8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°210
R.G : N° RG 17/02787 - N° Portalis DBVL-V-B7B-N3QJ
M. N... X... A... P... T...
C/
SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES
Infirmation partielle
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 MAI 2019
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Président de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Conseillère,
Monsieur Emmanuel ROCHARD, Conseiller,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 21 Mars 2019
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Mai 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur N... X... A... P... T...
né le [...] à GUERANDE (44)
demeurant [...]
représenté par Me I... O..., Avocat au Barreau de NANTES
INTIMEE :
La SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :
[...]
représentée par Me Nora BENGOUNIA substituant à l'audience Me Anne-Laure MARY-CANTIN de la SELARL RACINE, Avocats au Barreau de NANTES
M. Q... P... T... a été engagé par la société A. H..., devenue la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES, le 1er décembre 1980 en qualité d'électricien dans le cadre d'un contrat travail à durée indéterminée. Au dernier état des relations contractuelles, régies par la convention collective des ouvriers des travaux publics, il occupait le poste de responsable d'équipe réseau sec, niveau III, position 1, coefficient 150.
M. T... a fait l'objet d'un avertissement, le 6 novembre 2008, pour non-respect des horaires de travail.
Le 3 décembre 2015, M. T... a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, tenu le 11 décembre 2015. Il a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 8 janvier 2016.
M. T... a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire le 17 mai 2016 aux fins de voir juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et voir condamner la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES à lui payer :
- 82.338 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 7.058 € à titre de dommages et intérêts en raison des manquements à l'obligation de sécurité,
- 7.058 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
- 1.800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour est saisie d'un appel régulièrement interjeté par M. T... le 12 avril 2017 contre le jugement prononcé le 9 mars 2017 par le conseil des prud'hommes de Saint-Nazaire, notifié le 14 mars 2017, lequel a dit que son licenciement était fondé, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens de l'instance.
Vu les écritures signifiées le 2 octobre 2017 via le RPVA suivant lesquelles M. T... demande à la cour de :
' Constater que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
' Condamner la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance et capitalisation annuelle des intérêts :
- 82.338 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 7.058 € au titre de dommages et intérêts en raison des manquement à l'obligation de sécurité,
- 7.058 € au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat,
- 2.280 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les écritures signifiées le 4 septembre 2017 via le RPVA suivant lesquelles la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES demande à la cour de :
' Confirmer le jugement,
' Dire que le licenciement de M. T... repose sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,
' Débouter M. T... de ses demandes formées au titre d'une prétendue violation de son obligation de loyauté et de son obligation de sécurité,
' Débouter M. T... de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamner M. T... à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est en date du 22 janvier 2019.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions notifiées via le RPVA.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail
Pour infirmation, M. T... fait observer pour l'essentiel que les griefs ne sont pas établis par l'employeur et n'ont pas tous été évoqués au cours de l'entretien préalable ; que le rapport d'audit est dépourvu de toute valeur probante et que les termes employés par son rédacteur démontrent une véritable animosité à son égard ; que ce rapport ne lui a jamais été présenté avant ou pendant l'entretien préalable ; que les courriels et attestations versés par l'employeur ne démontrent pas qu'il aurait commis des manquements et ne sont pas objectifs ; qu'il disposait d'une ancienneté conséquente dans la société et que ses compétences ont été régulièrement confirmées par le suivi régulier des formations ; que l'employeur l'a contraint à travailler dans des conditions dangereuses.
Pour confirmation, la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES soutient principalement que les griefs sont établis au vu de l'audit sécurité mettent en évidence les fautes commises par M. T... dans la mise en 'uvre des consignes de sécurité et que celui-ci a montré un comportement provocateur et désinvolte face à ses obligations.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
La lettre de licenciement du 8 janvier 2016 qui circonscrit les limites du litige et qui lie le juge, est ainsi rédigée :
'Monsieur,
Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 03/12/2015, nous vous avons convoqué à un entretien qui s'est tenu le 15/12/2015 en nos bureaux de Guérande, en présence de E... K..., Responsable Ressources Humaines.
Au cours de cet entretien, lors duquel vous avez souhaité être assisté par F... U..., en sa qualité de représentant du personnel, nous vous avons exposé les faits suivants et recueilli vos explications :
Le 24 novembre 2015, sur le chantier de la commune de Mesquer (44), une visite de sécurité a été effectuée par le SERCE, en présence de Messieurs Z... G... (ingénieur conseil sécurité du SERCE), B... Y...' (responsable Sécurité de l'entreprise) et moi-même.
Cette visite a fait ressortir un nombre de dysfonctionnements importants relatifs à la sécurité vous concernant, en lien avec le défaut de port des équipements de protection individuelle et l'application des règles élémentaires de sécurité. De plus, l'attitude que vous avez adoptée tout au long de la visite sur le chantier avec vos différents interlocuteurs, dont Monsieur G..., s'est révélée totalement inappropriée, voire empreinte de provocation, ce qui a nui à l'image de notre entreprise qui fait pourtant de la sécurité une priorité sur les chantiers.
Nous vous rappelons en premier lieu qu'il incombe à tout travailleur, aux termes de l'article L 4122-1 du Code du travail, de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.
Or, votre qualité de Responsable d'Equipe Réseaux secs, votre habilitation de Chargé de consignation BC et la formation dont vous avez bénéficié sur les dangers électriques ainsi que votre expérience professionnelle vous imposent d'adopter un comportement irréprochable conforme à la prudence et à la sécurité à l'occasion des travaux électriques dont vous avez la charge.
Nous vous rappelons enfin que le respect des règles de sécurité, qui inclut en premier lieu le port des équipements de protection individuelle, constitue une exigence professionnelle édictée par le règlement intérieur de l'entreprise (titre VI).
La visite qui a eu lieu le 25 novembre 2015 sur le chantier auquel vous étiez affecté avec Monsieur M... J... a mis en évidence de graves manquements de votre part aux règles de sécurité, qu'il s'agisse de la non application flagrante des règles de l'art ou encore des consignes élémentaires de sécurité.
Comme vous devriez le savoir, les travaux électriques effectués hors tension sont les seuls présentant une sécurité totale vis-a-vis du risque électrique, à condition d'être sûr que toute tension est effectivement supprimée et qu'elle le demeure le temps des travaux à accomplir.
Or, la procédure de consignation se déroule selon les 5 opérations successives suivantes :
1- Séparer l'installation de toute source d'énergie électrique concernée et préalablement identifiée.
2- Condamner les organes de séparation en position ouverte afin d'interdire toute remise sous tension.
3- Identifier la partie de l'installation concernée afin d'être certain que les travaux seront bien exécutés sur l'installation prévue.
4- Vérifier l'absence de tension (VAT).
5- Mettre à la terre et en court-circuit.
Lors de notre visite, nous avons eu la stupeur de constater que l'opération 2 n'avait été que partiellement respectée et l'opération 4 de vérification de la mise hors tension avait été purement et simplement shuntée, vous exposant ainsi à un danger et un risque d'accident manifestes.
Il est au demeurant apparu, à notre arrivée sur le chantier comme tout au long des opérations que vous avez effectuées et alors que la remarque vous en a été faite par Monsieur G..., que vous ne portiez pas vos équipements de protection individuelle adaptés aux travaux, et en particulier vos gants !
Nous avons en effet constaté que le respect du port des EPI adaptés n'était pas votre préoccupation : vous n'aviez pas de casque à visière TST pas de gant isolant ni surgant, pas de tapis isolant. Votre seule réponse a été : « mieux vaut des doigts secs que des gants mouillés'', ce qui dénote, si ce n'est une provocation de votre part, à tout le moins une désinvolture manifeste face à l'obligation de sécurité mise à votre charge et à celle de votre employeur...
Nous déplorons de façon plus générale l'attitude réfractaire et inconsidérée que vous avez adoptée tout au long de la visite qui a malheureusement porté atteinte à l'image de notre entreprise auprès du représentant du SERCE, s'illustrant notamment par votre obstination à ne pas mettre vos gants, et ce malgré les demandes répétées qui ont été formulées par votre hiérarchie et Monsieur Z... G... ; les outils isolés posés à même le sol boueux ; votre refus de dialoguer avec Monsieur Z... G..., et votre refuge dans une 'bouderie' qui n'est pas de mise. Nous ne pouvons enfin rester sans réaction devant la teneur de vos propos, comme 'j'ai l'habitude', 'je connais le réseau', 'vous n'avez pas eu de chance ce jour-là ''. La chance et l'habitude n'ont pas leur place dans nos procédure de sécurité et son au contraire bien souvent l'origine du danger, de la réalisation du risque ou de l'accident.
Non seulement vous vous exposez de façon délibérée à un danger, en violation des obligations
professionnelles qui vous incombent, mais encore et surtout exposez, par votre imprudence assumée, voire revendiquée l'entreprise à un risque qu'elle refuse de laisser perdurer, en contradiction de la politique et des actions menées en faveur de la sécurité.
Les explications que vous avez apportées lors de l'entretien préalable visant à minimiser la gravité de votre attitude tout comme votre stratégie consistant à dénoncer, lors de le remise de votre convocation à entretien préalable que vous avez refusée, vos conditions de travail, démontrent votre incapacité à vous remettre en cause et n'ont pas été de nature a modifier notre appréciation des faits.
Aussi, nous vous informons de notre décision de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse'.
Les griefs ainsi développés par l'employeur s'appuient en fait uniquement sur le rapport (pièces n°11-1 et 11-2) effectué par M. Z... G..., ingénieur conseil sécurité extérieur à l'entreprise, mandaté à la demande de la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES par le syndicat des entreprises de génie électrique et climatique ayant pour mission de 'veiller à la sécurité des chantiers et des personnes', spécialisé dans l'analyse des risques inhérents à l'électricité.
Ce rapport fait suite à la visite effectuée le 24 novembre 2015 alors que M. T... réalisait la pose des motifs d'illumination pour les fêtes de fin d'année, sur la commune de MESQUER. Cette visite n'était pas isolée mais s'est inscrite dans le contexte d'une série de rapports, qualifiés d' 'audit' de sécurité, similaires sur plusieurs établissements de l'Ouest de la France à cette même période.
Les conclusions du rapport de M. G..., rédigées dans des termes généraux et quelque peu familiers, se veulent alarmantes quant aux conditions de sécurité dont M. T..., chef de sécurité, était responsable avec son supérieur hiérarchique M. M... J... également présent sur le chantier :
'Où est la sécurité ' (...) Si j'avais voulu monter un scénario catastrophe, je crois que je ne m'y serais pas mieux pris. De A à Z, j'ai l'impression que tout va être à revoir (...)'.
Plusieurs manquements graves aux conditions de sécurité élémentaires sont évoqués dans le contenu du rapport, en particulier le défaut de balisage du chantier, le non respect de la procédure de consignation, le fait de ne pas porter les équipements de protection individuelle et en particulier les gants isolants, le choix de ne pas utiliser le harnais allégé.
Le même rapport évoque, dans des termes généralement ironiques, une attitude désinvolte et même réfractaire de la part de M. T... face aux observations formulées par l'ingénieur conseil et souligne que celui-ci, en sa qualité de responsable d'équipe, aurait dû donner l'exemple à ses collègues sur le chantier.
En complément du rapport, la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES a versé aux débats (pièce n°12) l'attestation de M. B... V..., responsable 'qualité sécurité environnement' de la direction régionale, relatant ainsi la visite du 24 novembre 2015 à laquelle il a assisté :
'Monsieur G... a fait différentes observations sur le non respect de règles de sécurité sur le chantier.
Monsieur J... a pris en compte et accepté ces remarques tandis que Monsieur T... ne s'est pas remis en cause et a fait preuve d'un mauvais état d'esprit.'
Aux termes de l'article L.4122-1 du code du travail, 'conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les entreprises tenues d'en élaborer un, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.'
Le salarié manquant à cette obligation engage sa responsabilité. Une sanction disciplinaire allant jusqu'au licenciement peut être retenue contre lui.
Tels qu'ils ressortent du rapport de M. G..., les manquements de M. T... aux règles de sécurité sont de nature à justifier une procédure disciplinaire, pour autant que ceux-ci aient fait l'objet d'une évaluation rigoureuse tenant compte des limites relevées dans la présentation du rapport et mettant le salarié en mesure d'apporter ses explications sur les faits reprochés.
Or M. T... établit d'une part que le rapport de M. G... ne lui a pas été communiqué avant l'entretien préalable au licenciement, d'autre part que sa communication a été demandée en vain à la direction par deux représentants du personnel élus au CHSCT, M. C... S... (attestation en pièce n°9 du salarié) et M. F... U.... Ce dernier atteste plus précisément (pièce n°10 et 11) que la direction lui a refusé la lecture du rapport avant l'entretien préalable auquel il a assisté aux côtés de M. T... et que certains des faits reprochés n'ont été discutés que de manière peu approfondie lors de cet entretien.
Il en ressort que M. T... n'a pas été mis en situation de pouvoir apporter ses explications sur les manquements aux règles de sécurité qui lui étaient reprochés sur la seule foi du rapport de M. G..., tandis qu'aucune enquête sérieuse n'a été diligentée à la suite de ce rapport dont l'employeur a choisi de ne pas saisir le CHSCT.
Par ailleurs, il est établi (pièce n°12 du salarié) que l'autre salarié visé par le rapport de M. G..., M. J... qui était le supérieur hiérarchique de M. T... sur le chantier, n'a pas été licencié mais a été sanctionné par une mise à pied disciplinaire de trois jours.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, le rapport de M. G... est insuffisant pour justifier à lui seul le licenciement de M. T..., s'agissant de surcroît d'un salarié ayant 35 ans d'ancienneté dans l'entreprise sans aucun antécédent disciplinaire au sujet du respect des consignes de sécurité (le seul avertissement versé aux débats en pièce n°8 de l'employeur date de 2008 soit 11 ans avant ces faits et porte seulement sur le non respect des horaires de chantier).
Le licenciement étant ainsi dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris sera en conséquence infirmé.
Par application de l'article L.1235-3 du code du travail selon sa rédaction applicable au présent litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Ces dispositions sont applicables en raison de l'ancienneté de 35 ans de M. T... dans la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES, qui compte plus de dix salariés.
Au vu des bulletins de paie communiqués (pièce n°8 du salarié), le salaire de référence s'élève à 2.440 € par mois.
Agé de 58 ans à la date de son licenciement, M. T... indique qu'il entendait légitimement terminer sa carrière dans cette entreprise. Il justifie qu'il était encore en recherche d'emploi au mois d'août 2017 (attestation Pôle Emploi, pièce n°31) et percevait alors une allocation de 1.200 € par mois. Il n'a pas actualisé sa situation après cette date. Par ailleurs, il fait état du préjudice moral lié à son éviction brutale de l'entreprise mettant en cause ses compétences professionnelles alors qu'il souffrait à cette période d'un syndrome anxiodépressif (pièces n°2 et 13).
Compte tenu du salaire de référence et des conséquences morales et financières, pour le salarié, de la rupture du contrat intervenue dans les circonstances rapportées, il conviendra de lui allouer la somme de 75.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les demandes du salarié relatives au manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité et à l'exécution déloyale du contrat
Pour infirmation à ce titre, M. T... soutient principalement qu'il a été victime de pressions de sa hiérarchie visant à le faire quitter la société ; que l'employeur n'a mis en place aucune disposition pour éviter de tels faits ; que les agissements de la société ont eu une incidence importante sur la dégradation de son état de santé ; que par ailleurs, la société l'a laissé intervenir sur un chantier lors d'intempéries sans respecter les dispositions du code du travail relatives à la prévention des risques professionnels.
Pour confirmation, la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES fait principalement observer que M. T... n'a jamais manifesté auprès de son employeur la moindre plainte relative à ses conditions de travail durant l'exécution de son contrat de travail et avant la mise en ouvre de la procédure de licenciement dont il a fait l'objet ; que le médecin du travail a émis un avis d'aptitude sans réserve; que la description par M. T... de ses conditions de travail ne correspond pas à la réalité des faits.
En application de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est présumé exécuté de bonne foi, de sorte que la charge de la preuve de l'exécution de mauvaise foi du contrat incombe à celui qui l'invoque.
D'autre part, aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige :
'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'
Aux termes de l'article L.4121-2 du même code :
'L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.'
En l'espèce, les demandes de M. T... s'appuient principalement sur le constat de ses difficultés de santé au cours de l'année 2015 (pièce n°2 relative à un traitement antidépresseur, pièce n°13 relative à un suivi psychologique pour dépression 'en lien direct avec sa vie professionnelle' selon la psychologue clinicienne consultée par le salarié qui évoque une situation d'épuisement).
Sur ce point, la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES a versé aux débats (pièce n°9) l'avis d'aptitude sans réserve établi par le médecin du travail le 21 juillet 2015 à l'issue d'une visite de reprise après maladie ou accident non professionnel.
Alors qu'il venait de recevoir sa convocation à l'entretien préalable au licenciement, M. T... a écrit à sa hiérarchie (pièce n°4) en évoquant son sentiment d'être harcelé et en indiquant qu'il avait été convoqué le 2 octobre 2015 pour évoquer son départ de l'entreprise. A ce titre, il verse aux débats l'attestation d'un collègue (pièce n°3) qui lui avait conseillé 'de ne pas se laisser faire'. Les pièces produites de part et d'autre n'apportent aucune précision quant au contexte ou aux suites de l'entretien évoqué par M. T.... Aucune pièce n'évoque des pressions particulières subies par le salarié.
S'agissant du fait que l'employeur aurait laissé M. T... intervenir sur un chantier lors d'intempéries dans des conditions dangereuses, le salarié qui évoque plus précisément le chantier du 24 novembre 2015 ayant donné lieu au rapport de M. G... ne communique à ce titre aucune autre pièce justificative.
Pour le surplus, M. T... procède par affirmations pour dénoncer d'une manière générale le comportement de l'employeur à son encontre, sans évoquer plus précisément des manquements de l'employeur à ses obligations en matière de prévention des risques professionnels, tandis que la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES justifie du dispositif mis en place en application de l'accord de groupe relatif à la prévention des risques psycho-sociaux (pièce n°40 de l'employeur).
Les éléments ainsi produits sont insuffisants pour qualifier un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, au sens des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, ou une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. T... de cette demande.
Sur les frais irrépétibles
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ; la société intimée, qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser l'appelant des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense.
* * *
*
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. N... T... de ses demandes au titre des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et au titre de l'exécution déloyale du contrat ;
INFIRME le jugement en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES à payer à M. N... T... la somme de 75.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONDAMNE la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES à payer à M. N... T... la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SASU BOUYGUES ENERGIES & SERVICES aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.