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06/03/2020 | FRANCE | N°15/07939

France | France, Cour d'appel de Rennes, 2ème chambre, 06 mars 2020, 15/07939


2ème Chambre





ARRÊT N°143



N° RG 15/07939

N° Portalis DBVL-V-B67- MND7









SELARL [X] [T]



C/



Mme [J] [S] née [Y]

GAEC [S]









Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours







Copie exécutoire délivrée



le :



à : Me Christophe LHERMITTE

Me Hélène DAOULAS









RÉPUBLIQUE FRANÃ

‡AISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 6 MARS 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, rédacteur,

Assesseur : Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère,

Assesseur : Madame Hél...

2ème Chambre

ARRÊT N°143

N° RG 15/07939

N° Portalis DBVL-V-B67- MND7

SELARL [X] [T]

C/

Mme [J] [S] née [Y]

GAEC [S]

Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Christophe LHERMITTE

Me Hélène DAOULAS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 6 MARS 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, rédacteur,

Assesseur : Madame Marie-Odile GELOT-BARBIER, Conseillère,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Régis ZIEGLER, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 janvier 2020, Monsieur Joël CHRISTIEN, Président, entendu en son rapport,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 6 mars 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La SELARL [X] [T] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCI KERNEO, désigné à cette fonction par jugement du tribunal de grande instance de NANTERRE du 23 mars 2018

[Adresse 9]

[Localité 12]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me François DUPUY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

Madame [J] [S] née [Y]

née le [Date naissance 10] 1942 à [Localité 15]

[Adresse 13]

[Localité 14]

Le GAEC [S]

dont le siège est [Adresse 13]

[Localité 14]

Représentés par Me Hélène DAOULAS de la SELARL DAOULAS-HERVE ET ASS., avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DU LITIGE

Par quatorze actes sous signature privée, les époux [S], propriétaires de parcelles de terres agricoles, ont reconnu avoir reçu entre le 11 novembre 1987 et le 18 février 1991 de la SCI Kerneo (la SCI), à titre d'acomptes sur le prix de vente de ces parcelles, une somme totale de 2 050 000 francs, soit 312 520,49 euros.

La vente n'ayant, en dépit d'un compromis du 19 juillet 2001, jamais eu lieu, et les époux [S] étant dans l'impossibilité de restituer les acomptes reçus, les parties sont convenues, par acte authentique des 23 et 26 janvier 2004, que la somme de 312 520,49 euros était laissée par la SCI à leur disposition à titre de prêt pour une durée de six ans, moyennant des intérêts au taux de 6 % l'an payables annuellement à compter du 1er janvier 2005.

Ce prêt était garanti à hauteur de 152 449,02 euros par l'affectation hypothécaire des immeubles cadastrés section [Cadastre 16], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] à [Localité 14].

En outre, selon acte authentique du 29 octobre 2004, les époux [S] ont consenti, à titre de garantie supplémentaire du bon remboursement du prêt de 312 520,49 euros, une hypothèque sur un immeuble cadastré section [Cadastre 17] à [Localité 14].

Ces inscriptions d'hypothèque conventionnelle, régularisées les 1er mars et 20 décembre 2004, ont été renouvelées le 16 décembre 2011.

Par ailleurs, prétendant que, ni les échéances d'intérêt, ni le remboursement du capital n'avaient été honorés, la SCI a, en vertu de l'acte authentique des 23 et 26 janvier 2004, fait procéder le 11 avril 2011 à des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire sur les immeubles cadastrés n° 30, [Cadastre 2], pour avoir paiement d'une somme de 636 220,27 euros.

Ces inscriptions ont été dénoncées aux époux [S] par acte du 19 avril 2011, et la SCI a fait procéder aux inscriptions définitives d'hypothèque judiciaire le 1er juin 2011.

Soutenant que l'action de la SCI était forclose ou prescrite, Mme [S] et le GAEC [S] (le GAEC), se prétendant preneur à ferme des parcelles hypothéquées, l'ont, par acte du 9 août 2013, fait assigner devant le tribunal de grande instance de Quimper en mainlevée ou radiation des inscriptions d'hypothèque judiciaire, et, subsidiairement, en déchéance du droit du prêteur aux intérêts pour inexactitude du TEG, et en caducité, nullité ou réduction des inscriptions de ces inscriptions.

La SCI s'est portée demanderesse reconventionnelle en paiement des sommes dues au titre du prêt et de dommages-intérêts.

Estimant que le prêt litigieux n'était pas un prêt à la consommation mais se trouvait soumis à la prescription de droit commun, de trente ans ramenés à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, et que ce délai de prescription avait commencé à courir à compter de la première échéance d'intérêts impayée du 1er janvier 2005, les premiers juges ont, par jugement du 22 septembre 2015 :

dit que la demande en paiement de la SCI est prescrite,

ordonné la radiation des inscriptions d'hypothèque prises sur les immeubles cadastrés YR n° [Cadastre 8], [Cadastre 11] et [Cadastre 1],

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

condamné la SCI au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SCI a relevé appel de cette décision le 14 octobre 2015.

D'abord appelée à l'audience du 13 novembre 2018, l'affaire a été renvoyée à la mise en état par mention au dossier en raison de l'ouverture de la procédure collective de la SCI.

Par ordonnance du 16 novembre 2018, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance procédant de la liquidation judiciaire de la SCI prononcée par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 3 juillet 2017, laquelle a repris après l'intervention volontaire de la SELARL [X] [T], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI, par conclusions du 14 décembre 2018.

La SCI et son liquidateur demandent à la cour de :

confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a considéré que le prêt n'était pas soumis à la forclusion des crédits à la consommation,

prononcer l'irrecevabilité de l'action du GAEC pour défaut d'intérêt à agir,

à titre principal, dire que la créance n'est prescrite, ni en principal, ni en intérêts,

condamner solidairement Mme [S] et le GAEC au paiement de la somme de 778 604,18 euros en principal et intérêts, avec intérêts à parfaire à compter du 13 mars 2019,

à titre subsidiaire, condamner solidairement Mme [S] et le GAEC au paiement de la somme de 312 520,49 euros, avec intérêts échus depuis le 1er janvier 2010,

déclarer les inscriptions d'hypothèque judiciaire valables,

constater que les époux [S] ont engagé leurs biens communs,

en tout état de cause, débouter Mme [S] et le GAEC de leurs demandes,

condamner solidairement Mme [S] et le GAEC au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

condamner solidairement Mme [S] et le GAEC au paiement d'une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Mme [S] et le GAEC demandent quant à eux à la cour de :

confirmer le jugement attaqué,

à défaut, constater que les époux n'ont jamais engagé la communauté et qu'aucune inscription ne peut être valablement prise sur les biens communs,

à défaut, prononcer la caducité des inscriptions faute pour le créancier d'avoir assigné au fond dans le délai légal,

ordonner la mainlevée des inscriptions hypothécaires sur les biens cadastrés section [Cadastre 18], [Cadastre 11] et [Cadastre 1] aux frais de la SCI,

subsidiairement, annuler la clause de capitalisation des intérêts,

dire que le TEG 'n'est pas fondé',

ordonner la déchéance du droit du prêteur aux intérêts conventionnels,

en tout état de cause, dire que les intérêts conventionnels sont prescrits,

ordonner la réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire,

condamner M. [T], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI, au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la SCI et la SELARL [T], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SCI, le 28 novembre 2019, et pour Mme [S] et le GAEC le 24 décembre 2019.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur l'intérêt à agir du GAEC

La SCI soutient en premier lieu que l'action du GAEC serait irrecevable, celui-ci n'étant pas propriétaire des parcelles sur lesquelles ont été inscrites les hypothèques judiciaire dont la mainlevée est sollicitée, n'étant pas davantage partie à l'acte de prêt de 2004, et ne justifiant pas même de l'existence du bail rural en vertu duquel il les exploiterait.

Sur ce dernier point, elle prétend à cet égard sans être réfutée que le GAEC avait produit en première instance un bail rural consenti le 30 septembre 1998 par les époux [S] à MM. [R] et [P] [S].

Devant la cour, alors que l'existence du droit de jouissance des parcelles objet des inscriptions d'hypothèque judiciaire est contestée, le GAEC ne produit aucune pièce attestant de ce que, comme il l'allègue, il serait devenu le bénéficiaire de ce bail rural.

Il en résulte qu'il n'a ni intérêt, ni qualité avérés pour agir avec Mme [S] dans la présente instance fondée sur le règlement d'un prêt auquel il n'est pas partie, ainsi que sur la mainlevée, la caducité, la nullité ou la réduction d'hypothèques judiciaires inscrites sur des biens immobiliers sur lesquels il n'établit pas disposer de droits, fût-ce à titre de locataire.

En conséquence, le GAEC est irrecevable en ses demandes.

Sur la caducité des inscriptions d'hypothécaire judiciaire

Pour prétendre à la caducité des inscriptions d'hypothèque judiciaire, Mme [S] fait valoir qu'en méconnaissance de l'article 2412 du code civil, la SCI ne pouvait, sur la base d'un acte notarié, procéder à des inscriptions d'hypothèque judiciaire définitives et qu'après ses inscriptions provisoires, elle aurait dû l'assigner au fond pour obtenir un jugement. 

Il résulte cependant des articles L. 111-3, L. 511-2, L. 531-1 et R. 531-1 du code des procédures civiles d'exécution que le créancier se prévalant d'un acte notarié revêtu de la formule exécutoire peut faire procéder à une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire sans autorisation préalable du juge de l'exécution, qu'aux termes des articles R. 532-5 et R. 532-6, cette mesure de sûreté doit être dénoncée dans les huit jours au débiteur qui peut en demander la mainlevée au juge de l'exécution jusqu'à l'inscription définitive d'hypothèque qui ne peut intervenir moins d'un mois après cette signification, et que, selon les articles R. 533-1 et R. 533-4 § 2°, la publicité définitive confirmant l'inscription provisoire doit être effectuée dans les deux mois courant à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la signification de cette inscription provisoire.

Il s'en évince qu'agissant en vertu de l'acte notarié des 23 et 26 janvier 2004, la SCI pouvait faire procéder à des inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire sans autorisation du juge de l'exécution, puis, en vertu de ce même acte, confirmer ces inscriptions par des inscriptions définitives sans avoir à saisir le juge du fond.

Étant rappelé que la SCI a fait procéder aux inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire le 11 avril 2011, que ces inscriptions ont été dénoncées aux époux [S] par acte du 19 avril 2011, que Mme [S] n'a pas saisi le juge de l'exécution d'une demande de mainlevée de ces inscriptions provisoires, et que les inscriptions définitives ont été effectuées le 1er juin 2011, le créancier s'est conformé aux textes précités, de sorte qu'il n'y a lieu à caducité des inscriptions.

Sur la prescription

Il est constant devant la cour que l'acte des 23 et 26 janvier 2004 est un contrat de prêt.

N'étant pas destiné à financer une acquisition ou des travaux immobiliers, et excédant le plafond de 21 500 euros prévu par les articles L. 311-3 et D. 311-1 du code de la consommation dans sa rédaction applicable à la cause, cette opération de crédit ne se trouvait pas soumise aux dispositions de ce code, notamment à la forclusion biennale de l'article L. 311-37 alors en vigueur.

D'autre part, l'action de la SCI n'étant pas dirigée contre une consommatrice pour des biens ou services qu'elle lui aurait fournis au titre de son activité professionnelle, la prescription biennale de l'article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation n'est pas applicable.

Les poursuites ainsi que la demande en paiement des sommes dues au titre de ce prêt se trouvent par conséquent soumises au délai de prescription de droit commun, de trente ans prévu par l'article 2262 ancien du code civil ramené à cinq ans par l'article 2224 issu de la loi du 17 juin 2008.

Il est par ailleurs de principe qu'à l'égard d'une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l'action en paiement des échéances impayées se prescrit à compter de leurs dates d'exigibilité successives, l'action en paiement du capital dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité, à moins que l'exécution du contrat ne soit allé jusqu'à son terme.

Et, il est aussi de principe que, lorsque le créancier et le débiteur sont convenus que les intérêts à échoir se capitaliseront à la fin de chaque année pour produire eux-mêmes intérêts, ils constituent non plus des intérêts mais un nouveau capital qui s'ajoute à l'ancien, de sorte que la prescription applicable n'est plus celle de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction en vigueur avant la loi du 17 juin 2008, mais la prescription trentenaire, ramenée à cinq ans par cette loi.

En l'occurrence, le contrat de prêt des 23 et 26 janvier 2004 stipule que l'emprunteur s'engage à rembourser le montant du prêt de 312 520,49 euros dans un délai de six ans à compter du 1er janvier 2004, soit au plus tard le 31 décembre 2009, que, jusqu'à son remboursement total, le prêt serait productif d'intérêts au taux de 6 % l'an payables annuellement à compter du 1er janvier 2005, et que tous intérêts échus et non payés se capitaliseront de plein droit par années entières et produiront eux-mêmes intérêts.

Mme [S] prétend que cette clause de capitalisation serait nulle parce qu'interdite dans les prêts consentis à des particuliers, mais, s'il est exact que la capitalisation des intérêts de retard est prohibée pour les prêts soumis au code de la consommation, il a été précédemment relevé que l'opération de crédit litigieuse se trouve exclue du champ d'application des prêts régis par le code de la consommation.

Du fait de l'existence de cette clause, les échéances d'intérêts du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2009, devenues un nouveau capital, ne se trouvaient pas soumises à la prescription quinquennale de l'article 2277 ancien du code civil, mais à la prescription de droit commun, comme l'échéance en capital du 31 décembre 2009 qui n'a jamais été déchue de son terme.

En effet, il était convenu entre les parties que le montant du prêt ne deviendrait, en cas de défaillance de l'emprunteur dans son obligation de paiement des échéances, immédiatement exigible 'qu'un mois après commandement de payer demeuré infructueux et contenant déclaration par le prêteur de son intention d'user du bénéfice de la clause', ce que la SCI n'a jamais fait.

Il résulte de ce qui précède que le délai de prescription de l'action en paiement de la SCI est venu à expiration :

le 17 juin 2013 pour des annuités du 1er janvier 2005 au 1er janvier 2008,

le 1er janvier 2014 pour l'annuité du 1er janvier 2009,

le 31 décembre 2009 pour l'échéance en capital et intérêts du 31 décembre 2009.

Cependant, la prescription a été interrompue par l'acte de dénonciation d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire du 19 avril 2011.

En effet, aux termes de l'article 71 de la loi du 9 juillet 1991 alors en vigueur, la notification au débiteur de l'exécution d'une mesure conservatoire interrompt la prescription de la créance cause de cette mesure.

Un nouveau délai de cinq ans a donc recommencé à courir à compter du 19 avril 2011, si bien que la créance de la SCI, dont la demande en paiement a été formée par conclusions du 16 janvier 2014, n'est prescrite en aucune de ses composantes.

Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué et de déclarer les demandes de la SCI recevables.

Sur la créance de la SCI

Pour s'opposer au remboursement du prêt, Mme [S] soutient par ailleurs que les fonds n'auraient jamais été versés, l'acte des 23 janvier et 26 janvier 2004 stipulant qu'ils n'ont pas été passés par la comptabilité du notaire, si bien que, le prêt étant un contrat réel, le défaut de remise des fonds priverait celui-ci d'existence.

Il est à cet égard exact qu'un prêt conclu entre particuliers est un contrat réel qui ne se forme qu'au moment de la remise des fonds.

Cependant, rien n'interdit de conclure un contrat de prêt portant sur des fonds remis antérieurement.

Or, la SCI produit quatorze actes sous signature privée, par lesquels les époux [S], propriétaires de parcelles de terres agricoles, ont reconnu avoir reçu entre le 11 novembre 1987 et le 18 février 1991 de la SCI, à titre d'acomptes sur le prix de vente de ces parcelles, une somme totale de 2 050 000 francs, soit 312 520,49 euros, et l'acte authentique des 23 janvier et 26 janvier 2004 précise qu'il porte sur une reconnaissance de dette 'négociée par les parties ainsi qu'il est justifié par les pièces annexées', lesquelles sont précisément les actes sous signature privée de reconnaissance de remise de fonds précités, et que le prêt de la somme de 312 520,48 euros a été fait aux emprunteurs 'dès avant ce jour'.

La remise des fonds est ainsi parfaitement établie.

Pour solliciter la déchéance du droit du prêteur aux intérêts, Mme [S] soutient par ailleurs que le TEG de 6,21 % mentionné dans l'acte de prêt 'ne repose sur aucun élément précis fixé dans le contrat'.

Cependant, il appartient à l'emprunteur revendiquant la déchéance du droit aux intérêts de démontrer l'inexactitude du TEG, ce que Mme [S], qui n'expose pas même en quoi le TEG de 6,21 % serait inexact, ne fait pas.

En revanche, le décompte de créance établi par la SCI est erroné, les intérêts ayant été calculés à tort sur la base du TEG de 6,21 %, qui n'a pour objet que d'assurer l'égalité des flux entre les fonds prêtés et le total des règlements de l'emprunteur en principal et accessoires, et non de calculer le montant des intérêts.

En exécution du contrat de prêt stipulé au taux nominal de 6 % l'an, il est en réalité dû :

18 751,22 euros au titre de l'échéance d'intérêts du 1er janvier 2005,

19 876,30 euros au titre de l'échéance d'intérêts du 1er janvier 2006,

21 068,88 euros au titre de l'échéance d'intérêts du 1er janvier 2007,

22 333,01 euros au titre de l'échéance d'intérêts du 1er janvier 2008,

23 672,99 euros au titre de l'échéance d'intérêts du 1er janvier 2009,

25 093,37 euros en intérêts et 312 520,49 euros en capital initial au titre de l'échéance du 31 décembre 2009,

soit, au total 443 316,26 euros, avec intérêts de retard au taux de 6 % l'an à compter du 1er janvier 2010 et capitalisation de ceux-ci par années entières jusqu'au 1er janvier 2019.

Après cette date, il n'y aura plus lieu à capitalisation des intérêts, la cour, tenue de statuer dans les limites de l'objet du litige tel que déterminé par les parties, ne pouvant que constater qu'elle n'est pas saisie de cette prétention au delà de cette date.

Mme [S] sera en conséquence condamnée au paiement de cette somme en principal et intérêts.

La demande de condamnation solidaire du GAEC est dénuée de fondement, la SCI ayant précédemment à juste titre fait valoir que celui-ci n'était pas partie au contrat de prêt.

Sur la validité et la portée des inscriptions d'hypothèque judiciaire

Pour conclure à l'annulation des inscriptions d'hypothèque judiciaire en ce qu'elles portent sur des biens de communauté, Mme [S] soutient qu'à défaut de mention expresse de l'acte de prêt, les époux emprunteurs, mariés sous le régime légal de communauté, n'ont pu engager les biens communs mais seulement leurs biens propres.

Il résulte à cet égard de l'article 1415 du code civil que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un emprunt, à moins que celui-ci n'ait été contracté avec le consentement exprès de l'autre conjoint.

Cependant, aux termes de l'acte des 23 janvier et 26 janvier 2004, il est stipulé que les époux [S] seront tenus solidairement, et, s'étant engagés dans les mêmes termes à rembourser la même dette née du prêt conclu au surplus solidairement entre eux, ils ont nécessairement engagé les biens communs.

Par ailleurs, pour conclure à la réduction de ces inscriptions d'hypothèque judiciaire, Mme [S] prétend que les affectations hypothécaires conventionnelles, prises en vertu des actes des 23 et 23 janvier 2004 et 29 octobre 2004, auraient dû suffire à garantir le bon remboursement de la créance, et que la mesure conservatoire supplémentaire serait superflue.

Il résulte à cet égard de l'article 2444 du code civil que le débiteur peut réclamer la réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire lorsque celles-ci sont excessives, et qu'elles sont réputées telles lorsqu'elles grèvent plusieurs immeubles dont la valeur de quelques uns d'entre eux excède une somme égale au double du montant de la créance en principal et accessoires augmenté du tiers.

Mais, Mme [S] ne fournit aucun élément de nature à démontrer qu'eu égard au montant de la créance de la SCI en principal et intérêts, et à la valeur des biens affectés en hypothèque conventionnelle, il y aurait lieu de réduire les inscriptions d'hypothèque judiciaire.

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive

La SCI ne démontre pas en quoi le droit de Mme [S] et du GAEC d'agir en justice ait en l'espèce dégénéré en abus, alors, par surcroît, que leur action avait été reconnue légitime par les premiers juges.

Sa demande accessoire en paiement de dommages-intérêts sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Il n'y a pas matière en application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 22 septembre 2015 par le tribunal de grande instance de Quimper en toutes ses dispositions ;

Déclare l'action du GAEC [S] irrecevable ;

Déclare la demande en paiement de la SCI Kerneo recevable ;

Dit n'y avoir lieu à déchéance du droit du prêteur aux intérêts ;

Condamne Mme [S] à payer à la SELARL [T], ès-qualités de liquidateur de la SCI Kerneo, une somme de 443 316,26 euros, avec intérêts de retard au taux de 6 % l'an à compter du 1er janvier 2010, et capitalisation de ceux-ci par années entière du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2019 ;

Rejette les demandes de mainlevée, de caducité, d'annulation et de réduction des inscriptions d'hypothèque judiciaire ;

Déboute la SCI Kerneo de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum Mme [S] et le GAEC [S] aux dépens de première instance et d'appel ;

Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 15/07939
Date de la décision : 06/03/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 1B, arrêt n°15/07939 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-03-06;15.07939 ?
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