9ème Ch Sécurité Sociale
ARRET N°408
N° RG 18/01055 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OTXG
SAS LA CREPE DE BROCELIANDE
C/
URSSAF BRETAGNE
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 30 JUIN 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Véronique PUJES, Conseillère, faisant fonction de Président
Assesseur : Madame Hélène CADIET, Conseillère,
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Loeiza ROGER, lors des débats, et Madame N... LIZEE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 26 Février 2020
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Juin 2020 après prorogation, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats ;
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 25 Janvier 2018
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'Ille-et-Vilaine
****
APPELANTE :
SAS LA CREPE DE BROCELIANDE
[...]
[...]
représentée par Me Lionel HEBERT, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
URSSAF BRETAGNE
TSA 40015
[...]
représentée par Mme A... T... (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir spécial
FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS «La Crèpe de Brocéliande» (la société) a fait l'objet par l'URSSAF Bretagne (l'URSSAF) d'une vérification de l'application de la législation sociale concernant les infractions relatives au travail dissimulé, s'agissant des agents commerciaux travaillant pour son compte.
Une lettre d'observation du 14 février 2013 a été adressée à la société et parallèlement un procès-verbal a été transmis au procureur de la république.
Par courrier du 18 mars 2013, la société a fait valoir en vain des observations, contestant la qualification de travail dissimulé.
Une mise en demeure du 5 juin 2013 a été adressée à la société pour un montant global de 211189 euros.
Par courrier du 19 juin 2013, la société a saisi la commission de recours amiable de l'organisme.
Se prévalant d'une décision implicite de rejet, elle a par suite saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine.
La commission de recours amiable a confirmé le bien-fondé du redressement.
Le tribunal, par jugement du 25 janvier 2018, a :
- débouté la société de son recours, de ses demandes et prétentions,
- condamné la société à payer à l'URSSAF la somme de 211 189 euros sans préjudice des majorations de retard complémentaires,
- dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le 12 février 2018, la société a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 5 février 2018.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par ses écritures auxquelles s'est référé son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- annuler la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable,
- annuler la décision de la commission de recours amiable du 12 décembre 2013,
- annuler le redressement notifié,
- condamner l'URSSAF à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société fait valoir pour l'essentiel qu'aucune infraction de travail dissimulé n'a été établie à son encontre ; que dans le cadre de son développement, elle a confié à M. C... un mandat d'agent commercial sur la période du 2 janvier 2007 au 31 décembre 2009, puis elle a régularisé avec lui un contrat de prestations de services (suivi commercial), à compter du 28 décembre 2009, pour une période indéterminée ; que l'URSSAF ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de subordination ni celle de l'élément intentionnel du délit de dissimulation d'un emploi salarié.
Par ses écritures auxquelles s'est référé son représentant à l'audience, l'URSSAF demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 25 janvier 2018,
- dire que la société est redevable de la somme de 211 189 euros sans préjudice des majorations de retard complémentaires,
- condamner la société au paiement de la somme supplémentaire de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes et prétentions.
L'URSSAF relève en substance que l'élément intentionnel requis pour la poursuite pénale de l'infraction n'est pas une condition du redressement civil des cotisations ; que les missions de M.C... à compter du 1er janvier 2010 étaient exécutées pour le seul compte de la société, qu'il n'en tirait aucun avantage personnel, ne prenait aucun risque économique et était intégré au service commercial ; que la mission a duré près de trois ans, le contrat ne prévoyant pas de terme ; que la société a recouru en toute connaissance de cause aux services de M. C... dans l'attente de l'embauche d'un salarié commercial ; qu'un rappel à la loi a été prononcé à l'encontre de celle-ci.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées à l'audience du 26 février 2020.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur le bien-fondé du redressement :
Il est constant que la société a confié à M. C... un mandat d'agent commercial du 2 janvier 2007 au 31 décembre 2009 (pièces n°7 et 8 des productions de la société) avec pour mission de développer le chiffre d'affaires de la société auprès d'une clientèle déterminée. Il bénéficiait d'une rémunération variable sous la forme de commissions, proportionnelles au chiffre d'affaires généré par son activité. Ce contrat n'est pas en cause dans le redressement opéré.
Puis, à effet au 1er janvier 2010 pour une durée indéterminée, les protagonistes ont régularisé un contrat intitulé « contrat de prestations de services» dont la mission est définie comme suit :
«La société La crêpe de Brocéliande, donneur d'ordre, missionne le prestataire G... C... pour le suivi commercial des clients :
* des magasins AUCHAN rattachés au département suivant : 44
* des magasins LECLERC s'approvisionnant sur l'entrepôt SCAOUEST
* de l'entrepôt SCAOUEST».
Ce contrat prévoit que «le prestataire de service perçoit une prestation de service d'un montant de 2 000 euros HT mensuel».
Il a été mis fin à ce contrat par courrier du 15 novembre 2012, à effet au 31 janvier 2013 (pièce n°10 des productions de la société).
' Sur le lien de subordination :
Aux termes de l'article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
L'agent commercial a au minimum le pouvoir de négocier des contrats.
Aux termes de l'article L. 8221-6 du code du travail, dans sa version applicable,« Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 213-11 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
4° Les personnes physiques relevant de l'article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
II. - L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5.
Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent II est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie ».
L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs, qu'il y a lieu d'examiner.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (pourvoi n° 17-20079).
La société allègue que cette mission de suivi commercial, exclusive de toute activité de vente, a permis, par les visites en magasins, de vérifier l'application des accords de référencement, de développer et de renforcer la relation commerciale de la société vis-à-vis des magasins. Elle ajoute que pour l'exécution de ce second contrat, M. C... a maintenu son inscription au registre des agents commerciaux, a toujours organisé librement son activité et a supporté l'ensemble de ses frais professionnels ; que les réunions de travail auxquelles il a participé n'ont jamais excédé le cadre normal d'une reddition de comptes sur l'exécution de sa mission de prestataire.
L'URSSAF réplique que la présomption de non-salariat est une présomption simple qui peut être renversée par tout moyen et que la démonstration du lien de subordination peut résulter d'un faisceau d'indices comme dans la présente situation.
En l'espèce, il y a lieu de retenir, comme l'ont relevé l'URSSAF et les premiers juges, le faisceau d'indices suivant, qui démontre suffisamment le lien de subordination existant entre M. C... et la société par le fait que :
- la mission confiée par la société à M. C... (suivi commercial de clients existants démarchés antérieurement) n'entre pas dans la définition de l'agent commercial, lequel n'était chargé d'aucune mission de négociation et/ou de conclusion de contrats pour le compte de la société ;
- M. C... travaillait exclusivement pour le compte de la société et était placé dans une situation de dépendance économique ; il ne supportait en outre aucun risque économique en ce qu'il percevait une rémunération forfaitaire mensuelle (2 000 euros HT), sans lien avec le chiffre d'affaires réalisé auprès des clients de son portefeuille ; seule la société supportait le risque de la mauvaise exécution du contrat ;
- M. C... participait aux réunions de la société, notamment celles sur la stratégie commerciale et les points d'activité ;
- à la fin de sa mission, ses fonctions ont intégralement été confiées à un salarié recruté en contrat à durée indéterminée, dont l'intitulé du poste est «chef de secteur».
Dès lors, il ne peut qu'être considéré que M. C... était placé dans une situation caractéristique d'un contrat de travail.
' Sur l'élément intentionnel :
Il est jugé par la Cour de cassation que s'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur (pourvoi n°16 -22307).
Les faits établissant l'élément matériel du délit de travail dissimulé constituent le fait générateur du versement des cotisations et contributions dues au titre du redressement et justifient l'annulation par l'organisme de recouvrement des mesures d'exonération et de réduction de celles-ci (pourvoi n°12 - 26123).
Est donc sans emport pour la solution du présent litige le fait que le délit constaté dans le procès-verbal adressé au procureur de la république a fait l'objet d'un traitement par le biais d'une mesure alternative aux poursuites consistant en un rappel à la loi suivi d'un classement sans suite (pièce n°11 de l'URSSAF).
La matérialité du délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié est donc établie et caractérise l'élément intentionnel requis par l'article L. 8221-6 du code du travail de sorte que le redressement est parfaitement justifié tant en son principe qu'en son montant, le jugement étant confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes :
La société sera condamnée à verser à l'URSSAF la somme de 1 500 euros en cause d'appel.
S'agissant des dépens, si la procédure était, en application de l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale gratuite et sans frais, l'article R.142-1-1 II, pris en application du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, dispose que les demandes sont formées, instruites et jugées selon les dispositions du code de procédure civile, de sorte que les dépens sont régis désormais par les règles de droit commun conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine du 25 janvier 2018 en toutes ses dispositions,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société à verser à l'URSSAF la somme de 1 500 euros en cause d'appel,
CONDAMNE la société aux dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT