1ère Chambre
ARRÊT N°313/2019
N° RG 17/05261 - N° Portalis DBVL-V-B7B-ODSU
Mme [P] [T]
C/
Mme [X] [J] épouse [T]
Mme [R] [T] épouse [Y]
Me [J] [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 02 JUILLET 2019
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,
Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport
Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Virginie SERVOUZE, lors des débats, et Madame Marie-Claude COURQUIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 Mai 2019
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 02 Juillet 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [P] [T]
née le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Dominique NICOLAI LOTY, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Madame [X] [J] épouse [T]
née le [Date naissance 2] 1923 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean-Charles MERAND de l'ASSOCIATION EPITOGE, avocat au barreau de NANTES
Madame [R] [T] épouse [Y]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Yves LABUSSIERE, Plaidant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Gaëlle BERGER-LUCAS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Maître [J] [H]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Thierry CABOT de la SELARL EFFICIA, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [U] [T] a épousé Mme [E] [S] le [Date mariage 1] 1945. Une fille, Mme [P] [T], est issue de leur union qui a été dissoute par un jugement de divorce prononcé le 29 juillet 1947. M. [U] [T] s'est remarié le [Date mariage 2] 1950, sous le régime de la séparation de biens, avec Mme [X] [J] dont il a eu une fille, Mme [R] [T]. Les époux [T] ont adopté le régime de la communauté universelle suivant jugement d'homologation rendu le 11 juin 2002 par le tribunal de grande instance de Nantes. M. [U] [T] est décédé le [Date décès 1] 2007.
Par actes des 30 mai et 2 juin 2014, Mme [P] [T] a assigné Mme [X] [J] veuve [T], Mme [R] [T] et Me [J] [H], notaire, devant le tribunal de grande instance de Nantes, aux fins, principalement, de voir dire son action en retranchement recevable et d'obtenir avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire.
Par jugement du 6 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Nantes a :
- décerné acte à Me [J] [H] de ce qu'il ne disposait d'aucun élément sur le patrimoine de M. [U] [T] au jour de l'acte de changement de régime matrimonial et au jour de son décès ;
- déclaré irrecevable l'action de Mme [P] [T] et dit en conséquence n'y avoir lieu à expertise ;
- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mis les dépens de la procédure à la charge de Mme [P] [T].
Mme [P] [T] a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour, sur le fondement des articles 921 et 1527 du code civil, de :
- dire recevable son action en retranchement,
- ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise judiciaire visant à :
1) déterminer la consistance du patrimoine commun de M. et Mme [T] lors de l'adoption du régime de communauté universelle en 2001,
2) évaluer les biens meubles et immeubles dépendant de la succession de M. [U] [T],
3) déterminer la quotité disponible,
4) établir la fraction qu'aurait recueillie Mme [X] [T] dans la succession de M. [T] en l'absence de changement de régime matrimonial, à savoir dans le régime précédent de 'séparation de biens',
5) établir la fraction qu'a perçue Mme [X] [T] dans la succession de M. [T] du fait du changement de régime matrimonial en 'communauté universelle',
6) comparer les deux valeurs pour déterminer l'avantage matrimonial consenti à Mme [X] [T] ;
- enjoindre à Me [H] de communiquer tous les éléments qu'il détient concernant le patrimoine de M. [T] au moment du changement de régime matrimonial et de son décès,
-condamner solidairement Mmes [X] [T] et [R] [Y] aux entiers dépens et à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Me [J] [H] à lui verser la même somme au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
En réponse, Mme [Y] demande à la cour de confirmer le jugement excepté en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner Mme [P] [T] à lui payer la somme de 2 500 euros sur ce fondement.
Mme [J] veuve [T] conclut également à la confirmation du jugement critiqué et, subsidiairement, au débouté des demandes de l'appelante. Elle lui réclame une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Me [H] demande à la cour de :
- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel et sur la recevabilité de l'action en retranchement ;
- débouter Mme [P] [T] de sa demande tendant à ce qu'il lui soit enjoint de communiquer tous les éléments relatifs au patrimoine de M. [T] au moment du changement de régime matrimonial et au moment de son décès,
-condamner Mme [P] [T] à lui verser une indemnité de 2000 euros au titre des frais irrépétibles et en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par Mme [P] [T] le 3 mai 2019, Mme [R] [Y] le 14 juin 2018, Mme [X] [J] le 15 décembre 2017 et par Me [H] le 31 octobre 2017.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'article 921 alinéa 2 du code civil énonce que le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
L'ouverture de la succession consécutive au décès de M. [U] [T] étant intervenue plus de cinq ans avant l'introduction de l'action, par assignation du 30 mai 2014, la recevabilité de celle-ci dépend de la date à laquelle Mme [P] [T] a eu connaissance de l'atteinte portée à sa réserve.
Il est établi que Mme [P] [T] a eu connaissance du décès de son père au plus tard au début de l'année 2012 puisque par lettre du 13 janvier 2012, le greffier du tribunal de grande instance du Havre adressait à son notaire, sous l'objet 'V. REF :SUCCESSION de M.[U] [T]', l'information selon laquelle la mention du répertoire civil porté en marge de l'acte de naissance de celui-ci correspondait à un changement de régime matrimonial. Elle ne pouvait plus ignorer à la date de réception de ce document que son père avait persévéré dans sa décision de changer de régime matrimonial à son détriment, procédure dont elle avait été avisée préalablement au jugement d'homologation rendu par le tribunal de grande instance de Nantes le 11 juin 2002.
En effet, le 22 janvier 2002, Me [P], notaire chargé d'établir l'acte de changement de régime matrimonial, lui écrivait sous l'objet 'CRM-CU/[T]' en ces termes : 'Je fais suite à notre entretien téléphonique et attends votre courrier. Je suis disposé à le communiquer à votre père si vous le souhaitez'.
Ce courrier faisait suite à un premier courrier en date du 17 septembre 2001 indiquant sous le même objet : 'Je porte à votre connaissance que Mr et Mme [T] ont décidé d'adopter le régime de la Communauté Universelle avec attribution au survivant d'eux. Le parquet de NANTES demande en effet avant toute homologation que les enfants soient informés. A cet effet, je vous joins un accusé de réception que vous pourrez me retourner'.
Ces lettres ont été expédiées à l'adresse qui était et qui demeure celle de Mme [T]. Même si ne figure pas au dossier du notaire ou du tribunal, l'accusé de réception sollicité, il n'en demeure pas moins que les juges ont homologué le changement de régime matrimonial après avis favorable du parquet et du juge rapporteur qui ont nécessairement eu au préalable la preuve de l'information exigée conformément à la pratique judiciaire.
Outre la teneur de la lettre du 22 janvier 2002, la réception de cette information est établie sans contestation possible, par le courrier adressé le 7 janvier 2005 par le notaire de Mme [P] [T] à l'étude notariale [P], lettre ainsi rédigée :
'Courant 2002, vous aviez informé ma cliente, Mme [P] [T] de ce que son père, M. [U] [T] souhaitait, avec sa seconde épouse, changer de régime matrimonial. Mme [P] [T], sa fille aînée, née d'un premier mariage, n'a pas souhaité donner un avis favorable à ce changement.
Ma cliente souhaiterait savoir aujourd'hui si cette procédure dont vous l'aviez informée a été poursuivie ou non et si ce changement de régime matrimonial a été homologué par un tribunal'.
Les indications manuscrites portées sur ce courrier par son destinataire permettent de déduire qu'il y a été répondu. En toute hypothèse, il résulte de l'ensemble de ces éléments que Mme [T] a été informée, avant l'homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, du projet de son père et qu'ayant été en relation avant le décès de celui-ci tant avec le notaire chargé de mettre en oeuvre le changement de régime matrimonial qu'avec son propre notaire, elle a eu connaissance de ses implications s'agissant de l'atteinte qu'il porterait à sa réserve successorale, ce qui explique d'ailleurs qu'elle a refusé d'y donner un avis favorable.
Elle avait dès lors tout moyen de s'assurer de la réalisation de ce projet par la consultation du répertoire civil, démarche que son notaire a effectuée pour son compte au mois de janvier 2012. Elle a pu recevoir la dite information au plus tard dans les jours qui ont suivi le 17 janvier 2012, date de réception du courrier du greffe, aucune ambiguïté ne pouvant en résulter, compte tenu des échanges antérieurs, quant à la nature du dit changement de régime matrimonial et à ses conséquences sur l'atteinte à sa réserve.
Il s'ensuit que le délai de deux ans imparti pour l'exercice de l'action en retranchement était expiré lorsque cette action a été introduite par l'assignation délivrée le 30 mai 2014 de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges ont déclaré son action irrecevable comme prescrite.
Si l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mmes [T], en revanche l'action introduite à l'encontre du notaire, qui n'a pas été chargé de la succession de M. [U] [T] et qui n'avait pas à établir un état liquidatif préalable au changement de régime matrimonial, justifie l'application à son profit de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 juillet 2017 par le tribunal de grande instance de Nantes ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [P] [T] à payer à Me [J] [H] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [P] [T] aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT