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16/06/2020 | FRANCE | N°18/05187

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 16 juin 2020, 18/05187


1ère Chambre





ARRÊT N°225/2020



N° RG 18/05187 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PBSF













Mme [I] [E] épouse [Y]



C/



Mme [K] [E] épouse [S]





















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 JUIN 2020



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COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, rédactrice

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN,





ARRÊT :



Contradictoire, prononcé publiquem...

1ère Chambre

ARRÊT N°225/2020

N° RG 18/05187 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PBSF

Mme [I] [E] épouse [Y]

C/

Mme [K] [E] épouse [S]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 JUIN 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, rédactrice

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Juin 2020 par mise à disposition au greffe

****

APPELANTE :

Madame [I] [E] épouse [Y]

née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 16] (44)

[Adresse 6]

[Localité 11]

Représentée par Me Alexandre TESSIER de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

Madame [K] [E] épouse [S]

née le [Date naissance 9] 1960 à [Localité 16] (44)

[Adresse 14]

[Localité 10]

Représentée par Me Vincent CHUPIN de la SELARL PUBLI-JURIS, avocat au barreau de NANTES

EXPOSÉ DU LITIGE

[U] [E], né le [Date naissance 4] 1927, est décédé le [Date décès 7] 2005, laissant pour lui succéder :

- son épouse, [T] [Z], née le [Date naissance 3] 1933, avec laquelle il s'était marié le [Date mariage 5] 1958 sous le régime de la communauté légale,

- les deux enfants issus de leur union, [K] épouse [S], née le [Date naissance 9] 1960, et [I] épouse [Y], née le [Date naissance 13] 1963.

[T] [Z] veuve [E] est décédée le [Date décès 15] 2011, laissant pour lui succéder les deux enfants issus de son union avec [U] [E].

Les époux [E] avaient, le 6 novembre 1992, consenti, au profit de leurs deux filles, une donation-partage réintégrant de précédentes donations et portant sur la nue-propriété de leurs biens immobiliers, Mme [S] recevant la nue-propriété de deux immeubles d'habitation et d'une parcelle de terre et Mme [Y], celle d'une exploitation agricole et d'un ensemble de parcelles d'une contenance totale de 76 ha 6 a 58 ca.

Le 13 août 2014, Mme [S] a fait assigner sa soeur Mme [Y] devant le tribunal de grande instance de Nantes en ouverture des opérations de liquidation-partage de la succession de leur mère. Par jugement contradictoire du 14 juin 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a :

- rejeté la fin de non-recevoir portant sur l'irrecevabilité de l'assignation ;

- débouté Mme [S] de sa demande de communication de pièces sous astreinte ;

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de [T] [Z] épouse [E] décédée le [Date décès 15] 2011 ;

- désigné pour y procéder, le président de la chambre départementale des notaires de Loire-Atlantique avec faculté de substitution à l'exception des notaires déjà intervenus, sous la surveillance du juge de la mise en état de la 1ère chambre du tribunal de grande instance de Nantes ;

- dit qu'en cas d'empêchement du juge ou du notaire désigné, il sera procédé à leur remplacement sur simple requête ;

- débouté Mme [Y] de sa demande de créance de salaire différé ;

- dit que le montant des fermages dus par Mme [Y] à [T] [Z] entre le 1er janvier 1994 et le [Date décès 15] 2011 devra être intégré dans l'actif de la succession ;

- dit que les dons manuels faits par [T] [Z] à ses trois petits-enfants à hauteur de 90 000 euros seront réunis fictivement aux biens existants au décès du donateur afin de déterminer s'ils excèdent la quotité disponible ;

- rappelé que le don manuel de 150 000 euros effectué par [T] [Z] à Mme [Y] devra faire l'objet d'un rapport à succession ;

- dit que le véhicule de marque Citroën immatriculé [Immatriculation 12] sera attribué à Mme [S] ;

- dit que le notaire désigné devra dresser la liste exhaustive des contrats d'assurance-vie souscrits par [T] [Z] et des primes versées par cette dernière ;

- débouté les parties de leurs autres demandes et dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

Mme [Y] a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande de salaire différé, retenu une dette de fermages à son encontre et rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens et de :

- fixer sa créance de salaire différé à la somme de 31 962,67 euros ;

- constater l'absence de dettes de fermage au profit de [T] [Z] ;

- condamner Mme [S] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

En réponse, Mme [S] conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté ses demandes de communication de pièces sous astreinte, de rapport à succession de la somme de 300 000 francs et du montant des droits de Mme [Z] consécutifs à la cession de ses parts sociales du GAEC des deux Rives ainsi que sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens. En conséquence formant appel incident, elle demande à la cour de :

- débouter Mme [Y] de ses demandes ;

- condamner Mme [Y] à lui communiquer sous astreinte :

le justificatif de la libération de l'apport de 300 000 francs censé avoir été fait par les époux [Y] lors de la constitution du GAEC des deux rives ;

tous les éléments relatifs à la contrepartie du transfert de propriété des parts du GAEC des deux Rives qui appartenaient à [T] [Z] et de l'exploitation agricole au profit des époux [Y],

les actes de transformation de l'Earl des deux Rives en SAS 3G et les éléments justificatifs de l'évaluation de l'actif,

les actes de constitution de l'Earl les deux Rives en ce compris les justificatifs des apports et de leur évaluation ;

- à défaut, ordonner le rapport à succession de :

la somme de 300 000 francs correspondant à la somme apportée pour Mme [Y] par ses parents lors de la création du GAEC des 2 rives ;

la somme de 915 744,03 francs correspondant à la valeur des parts de Mme [Z] cédées à Mme [Y] sans contrepartie financière outre intérêt au taux de 4 % l'an ;

- condamner Mme [Y] à lui payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par Mme [Y] le 17 avril 2019 et par Mme [S] le 2 septembre 2019.

L'affaire a été retenue sans débats avec l'accord des avocats dans le cadre des mesures prises en application de l'état d'urgence sanitaire.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la créance de salaire différé réclamée par Mme [Y]

Aux termes de l'article L. 321-13 du code rural et de la pêche maritime, les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers.

Conformément à l'article L.321-17, le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession. Le délai de prescription applicable aux créances de salaire différé nées de successions ouvertes postérieurement au 19 juin 2008 est de cinq ans à compter de l'ouverture de la succession débitrice de la créance.

Mme [I] [Y], née le [Date naissance 13] 1963, a atteint l'âge de 18 ans le 7 juillet 1981. Elle avait, dit-elle, terminé ses études l'année précédente. Dès le 22 septembre 1982, à l'âge de 19 ans, elle a déposé seule une demande de permis de construire portant sur une maison d'habitation destinée à ses besoins personnels, d'une superficie de 150 m², à édifier sur un terrain de 2.500 m² en cours d'acquisition. Selon la demande de permis de construire, l'auteur du projet architectural était M. [D] [G] architecte DPLG qu'elle avait donc déjà dû rémunérer à cet effet. Le permis de construire lui a été accordé le 1er décembre 1982 et elle a pu rapidement entreprendre la construction de l'immeuble d'habitation autorisé puisqu'elle reconnaît y avoir résidé dès l'année 1984. Elle a épousé le [Date mariage 8] 1983, M. [A] [Y] également âgé de 20 ans, lui-même salarié chauffeur poids lourds. Des statuts du GAEC des 2 Rives signés le 28 décembre 1983, il ressort qu'elle a par acte notarié, conclu un bail rural prenant effet le 1er novembre 1983 portant sur des parcelles de terre d'une superficie totale de 32 ha 78 a 85 ca. Pour la constitution du GAEC, elle s'engageait le 28 décembre 1983 à effectuer, avec son jeune époux, un apport en nature immédiat d'une valeur de 300.000 francs, ce qui démontre qu'elle possédait à cette date des biens mobiliers qu'elle avait donc dû financer avec des ressources propres. Elle ne justifie pas avoir réalisé d'emprunts pour le financement de ces opérations.

Elle prétend être titulaire d'une créance de salaire différé sur la succession de sa mère pour la période comprise entre la date de sa majorité et son association, le 28 décembre 1983, avec ses parents au sein du GAEC des deux rives dont elle est immédiatement devenue le chef d'exploitation. Mais il incombe à celui qui invoque le bénéfice d'une créance de salaire différé, d'une part, de démontrer la réalité de son activité au profit de l'exploitation agricole dont le de cujus était le chef d'exploitation et, d'autre part, de justifier qu'il n'a perçu aucune contrepartie financière en rémunération de cette activité.

Au soutien de ses allégations, Mme [Y] qui a pourtant conservé ses archives puisqu'elle communique une attestation de la MSA datant de 1984 ainsi que des copies de souches de chéquiers du compte bancaire dont elle était déjà titulaire à cette époque, ne produit aucune pièce objective de nature juridique, administrative, fiscale, bancaire ou comptable contemporaine de la période en cause mais seulement des attestations imprécises, non utilement circonstanciées, toutes datées du mois de juin 2016, qui se bornent pour la plupart à reproduire servilement ses allégations s'agissant de son activité pendant le laps de temps compris entre les mois de 'juillet 1980 à janvier 1984". Celles-ci sont démenties par le questionnaire qu'elle a rempli et signé conjointement avec ses parents et son époux au mois de décembre 1983 figurant en annexe des statuts du GAEC dont l'agrément était sollicité, questionnaire dont l'objet, la forme, la présentation matérielle et les paraphes y figurant immédiatement après la mention litigieuse excluent l'existence de l'erreur matérielle alléguée. Il s'en déduit qu'avant le mois de juillet 1982, Mme [Y], qui se garde d'ailleurs de produire son relevé de carrière à la MSA, ne participait pas de manière effective à l'exploitation paternelle.

Les personnes dont elle produit les attestations n'avaient aucun moyen de connaître son patrimoine et ses revenus et sont muettes sur son train de vie de sorte qu'elle ne produit aucun élément de nature à apporter la preuve qui lui incombe de ce qu'elle n'était pas associée aux bénéfices de l'exploitation à laquelle elle a contribué à compter de juillet 1982. Au contraire, il est établi par les pièces adverses qu'elle menait un train de vie incompatible avec une absence de revenus, avait engagé des investissements importants au titre desquels elle avait nécessairement réglé des avances et avait apporté en décembre 1983 au groupement en constitution des actifs mobiliers d'une valeur totale de 300 000 francs (matériels pour 172 000 francs et cheptel pour 128 000 francs) dont l'acquisition préalable ne pouvait provenir que de son activité professionnelle agricole. Elle disposait également d'économies puisque titulaire d'un compte au Crédit agricole, elle a pu en tirer le 9 mars 1984 un chèque de 290 000 francs et le 19 mars suivant un chèque de 20 000 francs. Il sera ajouté qu'elle a reçu de ses parents, le 15 avril 1983, la donation en toute propriété d'un terrain, ce qui révèle également que ceux-ci la savaient bénéficiaire à cette date des ressources personnelles lui permettant d'assumer les charges de cet immeuble et d'en tirer profit, ressources qui ne pouvaient provenir que de l'exploitation commune aux bénéfices de laquelle il se déduit qu'ils l'associaient, ayant déjà le projet de lui transmettre progressivement l'exploitation ainsi qu'ils l'expliquaient dans le questionnaire annexé aux statuts.

Devant la cour, Mme [S] fait en outre justement valoir que la créance de salaire différé doit être demandée dans la succession du chef de l'exploitation agricole. Or il est établi par les pièces produites (attestation de la MSA du 23 novembre 2018 et statuts du GAEC établis et signés le 28 décembre 1983) que [T] [Z] n'a jamais eu la qualité de chef d'exploitation mais uniquement celle de conjoint de chef d'exploitation. Son époux était d'ailleurs le seul titulaire des baux souscrits le 25 avril 1982 au bénéfice de l'exploitation ainsi que le révèle les statuts du GAEC. Le fait que lorsqu'il a pris sa retraite en 1989, [U] [E] a donné à son épouse les parts qu'il détenait dans le GAEC dont elle restait membre est un argument d'autant plus inopérant pour établir son statut de chef d'exploitation que depuis 1984, seule [I] [Y] avait cette qualité.

Ainsi Mme [Y] ne justifiant pas être créancière d'une créance de salaire différé dans la succession de sa mère, c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté sa demande.

Sur la demande relative au financement de l'apport effectué au GAEC

Il sera relevé que selon les statuts du GAEC les apports effectués au dit groupement étaient exclusivement constitués d'apports en nature qui devaient être décrits dans l'inventaire (non produit) à dresser à la date du 1er janvier 1984, étant rappelé que les règles applicables à la constitution d'un tel groupement n'exigeaient pas la désignation d'un commissaire aux apports. Selon les statuts de l'Earl établis le 20 décembre 1993, les apports en nature au GAEC effectués par les époux [Y] étaient composés de matériel à concurrence de 172 000 francs et de cheptel à concurrence de 128 000 francs. Mme [S] indique douter de la capacité qu'avaient les époux [Y] d'effectuer un apport d'une valeur de 300.000 francs au moment de la constitution du GAEC en 1983, subodorant que ses parents auraient apporté l'intégralité des actifs ayant représenté ces apports, ce dont elle déduit l'existence d'une donation rapportable.

Cependant à titre préliminaire, il sera relevé que les pièces produites établissent que les apports effectués par les parents [E] provenaient intégralement de leur communauté matrimoniale de sorte que la succession de la de cujus pourrait au mieux revendiquer une créance de moitié de ce chef tandis que les apports à la charge du couple [Y] n'incombaient pas seulement à l'épouse. L'avantage prétendument consenti par [T] [Z] à sa fille ne dépasserait donc pas, s'il était établi, une valeur de 75 000 francs, soit 11 433 euros.

En outre, il incombe à celui qui allègue l'existence d'une donation rapportable d'en démontrer l'existence. En l'espèce, rien n'établit que les époux [Y] qui exerçaient tout deux une activité professionnelle rémunérée, l'épouse participant aux résultats de l'exploitation agricole apportée au GAEC depuis 18 mois au moment de sa constitution, aient été dans l'incapacité d'apporter les biens mobiliers de la valeur indiquée. En toute hypothèse, Mme [S] ne peut prétendre inverser la charge d'une preuve que le temps écoulé et les règles applicables à la constitution du groupement rendent extrêmement difficile à établir de sorte que sa demande de production sous astreinte de pièces probantes sera rejetée.

Sur les dons manuels bénéficiant aux enfants de Mme [Y]

Le tribunal a dit que les dons manuels faits par [T] [Z] à ses trois petits-enfants à hauteur de 90 000 euros en mai 2010 seront réunis fictivement aux biens existants au décès de la donatrice afin de déterminer s'ils excèdent ou non la quotité disponible. Mme [Y] conclut à l'infirmation de cette disposition au motif :

- que les bénéficiaires des donations ne sont pas héritiers et en conséquence pas tenus au rapport ;

- qu'ils ne sont pas parties à la procédure ;

- qu'au regard du capital considérable de la de cujus, ces libéralités ne portent pas atteinte à la quotité disponible.

Mais en premier lieu, le rapport des dons litigieux n'est pas sollicité de sorte que ce moyen est inopérant. En second lieu, le montant de la quotité disponible dont pouvait disposer [T] [Z] n'est pas établi de sorte que l'argument d'autorité selon lequel les dons ne pouvaient excéder la dite quotité disponible ne peut être tenu pour avéré. En troisième lieu, c'est seulement lorsque le montant de la quotité disponible sera déterminé qu'une action en réduction des libéralités excédant la dite quotité disponible pourra utilement, le cas échéant, être exercée à l'encontre des bénéficiaires de celles-ci de sorte que leur appel à la procédure n'est pas en l'état indispensable. La disposition critiquée sera en conséquence confirmée.

Sur la créance de cession des parts du GAEC et de remboursement de compte courant d'associée

Selon l'article 1315, devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. En matière successorale, le rapport des dettes, prévu aux articles 864 à 867, concerne la composition des lots et constitue une opération de partage proprement dite. Les règles du droit commun de la preuve s'y appliquent. Dès lors, contrairement à ce que soutient Mme [Y], s'il appartient à l'héritier qui demande le rapport d'une dette par l'un de ses copartageants de prouver son existence, une fois cette preuve établie, le copartageant qui prétend s'en être libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

[U] [E] s'est retiré du GAEC des deux rives le 30 août 1990, donnant l'intégralité de ses parts à son épouse [T] [Z]. Le GAEC a ensuite été transformé le 18 mars 1992 en EARL dont la de cujus et sa fille étaient les seules associées. [T] [Z] s'est retirée de cette société le 20 décembre 1993 et a cédé ses 3 000 parts sociales évaluées à 252 000 francs à son gendre. L'Earl s'engageait parallèlement à lui rembourser son compte courant d'associé d'un montant de 663.744,03 francs outre une fraction du résultat annuel fixé à 9/24ème. La preuve de la dette de Mme [Y] étant ainsi établie par les statuts modificatifs en date du 20 décembre 1993, la charge de la preuve de son paiement lui incombe.

Les statuts modificatifs du 20 décembre 1993 (pièce 29) prévoyaient les modalités de paiement suivantes :

- le règlement des parts sociales évaluées à 252 000 francs était effectué au moyen d'un prêt consenti par [T] [Z] à [A] [Y], marié sous le régime de la communauté légale, d'une durée de 10 ans au taux de 4 % (ce qui correspond à des échéances annuelles en capital de 25 200 francs) ;

- le compte courant d'associée d'un montant de 663.744,03 francs devait être réglé de la manière suivante :

248 000 francs convertie en un prêt, au taux de 4 %, consenti par [T] [Z], remboursable par échéances annuelles dans un délai maximal de 10 ans ;

le solde du compte associé transformé en un prêt particulier consenti avec un différé d'amortissement de dix ans au cours desquels il devait être versé un intérêt annuel fixé à 4 % ; au terme de cette période de dix années, il était envisagé soit de transformer le prêt en une donation au profit de Mme [Y], soit de procéder à son remboursement dans un délai de 5 ans maximum au taux de 4 %.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les pièces parcellaires produites par Mme [Y] qui mélangent les règlements effectués par le couple au titre du paiement des parts sociales et le remboursement du compte courant par l'Earl sont insuffisantes pour établir que la dette due envers la succession a été intégralement remboursée. Ainsi indépendamment du point de savoir qui bénéficiait des versements allégués, les relevés de banque de l'Earl produits aux débats n'apportent pas la preuve des débits prétendument effectués de son compte bancaire en 1995, 1996, 1997 et en 2008 alors pourtant que ces paiements pourraient être corroborés par les documents comptables que la société devait tenir. De même au titre du paiement des parts sociales, il n'est justifié que du paiement de deux échéances annuelles de 25 200 francs par chèques Crédit agricole du 6 juillet 1994 n° 9246689 et du 1er octobre 1995 n° 6787674 corroborés par un document manuscrit non signé mais dont il n'est pas discuté que la de cujus était la rédactrice. En revanche, il n'est nullement justifié du paiement par la communauté [Y] du surplus de cette dette.

Il y a lieu dès lors de faire droit à la demande de production de pièces. Cependant, une astreinte n'est pas nécessaire dès lors qu'en l'absence de preuve des paiements allégués, il incombera au notaire d'en tirer les conséquences en imputant les dettes dont le paiement n'est pas justifié dans le lot de la débitrice conformément aux règles applicables au rapport des dettes prévues aux articles 864 à 867 du code civil.

En revanche, n'est pas démontrée l'utilité des autres demandes de communication de pièces, à savoir :

les actes de transformation de l'Earl des deux rives en SAS 3G et les éléments justificatifs de l'évaluation de l'actif,

les actes de constitution de l'Earl les deux Rives en ce compris les justificatifs des apports et de leur évaluation.

Sur les fermages dus entre le 1er janvier 1994 et le [Date décès 15] 2011

Mme [Y] avait reçu la nue-propriété d'une exploitation agricole et de parcelles de terre d'une contenance de 76 ha 6 a 58 ca dont une partie provenait de la communauté existant entre ses parents, biens dont elle a eu la jouissance exclusive à compter du 1994. Il n'est pas soutenu qu'il ait été conclu un bail rural sur ces biens. En revanche, il est logique de déduire de l'organisation en cause que le paiement des impôts fonciers effectué par la nue-propriétaire était la contrepartie de cette jouissance gratuite.

Une autre partie de ces immeubles était propre à [T] [Z] qui les avait hérités de son père décédé le [Date décès 2] 1985. Des statuts du GAEC signés le 28 décembre 1983, il ressort que Mme [Y] avait, par acte notarié, obtenu de son grand-père [Z] un bail rural prenant effet le 1er novembre 1983 portant sur des parcelles de terre d'une superficie totale de 32 ha 78 a 85 ca. La de cujus a reçu, dans la succession de son père, le bénéfice de ce contrat qui n'a pas été résilié de sorte que Mme [Y] était redevable envers sa mère, à compter de 1994 date à compter de laquelle celle-ci n'a plus été associée à l'exploitation agricole, les fermages exigibles en vertu de ce bail rural. Il ressort des pièces produites et des explications des parties qu'[I] [Y] n'a rien réglé à ce titre.

Il y a lieu cependant de distinguer la partie de la dette non prescrite au jour de l'ouverture de la succession le [Date décès 15] 2011 qui doit être soumise au rapport des dettes envers la succession. Ainsi, en application de la prescription quinquennale des dettes à échéance périodique, les fermages échus depuis l'année culturale 2005-2006, exigibles en 2006, ne sont pas prescrits de sorte que la demande portant sur le rapport de cette dette dont l'absence de paiement est établie sera confirmée.

Pour le surplus, Mme [S] fait valoir que la remise de cette dette correspond à un avantage indirect consenti à sa soeur par [T] [Z]. Effectivement, celle-ci vivait seule et n'était redevable d'aucune dette, ni d'aucune obligation alimentaire envers Mme [Y] qui n'était pas insolvable. Elle n'a pourtant jamais réclamé sa créance portant sur les fermages échus entre 1994 et 2005. La renonciation à recouvrer sa créance ne peut s'expliquer par la compensation entre dettes réciproques, par une négligence de la créancière ou une impossibilité d'exécution. L'appauvrissement qu'elle a ainsi subi s'explique uniquement par l'intention libérale dont était animée la bailleresse envers sa fille [I]. Cette intention libérale s'est concomitamment exprimée de manière répétée par les autres avantages aussi généreux qu'inégalitaires consentis par [T] [Z] au profit de sa fille [I] et des enfants de celle-ci. Ainsi, outre la donation d'une somme de 150 000 euros effectuée en 2010 au profit de Mme [Y] et le projet exprimé de transformer en donation le montant non remboursé de son compte courant d'associé, [T] [Z] avait choisi de gratifier les trois enfants de cette dernière nés en 1984, en 1987 et 1990 d'une somme totale de 90 000 euros sans concéder les mêmes avantages à ses deux autres petits-enfants nés en 1986 et 1989. Elle avait également, au mois de janvier 2009, modifié la clause bénéficiaire de son contrat d'assurance-vie souscrit auprès de CNP Assurances le 23 juin 2006 sur lequel elle avait effectué des versements de 98.907,38 euros pour en faire profiter uniquement sa fille [I] [Y] ou, à défaut, les enfants de celle-ci.

La preuve d'une donation indirecte portant sur les fermages échus entre 1994 et 2005 est ainsi établie de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné le rapport de l'intégralité des fermages échus de 1994 au décès de [T] [Z].

Sur les frais et dépens

La procédure de première instance était justifiée par les nombreuses dissensions existant entre les deux indivisaires de sorte que les dispositions du jugement relatives aux frais et dépens seront confirmées. En revanche, Mme [Y], qui a pris l'initiative de l'appel, succombe dans ses prétentions de sorte que les dépens de la procédure d'appel seront mis à sa charge et qu'une indemnité de 5 000 euros sera allouée, en équité, à l'intimée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 14 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Nantes en ce qu'il a :

- débouté Mme [I] [E] épouse [Y] de sa demande tendant à se voir reconnaître une créance de salaire différé ;

- rejeté la demande de communication de pièces portant sur le justificatif de la libération de l'apport en nature d'une valeur de 300 000 francs imputé aux époux [Y] lors de la constitution du GAEC des Deux Rives le 20 décembre 1993 et à défaut le rapport de cette somme à la succession ;

- dit que le montant des fermages dus à [T] [Z] épouse [E] entre le 1er janvier 1994 et son décès le [Date décès 15] 2011 par [I] [E] épouse [Y] devra être réintégré dans l'actif de la succession ;

- dit que les dons manuels faits par [T] [Z] à ses trois petits-enfants à hauteur de 90 000 euros seront réunis fictivement aux biens existants au décès du donateur afin de déterminer s'ils excédent la quotité disponible ;

- dit que les dépens de première instance seront employés en frais privilégiés de liquidation partage et rejeté les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le réformant en ses autres dispositions contestées et statuant à nouveau,

Dit que Mme [I] [E] épouse [Y] devra justifier auprès du notaire commis du paiement :

- des parts sociales d'une valeur de 252 000 francs, remboursables à compter de 1994 par échéances annuelles dans un délai maximal de 10 ans, moyennant un taux d'intérêt de 4 % ;

- des deux prêts consentis par [T] [Z] au profit de l'Earl des deux Rives en remboursement de son compte courant d'associé d'un montant de 663.744,03 francs ;

Dit qu'il incombera au notaire d'imputer sur le lot de Mme [Y] la partie de la créance successorale en principal et intérêts au taux conventionnel de 4 % dont le paiement n'aura pas été justifié conformément aux règles applicables au rapport des dettes ;

Rejette le surplus de la demande de communication de pièces ;

Condamne Mme [I] [E] épouse [Y] à payer à Mme [K] [E] épouse [S] une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Constate que les autres dispositions du jugement, non critiquées en cause d'appel, sont définitives ;

 

Condamne Mme [I] [E] épouse [Y] aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18/05187
Date de la décision : 16/06/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°18/05187 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-06-16;18.05187 ?
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