1ère Chambre
ARRÊT N°376/2019
N° RG 17/08339 - N° Portalis DBVL-V-B7B-ONRS
Mme [S] [I]
C/
DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 08 OCTOBRE 2019
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport
Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,
Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Juin 2019
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 08 Octobre 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [S] [I]
née le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Benoît GEORGE de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Christelle DUCLOS du cabinet ALTEC AVO'K, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile-de-France et du Département de Paris, 1 Pôle Juridictionnel Judiciaire, qui élit domicile en ses bureaux situés [Adresse 1]) agissant sous l'autorité de Monsieur le Directeur Général des Finances Publiques, [Adresse 2])
Représenté par Me Anne DENIS de la SELARL ANNE DENIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par la SCP PAVET BENOIST DUPUY RENOU LECORNUE, plaidant, avocat au barreau du Mans
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société [I] Entreprises a été constituée le 28 septembre 1985. Cette société est une holding dont l'objet principal est la souscription, l'acquisition, la propriété et la gestion de participations majoritaires ou minoritaires dans toutes sociétés ou groupements quelconques et l'exercice de toute activité entrant dans le cadre de l'objet social des sociétés financières ou holdings.
Elle détenait en début d'année 2010 :
- des participations majoritaires dans les sociétés Brocéliande TP (96 % du capital), STPB (100 % du capital), ERTP [I] (99,85 % du capital), STOP (64,29 % du capital), Pérotin Travaux Publics (96 % du capital), [I] Béton (96 % du capital) et 2M Distribution (100 % du capital) constituant le groupe [I],
- des participations minoritaires dans les sociétés commerciales OTE (33 % du capital) et CBTP (15 % du capital),
ces différentes sociétés ayant pour activité le terrassement et la construction de routes, la fabrication de béton, le commerce en gros de machines pour la construction, le traitement des sols et l'analyse,
- ainsi que des participations minoritaires dans quatre sociétés civiles immobilières : les sociétés La Rouerie, détenue à hauteur de 20 %, Kerper, détenue à hauteur de 20 %, Ker Gilles, détenue à hauteur de 20 % et La Rousselais, détenue à hauteur de 35 %, les trois premières sociétés étant notamment propriétaires des immeubles d'exploitation loués à certaines des sociétés commerciales précitées.
Le capital de la société [I] Entreprises était alors détenu par Monsieur [Y] [I] et Madame [R] [H], son épouse, à raison de 5870 parts sur les 6000 constituant le capital de la société, le surplus (130 parts / 6000) étant détenu par Monsieur [X] [I].
Madame [R] [I] est décédée le [Date décès 3] 2010, laissant pour recueillir sa succession : son conjoint survivant, Monsieur [Y] [I], usufruitier après exercice de l'option ouverte en exécution de la donation que lui avait consentie son épouse, et ses deux enfants, [X] et [S] [I], nu-propriétaires.
La déclaration de succession de [R] [I] a été enregistrée, le 4 novembre 2011, au service des impôts des entreprises de Rennes Est. Dans cette déclaration, les consorts [I] ont revendiqué l'application des dispositions de l'article 787 B du code général des impôts (couramment désigné sous la dénomination de dispositif Dutreil) afin de bénéficier d'une exonération à hauteur de 75 % des droits de mutation sur la valeur des parts sociales de la société [I] Entreprises transmises par décès (2935 parts), la valeur déclarée de ces parts s'élevant à la somme de 9513962 euros.
Corrélativement, les déclarants ont notamment certifié qu'à la date du décès, la société [I] Entreprises était une holding animatrice gérée par Messieurs [Y] et [X] [I], réalisant des prestations de service de nature commerciale. Par ailleurs, [X] et [S] [I] ont pris l'engagement (11 et 12 avril 2011) de conserver les parts recueillies pendant au moins quatre ans à compter de leur transmission, soit jusqu'au [Date décès 3] 2014.
Relevant que dès le 3 décembre 2010, la société [I] Entreprises avait cédé ses participations au sein des sociétés Brocéliande TP, STPB, STOP, Pérotin Travaux Publics à la société ERTP [I] puis, le 6, sa participation au sein de la société ERTP [I] à la société JML Finances, moyennant le prix de 13 847 030 euros alors que les sociétés civiles immobilières La Rouerie, Kerper et Ker Gilles ont cédé, le même jour, les immeubles d'exploitation à la société Lessard Immobilier moyennant le prix de 6 999 256 euros (dont 1 400 000 euros revenant à la société [I] Entreprises compte tenu ses participations), que le 27 mars 2012, la société [I] Entreprises avait cédé sa participation au sein de la société [I] Béton et estimant que l'activité de la holding était devenue purement financière, la brigade de contrôle de la fiscalité immobilière de Rennes a remis en cause l'exonération partielle dont ont bénéficié les héritiers, position que l'administration a confirmé le 3 février 2014 en réponse aux observations du contribuable.
Un avis de mise en recouvrement pour un montant de 1 666 488 euros en droits et de 193 312 euros en intérêts de retard a été émis le 14 avril 2014 puis réédité le 5 juin 2015 après rejet d'une réclamation contentieuse présentée par Madame [S] [I].
Après une nouvelle réclamation du 25 juin 2015 demeurée sans réponse, Madame [I] a saisi le tribunal de grande instance de Rennes qui, par jugement du 7 novembre 2017 l'a déboutée de ses demandes.
Madame [I] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 novembre 2017.
Aux termes de ses dernières écritures (21 février 2018), elle demande à la cour de :
- recevoir son appel et le dire bien fondé ;
- infirmer le jugement du 7 novembre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Rennes ;
- juger que la procédure de redressement est viciée ;
- juger que l'activité de la société [I] entreprises est demeurée éligible au bénéfice du régime de l'article 787 b ;
- juger que rien ne lui interdisait sous ce régime de changer d'activité commerciale ;
- juger que l'activité de holding animatrice de la société [I] entreprises ne devait pas conduire à l'appréciation de la prépondérance de l'activité commerciale exercée ;
- juger si toutefois cette appréciation devait être effectuée, que l'activité était de façon prépondérante une activité commerciale ;
- juger si toutefois il était retenu en outre que cette activité était de façon prépondérante civile, que la date d'appréciation de l'activité de la société [I] Entreprises se situant à la date du décès la condition relative à l'activité était remplie ;
- juger en conséquence que l'administration fiscale n'était pas fondée à notifier la déchéance du régime de l'article 787 b ;
- prononcer par suite le dégrèvement total des droits de succession et des intérêts de retard mis en recouvrement dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire ;
- ordonner le remboursement des sommes versées, soit 1.666.488 euros ;
- assortir ce remboursement d'intérêts moratoires conformément aux dispositions des articles 1207 et 1208 du livre des procédures fiscales ;
- juger de façon subsidiaire que les intérêts de retard ne sont pas dus compte tenu de la mention expresse figurant dans la déclaration de succession ;
en toute hypothèse :
- déclarer que l'arrêt est opposable à la direction générale des finances publiques ;
- condamner la direction générale des finances publiques au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés dans les conditions de l'article 699 code de procédure civile.
À l'appui de ses demandes, Madame [I] fait, en premier lieu, valoir que la proposition de rectification est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L 57 du livre des procédures fiscales, en ce que l'administration s'est référée à des critères figurant dans une instruction postérieure à la date du décès et, en outre, dénués de pertinence compte tenu de la nature de la société [I] Entreprises (holding). La procédure étant viciée, le redressement doit, selon elle, être annulé.
Au fond, elle rappelle que l'engagement de conservation a été pris sur les titres de la société holding et non sur les titres détenus par celle-ci, que la société holding a poursuivi son activité commerciale, les opérations auxquelles elle se livre étant des actes de commerce au sens de l'article L 110-1 du code de commerce, que si le périmètre de l'animation s'est restreint à la suite de la cession de la branche travaux publics, elle a conservé sa mission d'animation de ses filiales 2M Distribution et [I] Béton, notamment en leur consentant des cautionnements solidaires. Elle précise que le produit des cessions a été réinvesti dans l'immobilier commercial par de nouvelles prises de participation avec des avances de trésorerie, ce qui caractérise la fonction d'animation de la société [I] Entreprises. Elle soutient donc que si son activité a changé, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause le régime d'exonération des droits de mutation, dès lors qu'aucune condition de maintien d'activité n'est prévue par la loi, seule devant être prise en compte, conformément à la doctrine de l'administration publiée en 2011, cette fonction. Elle observe, en outre, que la situation doit être appréciée au jour du décès.
Elle conteste en toute hypothèse les intérêts de retard au regard du contenu de la déclaration de succession qui a été souscrite, laquelle détaille les motifs d'éligibilité au dispositif Dutreil qui ont conduit les souscripteurs à solliciter l'exonération partielle prévue à l'article 787 B.
Aux termes de ses dernières écritures, le Directeur Régional des Finances Publiques demande à la cour de :
- dire et juger Madame [I] tant irrecevable que mal fondée en son appel, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Madame [I] de sa demande et l'a condamnée aux dépens;
- dire et juger la procédure de redressement régulière ;
- dire et juger que l'administration était fondée à notifier la déchéance du régime de l'article 787 B du C.G.I. ;
- débouter Madame [I] de sa demande visant à voir prononcer le dégrèvement total des droits de succession et des intérêts de retard mis en recouvrement dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire,
- débouter Madame [I] de sa demande visant à voir ordonner le remboursement des sommes versées, soit 1.666.488 euros, et de sa demande d'intérêts moratoires sur cette somme,
- débouter Madame [I] de sa demande au titre de l'article 700 et des dépens,
- condamner Madame [I] à payer à l'administration 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.
À l'appui de ses demandes, le Directeur Régional des Finances Publiques conteste l'irrégularité alléguée de la procédure, faisant valoir que l'exigence de motivation de la proposition de rectification a été pleinement satisfaite notamment quant à la déchéance encourue et la qualification de l'activité poursuivie par la société [I] Entreprises. Elle observe que d'ailleurs, le contribuable a parfaitement saisi l'argumentation suivie ainsi qu'il résulte de la discussion qu'il a élevé, contestant point par point les éléments retenus.
Au fond, il rappelle que les holdings sont normalement exclues du dispositif, que la doctrine administrative admet toutefois qu'elles puissent en bénéficier sous réserve qu'elles participent à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales et rendent, le cas échéant, et à titre purement interne, des services à celles-ci.
Il relève que dans les deux mois qui ont suivi le décès de Madame [I], la société [I] Entreprises a cédé à un groupe étranger à la famille, le groupe Lessard, les participations qu'elle détenait dans la plupart de ses filiales commerciales alors que parallèlement les sociétés civiles immobilières, auxquelles elle était également associée, cédaient les immeubles d'exploitation, ce pour exercer une activité financière, ayant cessé tout activité d'animation de ses anciennes filiales. Il ajoute que rien ne permet de considérer qu'elle a poursuivi le rôle qu'elle exerçait précédemment à l'égard des sociétés dont elle a conservé le contrôle, [I] Béton, cédée en mars 2012, et 2M Distribution, se limitant à ses prérogatives d'actionnaires. Analysant les comptes de la société [I] Entreprises, il remarque que les actifs financiers sont devenus prépondérants après les cessions alors que les activités opérationnelles ont chuté.
La société [I] n'exerçant plus l'activité d'une holding animatrice, mais celle d'une holding passive, il estime qu'elle n'est plus éligible au bénéfice du dispositif revendiqué.
Il soutient enfin que les intérêts de retard sont bien dus puisqu'aucune mention n'a été portée lors des actes de cession, s'agissant de l'événement qui permettait, le cas échéant, de reconsidérer l'avantage fiscal qui avait été sollicité.
SUR CE :
Sur la nullité de la procédure de redressement :
Invoquant les dispositions de l'article L 57 du livre des procédures fiscales («'l'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation'») et soutenant que les services fiscaux n'ont pas motivé la déchéance du régime d'exonération, Madame [I] soulève la nullité de la procédure de redressement.
L'exigence de motivation posée par ce texte a pour finalité de permettre au contribuable de connaître précisément l'argumentation de l'administration et d'y répondre en connaissance de cause. Elle participe, en conséquence, au respect de ses droits dans le cadre d'une procédure que le législateur a voulu contradictoire.
En l'occurrence dans sa proposition de rectification (30 septembre 2013), l'administration rappelle les dispositions applicables, relate les faits, la demande d'exonération partielle des droits de mutation et les engagements souscrits pour en bénéficier, présente les demandes d'informations adressées au contribuable et les cessions intervenues. Elle précise ensuite les motifs qui l'ont conduite à remettre en cause le régime de faveur de l'article 787 B, indiquant l'esprit de la loi, les conditions qui selon elle doivent être respectées et la vérification de leur application au cas d'espèce relevant, aux termes des calculs exposés, que l'une de ces conditions cumulatives n'avait pas été respectées. Elle a enfin détaillé le calcul des droits dus et des pénalités (intérêts de retard).
Ce faisant, l'administration a totalement satisfait à son obligation. Les observations du contribuable, en réponse à la proposition de rectification, développées dans une note de 22 pages (29 novembre 2013) qui y répond point par point, atteste incontestablement de la clarté et de la précision de la motivation (quelqu'en soit le bien fondé).
Dès lors, Madame [I] qui opère une confusion entre l'existence d'une motivation suffisante pour permettre au contribuable de faire valoir ses observations, et la pertinence de celle-ci (référence à une note qui serait inapplicable, intéressant le fond du droit), ne peut qu'être déboutée de sa demande de nullité.
Sur le bien fondé du redressement :
Aux termes de l'article 787 B du livre des procédures fiscales (dans sa rédaction applicable au présent litige) : «'Sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs si les conditions suivantes sont réunies :
a. les parts ou les actions mentionnées ci-dessus doivent faire l'objet d'un engagement collectif de conservation d'une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d'autres associés ; Lorsque les parts ou actions transmises par décès n'ont pas fait l'objet d'un engagement collectif de conservation, un ou des héritiers ou légataires peuvent entre eux ou avec d'autres associés conclure dans les six mois qui suivent la transmission l'engagement prévu au premier alinéa.
b. L'engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s'ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 34 %, y compris les parts ou actions transmises... L'engagement collectif de conservation est réputé acquis lorsque les parts ou actions détenues depuis deux ans au moins par une personne physique seule ou avec son conjoint ou le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité atteignent les seuils prévus au premier alinéa, sous réserve que cette personne ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité exerce depuis plus de deux ans au moins dans la société concernée son activité professionnelle principale ou l'une des fonctions énumérées au 1° de l'article 885 O bis lorsque la société est soumise à l'impôt sur les sociétés...
c. Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l'engagement dans la déclaration de succession ou l'acte de donation, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée de quatre ans à compter de la date d'expiration du délai visé au a'».
La finalité de ce dispositif est de maintenir, notamment au moment du décès, l'activité économique en assurant la continuité de l'entreprise familiale par la pérennité de son actionnariat et de ses dirigeants.
Il convient de rappeler que l'administration a admis dans sa doctrine (7G-6-01 du 30 juillet 2001) que, si les titres des holdings étaient en principe exclus du champ d'application de la disposition précitée du fait de leur activité financière, les contribuables étaient cependant fondés à s'en prévaloir dès lors que la société présentait les caractéristiques d'une société holding animatrice d'un groupe de sociétés. Il sera, à cet égard, rappelé qu'une holding est considérée par la jurisprudence comme animatrice d'un groupe dès lors qu'elle participe activement à la conduite et à la gestion de ses filiales notamment en prenant des décisions de politique commerciale ou d'orientation stratégique.
En l'espèce, il n'est pas contesté par l'administration fiscale que la société [I] Entreprises était, au jour du décès de Madame [R] [I], une holding animatrice d'un groupe cohérent de sociétés dont elle assurait le nécessaire pilotage exerçant, en l'occurrence, une activité économique dans le secteur des travaux publics, de la voirie et du bâtiment. Les héritiers de Madame [I] pouvaient donc utilement revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article 787 B du code général des impôts.
Il n'est pas davantage contesté que les déclarants ont conservé les titres de la holding pendant la période de leur engagement (quatre ans) et que, de même, les dirigeants ([Y] et [X] [I]) sont demeurés à la tête de cette société pendant la durée requise (trois ans).
Cependant et s'agissant d'une société holding, le bénéfice de l'avantage fiscal accordé par l'article précité ne peut se concevoir, au regard de l'objectif fixé par le législateur, et sauf à vider la loi de sa substance, que si ladite société conserve pendant la durée exigée sa fonction d'animation d'un groupe formé de filiales lesquelles doivent, sauf circonstances indépendantes de leur volonté (procédure collective par exemple), conserver une activité économique.
Rien, en revanche, n'impose que le périmètre de ce groupe demeure immuable, certaines filiales pouvant, pendant cette période et notamment en raison des choix stratégiques opérés par les dirigeants ou des contraintes économiques affectant notamment le secteur d'activité, être cédées et d'autres acquises.
Un changement d'activité économique peut de même être envisagé sous réserve que la holding conserve à l'égard de ses (nouvelles) filiales son rôle d'animation.
Il ressort des pièces du dossier (et plus particulièrement tant de la proposition de rectification adressée par l'administration en septembre 2013 que des observations formulées par le contribuable en novembre suivant et de la réponse à ces observations communiquées en février 2014) que dès le mois de décembre 2010 (soit moins de deux mois après le décès de Madame [I]), la société [I] Entreprises a cédé cinq des sept sociétés commerciales qui formaient son groupe de BTP (ses dirigeants s'interdisant pendant une durée de quatre ans d'exercer toute activité dans le domaine des travaux publics et privés, de l'extraction de minéraux et de la fabrication d'enrobés) puis, en mars 2012, une sixième société, ce moyennant un prix global d'environ 14 500 000 euros, de sorte que dix-huit mois après le décès de Madame [R] [I], la société holding ne détenait de participation majoritaire que dans une seule société commerciale, la société 2M Distribution, fortement déficitaire, et dans une société civile immobilière qu'elle contrôlait déjà au jour du décès, la société Ker Nantes, les autres participations, minoritaires, concernant essentiellement des sociétés civiles immobilières dont le caractère professionnel n'est nullement allégué après la cession des actifs immobiliers nécessaires à l'activité des sociétés cédés (6 sociétés sur 9).
L'administration a relevé que les six sociétés cédées représentaient, avant la cession, 83 % du chiffre d'affaires global du groupe, que l'effectif de celui-ci était passé de 130 à 20 salariés, qu'enfin, la proportion de l'actif éligible au dispositif Dutreil était passé de 92 % avant la cession à 34 % en 2011. Elle a également noté que les fonds provenant des cessions n'avaient pas été réinvestis dans une activité économique.
Si Madame [I] soutient que la société [I] Entreprises a non seulement conservé l'une de ses filiales mais également réorienté son activité vers l'immobilier notamment commercial et développé plusieurs projets, le premier juge a relevé, à bon escient, concernant les projets :
- que le projet de recyclage et de tri de matériaux de construction n'avait pas progressé depuis 2010, la société ayant seulement conservé par l'intermédiaire d'une filiale (minoritaire) un terrain sur lequel aucune activité industrielle n'avait été développée,
- que le projet de participation dans une société de recyclage du bois destiné aux chaufferies collectives était un simple projet financier, au demeurant non concrétisé,
- et que le projet de construction d'un circuit automobile n'avait pas reçu le moindre commencement d'exécution,
de telle sorte que ces différents projets, non aboutis ni même engagés, ne peuvent être pris en compte. Devant la cour, la situation est identique, aucune pièce n'étant produite quant à leur réalisation.
S'agissant de la réorientation vers l'immobilier commercial, Madame [I] fait état de participations prises dans deux entreprises :
- la société [I] Immobilier, marchand de biens,
- et la société civile de construction vente [Adresse 5].
Cependant, force est de constater que les dites participations sont très minoritaires (20 % dans la première société, le surplus soit 80 % étant détenu, pièce n° 17 de l'appelante, par la société [I] Holding, société sans lien de droit avec la société [I] Entreprises et 10 % dans la seconde), que si la société [I] Entreprises a consenti à la société [I] Immobilier comme à la SCCV des avances en compte courant (respectivement 3 250 000 euros et 1 800 000 euros) grâce à la trésorerie qu'elle détient à la suite des cessions survenues, ces avances (dont les conditions notamment de rémunération ne sont pas précisées), assimilables à celles que tout associé pourrait consentir, ne permettent pas de caractériser les fonctions animatrices nécessaires, lesquelles supposent que la holding puisse définir les orientations stratégiques ce qui ne peut être le cas lorsque les participations se trouvent aux niveaux ci-dessus précisés (a fortiori lorsque l'autre associé est une holding détenant 80 % des parts), mais uniquement une activité de holding financière exclue du dispositif.
Enfin si la société [I] Entreprises a effectivement conservé le contrôle de l'une de ses filiales, la société 2M Distribution, à laquelle elle a consenti des abandons de créances en compte courant avec clause de retour à meilleur fortune (1 386 720 euros au 31 mars 2015, cf. pièce 14 de l'appelante) et au bénéfice de laquelle (comme de la société [I] Immobilier, cf. avenant n° 3 du 24 juin 2013) elle a effectué certaines prestations courantes dans le cadre de la poursuite de la convention qui avait été signée en 2006 et de l'avenant conclu en 2013, il ne résulte nullement des pièces soumises à la cour par Madame [I] (aucune pièce n'étant à cet égard produite) que ces prestations aient notamment porté sur les orientations stratégiques et la politique commerciale de cette filiale, preuve, dont l'administration lui incombe, qui ne saurait résulter des seuls termes de l'avenant lequel reprend et renvoie à la convention initiale, conclue antérieurement à la cession intervenu en 2010.
Au demeurant et à supposer même que ce soit le cas (ce qui n'est nullement démontré), la cession de la plupart des filiales exerçant une activité économique au sens de l'article 787 B du code général des impôts, sans que le produit de ces cessions ait été réinvesti dans une nouvelle activité économique, a modifié la nature de la société [I] Entreprises qui de holding animatrice est devenue essentiellement une holding financière gérant les produits des cessions intervenues. Ayant perdu sa fonction d'animatrice d'un groupe de filiales, elle ne satisfait plus aux conditions légales.
Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le bénéfice de l'avantage fiscal précité et que le tribunal, par des motifs pertinents que la cour adopte, a rejeté la demande de Madame [S] [I].
Sur les intérêts de retard :
Madame [S] [I] conteste les intérêts de retard faisant valoir que les motifs de l'éligibilité au régime Dutreil sont détaillés dans la déclaration de succession.
L'article 1727 II du code général des impôts précise que :
«'I. - Toute somme, dont l'établissement ou le recouvrement incombe à la direction générale des impôts, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code.
II. - L'intérêt de retard n'est pas dû : ...2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées...'».
Le fait pour les héritiers d'avoir revendiqué, dans la déclaration de succession souscrite le 4 novembre 2011, le bénéfice des dispositions de l'article 787 B en précisant les raisons pour lesquelles il estimaient satisfaire aux conditions prévues par la loi («'' à propos de ces parts sociales et en vue de bénéficier de l'exemption partielle des droits de mutation à titre gratuit édictée à l'article 787B du code général des impôts, les soussignés déclarent que la dite société est une holding animatrice de groupe, cette société a une activité de nature commerciale et de prestataire de services, s'agissant d'une Sarl les fonctions de direction dans cette société sont actuellement exercées par..., au décès de Madame [I]... cette société était dirigée depuis le début de son activité, le 1er janvier 1986, soit depuis plus de deux ans par Monsieur [Y] [I], sus nommé en sa qualité de gérant, les parts de la société susnommée et comprises dans la succession... étaient détenues par le défunt depuis la date de la création de la société...'») ne répond nullement à l'objet de l'indication expresse dont fait état le II de l'article 1727 du CGI qui est d'attirer l'attention du service sur un point précis ayant une incidence sur les droits par une mention expresse.
Ainsi en aurait-il été si les consorts [I] avaient, à la suite de leur mention, fait expressément état dans la déclaration de succession des cessions intervenues onze mois auparavant, en décembre 2010, et des raisons pour lesquelles, nonobstant ces cessions, ils prétendaient à l'application de l'avantage fiscal résultant du dispositif du Dutreil.
En l'absence d'une telle déclaration, c'est à bon droit que le tribunal a également rejeté la demande de Madame [I] tendant au dégrèvement de l'intérêt de retard.
Le jugement critiqué sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Partie succombante, Madame [I] supportera la charge des dépens et sera condamnée à verser à l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement :
Confirmons en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Rennes du 7 novembre 2017.
Condamnons Madame [S] [I] aux dépens.
La condamnons à payer à l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT