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17/06/2020 | FRANCE | N°18/01605

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 17 juin 2020, 18/01605


9ème Ch Sécurité Sociale








ARRET N° 310








N° RG 18/01605 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OVPC




















SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE (anciennement dénommée STX)


SA ALSTOM SHIPWORKS (anciennement dénommée CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE)





C/





Mme G... N...


Mme W... N... F...


M. T... N...


FIVA


Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE CHARENTE MARITIME
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SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE (ANCIENNEMENT DENOMMÉE S TX FRANCE)





























Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée























Copie exécutoire délivrée


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à :












...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRET N° 310

N° RG 18/01605 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OVPC

SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE (anciennement dénommée STX)

SA ALSTOM SHIPWORKS (anciennement dénommée CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE)

C/

Mme G... N...

Mme W... N... F...

M. T... N...

FIVA

Société CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE CHARENTE MARITIME

SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE (ANCIENNEMENT DENOMMÉE S TX FRANCE)

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 JUIN 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère,

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Zina KESSACI, lors des débats, et Madame Morgane LIZEE, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l'audience publique du 11 Mars 2020

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Juin 2020 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré initialement prévu le 6 mai 2020;

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 08 Février 2018

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de NANTES

****

APPELANTES:

SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE ( anciennement dénommée STX)

[...]

[...]

représentée par Me Aurélien GUYON de la SCP GUYON & DAVID, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

SA ALSTOM SHIPWORKS (anciennement dénommée CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE)

[...]

[...]

représentée par Maître Michel PRADEL, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Madame G... N...

[...]

[...]

représentée par Maître Michel LEDOUX, avocat au barreau de PARIS

Madame W... N... F...

[...]

[...]

représentée par Maître Michel LEDOUX, avocat au barreau de PARIS

Monsieur T... N...

[...]

[...]

représentée par Maître Michel LEDOUX, avocat au barreau de PARIS

FIVA

TOUR P... II

[...]

[...]

Représentée par Maître Vincent RAFFIN, avocat au barreau de NANTES

Organisme CPAM DE LA CHARENTE MARITIME

[...]

[...]

représentée par Mme O... L... (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir spécial

SA CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE ( anciennement dénommée STX)

[...]

[...]

représentée par Me Aurélien GUYON de la SCP GUYON & DAVID, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

EXPOSE DU LITIGE

Les faits de la cause ayant été rapportés par le tribunal dans son exposé du litige au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample développement, il suffit de rappeler que la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime (la caisse) a pris en charge, au titre d'un ' cancer broncho-pulmonaire primitif' du tableau n°30 bis, la maladie déclarée par V... N... le 3 mars 2014 au titre d'un 'cancer broncho-pulmonaire' sur la base d'un certificat médical initial du 27 février 2014 faisant état d'un 'adénocarcinome bronchique du segment apical du lobe inférieur pulmonaire gauche, cancer broncho-pulmonaire' ; que V... N..., dont l'état de santé a été déclaré consolidé à la date du 19 juin 2014 avec un taux d'incapacité permanente de 100% justifiant le versement d'une rente à effet au 20 juin 2014, est décédé le 9 juillet 2014 à l'âge de 59 ans ; que, le 2 novembre 2015, son épouse et ses deux enfants ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Loire-Atlantique d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur qu'ils désignaient comme étant la société Chantiers de l'Atlantique ; que parallèlement, la société STX France a saisi le même tribunal aux fins de lui voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie déclarée par V... N....

Par jugement du 8 février 2018, le tribunal a :

- ordonné la jonction des deux recours,

- déclaré recevable le recours du FIVA subrogé dans les droits de V... N... et de ses ayants-droits,

- dit que la maladie professionnelle déclarée par V... N... est imputable à une faute inexcusable de l'employeur, la société Chantiers de l'Atlantique,

- dit que l'indemnité forfaitaire due à V... N... en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale est égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de sa consolidation,

- dit que cette indemnité sera directement versée par la caisse au FIVA dans la limite des sommes avancées par celui-ci et à la succession de V... N... pour le surplus,

- fixé au maximum la majoration de la rente due à Mme G... N... en sa qualité de conjoint survivant,

- dit que cette indemnité sera versée par la caisse à Mme N...,

- fixé aux sommes suivantes le montant des préjudices personnels de V... N... :

*77 100 euros au titre des souffrances physiques,

* 24 900 euros au titre des souffrances morales,

* 500 euros au titre du préjudice esthétique,

- dit que ces sommes seront versées par la caisse au FIVA en sa qualité de créancier subrogé,

- fixé le préjudice moral de chacun des ayants-droits à :

*32 600 euros pour Mme N...,

*8 700 euros pour chacun des deux enfants,

*3 300 euros pour chacun des trois petits-enfants,

- dit que ces sommes seront versées par la caisse au FIVA en sa qualité de créancier subrogé,

- dit que les sommes susvisées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement,

- déclaré opposable à la société Chantiers de l'Atlantique et à la société STX France la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie et du décès de V... N...,

- dit que la caisse sera remboursée dans le cadre de son action récursoire des sommes allouées à la victime et à ses ayants-droits par la société Chantiers de l'Atlantique,

- condamné la société Chantiers de l'Atlantique à payer au FIVA la somme de 1 000 euros et aux consorts N... la somme également de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le 2 mars 2018, la société Chantiers de l'Atlantique devenue Alstom Shipworks a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 13 février 2018 (dossier enregistré sous le n°18-01929).

Le 6 mars 2018,la société STX France devenue Chantiers de l'Atlantique a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 12 février 2018 (dossier enregistré sous le n° 18-01605).

1/Le dossier 18-01929 :

Par ses conclusions transmises le 2 décembre 2019 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société Alstom Shipworks demande à la cour de :

- à titre principal, sur la faute inexcusable de la société Alstom Shipworks, anciennement dénommée Chantiers de l'Atlantique :

* dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable à l'origine de la pathologie dont est décédé V... N...,

* réformer le jugement entrepris,

* débouter les consorts N... et le FIVA de leurs demandes,

- à titre subsidiaire, si la faute inexcusable de la société Alstom Shipworks était reconnue :

* premièrement, sur les irrégularités entachant la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par V... N... et ses conséquences sur l'action en remboursement de la caisse dans l'éventualité d'une reconnaissance de faute inexcusable :

- sur l'irrégularité des décisions de prise en charge :

' déclarer inopposable à la société Alstom Shipworks la décision de prise en charge de la maladie déclarée par V... N...,

' réformer le jugement entrepris,

- sur l'action en remboursement de la caisse des indemnités versées au titre de la faute inexcusable :

' dire et juger que les irrégularités tenant au fond de la décision de prise en charge privent la caisse de son recours en remboursement des indemnités allouées au titre de la faute inexcusable,

' réformer le jugement entrepris,

' débouter la caisse de sa demande en remboursement,

* deuxièmement, sur l'indemnité forfaitaire, la majoration de rente et le quantum des indemnités versées par le FIVA :

- sur l'indemnité forfaitaire :

' faire une juste application des dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,

' allouer la somme de 18 263,54 euros,

- sur la majoration de rente servie à la veuve de V... N... :

' dire et juger que la caisse doit évaluer le quantum de la majoration de cette rente,

- sur le quantum des indemnités demandées par le FIVA :

' réduire le montant des indemnités susceptibles d'être allouées au FIVA au titre du pretium doloris,

' réformer le jugement entrepris sur ce point,

' confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le FIVA de sa demande de versement d'une indemnité en réparation du préjudice d'agrément,

' réduire le montant des indemnités allouées en réparation du préjudice moral des ayants droit,

' réformer le jugement entrepris sur ce point.

Par ses conclusions transmises le 27 novembre 2019 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société STX France, devenue Chantiers de l'Atlantique, demande à la cour de :

Vu notamment les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L.452-1 et suivants, L.461-1 et suivants, R.441-10 et suivants du code de la sécurité sociale, le tableau n°30 bis des maladies professionnelles et les pièces versées aux débats :

- dire et juger la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement dénommée STX France-RCS n° [...]) recevable et bien fondée en ses écritures,

Y faisant droit,

- confirmer le jugement entrepris dans ses dispositions relatives au recours n° 21501638 en ce que le tribunal a implicitement mais nécessairement :

' jugé que la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement dénommée STX France-RCS n° [...]) n'avait commis aucune faute inexcusable,

' jugé que la caisse ne disposerait d'aucune action récursoire à son encontre,

- débouter en conséquence les parties des demandes qu'elles pourraient éventuellement formuler contre la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement dénommée STX France-RCS n° [...]) et mettre celle-ci hors de cause.

Par ses conclusions transmises le 26 février 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour, statuant dans le cadre de l'appel interjeté par la société Alstom Shipworks de :

-déclarer l'appel recevable mais mal fondé,

- confirmer le jugement entrepris,

y ajoutant,

- condamner la société Alstom Shipworks anciennement Chantiers de l'Atlantique à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la partie succombante aux dépens.

Par leurs conclusions transmises le 6 février 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, les consorts N... demandent à la cour de :

A titre principal :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

' déclaré recevable le recours des ayants-droit de V... N...,

' dit que la maladie professionnelle déclarée par celui-ci est imputable à une faute inexcusable de son employeur, la société Chantiers de l'Atlantique (dénommée aujourd'hui Alstom Shipworks),

' dit que l'indemnité forfaitaire due à V... N... en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale est égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de sa consolidation,

' dit que cette indemnité sera directement versée par la caisse au FIVA dans la limite des sommes avancées par celui-ci et à la succession de V... N... pour le surplus,

fixé au maximum la majoration de la rente due à Mme G... N... en sa qualité de conjoint survivant,

' dit que cette indemnité sera versée par la caisse à Mme G... N...,

' dit que les sommes susvisées porteront interêts au taux légal à compter du jugement,

condamné la société Chantiers de l'Atlantique (dénommée aujourd'hui Alstom Shipworks) à leur payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

si la cour devait considérer que la société STX France (aujourd'hui Chantiers de l'Atlantique) venant aux droits de la société Aker Yards doit aujourd'hui répondre des conditions de travail de V... N... :

- dire et juger que la maladie professionnelle dont a souffert et est décédé V... N... est due à une faute inexcusable de son employeur, la société Chantiers de l'Atlantique anciennement dénommée STX France venant aux droits de la société Aker Yards,

en conséquence,

- fixer au maximum la majoration de la rente due à Mme G... N... en sa qualité de conjoint survivant,

- allouer à la succession de V... N... l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation à laquelle V... N... aurait pu prétendre avant son décès, conformément aux dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

En tout état de cause,

- dire que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt en application de l'article 1153-1 du code civil,

- condamner en cause d'appel toute partie succombante au paiement d'une somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

2/Le dossier 18-01605 :

Par ses conclusions dites récapitulatives transmises le 9 mars 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société STX France, devenue Chantiers de l'Atlantique, demande à la cour de :

Vu notamment les articles 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L.452-1 et suivants, L.461-1 et suivants, R.142-10 et suivants, R.441-10 et suivants du code de la sécurité sociale, le tableau n°30 bis des maladies professionnelles et les pièces versées aux débats :

- dire et juger la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement dénommée STX France-RCS n° [...]) recevable et bien fondée en son appel du jugement entrepris en ce qu'il lui a déclaré opposable la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie de V... N... et de son décès imputable à la pathologie,

Y faisant droit,

A titre principal :

- dire qu'elle n'a jamais exposé V... N... au risque amiante et qu'elle n'a pas repris le passif relatif à une éventuelle exposition du temps où l'intéressé était salarié de la société anciennement dénommée Chantiers de l'Atlantique aujourd'hui Alstom Shipworks,

- infirmer en conséquence le jugement déféré et, statuant à nouveau, dire et juger que la prise en charge, notifiée par courrier du 20 mai 2014, de la maladie déclarée par V... N... lui est inopposable et qu'elle n'aura donc pas à en supporter les conséquences financières.

A titre subsidiaire :

- dire et juger que dans les rapports entre elle et la caisse, celle-ci ne rapporte pas la preuve que la maladie prise en charge remplit effectivement les conditions imposées par le tableau n° 30 bis,

- en conséquence, infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, dire et juger que la prise en charge, notifiée par courrier du 20 mai 2014, de la maladie déclarée par V... N... lui est inopposable et qu'elle n'aura donc pas à en supporter les conséquences financières.

A titre infiniment subsidiaire :

- dire et juger que la caisse n'a pas respecté le principe du contradictoire de la procédure préalable à la prise en charge de la maladie déclarée par V... N...,

- en conséquence infirmer le jugement entrepris et dire que la prise en charge, notifiée par courrier du 20 mai 2014, de la maladie déclarée par V... N... lui est inopposable et qu'elle n'aura donc pas à en supporter les conséquences financières.

Par ses conclusions communes aux deux dossiers transmises le 2 mars 2020 auxquelles s'est référé et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :

sur l'opposabilité de la prise en charge de la maladie :

- constater que V... N... a été exposé à l'amiante lors de son activité professionnelle au sein de la société Chantiers de l'Atlantique,

- constater que V... N... est atteint de l'affection prévue au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles,

- constater qu'elle était fondée à prendre en charge cette maladie, médicalement constatée le 27 février 2014, au titre de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale,

- constater qu'elle a satisfait aux exigences du principe du contradictoire,

- constater qu'en sa qualité de dernier employeur et d'entreprise cessionnaire, la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la pathologie de V... N..., médicalement constatée le 27 février 2014, est opposable à la société STX France,

En conséquence,

-dire et juger la société STX France mal fondée en son recours,

-confirmer le jugement entrepris,

- débouter la société STX France de ses demandes,

-déclarer opposable à cette société la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la pathologie de V... N..., médicalement constatée le 27 février 2014,

sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur l'appréciation de la faute inexcusable, de la majoration de rente et de l'estimation du préjudice moral des consorts N...,

- constater qu'elle fera l'avance de ces indemnités et qu'elle en récupérera immédiatement le montant auprès de l'employeur conformément aux dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

- constater qu'elle n'aura pas à faire l'avance de la somme qui pourrait être allouée aux ayants-droit de V... N... en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme devant être réglée directement par l'employeur.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1-Sur la jonction des instances

En application de l'article 367 du code de procédure civile, il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'ordonner la jonction des instances inscrites au répertoire général du greffe sous les numéros 18-01605 et 18-01929, le tout sous le numéro 18-01605.

2-Sur la faute inexcusable

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité ; le manquement à cette obligation constitue une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposait le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant ; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée.

Cela implique que la juridiction saisie d'une telle demande recherche, après débat contradictoire, si le salarié a été exposé au risque dans des conditions constitutives d'une faute inexcusable et que soit reconnu le caractère professionnel de la maladie.

Le tableau n° 30 bis concerné en l'espèce, afférent au cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation des poussières d'amiante, modifié par le décret n° 2000-343 du 14 avril 2000, applicable au litige, vise le cancer broncho-pulmonaire primitif, un délai de prise en charge de 40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans et une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette pathologie.

A - L'exposition au risque

Il ressort des pièces du dossier que V... N... a travaillé sur les chantiers de construction navale de Saint-Nazaire comme chaudronnier du 31 août 1971 au 4 août 1974, puis est parti effectuer son service militaire avant d'être de nouveau embauché comme chaudronnier du 30 juillet 1975 au 30 septembre 1999 puis comme charpentier métaux du 1er octobre 1999 au 31 octobre 2006, date à laquelle il a cessé son activité dans le cadre du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; le relevé de carrière établi le 22 décembre 2014 mentionne que son activité s'est exercée successivement au sein des Chantiers - établissements mécanique - du 31 août 1971 au 30 juin 1981 puis des Chantiers de l'Atlantique du 1er juillet 1981 au 31 mai 2006 et, enfin, de la société Aker Yards (devenue STX France) du 1er juin 2006 au 31 octobre 2006.

Le salarié travaillait dans un grand atelier non cloisonné où il montait et fabriquait ce qui servait aux systèmes de ventilation dans les navires ; il plaçait des joints en amiante entre les brides dans les caissons hydrauliques, fabriquait des tuyauteries en inox à l'intérieur et à l'extérieur desquelles il plaçait des cordons en amiante préalablement découpés au ciseau, mettait des joints en amiante dans l'encadrement des portes, découpait et utilisait la toile d'amiante lors des travaux de soudure, ponçait les joints en amiante, etc. Le salarié précisait qu'il n'avait pour seule protection qu'un 'nez de cochon'.

Ces conditions de travail sont confirmées par ses anciens collègues qui, aux termes d'attestations circonstanciées et concordantes, précisent qu'il découpait régulièrement des joints en amiante lors de l'assemblage des tuyauteries, utilisait souvent la toile d'amiante, participait à la fabrication des portes étanches pour lesquelles les joints en amiante étaient percés et fixés par rivets à l'aide de machines pneumatiques dégageant de la poussière, etc ( cf attestations de MM R..., U... sur les conditions de travail de V... N... ; C..., D..., B... également chaudronniers dans l'atelier de Montoir décrivant leurs conditions de travail à la même époque).

Si la société Alstom Shipworks verse aux débats un certain nombre de notes internes et extraits de rapports divers remontant à la première moitié des années 1970 faisant état du remplacement de produits amiantés par d'autres matériaux ne contenant pas d'amiante, tels les panneaux 'marinite' destinés à se voir substitués par des panneaux en fibre de verre ou en laine de roche, ces initiatives n'ont pas marqué le terme de l'utilisation de l'amiante au sein des ateliers mais le début d'un abandon progressif de son usage.

Il ressort par ailleurs de l'arrêté interministériel du 21 septembre 2004 que la société Chantiers de l'Atlantique figure sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACATA pour une période d'exposition fixée de 1945 à 1996.

Il est ainsi établi que V... N... a été exposé de manière habituelle aux poussières d'amiante lors de son activité à compter de 1971, date à laquelle n'avaient même pas encore été mises en place les mesures alléguées par l'employeur qui situe les premiers essais de remplacement vers 1972.

Cette exposition remplit les conditions visées au tableau n° 30 bis, tant en ce qui concerne la durée d'exposition que les travaux.

B - Les caractéristiques de la maladie au regard du tableau n° 30 bis

Comme indiqué ci-dessus, ce tableau vise le cancer broncho-pulmonaire primitif.

Il n'est pas discuté que le libellé de la pathologie mentionnée au certificat médical initial du 27 février 2014 ('adénocarcinome bronchique') est différent de celui figurant au tableau n°30 bis, que la notification de rente vise une 'néoplasie pulmonaire métastasique', que le colloque médico-administratif mentionne, sous la case 'libellé complet du syndrome': 'cancer broncho pulmonaire' sans faire mention du caractère primitif de la pathologie et que la case ' conditions médicales réglementaires du tableau remplies '' n'est pas renseignée.

Les intitulés 'adénocarcinome bronchique' et 'néoplasie pulmonaire' renvoient tous deux au cancer broncho-pulmonaire, dénomination au demeurant également mentionnée dans le certificat médical initial. Le moyen tiré de la différence de dénomination dont se prévaut la société Alstom Shipworks est donc inopérant.

Par ailleurs, il n'est pas discuté qu'un cancer 'primitif' est un cancer principal ou d'origine.

En l'occurrence, le caractère 'primitif' du cancer broncho-pulmonaire dont V... N... était atteint et dont il est décédé ressort des éléments médicaux extrinsèques produits aux débats fondant l'avis favorable du médecin conseil à la prise en charge de cette maladie. C'est ainsi que :

- le compte rendu du TDM du 6 mars 2014 établi par le docteur Q... du centre hospitalier de Royan mentionne comme une indication de 'carcinome épidermoide pulmonaire avec métas cérébrales et osseuses',

-le compte rendu du scanner thoraco-abdomino-pelvien du 19 mai 2014 du docteur H... exerçant au sein du même hôpital, mentionnant comme indication 'néoplasie pulmonaire. Métastases cérébrales', confirme la stabilité du syndrome tumoral pulmonaire et fait état à la fois de la majoration des localisations secondaires cérébelleuses et de l'apparition de localisations secondaires hépatiques et osseuses,

-le résultat de la scintigraphie osseuse du 22 mai 2014 évoquant un 'aspect scintigraphique en faveur de localisations osseuses secondaires diffuses'.

L'adénocarcinome d'origine broncho-pulmonaire mis en évidence par les examens pratiqués en janvier 2014 a ainsi manifestement développé des métastases corroborant son caractère primitif, permettant de conclure que la pathologie présentée par V... N... remplit la condition médicale du tableau n° 30 bis contrairement à ce que soutient l'employeur.

L'exposition au risque et le caractère professionnel de la maladie étant par conséquent établis, il reste à déterminer si les éléments de la faute inexcusable, tels qu'énoncés supra, sont réunis.

Dans le cas présent, ces éléments doivent être recherchés au regard d'abord de l'évolution des connaissances scientifiques et de l'état du droit en la matière, ensuite de l'attitude de l'employeur face aux risques professionnels et de la situation particulière de V... N... par rapport à l'ensemble de ces données.

- L'évolution du droit et des connaissances scientifiques :

Cette évolution chronologique, rappelée dans le jugement entrepris et les conclusions des consorts N..., et non remise en cause par les autres parties, s'établit ainsi :

- loi du 12 juin 1893, concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels : cette loi, applicable notamment aux chantiers, ateliers et à leurs dépendances (article 1er), dispose que les établissements visés à l'article 1er doivent être tenus dans un état constant de propreté et présenter les conditions d'hygiène et de salubrité nécessaires à la santé du personnel.

- décret du 20 novembre 1904 (pris pour application de la loi du 12 juin 1893), article 6 : les poussières ainsi que les gaz incommodes, insalubres ou toxiques seront évacués directement au dehors des locaux de travail au fur et à mesure de leur production. Pour les buées, vapeurs, gaz, poussières légères il sera installé des hottes avec cheminées d'appel ou tout autre appareil d'élimination efficace. Pour les poussières déterminées par les meules, les batteurs, les broyeurs et tous autres appareils mécaniques, il sera installé, autour des appareils, des tambours en communication avec une ventilation aspirante énergique.

- 1906 : publication, dans le Bulletin de l'inspection du travail, d'une « note sur l'hygiène et la sécurité des ouvriers dans les filatures et tissages d'amiante », par M. E... inspecteur du travail à Caen ; cette note, décrivant les dangers de l'inhalation des poussières d'amiante dans des filatures et tissages de ce minéral, recommandait notamment la mise en place de systèmes de ventilation dans ces lieux de travail.

- loi du 26 novembre 1912, codifiant les dispositions précitées de la loi du 12 juin 1893, et décret d'application du 10 juillet 1913, reprenant celles du décret du 20 novembre 1904 ; un décret du 13 décembre 1948 disposait par ailleurs (article 7) que dans les cas exceptionnels où il serait impossible de prendre des mesures de protection collective contre les poussières, vapeurs ou gaz irritants ou toxiques, des masques et dispositifs de protection appropriés devront être mis à la disposition des travailleurs.

- 1930 : publication, dans la revue La Médecine du Travail, d'une étude du docteur M... (« Amiante et asbestose pulmonaire »), relevant les dangers des poussières d'amiante dans diverses activités y compris les constructions mécaniques (notamment pour les canalisations sous pression et les chaudières à vapeur), et insistant sur la nécessité de mesures de protection collectives ou individuelles.

- 2 août 1945 : création du tableau des maladies professionnelles n° 25, relatif aux maladies consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères. Ce tableau visait notamment la « silicose -fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice libre ou de l'amiante », et divers travaux présumés susceptibles de provoquer ces maladies (parmi lesquels ne figuraient pas les travaux de mise en 'uvre ou d'application de produits manufacturés à base d'amiante, tels que le calorifugeage ou la pose de parois ou de tissus en amiante).

- 31 août 1950 : création du tableau n° 30 des maladies professionnelles, spécifique aux maladies provoquées par l'inhalation des poussières d'amiante. Ce tableau prévoyait en premier chef l'asbestose, avec un délai de prise en charge de 5 ans, les travaux susceptibles de provoquer la maladie étant définis comme les « travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, notamment : cardage, filature et tissage de l'amiante ». (décret n° 50-1082 du 31 août 1950).

- 17 août 1977 : décret réglementant « les locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère », et fixait en particulier des concentrations moyennes de fibres d'amiante à ne pas dépasser, ainsi que des règles de protection générale (travaux par voie humide ou dans appareils protégés : article 3 du décret), ou à défaut individuelle (article 4).

- 24 décembre 1996 : interdiction de la fabrication, la transformation, l'importation, la mise sur le marché national, l'exportation, la détention en vue de la vente, l'offre et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d'amiante (décret n° 96-1133).

- Le comportement de l'employeur :

La société Chantiers de l'Atlantique pour laquelle V... N... a travaillé pendant la période d'exposition étant spécialisée dans la construction et la réparation navales, les risques liés à l'inhalation des poussières d'amiante ne pouvaient pas être ignorés d'elle au moins depuis 1950 date de création du tableau n° 30 au regard d'une liste des travaux devenue d'ailleurs simplement indicative à compter de 1955 ; en conséquence, quelle que soit la pathologie qui pouvait être concernée et les incertitudes scientifiques pouvant en certains domaines encore subsister à l'époque, tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau ; de la même façon, le décret du 17 août 1977 imposant des mesures particulières dans les locaux où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante n'avait pas pu ne pas attirer l'attention de l'employeur de V... N... sur les dangers de l'exposition à l'inhalation de telles poussières ; la carence de l'Etat ou des autorités de tutelle ne pouvait dispenser l'entreprise employeur, seule titulaire et débitrice à l'égard de son salarié d'une obligation générale de sécurité même à l'égard de produits au contact desquels se trouvaient exposés notamment par manipulation ses salariés, de prendre les mesures de prévention et de protection qu'imposait la situation alors qu'il était officiellement reconnu que les travaux en relation avec l'amiante étaient susceptibles de provoquer des affections professionnelles chez le personnel. Le contraire ne peut du reste pas être soutenu par la société qui fait elle-même valoir les mesures prises par sa direction dès les années 1970 afin de prévenir ou de limiter ces risques.

Il appartenait dans ces conditions à l'employeur de prendre toutes mesures nécessaires pour connaître et contrôler les conditions réelles et effectives dans lesquelles il faisait travailler V... N... et le préserver des risques liés à l'exposition aux poussières d'amiante encourus.

Or, il ressort des attestations précitées, là encore concordantes, qu'aucune protection individuelle ou collective n'était mise en oeuvre lors des activités de ces salariés les exposant aux poussières d'amiante ; il ressort pourtant d'un rapport technique du service médical des chantiers navals pour 1976 que si l'amiante avait à cette époque disparu de la composition des panneaux de cloisonnement et des coques d'isolation, remplacée par la laine de verre, et si les gants en amiante avaient été substitués par des gants en coton, l'amiante restait encore présente notamment dans le tissu enduit utilisé pour la protection des appareils contre le métal en fusion (dont le remplacement était en cours) et les joints d'étanchéité. Par ailleurs, l'efficacité des systèmes d'aspiration mis en place pour les poussières en général ne ressort pas avec certitude des débats.

L'absence de véritable mesure efficace pendant de nombreuses années malgré la conscience qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur du danger auquel V... N... était exposé en sa qualité de chaudronnier depuis 1971, permet de caractériser la faute inexcusable de l'employeur.

La société Alstom Shipworks est par conséquent mal fondée à faire valoir qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable à l'origine de la pathologie dont V... N... est décédé.

La faute inexcusable de la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France) n'est pas recherchée par le FIVA et les consorts N... qui, comme indiqué ci-dessus, concluent à la confirmation du jugement reconnaissant la faute inexcusable de la seule société Chantiers de l'Atlantique (aujourd'hui Alstom Shipworks).

3-Sur les conséquences

- l'indemnité forfaitaire

Il résulte de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale que la victime atteinte d'un taux d'incapacité de 100% est en droit d'obtenir une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

V... N... était atteint d'un taux d'incapacité de 100 %, du reste reconnu par la caisse suivant notification du 22 août 2014 ; l'allocation forfaitaire à laquelle il pouvait prétendre de son vivant s'élève à la somme non contestée de 18 263,54 euros.

Le FIVA ayant versé la somme de 5 062,80 euros au titre du préjudice fonctionnel de la victime, la caisse devra verser à la succession la somme de 13 200,74 euros et rembourser au FIVA celle de 5 062,80 euros.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

- la majoration de rente

En l'absence de faute inexcusable de V... N..., la majoration de la rente de conjoint survivant allouée à Mme G... N... et versée par la caisse doit être fixée à son taux maximum ; le jugement sera confirmé sur ce point.

La société Alstom Shipworks considère qu'il appartient à la caisse, dans le cadre de cette instance, d'évaluer le montant de cette majoration, ce à la date du jugement entrepris soit le 8 février 2018.

Suivant notification du 15 septembre 2014, Mme G... N... s'est vu attribuer une rente de conjoint survivant d'un montant trimestriel de 4 881,36 euros, calculée sur la base d'un salaire annuel de 32 542,43 euros auquel a été appliqué le taux de 60% ; le salaire minimum était mentionné, quant à lui, pour un montant de 18 263,54 euros déjà rappelé ci-dessus.

Les règles et limites concernant les majorations de rente en cas de faute inexcusable étant énoncées à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, la société est en mesure de calculer elle-même la majoration maximum de la rente due à Mme N... sans qu'il soit nécessaire d'imposer à la caisse de la chiffrer dans le cadre de la présente instance ; cela relève s'il y a lieu d'un problème d'exécution.

- les préjudices personnels de V... N...

L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit en cas de faute inexcusable, indépendamment de la majoration de rente, la possibilité pour la victime de demander la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées.

Sont réparables les souffrances physiques ou morales non indemnisables au titre du déficit fonctionnel permanent.

En raison de la pathologie dont était atteint V... N..., du caractère par nature extrêmement brutal de l'annonce du diagnostic engendrant par lui-même l'inquiétude d'une évolution défavorable, en raison également des souffrances physiques endurées par celui-ci depuis cette annonce, des examens et traitements médicaux subis, dont plusieurs chimiothérapies, avant l'abandon de tout traitement invasif quelques mois seulement à peine après le diagnostic, au regard de l'évolution inévitable de la maladie nécessairement source d'angoisse, la cour estime que le premier juge a fait une exacte appréciation des souffrances physiques et morales de la victime en les fixant respectivement à 77 100 euros pour les premières et à 24 900 euros pour les secondes, sauf à préciser qu'il s'agit là des souffrances subies avant consolidation, celles subies après cette date jusqu'au décès étant pour leur part déjà réparées par la rente servie au titre du déficit fonctionnel permanent.

Le premier juge ayant fait une exacte appréciation du préjudice esthétique de V... N..., dont l'amaigrissement important et la perte de cheveux ne sont pas contestés, il y a lieu, par voie de confirmation, de faire droit à la demande présentée à ce titre par le FIVA à hauteur de la somme de 500 euros.

Le FIVA ne demande pas réparation du préjudice d'agrément que le premier juge avait écarté.

- les préjudices personnels des ayants-droit de V... N...

La conscience des souffrances endurées par leur époux, père et grand-père puis la douleur ressentie suite au décès de celui-ci à un âge encore jeune justifient la réparation des souffrances morales des consorts N... à hauteur des sommes allouées par le premier juge dont la décision sera par conséquent confirmée, la cour observant simplement que le barème du FIVA produit par la société Alstom Shipworks, qui distingue les composantes du préjudice moral des parents de victimes décédées, ne constitue qu'un élément d'appréciation parmi d'autres et ne s'impose pas à la juridiction, laquelle reste souveraine dans l'appréciation du préjudice subi.

Conformément aux dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, l'ensemble des sommes susvisées seront versées au FIVA par la caisse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris comme l'a exactement jugé le tribunal.

4- Sur le recours subrogatoire de la caisse

Pour s'opposer au recours subrogatoire de la caisse, la société Alstom Shipworks, rappelant qu'elle peut invoquer à son bénéfice les irrégularités, en l'occurrence de fond, entachant la décision de prise en charge notifiée à la société Chantiers de l'Atlantique ( anciennement STX) :

- reproche à la caisse de ne pas avoir interrogé le dernier employeur de V... N... sur ses conditions de travail afin de vérifier si celles-ci étaient conformes aux conditions du tableau n°30 bis.

- soutient que la caisse ne justifie pas, d'une part, de ce que la condition médicale dudit tableau était remplie en l'état des mentions portées sur le certificat médical initial visant un 'adénocarcinome bronchique' et sur la notification de rente visant une 'néoplasie pulmonaire métastasique', libellés non conformes à la désignation médicale du tableau n°30 bis, d'autre part, du caractère primitif du cancer broncho-pulmonaire dont le salarié était atteint.

La société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France) fait elle aussi valoir que la caisse ne dispose d'aucune action récursoire à son encontre dès lors :

- à titre principal, qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable comme le premier juge l'a implicitement mais nécessairement jugé, puisqu'elle n'a jamais exposé V... N... au risque amiante et qu'elle n'a pas repris le passif relatif à une telle exposition au temps où l'intéressé travaillait pour le compte de la société Chantiers de l'Atlantique (devenue Alstom Shipworks).

- à titre subsidiaire, que la caisse ne démontre pas que la maladie dont V... N... était atteint remplissait les conditions visées au tableau n°30 bis, plus précisément celle visant le caractère primitif du cancer concerné,

- à titre infiniment subsidiaire, que la caisse n'a pas respecté à son égard son obligation d'information.

A- Sur l'opposabilité à la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France) de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie

Cette société ne remet en cause le caractère contradictoire de la décision de prise en charge qu'en ce que la lettre de clôture du 28 avril 2014 ne comporte aucune information sur les éléments recueillis et susceptibles de lui faire grief.

Il est exact qu'aux termes de l'article R 441-14 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret du 29 juillet 2009 applicable au litige, la caisse communique à la victime ou à ses ayants-droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R 441-13.

Il est par ailleurs constant qu'à l'issue de l'instruction, la caisse n'est tenue de l'obligation d'information qu'à l'égard de la personne physique ou morale qui a la qualité d'employeur ou de dernier employeur de la victime (pourvoi n°14-18427).

C'est ainsi qu'en l'espèce la caisse a mené l'instruction du dossier à l'égard du dernier employeur de V... N..., c'est-à-dire la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France).

Par courrier du 28 avril 2014 reçu le 5 mai, la caisse a informé cette société de la clôture de l'instruction, de la date à laquelle la décision interviendra (le 20 mai 2014) et de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier ; la société, qui a disposé d'un délai de dix jours francs, ne conteste pas ne pas avoir sollicité les pièces du dossier.

C'est par conséquent à juste titre que les premiers juges ont retenu que la caisse a respecté son obligation d'information.

La société ne soutient pas par ailleurs que la caisse n'a pas respecté le principe du contradictoire lors de l'enquête administrative qu'elle a menée.

Le défaut ou le caractère insuffisant ou erroné de la motivation de la décision de la caisse, à le supposer établi, qui permet à son destinataire d'en contester le bien-fondé devant le juge sans condition de délai, constitue un moyen inopérant relativement à l'opposabilité de la décision de prise en charge. Aucune inopposabilité ne saurait par conséquent être retenue de ce chef (pourvoi 13-25.599).

S'agissant du second moyen tiré de l'absence d'imputabilité à son égard de la maladie déclarée par V... N..., comme l'a rappelé à juste titre le premier juge, la prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle ne prive pas l'employeur auquel elle est opposable de la possibilité, en démontrant qu'elle n'a pas été contractée à son service, d'en contester l'imputabilité si une faute inexcusable lui est reprochée ou si les cotisations d'accident du travail afférentes à cette maladie sont inscrites sur son compte. L'imputabilité, qui est une notion différente de l'opposabilité, ne peut être combattue que dans les conditions précises sus-mentionnées.

La faute inexcusable de la société STX n'étant pas recherchée, en ce qu'aucune demande n'est formulée contre elle de ce chef et le litige ne portant pas davantage, dans le cadre de la tarification, sur le montant des cotisations inscrites à son compte employeur, toute contestation émise sur le terrain de l'imputabilité, à la supposer bien fondée, est inopérante.

L'affection déclarée par la victime remplissant les conditions prévues par le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles comme vu supra et l'instruction de la demande ayant été menée contradictoirement à l'égard du dernier employeur, la décision de prise en charge est opposable à la société Chantiers de l'Atlantique (anciennement STX France).

B - Sur le recours de la caisse en ce qu'il s'exerce contre la société Alstom Shipworks

Les irrégularités 'de fond' dont se prévaut cette société pour s'opposer à l'action récursoire de la caisse, ayant trait à l'exposition au risque, aux différences de libellés de la pathologie et au caractère 'primitif' du cancer, ont été examinées ci-dessus et écartées par la cour dans le cadre du débat sur la faute inexcusable et les moyens soulevés par la société en défense à cette action.

La société reproche par ailleurs à la caisse de ne pas avoir procédé à une enquête auprès du dernier employeur et d'elle-même afin de connaître les conditions de travail de V... N... pour vérifier leur conformité aux prévisions du tableau n° 30 bis.

Il est constant que le ou les précédents employeurs de la victime d'une maladie professionnelle peuvent se prévaloir aux fins d'inopposabilité de la prise en charge à leur égard, des manquements de la caisse dans l'instruction du dossier vis à vis du dernier employeur.

Il ressort de l'article R 441-11 III du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige, qu'en cas de réserves motivées de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse, avant sa décision, envoie un questionnaire à la victime et à l'employeur ou procède à une enquête.

En l'espèce, il n'est pas soutenu que des réserves aient été émises par le dernier employeur. La caisse a cependant pris l'initiative en mars-avril 2014 de procéder à une enquête. Il ressort du rapport établi par l'enquêtrice de la caisse du 4 avril 2014 que celle-ci s'est entretenue avec V... N... sur ses conditions de travail sur le site des chantiers de l'atlantique; l'enquêtrice ajoute que sa collègue de la caisse primaire de Loire-Atlantique qu'elle avait chargée d'entendre le dernier employeur n'avait pas pu rencontrer la société Chantiers de l'Atlantique qui avait cessé toute activité et qu'elle ne pourrait pas rencontrer la société STX France au sein de laquelle la victime 'n'a jamais travaillé'.

En limitant ses investigations auprès du seul salarié, la caisse a manqué au principe du contradictoire dans l'instruction du dossier.

La société Alstom Shipworks est par conséquent fondée à se prévaloir de l'inopposabilité de la prise en charge de la maladie du salarié à son égard.

Toutefois, l'irrégularité de la procédure ayant conduit à la prise en charge, par la caisse, au titre de la législation professionnelle, d'un accident, d'une maladie ou d'une rechute, qui est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, ne prive pas la caisse du droit de récupérer sur l'employeur, après reconnaissance de cette faute, les compléments de rente et indemnités versés par elle. (Pourvoi 14-30.015).

Le jugement sera dans ces conditions confirmé en ce qu'il a dit que la caisse sera remboursée des sommes allouées à la victime et à ses ayants-droit par la société Chantiers de l'Atlantique, aujourd'hui Alstom Shipworks.

5 - Sur les autres demandes

La société Alstom Shipworks dont la faute inexcusable est confirmée en cause d'appel, devra verser au FIVA la somme de 1 500 euros et aux consorts N... celle de 3 500 euros, le tout en application de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des sommes allouées en première instance.

S'agissant des dépens, si la procédure était, en application de l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale gratuite et sans frais, l'article R.142-1-1 II, pris en application du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale, dispose que les demandes sont formées, instruites et jugées selon les dispositions du code de procédure civile, de sorte que les dépens sont régis désormais par les règles de droit commun conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société Alstom Shipworks.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Ordonne la jonction des instances inscrites au répertoire général du greffe sous les numéros 18-01605 et 18-01929, le tout sous le numéro 18-01605;

Confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Loire-Atlantique du 8 février 2018 sauf en ce qu'il a déclaré opposable à la société Chantiers de l'Atlantique devenue Alstom Shipworks la prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie de V... N... ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Dit que la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie dont est décédé V... N... est inopposable à la société Alstom Shipworks ;

Y ajoutant,

Déboute la société Alstom Shipworks de sa demande relative à la majoration de rente du conjoint survivant ;

Condamne la société Alstom Shipworks à payer au FIVA la somme de 1 500 euros et aux consorts N... celle de 3 500 euros, le tout en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Alstom Shipworks aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 18/01605
Date de la décision : 17/06/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes SS, arrêt n°18/01605 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-17;18.01605 ?
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