet du 11 mai 2016), la société Ferring a fait assigner ladite société devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins de la voir condamner pour concurrence déloyale.

Par jugement du 19 septembre 2017, le tribunal a :

- jugé que les ventes réalisées par la société Panpharma étaient illicites et, en conséquence, que celle-ci avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Ferring ;

- condamné la société Panpharma à indemniser la société Ferring du montant du préjudice subi par celle-ci du 30 janvier au 10 mai 2016 ;

- donné acte à la société Panpharma de son engagement de communiquer à la société Ferring les justificatifs de facturation de l'atosiban fourni par elle aux établissements hospitaliers du 30 janvier au 10 mai 2016 ;

- invité les deux parties à fournir toutes autres pièces de nature à éclairer le tribunal, notamment l'appel d'offres lancé par le groupement UNIHA pour la période du 30 janvier à la fin juin 2016, un extrait comptable du journal des ventes réalisées par la société Panpharma auprès des établissements hospitaliers du 30 janvier au 10 mai 2016, enfin toutes justifications du prix de vente du «'Tractocile'» commercialisé par la société Ferring ainsi que de la marge brute réalisée par celle-ci sur la vente de ce produit ;

- sursis à statuer sur la liquidation du préjudice allégué par la société Ferring et renvoyé l'examen de l'affaire à une autre audience dans l'attente de la communication des pièces réclamées ;

- débouté la société Panpharma de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour dénigrement déloyal et atteinte à son image ;

- débouté les parties de leurs autres demandes, notamment au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- réservé les dépens.

Suivant déclaration reçue au greffe le 2 novembre 2017, la société Panpharma a interjeté appel de cette décision.

Depuis et par un jugement du 24 avril 2018, le tribunal, prenant acte de cet appel, a sursis à statuer sur la liquidation du préjudice de la société Ferring.

La société Panpharma a notifié ses dernières conclusions le 30 juillet 2018, la société Ferring les siennes le 30 avril 2018.

Suivant ordonnance de mise en état du 20 juin 2018, confirmée par arrêt de déféré du 16 novembre 2018, l'appel formé par la société Panpharma à l'encontre du jugement du 19 septembre 2017 a été déclaré recevable.

La clôture de la mise en état est intervenue par ordonnance du 2 juin 2020.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Panpharma demande à la cour de :

Vu les articles L 5123-3 et L 5123-6 du code de la santé publique et 1382 ancien du code civil (article 1240 nouveau),

- dire et juger recevable et bien fondé l'appel de la société Panpharma ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la société Panpharma avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Ferring ;

* dit que la procédure d'urgence ne trouvait pas à s'appliquer et que les ventes réalisées par la société Panpharma étaient illicites ;

* condamné la société Panpharma à indemniser la société Ferring du montant du préjudice subi par celle-ci durant la période du 30 janvier au 10 mai 2016 ;

* débouté la société Panpharma de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image ;

Statuant à nouveau,

- débouter la société Ferring de I'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Et, à titre reconventionnel,

- dire et juger que les agissements de la société Ferring sont constitutifs d'un dénigrement déloyal de la société Panpharma ayant porté atteinte à son image et à sa réputation ;

- condamner en conséquence la société Ferring à verser à la société Panpharma la somme de 400.000 € en réparation du préjudice moral et d'image subi par celle-ci en raison des agissements déloyaux de la société Ferring ;

- condamner la société Ferring au paiement de la somme de 50.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au contraire, la société Ferring demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 410 et 409 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,

Vu les dispositions de l'article 122 du code de procédure civile,

- dire et juger que la société Panpharma a acquiescé au jugement déféré et que cet acquiescement emporte soumission aux chefs de cette décision ;

- en conséquence, dire et juger l'appel de la société Panpharma irrecevable ;

- subsidiairement, le dire mal fondé ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la société Panpharma avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Ferring ;

* dit que la procédure d'urgence ne trouvait pas à s'appliquer et que les ventes réalisées par la société Panpharma étaient de ce fait illicites ;

* condamné la société Panpharma à indemniser la société Ferring du montant du préjudice qu'elle a subi durant la période du 30 janvier au 10 mai 2016 ;

* donné acte à la société Panpharma de son engagement de communiquer à la société Ferring les comptes clients UNIHA et Établissements Publics de Santé relatifs au produit atosiban sur la période du 30 janvier au 10 mai 2016 ainsi que la facturation correspondante ;

* débouté la société Panpharma de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image ;

* débouté la société Panpharma de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,

* dire et juger que la société Ferring justifie de son préjudice qui s'élève à la somme de 155.216 €, sauf à parfaire ;

* en conséquence, condamner la société Panpharma à payer à la société Ferring la somme de 155.216 € à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire, outre intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2016, date de la délivrance de l'acte introductif d'instance ;

* ordonner la capitalisation des intérêts ;

* déclarer la société Panpharma irrecevable et en tout cas non fondée en l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et l'en débouter ;

* condamner la société Panpharma à payer à la société Ferring la somme de 50.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

* la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE RENNES-ANGERS, avocats aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel :

Dès lors qu'il a déjà été jugé, par ordonnance de mise en état du 20 juin 2018 confirmée par arrêt de déféré du 16 novembre 2018, que l'appel interjeté par la société Panpharma à l'encontre du jugement du 19 septembre 2017 était recevable, et dans la mesure où cette décision a autorité de la chose jugée au principal par application de l'article 914 alinéa 3 du code de procédure civile, la société Ferring est irrecevable à maintenir la même demande devant la cour.

Sur le fond :

Pour déclarer la société Panpharma responsable d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Ferring, le tribunal a essentiellement retenu qu'en dépit d'une autorisation de mise sur le marché obtenue pour son médicament depuis le 9 novembre 2015, le laboratoire ne bénéficiait pas encore de l'inscription dudit médicament sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques, ce qui lui interdisait de le vendre aux hôpitaux publics, alors par ailleurs qu'il ne pouvait pas ignorer cette interdiction du fait de sa qualité de professionnel aguerri et expérimenté de l'industrie pharmaceutique.

Le tribunal a également considéré que la société Panpharma ne pouvait pas se prévaloir de l'urgence prévue à l'article L 5123-6 du code de la santé publique permettant aux établissements publics de s'approvisionner en médicaments non inscrits sur la liste prévue à l'article L 5123-2, notamment en cas de pénurie de produits agréés; en effet, les premiers juges ont retenu que la société Panpharma ne rapportait pas la preuve que la société Ferring était elle-même en rupture de stock de «'Tractocile'», soit le seul atosiban susceptible d'être vendu aux collectivités publiques du fait de son inscription sur la liste des produits agréés, alors au contraire que depuis plusieurs mois déjà, la société Ferring en fournissait au Groupement UNIHA en remplacement de la société Sun Pharmaceuticals, titulaire du marché public ; considérant dès lors que la procédure d'urgence ne pouvait pas s'appliquer, le tribunal en a conclu que les commandes publiques du médicament vendu par la société Panpharma avaient été passées de manière frauduleuse, caractérisant ainsi des actes de concurrence déloyale de la part de celle-ci au préjudice de la société Ferring, seule habilitée à cette époque, alternativement à la société Sun Pharmaceuticals, à approvisionner les hôpitaux publics.

Pour contredire cette argumentation, la société Panpharma fait d'abord valoir qu'elle avait le droit de commercialiser son médicament dès le 9 novembre 2015, date de l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché, ajoutant que la délivrance de cette autorisation emportait même obligation de le commercialiser.

Le code de la santé publique réglemente les conditions dans lesquelles les collectivités publiques ou les établissements de santé civils et militaires peuvent acheter, fournir, prendre en charge et utiliser les médicaments. Une fois inscrits sur la liste, les médicaments peuvent être achetés et utilisés par les collectivités publiques (établissements de santé et établissements médico-sociaux principalement) :

Article L5123-2 du code de la santé publique :

L'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation par les collectivités publiques des médicaments définis aux articles L. 5121-8, L. 5121-9-1, L. 5121-13 et L. 5121-14-1 ou bénéficiant d'une autorisation d'importation parallèle en application de l'article L. 5124-13 sont limités, dans les conditions propres à ces médicaments fixées par le décret mentionné à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments.

Les médicaments faisant l'objet des autorisations mentionnées à l'article L. 5121-12 peuvent être achetés, fournis, pris en charge et utilisés par les collectivités publiques sans figurer sur la liste mentionnée au premier alinéa du présent article.

L'inscription d'un médicament sur la liste mentionnée au premier alinéa peut, au vu des exigences de qualité et de sécurité des soins mettant en oeuvre ce médicament, énoncées le cas échéant par la commission prévue à l'article L. 5123-3, être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs, l'environnement technique ou l'organisation de ces soins et d'un dispositif de suivi des patients traités.

Article L5123-6

Seuls les produits spécialisés agréés pour les catégories correspondantes d'utilisateurs peuvent être :

1° Achetés et utilisés, sauf en cas d'urgence, par les établissements de santé civils et militaires;

2° Achetés et utilisés par les collectivités locales publiques et les organismes de toute nature dont les ressources proviennent en tout ou partie des subventions des collectivités publiques;

3° Fournis gratuitement aux bénéficiaires de l'article L. 115 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

4° Fournis gratuitement aux bénéficiaires de l'assistance médicale gratuite ;

5° Fournis aux ouvriers des établissements militaires en application des règlements sur la situation du personnel civil d'exploitation de ces établissements.

Ces textes ont pour but de maîtriser les dépenses publiques et sociales. Elles soumettent la possibilité d'acheter des médicaments par les collectivités publiques et établissements de santé civils ou militaire à l'agrément particulier d'un médicament déterminé.

En revanche, ces textes n'édictent pas une interdiction de commercialiser pesant sur un fournisseur des collectivités publiques ou établissements de santé. Cette distinction est à rapprocher des dispositions de l'article L5121-8 du code de la santé publique qui, elles, interdisent la mise sur le marché ou la distribution à titre gratuit à la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché, notion distincte de celle de produits agréés :

Toute spécialité pharmaceutique ou tout autre médicament fabriqué industriellement ou selon une méthode dans laquelle intervient un processus industriel ainsi que tout générateur, trousse ou précurseur qui ne fait pas l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Union européenne en application du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l'autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées, notamment l'obligation de réaliser des études de sécurité ou d'efficacité post-autorisation.

(...)

Ainsi, le fait, pour un fournisseur, d'obtenir l'agrément de son produit lui ouvre-t-il le marché des collectivités publiques et établissements de santé civils et militaires qui seront alors autorisés à lui passer commande. C'est d'ailleurs pour cette raison que la société Panpharma a demandé cette inscription dès le 19 novembre 2015, même si sa demande n'a abouti, compte tenu des délais d'instruction du dossier, que plusieurs mois après, soit le 10 mai 2016, date de la publication au Journal Officiel de l'arrêté du 3 mai 2016 portant modification de la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités publiques pour y ajouter, entre autres produits, l'atosiban Panpharma.

Pour autant, il ne peut être utiliment reproché à un fournisseur de produits pharmaceutiques de ne pas avoir respecté une interdiction qui ne pèse par sur lui, mais seulement sur l'acheteur public de ces produits.

En tout état de cause et à supposer même qu'il puisse être considéré que cette interdiction pèse également sur les fournisseurs, la société Panpharma est fondée à se prévaloir de la procédure dérogatoire qui, par application de l'article L 5123-6, permet aux établissements de santés civils ou militaires de s'approvisionner en produits ne figurant pas sur la liste de l'article L 5123-2 «'en cas d'urgence'», notamment dans l'hypothèse d'une pénurie de produits agréés.

Ainsi les conditions de recours à cette procédure dérogatoire sont-elles précisées dans le guide de l'achat public des produits de santé en milieu hospitalier, document élaboré en juillet 2012 par le ministère de l'économie et des finances (pièce n° 15 de l'appelante) qui, en page 33, prévoit que lorsque les hôpitaux sont confrontés à un «'besoin urgent non inclus dans un marché en cours d'exécution'», l'acheteur public est autorisé à mettre en oeuvre un marché négocié sans publicité préalable et sans mise en concurrence.

Et le guide d'ajouter que «'le pouvoir adjudicateur doit être en mesure de motiver le caractère objectif de l'urgence, ainsi que l'impossibilité réelle de respecter les délais normalement prévus pour une procédure pour des raisons sérieuses ne résultant pas de son fait'».

C'est donc à l'acheteur public qu'il revient d'apprécier le caractère d'urgence, au sens de l'article L 5123-6, lui permettant de déroger au principe d'un approvisionnement exclusif en médicaments agréés.

Dès lors, c'est à bon droit que la société Panpharma récuse toute responsabilité personnelle dans l'exécution de la commande qui lui a été passée par le Groupement UNIHA au début de l'année 2016.

En effet, la société produit (cf pièce n° 25) deux courriers qui lui ont été adressés par le groupement successivement les 27 janvier et 12 février 2016, dont le premier est même revêtu de la mention «'URGENT'», qui sont rédigés en ces termes : «'Je vous serais reconnaissante de bien vouloir me communiquer les meilleurs prix fermes du 1er au 29 février 2016 [puis du 1er mars au 31 mai 2016] que vous pouvez consentir à UNIHA pour la fourniture des spécialités pharmaceutiques Atosiban [...]'», l'acheteur public ayant même invité la société Panpharma à répondre à cette demande «'par retour de fax'».

C'est donc bien au nom de l'urgence, au sens de l'article L 5123-6, que le groupement UNIHA s'est affranchi de la procédure habituelle d'approvisionnement exclusif en atosiban agréé.

A cet égard et compte tenu de cette urgence notifiée au laboratoire, il ne pouvait pas être demandé à la société Panpharma d'en vérifier la réalité, l'urgence ne pouvant en effet être appréciée que par l'acheteur public lui-même et sous la seule responsabilité de celui-ci.

De même, il ne pouvait pas être exigé de la société Panpharma qu'elle s'enquiert auprès de la société Ferring, laboratoire alternatif à la société Sun Pharmaceuticals, pour savoir si celle-ci était ou non en mesure d'approvisionner le groupement UNIHA.

D'ailleurs, le seul fait que l'acheteur public s'adresse à la société Panpharma laissait présumer que tel n'était pas le cas.

Pas davantage il n'est établi que la société Panpharma ait démarché de sa propre initiative les établissements hospitaliers pour les inciter à acheter ses produits plutôt que ceux de la société Ferring, aucune pièce n'étant versée aux débats pour accréditer cette allégation.

C'est donc bien à la demande du groupement UNIHA, dans le contexte d'une urgence médicale invoquée par l'acheteur public, que la société Panpharma a été amenée à répondre à cette commande, aucun reproche ne pouvant dès lors lui être adressé à cet égard.

En conséquence et en l'absence de démonstration d'une faute commise par la société Panpharma qui puisse caractériser des faits de concurrence déloyale, la société Ferring sera déboutée de l'intégralité des demandes qu'elle forme à son encontre.

Par suite, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a jugé que les ventes réalisées par la société Panpharma étaient illicites et constitutives d'actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société Ferring, en ce qu'il a condamné la société Panpharma à indemniser la société Ferring du montant du préjudice subi par celle-ci du 30 janvier au 10 mai 2016, de même qu'en ce qu'il a ordonné la communication de diverses pièces avant-dire-droit sur la liquidation de ce préjudice.

Pour autant, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Panpharma de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour dénigrement et atteinte à son image.

En effet, la cour considère que n'est pas fautive la réaction de la société Ferring qui, voyant ses ventes de «'Tractocile'» s'effondrer parallèlement à l'arrivée sur le marché hospitalier d'un produit non agréé, a pu légitimement s'en émouvoir en écrivant à l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament, alors par ailleurs qu'elle l'a fait sans excès de langage ni déformation de la réalité (à savoir qu'il lui apparaissait qu'un tel procédé était contraire à la réglementation, ce qui aurait d'ailleurs été le cas si de telles ventes étaient intervenues à l'initiative de la société Panpharma et hors contexte d'urgence, circonstance que la société Ferring pouvait légitimement ignorer puisqu'elle affirme n'avoir jamais été elle-même en rupture de stock).

D'ailleurs, la société Panpharma reconnaît elle-même que cette plainte n'a été suivie d'aucun effet, l'ANSM, vraisemblablement informée par l'acheteur public du contexte particulier dans lequel cette commande était intervenue, n'ayant donné aucune suite à la plainte de la société Ferring qui, dès lors, n'est à l'origine d'aucun préjudice pour la société Panpharma.

N'est pas davantage fautif le constat d'huissier de justice opéré au sein du CHU de [Localité 4] à la demande de la société Ferring sur autorisation du président du tribunal de commerce de Nantes, s'agissant là de l'exercice d'une voie de droit qui, eu égard au contexte de l'affaire, ne présente pas un caractère abusif.

Ainsi, l'attitude procédurale de la société Ferring, non constitutive d'aucune faute, n'a causé aucun préjudice à la société Panpharma.

Partie perdante, la société Ferring sera condamnée à payer à la société Panpharma une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

De même, la société Ferring supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- déclare la société Ferring irrecevable en sa fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Panpharma ;

- confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Panpharma de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour dénigrement déloyal et atteinte à son image ;

- l'infirmant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant :

* juge que la société Panpharma n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Ferring ;

* déboute en conséquence la société Ferring de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société Panpharma ;

* condamne la société Ferring à payer à la société Panpharma une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamne la société Ferring aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17/07637
Date de la décision : 18/09/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 02, arrêt n°17/07637 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-18;17.07637 ?
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