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18/02/2020 | FRANCE | N°14/00719

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 18 février 2020, 14/00719


1ère Chambre





ARRÊT N°62/2020



N° RG 14/00719 - N° Portalis DBVL-V-B66-KVMF













Mme [O] [U] épouse [B]

M. [V] [B]



C/



SA COGEP ( SA EREA)























Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 FÉVR

IER 2020





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des déb...

1ère Chambre

ARRÊT N°62/2020

N° RG 14/00719 - N° Portalis DBVL-V-B66-KVMF

Mme [O] [U] épouse [B]

M. [V] [B]

C/

SA COGEP ( SA EREA)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 FÉVRIER 2020

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 26 Novembre 2019

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 18 Février 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Madame [O] [U] épouse [B]

née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 7]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Paul-Olivier RAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Matthieu NICOLET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [V] [B]

né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 5]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représenté par Me Paul-Olivier RAULT, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Matthieu NICOLET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

La société COGEP, SA venant également aux droits de la société EREA par suite d'une opération de fusion-absorption, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Bérengère SOUBEILLE de la SELARL LALLEMENT SOUBEILLE ASSOCIÉS, avocat au barreau de NANTES

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Courant 2001, Messieurs [C] et [N] [S], exploitants agricoles associés au sein d'un groupement agricole d'exploitation en commun, le GAEC des Landes Martel, ont proposé à Monsieur [V] [B] et à Madame [O] [U], son épouse, exploitants agricoles en nom personnel (Monsieur [B]) à [Localité 5], de reprendre leur exploitation constituée d'un atelier de 1 100 places autorisées d'engraissement de porcs charcutiers comprenant plusieurs bâtiments et une lagune (sur 5ha 53a 18ca) et de 41 hectares environ de terres dont une partie (21ha 20a 77ca) était prise à bail auprès de trois bailleurs ([E] 14ha 68a 30ca, Durand 5ha 43a 47ca et Perruchon 1ha 10a) et le surplus en propriété (19ha 62a 25ca).

Après négociations entre les parties, les époux [B] se sont rapprochés de leur expert comptable, la société Agri Ouest, qui leur a soumis le 29 avril 2002 une lettre de mission proposant le phasage suivant :

1. rédaction d'un protocole d'accord ayant pour objet de matérialiser par écrit l'accord intervenu entre le cédant et les repreneurs, tant sur le montage juridique, les valeurs retenues que les questions fiscales,

2. constitution d'une société civile d'exploitation agricole (SCEA du Pont de Launay) par les époux [B] par transformation d'une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL du Pont de Launay, préalablement constituée),

3. constitution d'une société holding par les consorts [S],

4. cession de parts dans la SCEA du Pont de Launay entre Monsieur [B] et la société holding, incluant la réunion d'une assemblée générale pour arrêter la rémunération de gérant de Monsieur [B],

5. établissement d'un procès-verbal d'assemblée générale ordinaire pour l'exercice 2003,

lettre de mission que les intéressés ont acceptée.

Le protocole visé au premier point de la lettre de mission a été signé par les parties le 18 juillet 2002. Conformément à ce protocole, Monsieur [B] a constitué, le 1er janvier 2003, l'EARL du Pont de Launay à laquelle il a apporté les actifs de son exploitation estimés à la somme de 97 502,44 euros, à charge pour la structure de rembourser les prêts souscrits pour l'exploitation (16 502,44 euros). Cette EARL a été transformée le 22 septembre 2003 en SCEA dont le capital a été réparti entre Monsieur [B], détenteurs de 10 000 parts, et la société civile BRP, détentrice de 9 000 parts, société constituée entre Monsieur [N] [S], Madame [I] [R] épouse [S], Monsieur [C] [S] et Mlle [Y] [Z] (ci-après les consorts [S]).

------------------

En juillet 2007, alors qu'il avait été convenu que les époux [B] cèdent les parts qu'ils détenaient dans la SCEA du Pont de Launay à la société BRP, des différends ont surgi entre les parties au point que les consorts [S] ont assigné les époux [B] et la SCEA devant le tribunal de grande instance de Dinan qui, par jugement du 7 décembre 2010, a notamment :

- prononcé la résolution du protocole conclu le 18 juillet 2002 aux torts des époux [B],

- condamné les époux [B] à payer aux consorts [S], la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

- condamné les époux [B] à payer aux consorts [S], à la société BRP et au GAEC des Landes Martel la somme de 6 000 euros en réparation du préjudice subi pour la perte de chance,

- avant dire droit, ordonné une expertise comptable confiée à Monsieur [J] [T], aux fins notamment de :

1. proposer un apurement des comptes entre les parties,

2. fournir tous les éléments techniques et de fait permettant à la juridiction du fond de statuer,

3. faire toutes observations utiles,

- rappelé que toutes les éventuelles demandes relatives à cette expertise et le dépôt du rapport d'expertise devront être présentés au tribunal de grande instance de Saint-Malo à partir du 1er janvier 2011, compte tenu de la mise en 'uvre de la réforme de la carte judiciaire,

- renvoyé l'affaire devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Saint-Malo au 25 mars 2011.

Par arrêt du 22 mai 2015, la cour d'appel de Rennesa :

- infirmé le jugement déféré en ses dispositions condamnant les époux [B] à payer aux consorts [S], la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

et statuant à nouveau,

- débouté les consorts [S] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

- confirmé pour le surplus le jugement déféré,

y ajoutant,

- dit que la somme de 6 000 euros allouée aux intimés portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que ces intérêts se capitaliseront par année entière selon les dispositions de l'article 1154 du code civil,

- condamné le GAEC des Landes Martel à payer à la SCEA du Pont de Launay la somme de 53 457 euros HT,

- condamné la société B.R.P. à payer à la SCEA du Pont de Launay la somme de 20 254 euros après déduction du capital social,

- dit que les sommes dues à la SCEA du Pont de Launay porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- condamné les époux [B] à payer aux consorts [S], à la société BRP et au GAEC des Landes Martel, ensemble, la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.

Cette décision a été cassée par arrêt de la Cour de Cassation du 29 mars 2017 mais seulement en ce qu'elle avait condamné le GAEC des Landes Martel à payer à la SCEA du Pont de Launay la somme de 53 457 euros HT et en ce qu'elle avait condamné la société BRP à payer à la SCEA du Pont de Launay la somme de 20 254 euros après déduction du capital social.

Par arrêt du 11 septembre 2018, la cour d'appel de Caen, désignée cour de renvoi, a :

- condamné le GAEC des Landes Martel à payer à la SCEA du Pont Launay la somme de 53 547 euros HT avec intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2018,

- débouté la SCEA du Pont Launay et les époux [B] du surplus de leurs demandes,

- condamné la SCEA du Pont Launay à payer à la société BRP la somme de 97 984 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 septembre 2013, au titre de son compte courant d'associé arrêté au 31 juillet 2012,

- condamné les époux [B] à payer à la SCEA du Pont de Launay la somme de 198 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 octobre 2017, au titre du solde débiteur du compte courant d'associé de Monsieur [B] arrêté au 31 juillet 2012,

- ordonné la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière selon les dispositions de l'article 1154 du code civil,

- débouté les consorts [S] et la société BRP de leurs demandes au titre du prix de vente de l'autorisation d'exploiter,

- condamné les époux [B] à payer aux consorts [S] à la société BRP et au GAEC des Landes Martel, unis d'intérêts, la somme complémentaire de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné les époux [B] aux dépens de l'appel.

---------------------

Parallèlement, les époux [B], reprochant à la société Agri Ouest, devenue Erea Ouest et aux droits de laquelle se trouve la société Erea, un manquement à son devoir de conseil, ont saisi le tribunal de grande instance de Saint Brieuc qui, par jugement du 19 novembre 2013, a mis hors de cause la société Cogep, débouté les époux [B] de leur demande indemnitaire et condamné la société Erea aux dépens et à payer aux époux [B] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a considéré que si la société Agri Ouest avait effectivement commis une faute en rédigeant un protocole instituant à la charge des époux [B] une obligation de résultat dans l'apport d'un bail rural alors qu'ils ne pouvaient seulement faire que tout leur possible pour obtenir l'accord des bailleurs, le lien de causalité entre la faute et le préjudice n'était qu'indirect et incertain en l'état de la procédure opposant les consorts [S] et la société BRP aux époux [B].

Les époux [B] ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 29 janvier 2014.

Le conseiller de la mise en état a ordonné qu'il soit sursis à statuer dans l'attente des décisions à intervenir dans le litige opposant les consorts [S] aux époux [B].

L'arrêt de la cour d'appel de Caen étant devenue définitif, la procédure opposant les époux [B] aux sociétés Erea et Cogep a été reprise.

Aux termes de leurs dernières conclusions (n° 4, du 28 mai 2019), les époux [B] demandent à la cour de :

- confirmer la décision du tribunal qui a jugé que la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, a commis une faute contractuelle dans l'exécution de sa mission de rédaction du protocole de cession signé le 18 juillet 2002,

- confirmer la décision du tribunal qui a jugé en conséquence que la responsabilité de la société Cogep venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, est engagée à l'égard des époux [B],

- y ajouter que la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption aux droits de la société Erea Ouest, anciennement dénommée Agri Ouest, a commis une faute contractuelle en n'effectuant pas les diligences nécessaires à la convocation d'une assemblée générale de la SCEA devant fixer la rémunération de Monsieur [B],

- réformer la décision et juger que la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, a commis des fautes à l'égard des époux [B] qui ont un lien de causalité directe avec l'absence de réalisation de la cession,

- réformer la décision et condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, à payer à Monsieur [B] la somme de 45 421,85 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de l'impossibilité de céder ses titres, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2007, et capitalisation,

- réformer la décision et condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, à payer à Monsieur [B] la somme de 25 716,76 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'agrément subi lié à sa prise de retraite tardive,

- condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, aux époux [B] la somme de 26 374,72 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi lié aux divers frais et honoraires supportés dans le cadre des procédures les ayant opposés aux consorts [S],

- condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, aux époux [B] la somme de 7 409,76 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi lié aux divers frais et honoraires supportés à fonds perdus dans le cadre de la constitution de l'EARL puis de la SCEA,

- condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, aux époux [B] la somme de 17 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi lié aux diverses condamnations financières supportées par les époux [B] dans le cadre des procédures les ayant opposés aux consorts [S],

- condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, à Monsieur [B] la somme de 214 052 euros avec intérêts au taux légal depuis le 11 septembre 2018, avec capitalisation des intérêts, de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi lié au remboursement de la rémunération de gérance, et charges afférentes, de Monsieur [B], mis à sa charge par la cour d'appel de Caen,

- condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, au paiement au profit des époux [B] de la somme de 14 752,78 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi lié au paiement d'impôt indu, avec intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2018 et capitalisation des intérêts,

- réformer la décision et condamner la société Cogep, venant aux droits de la société Erea par suite d'une opération de fusion-absorption, à payer à chacun des époux [B] la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral subi,

- confirmer la décision du tribunal sur l'article 700 du code de procédure civile et y ajouter la somme de 3 500 euros en cause d'appel,

- confirmer la décision du tribunal sur les dépens et y ajouter ceux en cause d'appel.

À l'appui de leur demande, ils rappellent que le protocole du 18 juillet 2002 a été résolu car ils n'ont pu, en dépit de leurs efforts, apporter à la SCEA les terres que leur avaient données à bail les époux [E], cet apport constituant une stipulation essentielle sans laquelle les cessionnaires n'auraient pas contracté. Ils ajoutent qu'en l'état des condamnations prononcées au profit des consorts [S], ils sont ruinés.

Ils reprochent tout d'abord à leur expert comptable d'avoir manqué à son devoir de conseil quant à la rédaction du protocole, lequel a mis à leur charge une obligation de résultat alors que l'apport d'un bail rural à une société d'exploitation agricole est subordonné à l'accord du bailleur, lequel s'y est opposé le 11 mai 2007. Ils lui reprochent ensuite de ne pas avoir rédigé le projet de bail de leurs propres terres à la SCEA alors qu'ils s'y étaient engagés et de ne pas avoir organisé l'assemblée générale, prévue au protocole, ayant pour objet de fixer la rémunération de Monsieur [B] alors que celle-ci était pourtant prévue par la lettre de mission.

Ils soutiennent que le lien de causalité entre ces fautes et leur préjudice est certain puisque si aucune obligation de résultat n'avait été mise à leur charge, la cession de parts prévue au protocole aurait eu lieu nonobstant le refus des consorts [E].

Ils rappellent que leurs préjudices résultent pour Monsieur [B] dans la perte de sa rémunération de gérant pour la période antérieure au 4 juin 2012, et pour les époux [B] de diverses conséquences financières. Ils estiment ces préjudices aux sommes suivantes :

- 45 421,85 euros correspondant à la différence entre la somme qui aurait dû être versée en contrepartie de la cession des titres et le montant de l'apport que la SCEA devrait pouvoir rembourser (100 000 euros),

- 25 716,76 euros en réparation d'un préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de partir en retraite le 1er janvier 2008, celle-ci ayant été retardée de quarante six mois (¿ retraite par mois),

- 214 025 euros correspondant à la réintégration des salaires et charges de Monsieur [B] entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2012 dans les comptes de la SCEA, la condamnation de ce chef résultant de l'absence de délibération de l'assemblée générale fixant la rémunération du gérant,

- 14 752,78 euros correspondant aux sommes excédentaires versées au titre de l'impôt sur le revenu en raison des rémunérations remises en cause entre 2002 et 2012,

- 26 374,72 euros de frais de conseils exposés devant les différentes juridictions,

- 7 409,76 euros correspondant aux frais versés à la société Agri Ouest, au notaire et au géomètre pour mettre en 'uvre le projet avorté de reprise de leur exploitation,

- 17 000 euros correspondant aux sommes qu'ils ont été condamnés à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à titre de dommages et intérêts,

- 20 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, lequel est caractérisé par la longue procédure qui les a opposée aux consorts [S] et qui n'est pas définitivement terminée puisque la SCEA fait l'objet d'une procédure de règlement amiable et qu'il est à craindre que la société BRG associée au sein de cette structure cherche à recouvrer le compte courant débiteur de Monsieur [B] (198 000 euros).

Aux termes de ses dernières écritures (18 octobre 2019, conclusions n° 3), la société Cogep venant aux droits de la société Erea demande à la cour de :

- déclarer irrecevable comme prescrite, la demande formée pour la première fois par conclusions signifiées le 19 février 2019, et tendant à obtenir la condamnation de la société Cogep à verser à Monsieur [B] la somme de 214 052 euros avec intérêts au taux légal depuis le 11 septembre 2018, avec capitalisation des intérêts,

- confirmer le jugement qui a relevé le caractère indirect et incertain du préjudice invoqué par Monsieur et Madame [B],

- infirmer la décision du tribunal qui a condamné la société Cogep à payer aux époux [B] une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- débouter Monsieur et Madame [B] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

subsidiairement,

- réduire à de plus justes proportions le montant des dommages et intérêts alloués à Monsieur et Madame [B] en indemnisation de leur perte de chance,

- condamner Monsieur et Madame [B] à verser une indemnité de 4 500 euros à la société Cogep en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur et Madame [B] aux entiers dépens de l'instance.

À l'appui de ses demandes, la société Cogep rappelle le contexte de l'affaire et observe que si les consorts [S] ont sollicité devant le tribunal de grande instance de Dinan la résolution du protocole du 18 juillet 2002, les époux [B] ont conclu aux mêmes fins.

Elle soulève, en premier lieu, l'irrecevabilité de la demande liée à la rémunération de Monsieur [B] en sa qualité de gérant de la SCEA, soutenant que cette demande est nouvelle en cause d'appel et cette problématique parfaitement connue des appelants depuis a minima le dépôt du rapport de l'expert (21 février 2013) qui en fait expressément état. Elle ajoute donc que cette demande présentée pour la première fois le 19 février 2019 est, en conséquence, prescrite.

Elle conteste sa responsabilité relevant que les époux [B] ne justifient pas des diligences accomplies pour obtenir l'agrément des bailleurs à l'apport des baux, les pièces produites étant relatives à la rédaction de nouveaux baux. S'agissant de l'organisation de l'assemblée générale destinée à arrêter la rémunération de Monsieur [B], elle soutient que c'est ce dernier qui a renoncé à l'organiser estimant que sa rémunération résultait suffisamment du protocole.

Elle estime que le lien de causalité n'est pas davantage établi, la résolution du protocole résultant de la dégradation des relations entre cédant et cessionnaire imputable à de multiples désaccords (prise en charge des cultures et des récoltes, prix du façonnage) bouleversant l'économie des conventions, points de désaccord auxquels elle est totalement étrangère. Elle relève que les époux [B] ont cédé leurs propres terres à un tiers rendant impossible la mise à disposition et ont vendu leur production à une coopérative nonobstant leurs engagements auxquels ils ont très rapidement renoncé. Elle soutient donc que le lien de causalité n'est ni exclusif ni direct. Elle observe qu'elle ne peut être tenue pour responsable de l'obstination des époux [B] qui ont fait appel puis formé un pourvoi en cassation.

Elle conteste enfin le préjudice allégué en tous ses éléments (prix de cession dans la mesure où Monsieur [B] ne peut obtenir le prix de cession de parts dont il demeure propriétaire, préjudice d'agrément calculé arbitrairement alors que le sort des baux ruraux n'est pas le seul élément à l'origine de la rupture, caractère incertain et indéterminé de la réintégration des salaires et charges qui auront en tout état de cause pour conséquences d'augmenter la valeur des parts de la SCEA dont Monsieur [B] est porteur majoritaire), rappelant que celui-ci ne peut consister qu'en une perte de chance conduisant à une modération des dommages et intérêts alloués.

SUR CE :

Il résulte d'un courrier du 29 avril 2002 (lettre de mission, cf. supra) de la société Agri Ouest, société d'expertise comptable, que, consultée par les époux [B] (dont elle assurait la comptabilité), d'une part, et par les consorts [S], associés au sein d'un GAEC (le GAEC des Landes Martel), d'autre part, pour organiser, dans la perspective d'un départ en retraite, la cession de l'exploitation agricole des premiers au profit des seconds, elle leur a proposé, par préférence à la solution envisagée par les parties de l'entrée de Monsieur [B] dans le GAEC, «'de privilégier le montage suivant : mise en société de l'élevage de M. et Mme [B], puis prise de participation des repreneurs dans la structure sociétaire'».

Cette stratégie, en deux temps, est décrite dans ce courrier en ces termes :

«'1. création d'une SCEA par M. et Mme [B] avec demande d'autorisation d'exploiter au titre du contrôle des structures et transfert au nom de la société de l'autorisation d'exploiter (les) installations classées. M. et Mme [B] feront apport à la société du sol sous les bâtiments, des bâtiments porcs, d'une lagune et de certains matériels agricoles, avec demande de prise en charge par la société du remboursement des prêts en cours.

2. prise de participation des repreneurs via une société holding par voie d'achat de parts, au 1er octobre 2002. La société holding dont la forme juridique et le régime fiscal sont à valider, deviendra associée minoritaire de la SCEA. Il serait préférable qu'elle injecte des fonds dans la SCEA, sous forme d'apports en compte d'associés pour rembourser l'ensemble des dettes. En effet si la prise de participation n'est strictement que financière, l'opération est dispensée de toute formalité vis à vis du contrôle des structures. Il faut donc préférer un pourcentage de détention du capital inférieur à 50 %, tout en ayant le contrôle financier de l'affaire par l'apport de fond. Cela rend de fait la société cible invendable à qui que ce soit d'autre que les associés du GAEC'».

La société Agri Ouest a présenté la proposition tarifaire suivante : la réalisation de ce montage implique l'accomplissement des opérations suivantes :

1. rédaction du protocole d'accord : ce contrat a pour objet de matérialiser par un écrit l'accord intervenu entre le cédant et les repreneurs tant sur le montage juridique, les valeurs retenues que les questions fiscales... nous vous proposons la rédaction de cet avant contrat moyennant un budget HT de 1 200 euros,

2. constitution de la SCEA... 2 290 euros HT,

3. cession de parts SCEA et assemblée générale de la société arrêtant la rémunération du travail 810 euros HT,

4. comptabilité de la SCEA année 2002... 2 135 euros HT,

5. constitution de la société holding :1 200 euros HT,

soit au total la somme de 7 635 euros HT.

Les époux [B] ont signé cette proposition et donc accepté la lettre de mission que leur a soumise l'expert comptable.

Le protocole d'accord, préparé par la société Agri Ouest, a été signé par les parties le 18 juillet 2002 ainsi qu'il résulte du document versé aux débats.

Aux termes de cet acte, les cédants (les époux [B]) se sont notamment engagés :

- à solliciter de l'administration l'autorisation de poursuivre leur activité agricole dans le cadre d'une société, dénommée EARL du Pont de Launay,

- à constituer cette société et lui apporter le sol sous les bâtiments d'exploitation, les bâtiments d'exploitation, les matériels, la lagune et divers aménagements,

- et (troisième déclaration) «'à titre de disposition essentielle..., à défaut de laquelle les parties n'auraient pas conclu... d'une part à donner à bail rural à la société l'ensemble des immeubles ruraux ci-dessus désignés non compris dans les apports et, d'autre part, à apporter à la société l'ensemble des droits aux baux dont ils sont titulaires'».

Il a encore été convenu que les époux [B] cèdent, moyennant le prix de 134 077,50 euros, aux cessionnaires tant en leur nom personnel qu'au nom de la société BRP, en cours de constitution, la totalité de leurs parts sociales, le 54ème mois qui suivra l'augmentation de capital de la SCEA à laquelle les cessionnaires se sont engagés en apportant, entre le 1er janvier et le 31 juillet 2003, à la société une somme de 88 000 euros.

Il a enfin été prévu que Monsieur [B] «'continuera à exercer les fonctions de gérant unique de la société jusqu'à la date de cession de parts objet de la présente promesse'» et qu'il percevra pour son travail et l'exercice de ses fonctions de gérant une rémunération qui «'sera fixée par les associés aux termes d'une assemblée générale ordinaire qui se tiendra au siège social dans les 8 jours de la prise de participation des cessionnaires au capital de la société. Cette rémunération sera fixée à la somme de 1 524 euros par mois...'».

L'EARL du Pont de Launay, société au capital de 7 500 euros, a été constituée le 1er janvier 2003 suivant un acte non produit aux débats. Ses statuts (pièce n° 5 des appelants) ont été modifiés par une assemblée générale tenue le 22 septembre 2003 (dont le procès-verbal n'est pas produit aux débats), la société étant alors transformée en société civile d'exploitation agricole (SCEA) et son capital porté à la somme de 190 000 euros, réparti, en représentation des apports nets réalisés, entre Monsieur [B] auquel ont été attribuées 10 000 parts de 10 euros, et la société civile BRP, constituée entre les consorts [S] à une date non précisée, à laquelle ont été attribuées 9 000 parts de 10 euros. Aux termes des statuts modifiés, Monsieur [B] a été nommé (article 15.1) premier gérant pour une durée non limitée. Il a enfin été expressément stipulé (article 15.4) que «'chaque gérant peut recevoir une rémunération particulière, pour l'exercice de sa fonction, par décision collective. Cette rémunération reste en vigueur tant qu'une décision ultérieure ne l'a pas modifiée'».

Il résulte d'un courrier (pièce n° 14 des appelants) adressé le 22 septembre 2008 par Monsieur [B] à Monsieur [D] [M], directeur de la société Cogep venant aux droits de la société Erea Ouest, elle même aux droits de la société Agri Ouest, que cette société est demeurée en charge du dossier de la SCEA du Pont de Launay jusqu'à minima en 2008.

Ce point est notamment corroboré par un courrier du 14 novembre 2003 de Monsieur [P], juriste de la société Agri Ouest, dont il résulte que cette société avait, à cette date, facturé :

- 1 200 euros HT à l'EARL du Pont de Launay,

- 1 200 euros HT au GAEC des Landes,

- et qu'il lui restait donc à facturer la somme de 2 290 euros HT.

Cette somme (2 290 euros HT) a fait l'objet d'une facture datée du 10 novembre 2003 (pièce n° 32) à destination de la SCEA du Pont de Launay, visant les prestations suivantes : constitution de la société, augmentation du capital, transformation en SCEA, rédaction des actes, accompagnement du notaire, formalités.

Ces différents éléments établissent que la société Agri Ouest consultée par les consorts [B] et [S] a bien proposé le montage qui a été mis en place à partir de 2003 et a accompagné ce montage en rédigeant les actes nécessaires (ou du moins certains d'entre eux) et en tenant la comptabilité de la SCEA (seul l'exercice 2006/2007 semble ne pas avoir été réglé, cf. pièce n° 14).

Il est établi que par acte du 30 avril 2008, les consorts [S], la société civile BRP et le GAEC des Landes Martel ont fait assigner les époux [B] et la SCEA du Pont de Launay devant le tribunal de grande instance de Dinan en résolution du protocole d'accord du 18 juillet 2002 pour manquement à l'engagement souscrit au titre de la troisième déclaration des cédants (apport des baux ruraux).

Le tribunal (dont la décision est devenue sur ce point définitive après exercice des voies de recours) a fait droit à cette demande dans son jugement du 7 décembre 2010 retenant que les époux [B] s'étaient, dans le protocole, engagés, au terme d'une obligation de résultat et non de moyen, à apporter les baux qui leur avaient été consentis et que cet engagement ne pouvait être tenu, s'agissant du bail [E] (14ha 68a 30ca) en raison de l'opposition du bailleur.

Ayant prononcé la résolution, aux torts des époux [B], du protocole du 18 juillet 2002, le tribunal a ordonné une expertise comptable.

L'irrégularité, faute de délibération de l'assemblée générale de la SCEA, de la rémunération perçue par Monsieur [B] a été soulevée par les consorts [S] pour la première fois, au cours de cette expertise, par un dire à l'expert en date du 26 avril 2012 («'dès lors que le protocole est annulé, il n'y a plus aucune rémunération à valoir pour Monsieur [B]'») et leurs observations sur le pré-rapport en date du 5 décembre 2012 («'il me paraît impératif de proposer un apurement des comptes qui doit intégrer les conséquences d'une réintégration de la rémunération et des charges sociales de Monsieur [B]. En effet quelque soit l'issue de la procédure, Monsieur [B] devra réintégrer ces sommes pour la simple raison qu'elles ne sont fixées que par le protocole et que les deux parties demandent à la cour d'appel l'annulation du protocole'»). L'expert dans son rapport du 21 février 2013 a tenu compte de cette observation puisqu'il a proposé deux apurements des comptes suivant que l'on réintègre ou non la rémunération du gérant et les charges sociales afférentes.

Cette demande, d'un montant de 214 025 euros (156 982 euros au titre des rémunérations et 57 043 euros au titre des charges sociales), développée par les consorts [S] devant la cour d'appel, pour la première fois dans leurs conclusions notifiées le 25 septembre 2013, a été rejetée par cette juridiction dans son arrêt du 22 mai 2015, cassé sur ce point précis par l'arrêt du 29 mars 2017. La cour de renvoi (Caen, 11 septembre 2018) a, au contraire, accueilli la demande formulée à cet égard par les consorts [S] et a réintégré la rémunération de Monsieur [B], charges sociales comprises dans les comptes de la SCEA du Pont de Launay, à hauteur de la somme de 214 025 euros (page 9/10, conformément au calcul effectué par l'expert judiciaire dans son rapport précité).

Les fautes reprochées par les époux [B] à la société Agri Ouest concernent donc à la fois un manquement au devoir de conseil s'agissant de l'engagement souscrit quant à l'apport des baux et l'abstention de rédiger certains actes et plus particulièrement la délibération fixant la rémunération du gérant de la SCEA, alors que la rédaction de cet acte avait été contractuellement prévue dans la lettre de mission.

La société Cogep relève à juste titre qu'en première instance, devant le tribunal de grande instance de Saint Brieuc, les époux [B] ne reprochaient, aux termes de leurs conclusions récapitulatives du 9 avril 2013, à la société Agri Ouest que la première de ces deux fautes et limitaient leurs prétentions indemnitaires aux sommes de 145 421,85 euros en réparation de l'impossibilité de céder les titres de la SCEA, de 25 716,76 euros en réparation du préjudice d'agrément lié à la prise de retraite tardive et de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral. Les époux [B] n'ont, dans le cadre de cette instance, présenté la prétention relative à la réintégration de la rémunération et aux préjudices connexes que dans leurs conclusions d'appel n° 3, notifiées le 19 février 2019.

1'sur l'exception d'irrecevabilité de la demande relative à la réintégration de la rémunération du gérant et aux demandes connexes :

L'exception soulevée tient au fait que cette demande serait, d'une part, prescrite et, d'autre part, nouvelle en cause d'appel.

Il résulte de l'article 2224 du code civil que «'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'».

La société Cogep prétend que le point de départ de la prescription doit être fixé au jour du dépôt du rapport de l'expert, soit le 21 février 2013, ce à quoi s'opposent les époux [B] qui soutiennent que la prescription n'a commencé à courir que du jour où a été rendu l'arrêt de la cour d'appel de Caen (11 septembre 2018) qui a fait droit à la demande des consorts [S] relative à la réintégration de la rémunération de Monsieur [B] en sa qualité de gérant de la SCEA du Pont de Launay.

Le critère retenu par le législateur pour déterminer le point de départ de la prescription prévue par l'article précité n'est pas, contrairement à ce que retiennent les appelants, la certitude du dommage, mais le jour où le créancier a connu les faits lui permettant d'agir.

En l'occurrence, les époux [B] ont pu appréhender les conséquences juridiques de l'inexistence de la délibération de l'assemblée générale autorisant le gérant de la SCEA à percevoir une rémunération au jour du dépôt du rapport de l'expert (21 février 2013), puisque le technicien, répondant une demande claire et précise de ses adversaires, a, sans trancher la question de droit, déterminé le montant de la somme (214 025 euros) que Monsieur [B] devrait restituer à la société s'il y était fait droit. Si un doute subsistait encore au jour du dépôt du rapport, celui-ci a nécessairement disparu, au plus tard, le 25 septembre 2013 à la lecture des conclusions des consorts [S] lorsqu'ils ont saisi la cour d'appel d'une demande à cette fin dont la motivation permettait de connaître les faits avec une précision suffisante pour que les époux [B] recherchent, s'ils l'estimaient nécessaire, la responsabilité de l'expert comptable, ce d'autant qu'ils l'avaient d'ores et déjà assigné à raison de la première des fautes reprochées.

Cette dernière date sera retenue comme étant le point de départ de la prescription.

N'ayant conclu à l'encontre de la société Cogep à raison de la faute qui serait, selon eux, à l'origine de la condamnation au payement de la somme de 214 052 euros (remboursement de la rémunération) et des demandes subséquentes (impôt sur le revenu notamment), que le 19 février 2019, c'est à dire plus de cinq à compter du jour où ils ont eu connaissance des faits permettant d'exercer l'action, celle-ci est prescrite.

Cette demande sera donc déclarée irrecevable sans même qu'il soit nécessaire de rechercher si elle pouvait être ' ou non ' présentée pour la première fois en cause d'appel.

2 ' sur le manquement au devoir de conseil concernant l'apport des baux ruraux :

Il est constant que l'expert comptable, qui accepte dans l'exercice de ses activités juridiques accessoires (article 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 dans sa rédaction applicable au présent litige : «'Ils (les experts comptables) peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d'ordre... juridique... et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise mais sans pouvoir en faire l'objet principal de leur activité et seulement s'il s'agit d'entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d'ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés'») de rédiger un acte, est tenu, en sa qualité de rédacteur, d'informer et d'éclairer de manière complète les parties sur les effets et la portée de l'opération projetée, qu'il doit veiller, comme tout rédacteur d'acte, à la pleine efficacité de celui qu'il rédige.

Le tribunal a retenu, par des motifs pertinents que la cour adopte, que la société Agri Ouest n'avait pas satisfait à son devoir de conseil en insérant dans le protocole qu'elle a rédigé (acte du 18 juillet 2002) une clause essentielle ' sans laquelle les parties n'auraient pas contracté ainsi qu'il est expressément précisé ' aux termes de laquelle les époux [B] se sont engagés à apporter à la SCEA l'ensemble des baux dont ils étaient titulaires, sans attirer leur attention sur le fait qu'un tel apport supposait, aux termes de l'article L 411-38 du code rural, l'agrément personnel des bailleurs («'le preneur ne peut faire apport de son droit au bail à une société civile d'exploitation agricole ou à un groupement de propriétaires ou d'exploitants qu'avec l'agrément personnel du bailleur et sans préjudice du droit de reprise de ce dernier. Les présentes dispositions sont d'ordre public.'»), ce qui avait pour conséquence de faire dépendre de la libre volonté de tiers l'exécution de cette obligation.

L'obligation de résultat ainsi stipulée, dont manifestement les époux [B] n'ont pas mesuré toute la portée faute d'information précise et complète sur ce point, caractérise un manquement fautif imputable à l'expert comptable qui a, de ce fait, engagé sa responsabilité contractuelle à leur égard.

Il résulte des pièces produites que les époux [B] ont notamment sollicité Madame [E], bailleresse, ainsi qu'il ressort :

- d'un courrier en date du 23 février 2007 (pièce n° 8 des appelants) de Monsieur [P], juriste au sein de la société Erea (venant alors aux droits de la société Agri Ouest) : «'Je n'ai pas manqué de faire part à Messieurs [S] de votre proposition d'une visite conjointe chez Madame [E] de manière à obtenir l'apport du droit au bail prévu par le protocole d'accord. J'ai encouragé Messieurs [S] à accepter votre proposition. L'apport du droit au bail est en effet essentiel au bon fonctionnement économique et à la pérennité d'autorisation d'exploiter de la SCEA dont l'activité d'élevage dépend fortement des contraintes environnementales. Il est également un élément déterminant des opérations de cession prévues. Messieurs [S] ne semblent pas opposés au fait de vous accompagner chez Madame [E]... Je les mets en copie en espérant les persuader plus avant de la nécessité de débloquer la situation. L'intérêt des uns et des autres, ainsi que de l'exploitation, le nécessite'»,

- du courrier que Me [F], leur conseil, a adressé le 10 avril 2017 à Madame [E] en ces termes : «'Je me permets d'intervenir auprès de vous en ma qualité de conseil des époux [V] [B], exploitants agricoles... Les époux [B] sont titulaires d'un bail rural portant sur des parcelles de terre sises au lieu-dit [Localité 4] en [Localité 5], d'une surface de 15ha 88a, bail ayant pris effet au 31.11.1992. Aux termes d'un protocole d'accord en date du 18.07.2002, les époux [B] ont pris l'engagement, dans le cadre de la cession de leur exploitation agricole, "d'apporter à la société nouvelle à constituer l'ensemble des droits aux baux dont ils sont titulaires"... De façon à permettre aux époux [B] d'établir la preuve qu'ils ont entrepris auprès de vous toutes les démarches tendant à la transmission effective des terres au moyen d'un nouveau bail à consentie à la SCEA du Pont de Launay, représentée par Messieurs [C] et [N] [S], je vous saurais gré de bien vouloir me confirmer que vous acceptez une telle solution ou, dans la négative, m'informer de la ou des raisons pour lesquelles vous entendez vous opposer à cette solution, ce qui me permettra d'établir que les époux [B] sont totalement étranger à ce refus d'établir un nouveau bail en faveur de cette SCEA. Monsieur [B] vous a du reste déjà rencontrée à ce sujet courant février 2007'».

Cependant, en dépit de ces démarches, Madame [E] a, par lettre du 11 mai 2007 (pièce n° 10 des époux [B]) fait connaître son refus : «'Suite à votre courrier, je viens par cette présente y faire réponse. C'est par la négative que je vous informe après une concertation que mes enfants et moi même avons pris la décision de garder nos terres étant donné que Monsieur et Madame [B] vont être en retraite'».

L'impossibilité d'apporter ce bail constitue, ainsi qu'il a déjà été précisé, le motif retenu par le tribunal (puis la cour) pour prononcer la résolution du protocole au torts et griefs des époux [B].

3 ' sur le lien de causalité :

Si, pour contester l'existence d'un lien de causalité entre sa faute commise par la société Agri Ouest et le préjudice allégué, la société Cogep relève que les consorts [B] n'ont pas sollicité l'agrément des bailleurs pour apporter leur bail à la SCEA mais demandé la conclusion au profit de la SCEA d'un nouveau bail, il convient d'observer que, par delà les maladresses du courrier de Me [F], qui fait état à la fois de l'apport du droit au bail et de la conclusion d'un nouveau bail, ce qui en droit est différent, Madame [E], sans s'arrêter à cette distinction, a manifesté clairement son refus en raison du départ en retraite du preneur. Sa réponse aurait, à l'évidence, été identique si la demande n'avait porté que sur l'agrément d'une société dont le preneur se retirait pour partir en retraite puisque c'est ce seul élément qu'elle et ses enfants ont pris en considération.

Par ailleurs et contrairement à ce qu'a considéré le premier juge, le lien de causalité entre la faute de l'expert comptable et le préjudice subi par les époux [B] n'est pas indirect. En effet, c'est bien parce que l'expert comptable a mis à la charge des cédants une obligation de résultat qualifiée de condition essentielle sans laquelle les parties n'auraient pas signé le protocole, alors que l'exécution de cette obligation ne dépendait pas de leur seule volonté et que l'un des bailleurs, le plus important, s'y est opposé, que le dit protocole a été résilié par le tribunal de Dinan aux torts exclusifs des époux [B] puisqu'ils ont été dans l'incapacité d'apporter à la SCEA du Pont de Launay le bail [E] (seul motif retenu par le tribunal puis par la cour d'appel), les griefs qu'ils alléguaient pour obtenir la résolution aux torts de leurs adversaires ayant été rejetés tant en première instance qu'en appel.

Il sera également observé que si, comme le relève la société Cogep, les époux [B] ont loué (et non cédé) leurs terres (pour lesquelles un bail devait être consenti à la SCEA comme ils le proposaient encore aux consorts [S] en juillet 2017, cf jugement du tribunal de grande instance de Dinan page 5) à leur fille, Madame [A] [G], cette location n'est intervenue qu'en 2012, bien après le refus de Madame [E] exprimé en mai 2007 et alors que la rupture des relations entre les consorts [B] et [S] était largement consommée. Cette location, dont a fait état la cour d'appel en 2015, est sans conséquence sur le lien de causalité entre la faute de la société Agri Ouest et le préjudice allégué par les époux [B].

4 ' sur les préjudices allégués :

Les époux [B] soutiennent que le préjudice subi est constitué et doit être entièrement réparé alors que la société Cogep prétend, au contraire, qu'il ne consiste que dans la réparation d'une perte de chance.

Il sera à cet égard observé que si la société Agri Ouest avait satisfait à son obligation de conseil et d'information et avait donc formellement déconseillé aux époux [B] d'ériger en obligation de résultat l'apport des baux ruraux dont ils étaient bénéficiaires (du moins sans avoir préalablement recueilli l'accord écrit des trois bailleurs), ceux-ci n'auraient certainement pas signé le protocole dans les mêmes conditions et les parties auraient soit stipulé à la charge des cédants une simple obligation de moyen s'agissant de l'apport des baux, soit elles ne seraient pas engagées dans la signature du protocole du 18 juillet 2002, étant précisé que les 41 hectares de terres exploitées par les époux [B] (en faire valoir direct ou indirect) étaient nécessaires à l'épandage des effluents de leur atelier d'engraissement de porcs charcutiers et que le bail [E] représentait environ 36 % des terres de leur exploitation, ce qui aurait permis à Monsieur [B] de céder son exploitation dans des conditions moins défavorables.

La faute commise par la société Agri Ouest a donc fait perdre aux époux [B] une chance soit de conclure le protocole dans des conditions plus favorables si les cessionnaires avaient accepté un aléa sur l'apport des baux, soit, dans l'hypothèse contraire, de ne pas le conclure du tout et de céder, dans d'autres conditions, leur exploitation.

La chance ainsi perdue est certaine au regard de son caractère réel et sérieux et doit être indemnisée comme telle, celle-ci n'étant ni nulle ni même négligeable mais au contraire très sérieuse.

Il convient donc d'examiner à l'aune de ces principes chacune des prétentions des appelants.

Monsieur [B] réclame, en premier lieu, une somme de 45 421,85 euros à titre de préjudice financier (perte sur la cession des titres) correspondant à la différence entre la somme qui lui aurait été versée à la cession de ses titres de la SCEA (145 421,85 euros) et les apports qu'il a effectués (100 000 euros) et qu'il devrait pouvoir reprendre.

Il convient de rappeler qu'aux termes du protocole, les parts de Monsieur [B] devaient être cédées au prix de 134 077,50 euros et non au prix de 145 421,85 euros, ce dernier montant résultant d'un courrier de Me [F], conseil des consorts [B] (pièce n° 13), faisant référence à un acte ''non produit aux débats ' reçu le 20 juin 2003 par Me [L], notaire, dont il ressortirait que les dettes de la SCEA seraient moindres et qu'aurait été omise la valeur de certaines parts sociales détenues par Monsieur [B]. En l'absence de cet acte et de toute autre pièce justificative, la somme retenue ne peut être que le prix de cession tel que stipulé à l'acte, soit la somme de 134 077,50 euros.

La SCEA du Pont de Launay ayant cessé toute activité et les conclusions de l'expert sur les comptes d'associés ayant été entérinés par la cour d'appel de Caen, les titres de Monsieur [B] sont invendables.

Compte tenu de la reprise des apports, la base de l'évaluation de la perte de chance s'élève à la somme de 34 077,50 euros. La chance perdue, très sérieuse, doit être estimée à 90 %. La société Cogep sera donc, de ce chef, condamnée à verser à Monsieur [B] une somme de 30 669,75 euros.

Monsieur [B] fait valoir, en second lieu, qu'il a perdu une chance de partir en retraite dès le mois de juillet 2007 pour ne partir en retraite que plus de quatre ans plus tard, le 31 octobre 2011. Il estime ce préjudice, qu'il a subi pendant quarante six mois, à la moitié du montant de la retraite qu'il aurait perçue soit 559,06 euros par mois et pour la totalité de la période, la somme de 25 716,76 euros. L'estimation mensuelle ainsi faite est raisonnable et peut servir de base à l'évaluation du préjudice subi.

Il est certain que si le protocole avait été exécuté comme prévu à la date convenue (le 54ème mois qui suit l'augmentation de capital souscrite par la société BRP), le cédant serait parti en retraite (la finalité de l'opération étant d'organiser la cession de l'exploitation [B] en raison de son départ en retraite). La procédure diligentée par ses associés puis la résolution du protocole à ses torts l'ont effectivement contraint à poursuivre son activité pendant près de quatre ans, ce qui lui a causé un préjudice, lequel découle directement de la faute commise par la société Agri-Ouest. Ce préjudice sera réparé par l'allocation, à titre de dommages et intérêts, d'une somme de 23 145,08 euros.

Les époux [B] sollicitent, en troisième lieu, une somme de 26 374,72 euros correspondant aux frais de conseil et de procédure qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure de résolution du protocole. Ces frais seront pris en considération à hauteur de la somme de 16 177,85 euros correspondant aux frais exposés en première instance et en appel, les frais exposés devant la Cour de Cassation et devant la cour de renvoi ne concernant pas la faute retenue dans le cadre de la présente instance. La perte de chance étant de 90 %, une somme de 14 560,07 euros sera allouée aux appelants de ce chef.

Ils réclament également une somme de 17 000 euros correspondant aux frais irrépétibles et dommages et intérêts alloués, dans le même cadre, à leurs adversaires. Pour les mêmes motifs que précédemment indiqué, cette somme ne sera prise en compte qu'à hauteur de 10 000 euros correspondant aux montants alloués en première instance et en appel. Compte tenu de la perte de chance retenue, la société Cogep sera condamnée à leur verser une somme de 9 000 euros.

La demande des époux [B] relative aux honoraires versés à l'expert comptable, au notaire et au géomètre ne peut qu'être rejetée. En effet, l'examen des factures produites aux débats révèle que ces sommes n'ont pas été réglées par eux mais par l'EARL puis la SCEA du Pont de Launay.

Enfin, ils sollicitent, à titre de préjudice moral, chacun une somme de 20 000 euros. Ce préjudice est incontestable. La faute de la société Agri Ouest les a engagés dans une procédure longue qui n'est d'ailleurs toujours pas achevée puisque les consorts [S] viennent de saisir le tribunal judiciaire de Saint Malo d'une demande de règlement amiable pour obtenir le payement d'une créance de 97 984 euros. En réparation de ce préjudice une somme globale de 6 000 euros sera allouée aux époux [B].

Le jugement rendu qui a débouté les époux [B] de leurs demandes sera infirmé sauf en ce qu'il a condamné la société Eréa ' aux droits de laquelle se trouve la société Cogep ' aux dépens et à payer aux époux [B] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La société Cogep, partie perdante, supportera la charge des dépens.

Elle devra, en outre, verser aux époux [B] une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement :

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Saint Brieuc en date du 19 novembre 2013 sauf en ce qu'il a condamné la société Eréa ' aux droits de laquelle se trouve la société Cogep ' aux dépens et à payer aux époux [B] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

Vu l'article 2224 du code civil :

Déclare irrecevable comme étant prescrite la demande en payement des sommes de 214 052 euros au titre de la réintégration de la rémunération de Monsieur [V] [B] et de 14 752,72 euros au titre de l'impôt sur le revenu payé à raison de la perception de cette rémunération.

Dit que la société Agri Ouest a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard des époux [B].

Condamne la société Cogep venant aux droits de la société Agri Ouest à payer à :

- Monsieur [V] [B] la somme de 30 669,75 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de valeur de ses parts de la SCEA du Pont de Launay,

- Monsieur [V] [B] la somme de 23 145,08 euros à titre de dommages et intérêts pour le report de son départ en retraite,

- Monsieur [V] [B] et à Madame [O] [U] épouse [B] une somme de 14 560,07 euros à titre de dommages et intérêts pour les frais de procédure exposés,

- Monsieur [V] [B] et à Madame [O] [U] épouse [B] une somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les sommes qu'ils ont été condamnés à verser aux consorts [S] et à leurs sociétés,

- Monsieur [V] [B] et à Madame [O] [U] épouse [B] une somme de 6 000 euros en réparation de leur préjudice moral.

Déboute les époux [B] du surplus de leurs demandes.

Condamne la société Cogep aux dépens d'appel.

Condamne la société Cogep à payer à Monsieur [V] [B] et à Madame [O] [U] épouse [B] une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14/00719
Date de la décision : 18/02/2020

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°14/00719 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-02-18;14.00719 ?
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