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14/05/2019 | FRANCE | N°18/01658

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 14 mai 2019, 18/01658


1ère Chambre





ARRÊT N°223/2019



N° RG 18/01658 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OVUF













SAS PROFALUX INDUSTRIE

SAS [Personne physico-morale 1]



C/



M. [Y] [S]

SARL X.O AUDIT

SA MMA IARD

Société civile MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
>AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MAI 2019





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,

Assesseur : Madame Christine ...

1ère Chambre

ARRÊT N°223/2019

N° RG 18/01658 - N° Portalis DBVL-V-B7C-OVUF

SAS PROFALUX INDUSTRIE

SAS [Personne physico-morale 1]

C/

M. [Y] [S]

SARL X.O AUDIT

SA MMA IARD

Société civile MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 14 MAI 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère,

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 26 Février 2019

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 14 Mai 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTES :

SAS PROFALUX INDUSTRIE, prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Alban POUSSET-BOUGÈRE de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, plaidant, avocat au barreau de LYON

SAS [Personne physico-morale 1], prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Alban POUSSET-BOUGÈRE de la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, plaidant, avocat au barreau de LYON

INTIMÉS :

Monsieur [Y] [S]

né le [Date anniversaire 1] 1960 à [Localité 1] (56000)

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

Représenté par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Arnaud PERICARD du cabinet PBA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

SARL X.O AUDIT agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 5]

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Arnaud PERICARD du cabinet PBA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

SA MMA IARD agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Arnaud PERICARD du cabinet PBA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Arnaud PERICARD du cabinet PBA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant lettre d'offre indicative du 22 février 2012, les sociétés Profalux/ StellaStella (cette dernière étant la société holding du groupe La Toulousaine) ont manifesté l'intention de prendre le contrôle du groupe [Personne physico-morale 1], ensemble composé de la société Ecoh et de ses filiales, la société Evolis SA, [Personne physico-morale 1], SCI du Pont, Eol Sarl Transport et SA Vigot Injection plastique, groupe concurrent spécialisé dans le même secteur, celui de la fabrication de portes de garage et de volets roulants.

Cette offre, assortie de certaines conditions, au prix de 10 000 000 euros dont à déduire l'endettement net de la société mère (Ecoh) estimé à 1 700 000 euros, a été acceptée par l'ensemble des actionnaires (neuf) détenant directement ou indirectement la totalité des parts des différentes sociétés du groupe, le prix étant payable :

- à hauteur de 8 500 000 euros à la date de l'opération dont à déduire le montant de l'endettement de la société Ecoh,

- à hauteur de 1 000 000 euros le 31 décembre 2012 sous la condition de la réalisation d'un EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement ' excédent brut d'exploitation) consolidé de 3 500 000 euros,

- et à hauteur de 500 000 euros le 31 décembre 2013 sous la condition de la réalisation d'un EBITDA consolidé de 4 000 000 euros.

Cette lettre d'offre précisait qu'il devra pouvoir être vérifié que l'endettement de net du groupe [Personne physico-morale 1] n'excédait pas la somme de 13 300 000 euros au 31 décembre 2011 et que les performances financières et opérationnelles étaient conformes (chiffres d'affaires de 35M€ en 2010 et 45 M€ en 2011, EBITDA de 2,7 M€ en 2010 et 2,5 M€ en 2011), indiquait qu'une offre ferme sera proposée après la conclusion des travaux d'audits classiques pour des opérations de cette nature, et énonçait les éléments ayant servi à estimer la valeur des titres (EBITDA de 2 700 000 en 2010 et de 2 500 000 euros en 2011, absence de dette nouvelle par rapport à la situation au 31 décembre 2011, montant des provisions pouvant avoir un impact sur la trésorerie ne dépassant pas la somme de 100 000 euros, besoin de fonds de roulement géré selon les règles usuelles du marché).

Suivant lettre de mission acceptée le 27 février 2012, la société Profalux Industrie a mandaté son propre commissaire aux comptes, la société [Personne physico-morale 2] pour établir un audit du groupe cible.

Dans le cadre des négociations, un avenant à la lettre d'offre a été signé le 20 avril 2012 et compte tenu des échanges et des informations transmises, le prix a été ramené à la somme de 9 650 000 euros diminuée de l'endettement net d'Ecoh, soit environ 1 684 000 euros, ce prix étant payable suivant le même échéancier (8 150 000 euros immédiatement / 1 000 000 euros le 31 décembre 2012 / 500 000 euros le 31 décembre 2013) et aux mêmes conditions pour le supplément de prix.

L'audit de la société [Personne physico-morale 2] (rapport «'due diligence financière'») a été déposé le 25 avril 2012.

Le 14 mai 2012, la société XO Audit, commissaire aux comptes de la société [Personne physico-morale 1], a certifié en la personne de Monsieur [Y] [S], les comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2011.

Ces comptes ont été approuvés par l'assemblée générale des associés de la société [Personne physico-morale 1] réunie le 8 juin 2012.

Le contrat de cession des sociétés du groupe [Personne physico-morale 1] a été signé le 12 juin 2012 par les neuf personnes physiques porteurs de l'ensemble des titres des sociétés cédées et la société Profalux Industries moyennant le prix de 6 427 384 euros après déduction de l'endettement de la société Ecoh (1 684 000 euros), augmenté, le cas échéant, des compléments de prix de 1 000 000 et de 500 000 euros en cas de réalisation d'un EBITDA consolidé de 3 500 000 et de 4 000 000 en 2012 et 2013.

Enfin, un traité d'apport (Stella Holding / Profalux Industries) des titres de la société Ecoh a été signé le 29 juin 2012, après rapport, en date du 21 juin 2012, de Monsieur [F], commissaire aux apports.

Les objectifs d'EBITDA n'ayant pas été atteints aux 31 décembre 2012 et 2013, les compléments de prix stipulés n'ont pas été payés.

Arguant d'une surévaluation du stock de la société [Personne physico-morale 1], les sociétés Profalux, [Personne physico-morale 1] et Evolis ont sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance de Lorient la désignation d'un expert (ordonnance du 5 février 2013).

Ce dernier, Monsieur [J] [R], a déposé son rapport le 28 septembre 2015.

Après dépôt du rapport, les sociétés Profalux Industrie, [Personne physico-morale 1] et Evolis ont fait assigner monsieur [S], la société XO Audit et les compagnies d'assurances MMA Iard et MMA Assurances Mutuelles devant le tribunal de grande instance de Lorient qui, par jugement du 23 janvier 2018, a débouté la société Profalux Industrie de ses demandes et a condamné in solidum les sociétés Profalux Industrie et [Personne physico-morale 1] à payer à la société XO Audit et à Monsieur [S] la somme de 8000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que si certains manquements ou négligences pouvaient être reprochés au commissaire aux comptes, le lien de causalité entre ces manquements et le préjudice allégué, au demeurant incertain au regard des baisses de prix obtenues, n'était pas établi compte tenu des informations détenues par l'acquéreur sur la rentabilité du groupe de sociétés acquis.

Les sociétés Profalux Industrie et [Personne physico-morale 1] ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 7 mars 2018.

Aux termes de leurs dernières écritures (4 février 2019), elles demandent à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Lorient le 23 janvier 2018 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- dire que la société XO Audit et Monsieur [S] se sont rendus coupables de fautes et négligences dans leur mission de certification des comptes de la société [Personne physico-morale 1], arrêtés au 31 décembre 2011 :

- en ne s'étant pas interrogés sur le contrôle interne de l'entreprise depuis 2008,

- en n'ayant pas réalisé de contrôles suffisants sur les stocks, pourtant identifiés comme représentant un risque, alors qu'ils avaient connaissance du projet de cession de l'entreprise,

- en n'ayant tiré aucune conséquence des erreurs constatées sur les bonifications de fin d'année (BFA) sur l'exercice précédent 2010, notamment dans le contrôle de la provision passée pour l'exercice 2011,

- en n'informant pas à tout le moins dans son rapport du 14 mai 2012, ni lors de l'assemblée générale du 8 juin 2012, la société [Personne physico-morale 1], des anomalies constatées sur l'exercice précédent (2010),

- dire que la société Profalux a subi un préjudice du fait de ces fautes,

- constitué d'abord par la perte de chance d'obtenir un prix moins important du Groupe [Personne physico-morale 1], s'élevant, compte tenu de la valorisation des anomalies, à 2,2 millions euros et des fonds qu'elle a dû réinjecter pour sauver l'entreprise qu'elle venait tout juste d'acquérir, d'un montant au total de 3,4 millions euros,

- ainsi que par la perte de marge qui en a été la conséquence, de 1,9 millions euros,

- et une fois prise en compte la somme de 1 million euros perçue à titre d'indemnisation par les vendeurs,

- dire que ce préjudice s'élève au moins à la somme réclamée de 3,1 millions euros,

- dire que ce préjudice est en lien de causalité avec les fautes commises par le commissaire aux comptes dans la mesure où, si le commissaire aux comptes avait à tout le moins réalisé sa mission selon les normes d'exercice professionnel et avait donné des informations correspondantes dans son rapport du 14 mai 2012, et fait des réserves à l'assemblée générale du 8 juin 2012, la société Profalux en ayant connaissance, n'aurait pas acquis les sociétés [Personne physico-morale 1] au prix initialement retenu, ni subi les conséquences en terme de marge,

en conséquence,

- condamner solidairement la société XO Audit, Monsieur [S], la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à la société Profalux la somme de 3,1 millions euros au titre de ces fautes et de ce préjudice,

- condamner solidairement la société XO Audit, Monsieur [S], la société MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à la société Profalux la somme de 280 000 euros à titre de frais de défense qu'elle a supportés pour assurer la défense de ses intérêts, ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant ceux de référé et d'expertise, de première instance et d'appel,

à titre infiniment subsidiaire, au cas où la Cour, sur ce qui est de l'évaluation du préjudice, ne se considérait pas suffisamment éclairée par le rapport de Monsieur [W], expert privé et compte tenu des carences manifestes du rapport de Monsieur [R], expert judiciaire, sur ce point,

- ordonner une contre-expertise sur l'évaluation du préjudice de la société Profalux, confiée à un expert judiciaire figurant sur la liste des experts près la Cour de cassation.

À l'appui de leurs demandes, les sociétés Profalux et [Personne physico-morale 1] rappellent avoir découvert en septembre 2012, à l'occasion de l'analyse de la situation comptable intermédiaire du groupe [Personne physico-morale 1] au 30 juin 2012, que le taux de marge brute était plus faible et la rentabilité inférieure aux exercices précédents, et que des anomalies affectaient tant les stocks de matière première et de produits finis que les bonifications de fin d'année. Elles relèvent que l'expert a bien relevé les fautes commises par le commissaire aux comptes lors de sa certification du 14 mai 2012, mais a curieusement considéré qu'il n'y avait pas de préjudice dans la mesure où les apports qui avaient dû être effectués n'excédaient pas les risques habituels pour ce type d'opération.

Elles rappellent que les comptes certifiés présentent deux erreurs significatives affectant les stocks (surévaluation de 986 763,38 euros) et les provisions des bonifications de fin d'année (sous-évaluation de 1 189 128 euros), soit un écart total de 2 176 191,38 euros et que l'expertise a mis en évidence les fautes suivantes : aucune évaluation critique par le commissaire aux comptes du système de contrôle interne du groupe [Personne physico-morale 1] depuis 2008, absence de réel contrôle des stocks alors même qu'il ressort de l'une des notes qu'un écart de 379 057 euros devait être justifié et que cet écart imposait un contrôle renforcé. Elles observent que l'expert a exclu l'existence d'une fraude mais a considéré que la société [Personne physico-morale 1] avait été dépassée par les événements. S'agissant des bonifications de fin d'année 2011, l'expert a relevé que le commissaire aux comptes n'avait pas accompli ses diligences à bon escient et n'avait pas effectué des contrôles à hauteur de l'enjeu, alors même que ces contrôles avaient mis en évidence une anomalie affectant les comptes de l'exercice précédent (décalage de 231 000 euros) mais dont il n'a pas été tenu compte en dépit du nombre restreint de clients concernés (12).

La société Profalux soutient que son préjudice réside dans la perte d'une chance de payer un moindre prix. Elle précise que si le commissaire aux comptes avait effectué sa mission conformément aux normes applicables, la société Profalux n'aurait manqué de négocier le prix de vente comme elle l'a fait lorsqu'elle a découvert que l'endettement était supérieur à celui prévisible et n'aurait pas eu à assumer une perte de marge et injecter dans la société une somme de 3 441 200 euros pour lui éviter le dépôt de bilan alors qu'elle n'avait prévu qu'un apport de 1 000 000 euros. Elle rappelle que la cession n'est intervenue qu'après la certification et l'approbation des comptes 2011, ce qui démontre l'importance de ces étapes. Elle précise qu'elle a consulté un expert près la Cour de Cassation qui a estimé son préjudice, d'une part, au montant cumulé des deux erreurs, soit 2 200 000 euros et, d'autre part, à l'impact des BFA sur la marge 2012 / 2013 soit 1 900 000 euros.

Elle estime le préjudice de la société Profalux à la somme de 3 100 000 euros après déduction de la somme de 1 000 000 euros versée par les vendeurs.

Aux termes de leurs dernières écritures (14 février 2019), Monsieur [S], la société XO Audit, la société MMA Iard et la société MMA Assurances Mutuelles demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 23 janvier 2018 en ce qu'il a débouté les sociétés Profalux et [Personne physico-morale 1] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions et en ce qu'il a mis à leur charge les dépens de première instance et de référé, en ce compris les frais d'expertise,

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 23 janvier 2018 en ce qu'il a limité le montant des frais irrépétibles accordés aux concluants à la somme de 16 000 euros,

- condamner in solidum les sociétés Profalux et [Personne physico-morale 1] à leur payer la somme de 130 000 euros sauf à parfaire au titre des frais irrépétibles du référé, de première instance et d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel,

- en tout état de cause, débouter les sociétés Profalux et [Personne physico-morale 1] de l'ensemble de leurs demandes et conclusions formulées à l'égard de la société XO Audit, de Monsieur [Y] [S] et de MMA.

À l'appui de leurs demandes, les intimés observent liminairement, d'une part, que la certification des comptes de l'exercice 2011 ne faisait nullement partie des conditions à la réalisation de l'opération d'acquisition projetée et rappellent, d'autre part, que l'acquéreur a confié à son propre commissaire aux comptes, la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 2], une mission d'audit comprenant certaines analyses ciblées sur des points sensibles tels que les bonus de fin d'année. Ils ajoutent que les premiers constats ont abouti à la signature d'un avenant prévoyant une baisse de prix sensible de 350 000 euros et que le prix stipulé dans l'acte de cession a finalement été arrêté à la somme de 6 427 384 euros alors que la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 2] n'avait pu confirmer le montant des BFA, que la société Profalux n'avait pu procéder à un inventaire des stocks et que les garanties de passif étaient finalement abandonnées.

Ils rappellent les obligations auxquelles sont soumis les commissaires aux comptes et précisent, s'agissant des stocks, que le fichier sur lequel Monsieur [S] a travaillé, a été falsifié par l'ancienne comptable de l'entreprise, licenciée depuis pour faute grave. Ils supputent que la condition liée au niveau d'EBITDA a pu être à l'origine de cette falsification. Concernant les bonifications de fin d'année, ils invoquent le comportement déloyal de la société [Personne physico-morale 1] qui a procédé à des enregistrements postérieurement à son intervention pour des montants non négligeables, situation qui résulte de la volonté de la société de ne passer les provisions correspondantes, preuve en est que le dirigeant visait l'intégralité des accords client de BFA. Ils s'étonnent que la responsabilité de la société [Personne physico-morale 2] ne soit pas recherchée alors qu'elle avait une mission spécifique sur les bonifications de fin d'année.

Ils font état des diligences effectuées, rappelant que Monsieur [S] a participé à l'inventaire physique des stocks, a procédé à certains sondages dont les références n'ont jamais été contestées, a effectué les diligences lui incombant en fonction des éléments qui lui ont été communiqués. Ils contestent donc toute faute.

Concernant le préjudice, ils relèvent les évaluations successives et incohérentes des rapports produits par les appelants pour justifier un dommage inexistant. Ils observent à cet égard que lors de l'augmentation de capital effectuée en 2013, les nouvelles actions ont été émises au même prix que celui fixé lors de l'acquisition, ce qui démontre l'absence de surévaluation lors de la cession. Ils soutiennent que le préjudice ne peut résulter ni de l'impact des erreurs comptables sur le taux de marge de la société [Personne physico-morale 1] dès lors que le business plan élaboré lors de la cession a été réalisé mais avec retard et que les causes de ce retard sont multiples et ne résultent pas nécessairement d'une surévaluation des stocks qui n'a jamais été déterminée, ni de l'apport imprévu de 2 400 000 euros effectué en juin 2013 pour renforcer les fonds propres de la société Evolis (devenue [Personne physico-morale 1]) dont il n'est pas démontré qu'il soit perdu.

Ils rappellent que la faible rentabilité de la société [Personne physico-morale 1] était connue ainsi que la fragilité de sa structure financière et que l'objectif poursuivi était de créer des synergies avec Profalux dans la perspective d'une augmentation sensible de la rentabilité ce qui a été rapidement le cas, au point que, dès 2015, le fonds d'investissement possédant la société StellaStella, société mère de Profalux / [Personne physico-morale 1], l'a vendue en réalisant une plus-value conséquente.

Ils ajoutent que les sociétés appelantes, malgré l'absence de garantie de passif, ont été indemnisées par les vendeurs à hauteur d'une somme de 1 000 000 euros, somme qui correspond à la surévaluation des stocks, et ce alors que le prix de vente avait été revu à la baisse (-1 500 000 euros) après que l'audit eût mis en exergue l'impossibilité d'évaluer le montant des BFA, ce qui caractérise l'absence de préjudice retenu par l'expert.

Ils soulignent enfin que le lien de causalité entre les fautes prétendues reprochées au commissaire aux comptes et le préjudice allégué n'est pas établi, rappelant que la certification des comptes n'était pas une condition de l'acquisition et que le prix des titres n'a pas été déterminé sur la base des comptes certifiés mais exclusivement sur l'audit de la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 3], lequel a justifié une diminution du prix de vente de 1 500 000 euros. Ils rappellent enfin que Monsieur [D] a refusé qu'un inventaire contradictoire soit effectué, ce que l'acquéreur a accepté voulant acquérir le groupe [Personne physico-morale 1] nonobstant cette situation pour le moins anormale.

SUR CE :

Aux termes de l'article L 823-9 du code de commerce, «'les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice». L'article 823-10 ajoute qu'ils ont «'pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur'».

La norme d'exercice professionnel (NEP-200) précise que «'tout au long de son audit, le commissaire aux comptes fait preuve d'esprit critique et tient compte du fait que certaines situations peuvent conduire à des anomalies significatives dans les comptes'», qu'il «'évalue de façon critique la validité des éléments collectés au cours de ses travaux, et reste attentif aux informations qui contredisent ou remettent en cause la fiabilité des documents obtenus'».

La responsabilité de la société XO Audit, commissaire aux comptes, et de Monsieur [S] est recherchée par les sociétés Profalux et [Personne physico-morale 1] à raison de la certification, en date du 14 mai 2012, des comptes de l'exercice clos le 31 décembre précédent de la société [Personne physico-morale 1].

Il sera, à cet égard, rappelé qu'aux termes de l'article L 822-17 du code de commerce, «'les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions'».

Cette responsabilité qui renvoie s'agissant des tiers à l'article 1240 du code civil, suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Sur les fautes reprochées au commissaire aux comptes :

Il est, en l'espèce, plus précisément reproché à la société XO Audit et à Monsieur [S], commissaire aux comptes, d'avoir approuvé sans réserve les comptes de la société [Personne physico-morale 1] alors que les capitaux propres de cette société auraient été surévalués de 2 319 000 euros au 31 décembre 2011 en raison d'une surestimation des stocks de 987 000 euros et d'une sous-estimation des engagements vis-à-vis des clients de 1 332 000 euros.

Avant d'examiner les fautes reprochées au commissaire aux comptes, il convient de relever que celui-ci a été informé sans retard, dès le 5 mars 2012, du projet de cession du groupe [Personne physico-morale 1] (la lettre d'intention ayant été acceptée le 24 février précédent) au groupe dit La Toulousaine (Profalux Industrie), c'est à dire antérieurement au «'plan de la mission'» arrêté, sous le contrôle de Monsieur [S] par Madame [C], cheffe de groupe, le 20 mars (mais postérieurement à la «'note d'orientation de la mission'» établie le 27 décembre 2011).

L'expert rappelle, à bon escient, dans son rapport que le commissaire aux comptes doit prévenir les incidents et donc envisager avec réalisme l'éventualité des erreurs, irrégularités et fraudes. Il observe que la prise de contrôle d'une entité est un symptôme déstabilisateur suffisant pour qu'il soit porté une attention particulière à l'efficacité et à la fiabilité du contrôle interne, à l'identification des zones à risques. Il ajoute qu'en l'état d'une telle circonstance, le commissaire aux comptes doit adapter son plan de mission et son programme de travail (rapport d'expertise page 25). Or, il relève qu'en l'espèce, tel n'a pas été le cas, que notamment le questionnaire relatif au risque de fraudes a été validé le 1er mai 2012, cinq jours après l'émission de la note de synthèse, c'est à dire après l'essentiel des contrôles, que ce questionnaire semble avoir été fait pour documenter le dossier et non pour orienter la mission, que les réponses apportées par l'affirmative ou la négative sont sans commentaires, voire inappropriées. Il note qu'aucune appréciation n'est apportée sur les procédures de contrôle interne. Il relève différents éléments (cf. page 27 du rapport) caractérisant des lacunes quant à la prise en considération du risque de fraude.

Il observe donc que le dossier pêche dans la démonstration que les contrôles opérés sur les comptes de 2011 étaient adaptés à la situation nouvelle due au contexte de développement rapide (croissance importante du chiffre d'affaires et des effectifs salariés) et de reprise par un tiers, l'équipe chargée du contrôle s'en étant tenue à des pratiques routinières, et le commissaire aux comptes, Monsieur [S], ayant consacré un temps insuffisant à ce dossier (18 h).

Il ajoute que si la durée de la mission, fixée initialement à 212 heures (soit 88 heures de moins que la norme, fixée a minima à 300 heures par l'article R 823-12 du code de commerce) pouvait s'expliquer par la participation d'un expert comptable à l'arrêté des comptes (page 30), le temps effectivement passé n'a été que de 196 heures, les seize heures manquantes pouvant expliquer et être à l'origine de certaines impasses.

Avant de procéder à l'examen des anomalies relevées, il convient d'observer pour répondre à l'argumentation soulevée à cet égard par les intimés, que le fait que la responsabilité de la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 2], désignée par l'acquéreur pour effectuer un audit de la société cible, ne soit pas recherchée par l'acquéreur est indifférent et sans effet sur la responsabilité éventuelle du commissaire aux comptes de la société cible à raison des fautes qu'il a commises.

1 ' sur les bonifications de fin d'année (BFA ou RFA) et les avoirs à établir :

Il suffit de rappeler que la société [Personne physico-morale 1] vend une partie importante de sa production par le truchement d'enseignes de la grande distribution du bricolage auxquelles elle consent des «'bonifications de fin d'année'» qui sont des avoirs ou remises accordées sur le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice.

Si le montant exact de ces bonifications n'est définitivement connu qu'avec retard, semble-t-il au cours du premier semestre de l'exercice suivant, la société était toutefois en mesure d'en connaître l'ordre de grandeur eu égard aux contrats qu'elle avait passés et aux volumes qu'elle avait livrés et devait provisionner ce qui n'avait pas encore été payé ainsi que le rappelle l'expert en page 38 de son rapport ( «'la société ne peut pas attendre que ses clients aient pris l'initiative de réclamer leurs avoirs pour enregistrer la charge potentielle de BFA qui pèse sur son chiffre d'affaires de l'année. Si une partie est imputée en cours d'année, le surplus doit être provisionné au vu des informations données par le contrat ou les commerciaux'»).

Or, lors de l'établissement de la situation dressée au 30 septembre 2012, il a été découvert dans la comptabilité de la société [Personne physico-morale 1] pour 1 052 461,99 euros de BFA et pour 145 438,06 euros d'avoir sur litiges (chiffres non contestés par les intimés) qui auraient dû être comptabilisés (et donc provisionnés) au titre de l'exercice 2011, conformément au principe de rattachement des produits et charges prévu par la réglementation en vigueur (articles 242 noniès A annexe II, 289-1-3 du code général des impôts et L 441-3 du code de commerce).

Cette anomalie ' dont les causes n'ont pas été clairement déterminées (cf. page 13 du rapport) mais dont l'importance est significative puisque la proportion de BFA non provisionnées atteint 44 % du total ' est évidemment imputable à la société [Personne physico-morale 1] qui a procédé à des enregistrements tardifs tout au long de l'exercice suivant.

Cette pratique, qu'elle soit ou non frauduleuse (la fraude n'est, en l'espèce, pas démontrée nonobstant les suppositions des intimés, l'expert estimant que la société a été dépassée par les événements et plus particulièrement par sa forte croissance), n'aurait cependant jamais dû échapper au commissaire aux comptes quand bien même la société [Personne physico-morale 1] s'est-elle montré, à cet égard, peu loyale vis-à-vis de celui-ci, mais ce dernier ne saurait se retrancher derrière cette déloyauté pour justifier l'insuffisance de ses diligences, ce d'autant que les RFA (BFA) sont clairement indiquées comme étant (avec les stocks) l'un des «'objectifs d'audit critiques'» dans la note d'orientation de la mission établie le 27 décembre 2011par la cheffe de groupe et contresignée par Monsieur [S].

En effet, non seulement celui-ci disposait d'éléments permettant de la déceler en raison de son importance quantitative, la société ayant communiqué des éléments non cohérents (tableau laissant apparaître pour un chiffre d'affaires «'soumis'» de 53,165 M€, des ristournes potentielles de 1,319 M€ auxquelles s'ajoutent 297 368 euros de BFA 2010 non provisionnées en 2010 et 78 256 euros d'avoirs pour 2011, soit un total de 1,695 M€ alors que le taux de BFA était de 3,7 % et des avoirs et ristournes à établir réduit de moitié par rapport à l'année précédente en contradiction avec l'augmentation du chiffre d'affaires, page 38 du rapport), mais surtout, le commissaire aux comptes a pu constater au cours de son contrôle que cette anomalie affectait déjà l'exercice précédent (2010) puisqu'il a relevé une insuffisance de provision d'un montant de 231 000 euros concernant les BFA (somme représentant 17 % du total des BFA consentis en 2010), que cette pratique avait toutes les raisons de perdurer, raison pour laquelle il a logiquement conclu qu'il «'fallait porter l'attention sur l'apurement (des BFA) au 31 décembre 2011'» ainsi qu'il résulte de ses feuilles de travail (page 39 du rapport).

Or, comme le note l'expert, cette observation n'a pas été prise en compte avec le sérieux nécessaire bien qu'il s'agissait d'un point identifié comme sensible. Des diligences ont certes été accomplies («'suivant le dossier permanent 2008 non actualisé en dépit des évolutions survenues (croissance du CA, nouveaux marchés)'») mais de manière superficielle et de surcroît dans l'ignorance des règles de l'art, le commissaire aux comptes s'étant contenté de trois réponses de clients adressées directement à l'entreprise, sans effectuer de relances, et d'étudier l'apurement du solde 2011 avec la comptabilité jusqu'au 28 mars 2012 sans s'interroger sur l'édition (et la prise en compte) d'avoirs postérieurs.

L'expert observe, à juste titre, que le dossier du commissaire aux comptes est insuffisamment documenté pour établir qu'il a satisfait aux objectifs assignés, que le contrôle du cycle client n'a pas été satisfaisant et que l'anomalie affectant les BFA méritaient de sa part, à défaut d'exiger une modification des comptes, un refus de les certifier compte tenu de leur importance.

La faute du commissaire aux comptes qui, s'agissant des BFA, ne s'est pas montré suffisamment diligent au regard des obligations qui lui incombaient, est parfaitement caractérisée.

2 ' sur les stocks :

Face à la dégradation de la rentabilité de la société [Personne physico-morale 1], la société Profalux a pris la décision, à l'occasion de la situation au 30 septembre 2012, de faire des vérifications sur les stocks comptabilisés au 31 décembre précédent. Ces vérifications ont abouti à une surestimation des stocks de 986 763,04 euros (379 056,47 euros pour les matières premières et 607 706,56 euros pour les produits finis), la valeur des stocks s'élevant à la somme de 4 381 191,65 euros contre une valeur de 5 367 954,79 euros apparaissant au bilan.

Au vu des pièces qui lui ont été transmises, l'expert a pu constater (page 24 de son rapport) que la procédure de remontée des informations collectées par les responsables d'inventaire n'était pas rigoureuse. Il semblerait en effet, selon l'expert, que, pour les matières premières, «'le stock théorique de l'atelier ait été comptabilisé sans que soient retranchées les sorties depuis la dernières mise à jour'» et que, pour les produits finis, un mauvais document ait été enregistré aboutissant à un dévoiement de la procédure d'inventaire. Il considère que les procédures mises en place par la société «'ne permettent pas de garantir la bonne remontée, au bon moment, des informations tirées de l'inventaire physique vers l'état de synthèse. Parce que la société ne cherche apparemment pas à déterminer les écarts entre ses inventaires physiques et théoriques la où ce serait possible'». Il estime toutefois qu'en dépit de la vraisemblance de la démonstration de la société Profalux, «'il existera toujours un doute sur le quantum réel des écarts au niveau des matières premières à l'atelier et des produits finis'». Les procédures d'inventaire mises en 'uvre ne sont pas satisfaisantes car elles ne permettent pas de garantir la bonne remontée, au bon moment des informations tirées de l'inventaire physique vers l'état de synthèse.

Dans sa note d'orientation (27 décembre 2012), le commissaire aux comptes a notamment identifié «'comme objectifs d'audit critiques les stocks, les RFA, les créances clients et les clients'» (p29). Estimant les stocks significatifs, il a, conformément à la norme 501, participé à l'inventaire physique des stocks.

L'expert note toutefois que les stocks étant répartis sur deux sites ([Localité 2] et [Localité 3]), le volume horaire retenu (8,5 heures, soit une journée / homme) n'a pu permettre que la réalisation de contrôles formels.

Si le dossier de travail de la société XO Audit témoigne de l'accomplissement d'un certain nombre de tâches, l'expert relève plusieurs points non validés qui, selon lui, pourraient être liées aux anomalies affectant les stocks (absence d'examen du programme informatique utilisé pour l'édition de l'état d'inventaire, absence de contrôle des dernières sorties de l'exercice et des premières entrées de l'exercice suivants notamment pour les produits finis, processus insuffisamment fiables et donc sources d'erreurs notamment pour les produits finis établis à partir de l'état 145 des commandes clients, absence de prise en compte du coût du stockage).

L'expert estime pour les stocks (p35) que «'force est de faire les mêmes constatations que les demandeurs sur les feuilles de travail du commissaire aux comptes relatives aux stocks : les points faibles identifiés n'empêchent pas de conclure que la procédure d'inventaire est satisfaisante, que le cut off est respecté, que l'on a pas relevé d'anomalies pouvant remettre en cause l'exhaustivité, l'existence et l'exactitude des quantités inventoriées au 31/12/2011. Or, il n'y a pas eu de tests pour s'en assurer ni pour les surveiller... ce d'autant plus que les procédures administratives et comptables, considérées comme insuffisamment formalisées et mises à jour, présentaient un risque, et qu'en plus, d'une part, le risque lié au mode de production n'était lui même pas faible et, que, d'autre part, existait un risque d'anomalies significatives résultant de fraudes'».

Il ajoute, s'agissant de la liste des contrôles suggérés par le commissaire aux comptes, que ne sont validés ni l'examen du programme informatique utilisé pour l'édition de l'état d'inventaire, ni le contrôle des dernières sorties de l'exercice ni des premières entrées de l'exercice suivant (examen du cut off), que l'état des stocks ne décrit pas les moyens mis en 'uvre mais conclut en renvoyant au contrôle indiciaire sans commentaire ni donc examen de cohérence, que le poste de l'atelier, pourtant considéré comme un point faible, a fait l'objet d'une impasse lors du contrôle, que les tests ont été faits sur le stock magasin et non sur le stock atelier (point faible).

Il relève que les conclusions relatives aux stocks produits finis et matières premières ne sont ni cohérentes ni convaincantes : (p 37) le dossier du commissaire aux comptes n'est pas suffisamment documenté pour justifier que les contrôles réalisés répondent correctement aux objectifs de la mission et qu'ils suffisent dans des circonstances de fort développement de l'activité. Trop de pièces du dossier ne sont pas référencées de manière à servir une démonstration : des contrôles n'ont pas été réalisés sur des points sensibles, quand elles en comportent, les conclusions sur les feuilles de travail ne sont pas pertinentes en rapport avec la problématique du cycle, ou bien ne font que des observations sans mise en perspective.

Là encore et nonobstant le doute qui demeure sur la surévaluation exacte des stocks, il est établi que le commissaire aux comptes n'a pas satisfait à ses obligations et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur le lien de causalité et le préjudice allégué par la société Profalux Industrie :

La société Profalux Industrie expose que «'son préjudice doit s'analyser comme une perte de chance d'avoir payé un moindre prix que celui retenu'» (page 31 de ses écritures).

Il convient de rappeler que la lettre d'offre indicative du 22 février 2012 prévoyait, pour l'acquisition de l'ensemble des titres des sociétés du groupe, abstraction faite du complément de prix en fonction des résultats 2012 et 2013, un prix comptant de 8 500 000 euros diminué de l'endettement de la société Ecoh estimé 1 700 000 euros, soit une somme de 6 800 000 euros, l'évaluation des titres reposant notamment sur les deux hypothèses suivantes : EBITDA de 2,7 M€ en 2010 et de 2,5 M € en 2011 pour un chiffre d'affaires de 35M€ en 2010 et 45 M€ en 2011, absence de dette nouvelle par rapport à la situation au 31 décembre 2011, l'endettement net du groupe étant de 13,3 M€.

Il convient de relever que si la société Profalux a précisé que l'offre ferme ne sera adressée qu'après la conclusion des travaux d'audits classiques pour ce genre d'opérations, son offre ne fait nullement référence à la certification des comptes de l'exercice 2011.

Dans la perspective de l'établissement d'une offre ferme, la société Profalux Industrie a mandaté, avec une mission précise comportant certaines analyses ciblées (notamment commentaire sur l'évolution du taux moyen de BFA clients sur les années 2010, 2011 et 2012, examen du caractère exact et exhaustif de la charge de BFA clients comptabilisée dans les comptes de la société [Personne physico-morale 1] au 31 décembre 2011) la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 4] qui a établi le 25 avril 2012 un rapport (dit «'due diligence financière'»).

Ce rapport de 74 pages indique que les travaux sur les comptes 2011 ont porté sur des données non auditées, les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes au 31 décembre 2011 n'étant pas établis à la date de l'intervention.

Il y fait état du faible niveau de rentabilité du groupe Evolis par rapport à Profalux (de 8,4 à 6,2 % entre 2009 et 2011 contre 26 %), avec une baisse du taux de marge en 2011. Il y est, en outre, précisé que les points relevés ont pour effet de minorer l'EBITDA 2010 de 180 000 euros et de majorer l'EBITDA 2011 de 188 000 euros, que le complet apurement des bonifications de fin d'année à payer aux clients au 31 décembre 2011 n'a pu être vérifié (il est toutefois relevé une insuffisance de provision des BFA 2009 sur 2010 pour 31 000 euros et de 2010 sur 2011 de 239 000 euros ainsi qu'une forte augmentation du taux de BFA passé de 2,8 % en 2009 à 3,6 % en 2011 et à 4,2 % dans le budget 2012).

Le rapport précise que l'endettement atteignait au 29 février 2012 la somme de 13,5 M€ mais que diverses corrections pourraient majorer de 0,7 M€ (167 000 euros au titre des dettes fournisseurs échues, 150 000 euros au titre de dettes «'earn out'» et 419 000 euros pour les salaires de février 2012 payés en mars). Il est également relevé une hausse du besoin en fonds de roulement et une dégradation de la trésorerie (le besoin de financement du groupe étant assuré par le factor).

Dans les jours qui ont précédé le dépôt de ce rapport et en raison des informations échangées (sans que soient précisées lesquelles), le prix comptant a, suivant avenant des 20 avril et 8 mai 2012, été ramené à la somme de 6 466 000 euros (8 150 000 ' 1 684 000). Cet avenant ne fait pas davantage état de la lettre du 22 février précédent de l'audit des comptes de l'exercice 2011 par le commissaire aux comptes, le calendrier indicatif suivant étant seulement précisé : négociation et finalisation d'ici le milieu du mois de mai, obtention des accords de financement nécessaires entre le 15 et le 22 mai, signature de l'opération dans la semaine du 28 mai.

Aucune précision n'est apportée sur le calendrier effectif (décalé de quinze jours), le traité de cession n'ayant été signé que le 12 juin 2012, soit près d'un mois après la certification des comptes de l'exercice 2011 par Monsieur [S], en date du 14 mai 2012.

La cession du 12 juin 2012 est intervenue, après l'assemblée générale de la société [Personne physico-morale 1], tenue le 8 juin, au cours de laquelle les comptes certifiés ont été approuvés, au prix de 6 427 384 euros (hors compléments de prix lesquels n'ont jamais été payés pour les motifs déjà précisés).

Entre les mois de février et de juin 2012, le prix comptant a donc été ramené de 6 800 000 euros à 6 427 384 euros, soit une diminution de 372 616 euros et non de 1 500 000 euros comme l'indiquent les intimés qui, de manière erronée, incluent dans leur calcul le complément de prix (page 44, différence entre 7,96 M€, montant arrêté au 20 avril complément de prix inclus, et 6,4 M€, somme payée comptant le 12 juin).

Cette diminution de prix atteste cependant de ce que la société Profalux Industrie a négocié le prix de cession en fonction des éléments portés à sa connaissance notamment par Monsieur [I], soit comme elle le soutient, un élément certain, l'accroissement de l'endettement, et peut être un élément incertain, l'apurement des BFA, l'expert estimant en page 45 de son rapport qu'il est «'plausible que Profalux ait été informé par Monsieur [I] qu'il existât un risque important au niveau des BFA'»).

Il est certain et quand bien même la lettre d'intention n'y ait fait-elle nullement allusion, que si le commissaire aux comptes avait refusé de certifier les comptes de la société [Personne physico-morale 1], en raison des anomalies graves qui affectaient les bonifications de fin d'année et les stocks, ou, a minima, émis de sérieuses réserves comme il aurait du le faire, la société Profalux Industrie aurait, comme elle le fait valoir, saisi cette occasion pour renégocier le prix de cession afin de contracter à des conditions moins onéreuses.

Cette perte de chance, certaine, doit être considérée comme réelle et sérieuse, les négligences fautives du commissaire aux comptes ayant concouru à la disparition d'une éventualité favorable, les chances pour la société Profalux d'obtenir un prix moindre n'étant, dans la situation financière critique dans laquelle se trouvait la société [Personne physico-morale 1], loin d'être négligeables mais doivent, au contraire, être regardées comme étant raisonnables.

Se fondant sur une consultation privée rédigée par Monsieur [W], expert, la société Profalux Industrie estime son préjudice à la somme de 4 100 000 euros correspondant, d'une part, au montant des erreurs (2 200 000 euros) et, d'autre part, à l'impact des BFA sur le taux de marge brute en 2012 et 2013 (1 900 000 euros, cet impact étant déterminé en fonction de l'écart de taux marge entre le business plan établi dans la perspective de la cession et les résultats des exercices 2012 et 2013, cet écart étant de 3 % en 2012 et de 1,7 % en 2013), somme de laquelle elle déduit la somme de 1 000 000 d'euros que les vendeurs lui ont versée sans doute en application des articles 6.5, 6.5.1 et 6.5.2 de la convention (qui prévoient une indemnisation dans la limite de 1 000 000 euros pour toute réclamation excédant un seuil de 20 000 euros en cas d'inexactitude de certaines déclarations des vendeurs, cette clause ayant été stipulée sans doute en remplacement de la garantie de passif). Il sera, à cet égard, observé que si ce versement n'est pas contesté par la société Profalux Industrie (qui en tient compte), aucune pièce n'en justifie malgré les demandes que l'expert, qui en a été informé de manière fortuite (page 44 du rapport), lui a adressées.

Le calcul effectué par la société Profalux Industrie ne répond cependant pas à la problématique de la perte de chance de payer un moindre prix sanctionnant la faute commise par le commissaire aux comptes mais à celle de la réparation intégrale ' à supposer qu'elle ait été possible au regard des stipulations du traité de cession ' du préjudice causé par les vendeurs à raison des fautes par eux commises.

Dans son rapport du 21 juin 2012 sur la valeur de l'apport à la société Profalux Industrie des parts de la société Ecoh (associé de référence du groupe [Personne physico-morale 5]), Monsieur [F], commissaire aux apports, précise que «'les modalités de détermination de la «'valeur entreprise'» ne nous ont pas été communiquées. Toutefois après discussion avec les responsables financiers de l'investisseur, il apparaît que cette «'valeur d'entreprise'» résulte d'une négociation ouverte entre les parties dans le cadre d'un processus concurrentiel. Elle est donc représentative d'une valeur de marché, déterminée sur la base d'une négociation entre des tiers aux intérêts divergents'». Le groupe [Personne physico-morale 1], ainsi que le rappelle l'expert judiciaire, présentait en effet pour la société Profalux Industrie un intérêt stratégique certain en raison des synergies possibles (qui se sont d'ailleurs concrétisées mais avec un retard de deux années).

Il convient à cet égard de relever que la société Profalux Industrie ne soutient nullement que le commissaire aux comptes lui a fait perdre une chance de renoncer à cette acquisition.

Il convient en l'occurrence de déterminer, d'une part, la baisse de prix que l'acquéreur aurait pu obtenir et, d'autre part, de définir le pourcentage de chance d'obtenir cette baisse de prix.

En premier lieu, il sera précisé que la diminution de prix qui aurait pu être obtenue si les comptes n'avaient pas été certifiés, ne pouvait être égal au montant cumulé de la surestimation des stocks et de la sous-estimation des engagements vis-à-vis des clients.

En effet, le commissaire aux comptes n'avait pas pour mission de rétablir les comptes au lieu et place de l'entreprise et de son comptable mais seulement de dire si ceux-ci donnaient ou non une image fidèle de la situation de celle-ci. Il s'ensuit qu'il n'aurait pas déterminé les sur et sous estimations litigieuses dont le montant n'a été arrêté que plusieurs mois après son intervention et que ce montant, inconnu au moment de la négociation (sauf à la reporter de plusieurs mois ce qui ne semblait pas envisageable), ne pouvait donc servir de base à celle-ci.

Compte tenu des anomalies affectant les stocks de matières premières dont tout porte à croire que l'écart entre l'inventaire physique et la somme portée au bilan avait été mis en évidence par l'équipe d'audit (pièces B1 ' 101, 107 et 108) même si aucune conséquence n'en a été tirée et de la certitude qui aurait alors été acquise quant au défaut d'apurement des bonifications de fin d'année (le rapport de la société [Personne physico-morale 2][Personne physico-morale 4] ne faisant état que d'une absence de certitude), le prix de cession aurait pu être négocié à la somme de 6 000 000 euros soit une diminution supplémentaire de 427 384 euros.

La perte de chance étant sérieuse compte tenu de la situation du groupe [Personne physico-morale 1], doit être fixée à 80 %.

Il convient donc de condamner solidairement la société XO Audit, Monsieur [S] et les compagnies MMA IARD et MMA Assurances Mutuelles à verser à la société Profalux Industrie une somme de 341 907,20 euros en réparation de leur préjudice, étant précisé que si les vendeurs lui ont déjà versé une somme de 1 000 000 euros, aucune déduction n'est à opérer dès lors que cette somme ne couvre pas la totalité de la surévaluation des capitaux propres, laquelle excède en tout état de cause la somme de 2 000 000 euros.

Le surplus de la demande sera rejeté comme n'étant pas la conséquence de la faute commise par le commissaire aux comptes, mais celle de la situation financière de la société acquise. En effet, un prix d'acquisition moindre n'aurait ni permis une amélioration des résultats 2012 et 2013, ni évité à l'acquéreur de devoir effectuer les apports financiers qu'il a supportés pour assurer la pérennité de son acquisition.

Le jugement du tribunal de grande instance de Lorient sera donc infirmé.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Parties perdantes, la société XO Audit, Monsieur [S] et les compagnies MMA IARD et MMA Assurances Mutuelles seront condamnés aux dépens de première instance et d'appel.

Ils devront, en outre, verser à la société Profalux Industrie la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement :

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 23 janvier 2018 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

Dit que la société XO Audit et Monsieur [S] ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité.

Condamne solidairement la société XO Audit, Monsieur [Y] [S] et les compagnies MMA IARD et MMA Assurances Mutuelles à verser à la société Profalux Industrie en réparation de son préjudice une somme de 341 907,20 euros.

Déboute la société Profalux Industrie du surplus de ses prétentions.

Condamne in solidum la société XO Audit, Monsieur [Y] [S] et les compagnies MMA IARD et MMA Assurances Mutuelles à verser à la société Profalux Industrie une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre eux ceux des dépens dont ils auraient pu faire l'avance sans avoir reçu provision.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18/01658
Date de la décision : 14/05/2019

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°18/01658 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-14;18.01658 ?
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