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23/04/2019 | FRANCE | N°18/06431

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 23 avril 2019, 18/06431


1ère Chambre





ARRÊT N°182/2019



N° RG 18/06431 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PGIM













M. [T] [O]

Mme [P] [W] épouse [O]



C/



M. [W] [U]

M. [M] [A] [R]

Mme [Q] [S] épouse [R]

Commune [Localité 1]



















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 23 AVRIL 2019





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,



GREFFIER :...

1ère Chambre

ARRÊT N°182/2019

N° RG 18/06431 - N° Portalis DBVL-V-B7C-PGIM

M. [T] [O]

Mme [P] [W] épouse [O]

C/

M. [W] [U]

M. [M] [A] [R]

Mme [Q] [S] épouse [R]

Commune [Localité 1]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 23 AVRIL 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 Février 2019

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Avril 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

DEMANDEURS AU RENVOI APRES CASSATION :

Monsieur [T] [O]

né le [Date naissance 1] 1939 à [Localité 2]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUTIER/LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Jacques GOAOC, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [P] [W] épouse [O]

née le [Date naissance 2] 1942 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUTIER/LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Jacques GOAOC, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

DÉFENDEURS AU RENVOI APRES CASSATION :

Monsieur [W] [U]

né le [Date naissance 3] 1943 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Franck MARCAULT-DEROUARD de la SCP CALVAR & ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES

Monsieur [M] [A] [R]

né le [Date naissance 4] 1949 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par la SELARL CABINET GOURVES-D'ABOVILLE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [Q] [S] épouse [R]

née le [Date naissance 5] 1951 à [Localité 8]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par la SELARL CABINET GOURVES-D'ABOVILLE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

La commune de [Localité 1], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Loïg GOURVENNEC de la SELARL LE ROY-GOURVENNEC-PRIEUR, avocat au barreau de BREST

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 31 juillet 1991, M. [U] a acquis des consorts [V] l'exploitation rurale de [Localité 9] à [Localité 1] comportant des immeubles bâtis et non bâtis cadastrés ZR n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4],[Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et ZS [Cadastre 9] d'une contenance totale de 29 ha 12 a [Cadastre 10] ca. Cette exploitation est séparée par la rivière [Localité 10] d'une ancienne exploitation de pisciculture, dite du [Localité 11], sise sur la commune de [Localité 12], laquelle est desservie au Nord par un chemin rural jugé trop escarpé pour le transport des bacs à truites. Dans ce contexte, M. [A], propriétaire exploitant de la pisciculture du [Localité 11] qu'il avait créée en 1945, avait fait construire un pont sur la rivière, puis obtenu, en avril 1955, des époux [V]-[G], auteurs de M. [U], la concession à compter du 15 mars 1953 d'un bail emphytéotique sur un passage de 4,5 mètres de large et de 40 mètres de long dépendant de la parcelle alors cadastrée section F [Cadastre 11], ce bail prenant fin lorsque les époux [A] ou leurs descendants ne seraient plus propriétaires de la propriété du [Localité 11].

Les opérations de remembrement de la commune de [Localité 1] ont été clôturées par un procès-verbal de remembrement publié le 15 décembre 1967.

Le 27 octobre 1973, les époux [A] ont cédé leur pisciculture à la société civile Pisciculture du [Localité 10] constituée par MM. [O] [Z] et [O] [T]. Le 27 janvier 1978, les époux [V]-[G] ont consenti à MM. [Z] et [T], ès-qualités, un droit de passage sur la même assiette que celle faisant précédemment l'objet du bail emphytéotique de 1955, assiette indiquée comme faisant partie intégrante de la parcelle ZR [Cadastre 3] (anciennement F[Cadastre 11]) attribuée aux époux [V] par le remembrement.

Par acte du 22 février 1985, la société Pisciculture du [Localité 10] a cédé sa propriété aux époux [R]. Le 25 juillet 1985, les époux [V]-[G] ont consenti à M. [M] [R] une convention d'occupation précaire, d'une durée de 9 ans, portant sur l'assiette du droit de passage toujours indiqué comme faisant partie de la parcelle ZR n° [Cadastre 3], et ce moyennant une redevance annuelle et en se réservant la jouissance concurrente de la dite emprise.

Souhaitant acquérir la propriété des époux [R] qui mettaient un terme à leur activité piscicole, les époux [O] ont présenté à M. [U], le 10 mars 2003, une offre d'acquisition des parcelles ZR [Cadastre 3] et ZS [Cadastre 9] afin d'en assurer la desserte par le passage utilisé depuis 1953. Aucun accord n'ayant pu être trouvé, les époux [R] ont fait établir, le 26 juin 2004, un document d'arpentage portant création d'une parcelle ZS [Cadastre 12] d'une contenance de un are 79 centiares, correspondant à l'assiette de ce passage telle que matérialisée sans numérotation sur le cadastre. Ils ont ensuite fait établir, le 13 août 2004, à leur profit, sur la foi notamment des déclarations des associés de la société dont ils tenaient leurs droits, une attestation notariée de notoriété acquisitive de cette parcelle, intégrée selon cet acte par erreur dans le domaine public lors de la rénovation du cadastre. Le 10 décembre 2004, ils ont vendu aux époux [O] leur propriété y compris la parcelle nouvellement cadastrée ZS n° [Cadastre 12] dont les vendeurs soutenaient dans l'acte de cession avoir eu, ainsi que leurs auteurs, pendant plus de 30 ans, la possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.

Les époux [O] ayant assigné M. [U] en bornage des limites de la parcelle ZS [Cadastre 12] communes aux parcelles ZR [Cadastre 3] et ZS [Cadastre 9] lui appartenant, celui-ci les a, par acte du 11 mars 2009, assignés devant le tribunal de grande instance de Quimper en revendication de la propriété de cette parcelle. Les époux [O] ont, par conclusions du 9 août 2010, formé une demande reconventionnelle en revendication du même bien et assigné en garantie leurs vendeurs, les époux [R].

Par jugement du 31 mai 2011, le tribunal de grande instance de Quimper a avec exécution provisoire :

- déclaré les demandes de M. [U] recevables,

- dit que [W] [U] est seul légitime propriétaire de la parcelle sise à [Localité 1], lieu-dit [Localité 9], cadastrée section ZS [Cadastre 12] faisant partie intrinsèque de la parcelle cadastrée section ZR n° [Cadastre 3] (ou/et de la parcelle ZS [Cadastre 9]) ;

- déclaré inopposable à [W] [U] l'attestation notariée intitulée 'attestation de notoriété acquisitive' établie le 13 août 2004 par Me [D], notaire à [Localité 12] ;

- déclaré inopposable à [W] [U] la vente consentie par les époux [R] aux époux [O], le 10 décembre 2004, portant sur la parcelle cadastrée ZS n° [Cadastre 12] ;

- ordonné la publication du jugement ;

- condamné les époux [O]-[W] à payer à [W] [U] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;

- ordonné la libération complète et la remise en état des lieux par les époux [O]-[W] sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

- débouté les époux [O]-[W] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- condamné les époux [R] à garantir les époux [O] de toutes condamnations prononcées contre eux ;

- condamné les époux [O] à payer à M. [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les époux [O] aux dépens.

Les époux [O] et les époux [R] ayant relevé appel de ce jugement, la cour d'appel de Rennes a, par un premier arrêt du 7 mai 2013, rouvert les débats et enjoint à M. [U] de communiquer la délibération authentifié du conseil municipal de [Localité 1] dont il se prévalait et un extrait cadastral antérieur au remembrement.

Par un second arrêt en date du 3 décembre 2013, la cour d'appel de Rennes a :

- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré inopposable à M. [U] et sans le moindre effet juridique à son égard l'acte de notoriété acquisitive établi le 13 août 2004 par Me [D], notaire à [Localité 12], et ordonné la publication de cette disposition à la Conservation des Hypothèques de Quimper ;

- sursis à statuer sur le solde du litige et invité M. [W] [U] à appeler à la cause la commune de [Localité 1].

Par un troisième arrêt en date du 27 janvier 2015, la cour d'appel de Rennes a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [U] ;

- infirmé le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,

- débouté M. [U] de sa demande de nullité de l'acte de vente du 10 décembre 2004 et de son action en revendication de la propriété de la parcelle cadastrée ZS [Cadastre 12] à [Localité 1] ' [Localité 9]' ;

- débouté les époux [O] de leur demande en revendication de propriété et en dommages-intérêts ;

- débouté les époux [R] de leur demande de dommages-intérêts.

Le 20 octobre 2016, la Cour de cassation

a cassé et annulé l'arrêt du 27 janvier 2015 sauf en ce qu'il rejetait la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [U] et a condamné M. et Mme [O] et M. et Mme [R] aux dépens ainsi qu'à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [O] ont saisi la cour d'appel de Rennes, désignée Cour de renvoi, en lui demandant :

- de confirmer en toutes ses dispositions l'arrêt du 27 janvier 2015 en ce qu'il a notamment dit et jugé que M. [U] n'est pas fondé à se voir dire le légitime propriétaire de la parcelle cadastrée ZS n° [Cadastre 12] à [Localité 1],

- de le débouter de ses demandes,

- de le condamner à leur payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Les époux [R] demandent à la cour de réformer le jugement du 31 mai 2011 et de débouter M. [U] de ses demandes. En conséquence, ils concluent en ces termes:

- déclarer irrecevable et subsidiairement non fondée la demande de M. [U] visant à voir déclarer nul l'acte de vente en date du 10 décembre 2004 conclu entre les époux [R] et les époux [O] ;

- dire que la vente de la parcelle ZS [Cadastre 12] par contrat de vente du 10 décembre 2004 aux époux [O] est valable et opposable à M. [U] ;

- dire n'y avoir lieu à garantie des époux [O] par les époux [R] ;

- condamner M. [U] à leur payer la somme de 3000 euros pour procédure abusive,

- condamner toute partie succombant à leur payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

M. [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Quimper du 31 mai 2011, sauf en ce qu'il a limité les dommages-intérêts qui lui étaient accordés à la somme de 3.000 euros ;

- dire les époux [O] irrecevables en leurs prétentions et moyens en raison des principes d'estoppel et « nul ne plaide par procureur » ;

- dire qu'il est le seul légitime propriétaire de la parcelle désormais cadastrée ZS n° [Cadastre 12], par acquisition de la prescription ;

- dire qu'au titre de la remise en état des lieux, les époux [O] devront, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, procéder au remplacement à l'identique des haies retirées au profit des rhododendrons ;

- interdire sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, aux époux [O] d'emprunter la parcelle cadastrée ZS n° [Cadastre 12],

- les condamner à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice de jouissance ;

- les condamner ainsi que toute partie succombante à lui verser la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La municipalité de [Localité 1] s'en rapporte à justice.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée, à celles des arrêts rendus les 7 mai et 3 décembre 2013 ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par la Commune de [Localité 1] le 17 décembre 2018, par les époux [O] le 29 janvier 2019, par M. [U] le 30 janvier 2019 et par les époux [R] le 31 janvier 2019.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Il n'est plus discuté que le procès-verbal de remembrement publié le 15 décembre 1967 a dissocié la propriété de l'assiette du chemin litigieux de celle de la parcelle anciennement cadastrée F [Cadastre 13] des époux [V] dont elle constituait la limite Sud, contiguë à la parcelle F [Cadastre 14] qui leur appartenait également. A l'issue du remembrement, ceux-ci ont reçu attribution des parcelles ZR [Cadastre 3] et ZS n° [Cadastre 9], correspondant aux mêmes fonds mais dorénavant séparés par le chemin dont ils ont cru rester propriétaires comme toujours inclus dans la parcelle F[Cadastre 13] devenue ZR n° [Cadastre 3]. Cette croyance était d'autant plus légitime qu'au cours des opérations de remembrement, cette dissociation n'avait pas été évoquée (sans doute parce qu'elle était tenue pour acquise par les géomètres en raison de la matérialisation inexpliquée du passage sur le cadastre rénové de 1961), qu'en outre, aucune référence cadastrale n'avait été attribuée à l'assiette litigieuse et qu'elle n'avait pas non plus été attribuée à un propriétaire déterminé de sorte qu'elle est entrée par défaut dans le domaine privé communal à l'insu de la municipalité qui n'a jamais contribué à son entretien et n'a jamais exercé le moindre acte de possession sur elle ainsi que l'indiquaient d'ailleurs dans leurs conclusions du 9 août 2010 les époux [O] (p. 6 de leurs écritures).

C'est ainsi que le conseil municipal de la commune de [Localité 1] a, postérieurement à la clôture des opérations de remembrement, par délibération n° 516 du 9 février 1972 refusé de faire droit à la demande de création d'un chemin rural sur la dite emprise qu'il présentait comme privée. De même sollicité en 2004 à l'occasion de la procédure de modification parcellaire, le maire de la commune a affirmé que celle-ci ne détenait aucun droit de propriété sur la parcelle, affirmation réitérée dans un courrier adressé à Me [D], notaire, daté du 22 juin 2004. Les services publics ont de la même façon considéré que le passage dépendait du fonds [U] ainsi que l'attestent MM. [E] et [P] qui relatent l'autorisation sollicitée par la Direction départementale de l'agriculture à M. [U] avant la pose sur la parcelle d'une buse destinée à réguler le débit de la rivière.

Après le remembrement, les époux [V] ont de leur côté continué à disposer de cette parcelle à titre de propriétaire, notamment en consentant le 27 janvier 1978 une convention d'occupation précaire aux nouveaux propriétaires de la pisciculture du [Localité 11], faisant suite au bail emphytéotique qu'ils avaient consenti le 13 avril 1955 aux époux [A], ses précédents exploitants. De même le 25 juillet 1985, après son acquisition au mois de février 1985 de la pisciculture du [Localité 11], ils ont consenti, au profit de M. [M] [R], une nouvelle convention d'occupation précaire d'une durée de 9 ans sur le passage litigieux, laquelle précisait que la propriété de ce passage, partie intégrante de la parcelle ZR n° [Cadastre 3], leur restait acquise et qu'ils demeuraient libres d'en disposer, se réservant tant à leur profit qu'à celui de leur fermier l'utilisation concurrente du dit passage pour leur usage personnel. Aucune déduction contraire ne peut être tirée de l'attestation de Mme [A] épouse [X] affirmant, sans en justifier, ne pas avoir versé d'indemnité de location aux époux [V] de 1971 à 1973. En effet, il est établi que la société civile, à qui les consorts [A] ont cédé la pisciculture, croyait utiliser un passage dépendant de la propriété [V]. Elle n'a donc pas eu d'informations contraires de leur part. Ceci démontre que le prétendu non-paiement des redevances n'était pas lié au résultat du remembrement dont les consorts [A], pas plus que les autres parties concernées, n'ont pris conscience, ayant au contraire vainement sollicité la municipalité en 1972 pour obtenir l'appropriation par elle de ce chemin.

Les consorts [V] ont vendu le 31 juillet 1991 à M. [U] l'intégralité de l'exploitation rurale de [Localité 9] dont dépendaient les parcelles litigieuses et notamment la parcelle ZR [Cadastre 3]. Les biens vendus étaient décrits de la manière suivante : 'une exploitation rurale consistant en bâtiments d'habitation et d'exploitation et terres de diverses natures, figurant au plan remembré de la commune de [Localité 1]', suivi des références cadastrales et de leur contenance, de la superficie totale des biens, soit 29 ha 12 a 47 ca, et de la mention 'Tels, au surplus, que lesdits biens existent, avec leurs dépendances, sans exception ni réserve'. Aucune description plus approfondie des biens, y compris des bâtiments d'habitation et d'exploitation, n'y figurait. Dès lors ni l'absence de mention du passage qui n'avait pas une référence cadastrale distincte de celle de la parcelle ZR [Cadastre 3] à laquelle la croyance commune le rattachait, ni la légère distorsion de contenance qui en résultait vraisemblablement (0,06 % de la superficie vendue), non perceptible faute d'arpentage, ne permet de soutenir que les parties avaient entendu exclure cette parcelle de la vente. En effet, l'acte du 31 juillet 1991 n'émettait aucune restriction quant à l'étendue de la cession de la propriété de [Localité 9], qui formait une entité économique ayant une même origine (à l'exception d'une parcelle cadastrée SR 107 acquise ultérieurement en 1976). Il s'en déduit que convaincus du fait que le passage litigieux continuait à dépendre de la parcelle ZR [Cadastre 3], les vendeurs l'ont cédé à M. [U] en tant que partie intégrante de cette parcelle. M. [D] [V], covendeur, a d'ailleurs attesté en ce sens les 28 août 2007 et 21 mai 2010, sans que son témoignage, en l'absence d'indices contraires ou d'intérêts communs avec M. [U], ne puisse être qualifié de complaisant. Ceci est également confirmé par le comportement ultérieur des vendeurs qui n'ont jamais remis en cause le périmètre de la cession, ni formé la moindre prétention sur ce passage dont la propriété ne leur avait jamais été disputée avant la cession et à laquelle ils n'avaient pas davantage émis la moindre velléité de renoncer avant la vente consentie à M. [U]. Dans ce contexte, l'absence de mention de l'existence d'une convention d'occupation précaire encore en cours, d'un intérêt financier très faible, n'établit pas que l'acte avait exclu le passage du périmètre de la vente alors que, d'une part, cette convention ne s'opposait au transfert de la jouissance du bien au profit de l'acquéreur et que, d'autre part, M. [D] [V], co-vendeur, affirme sans être utilement contredit que la convention avait été verbalement portée à la connaissance de celui-ci. C'est ainsi que nonobstant le silence de l'acte et le temps écoulé depuis la cession de 1991, ni les époux [R], titulaires de la convention d'occupation précaire, ni les époux [O] n'ont émis le moindre doute sur la qualité de propriétaire de M. [U] avant 2004. Ceci est attesté par le courrier adressé les 12 janvier par les époux [O] aux époux [R] indiquant avoir eu sans succès des contacts avec M. [U], propriétaire de la parcelle ZR [Cadastre 3], dont ils doutaient de la volonté de vendre et en tirant les conséquences quant à la nécessité de prévoir la desserte de la propriété par le chemin rural situé sur la commune de [Localité 12] en limite de leur parcelle ZD [Cadastre 10]. De même, par un courrier du 10 mars 2003 faisant suite à une conversation téléphonique, 'au sujet de l'estimation des terres grevées par le passage d'accès au [Localité 11]', ils formaient une offre d'achat conditionnée à l'achat de la propriété [R], offre portant sur les deux parcelles ZR n°[Cadastre 3] et ZS n°[Cadastre 9], ce qui révélait leur conviction que le passage en faisait partie. A la même époque, les époux [R] écrivait à M. [U] en ces termes : 'une action intentée par vos soins en votre qualité de propriétaire de la parcelle vous permettrait d'obtenir la restitution des dix ans de loyer, soit environ 6 000 Frs, outre des dommages-intérêts.

L'acquéreur potentiel de ma propriété souhaiterait être informé à bref délai de vos conditions quant à la cession de vos parcelles ou, à défaut, quant à la régularisation d'une convention m'octroyant un droit de passage illimité sur cette parcelle.'

Il s'en infère que du 16 décembre 1967, date de transfert juridique de la propriété de la parcelle par l'effet du remembrement, jusqu'à l'action en revendication exercée par M. [O] par conclusions du 9 août 2010, M. [U] et ses auteurs ont possédé sans discontinuer le passage litigieux à titre de propriétaires, de manière paisible, publique et non équivoque, leur possession s'étant manifestée tant par des actes matériels d'entretien du bien en rapport avec sa nature que par des actes juridiques. A cet égard, il sera rappelé que contrairement à ce qui est soutenu, l'absence de paiement pendant certaines périodes des redevances convenues en contrepartie de l'usage du passage, non motivée par la contestation de sa propriété, ne constitue pas un acte interruptif de la prescription acquisitive.

La possession exercée par les époux [V] et leurs héritiers à titre de propriétaire a été transmise par eux à M. [U] au moyen d'un acte translatif de propriété régulier de sorte que celui-ci peut se prévaloir de la jonction de possessions utiles, lui permettant de se prévaloir de l'acquisition de la propriété de la parcelle par prescription acquisitive trentenaire accomplie au 17 décembre 1997.

Il fonde néanmoins, à titre principal, son action sur l'article 2265 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 applicable à l'espèce, énonce que celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans si le véritable propriétaire habite le ressort de la cour d'appel dans laquelle l'immeuble est situé et par vingt ans s'il est domicilié hors dudit ressort.

Les époux [O] ne revendiquent plus la propriété de ce chemin puisqu'ils concluent à la confirmation en toutes ses dispositions de l'arrêt cassé qui les a déboutés de leur action en revendication. La Commune de [Localité 1] s'en rapporte quant à elle à justice sans présenter la moindre argumentation de nature à éclairer sa position et à contester utilement la prétention de M. [U]. Elle ne développe en effet aucune critique de ses prétentions, ni aucun moyen de nature à y faire obstacle. En particulier, elle ne remet expressément en cause ni l'existence d'un juste titre ayant transféré la possession de la parcelle à M. [U], ni la bonne foi de celui-ci, ni le caractère exempt de vices de sa possession.

Les époux [R] et les époux [O] continuent pour leur part à contester la portée du titre ayant transféré à M. [U] la possession du passage et l'efficacité de sa possession mais ils n'ont pas qualité pour le faire au lieu et place du propriétaire de celui-ci.

En tout état de cause, constitue un juste titre au sens de l'article 2265 du code civil, l'acte par lequel la partie qui invoque l'usucapion abrégée d'un bien en a été mise en possession dès lors que cet acte est régulier, qu'il est translatif de propriété et qu'il émane d'un vendeur qui n'en était pas le propriétaire. En l'espèce, le titre par lequel M. [U] a été mis en possession du chemin litigieux lui en aurait incontestablement transféré la propriété si les vendeurs en avaient été les véritables propriétaires, son manque de précision n'ayant créé aucune incertitude quant à son objet, lequel portait incontestablement sur le passage litigieux. Il constitue dès lors un juste titre au sens des dispositions sus-rappelées.

A compter de sa mise en possession, M. [U] justifie avoir exercé des actes de possession sur le bien tant matériels, selon une fréquence adaptée à la nature de celui-ci, que juridiques notamment en consentant les autorisations sollicitées par des tiers (DDA).

La bonne foi de M. [U] n'étant pas mise en cause, il a en conséquence acquis la propriété de ce bien par usucapion abrégée à l'issue d'un délai de dix ans expirant le 1er août 2001 de sorte que son action en revendication peut également être accueillie sur ce fondement.

M. [U] conclut sur le fondement de l'article 1599 du code civil à la nullité de la vente conclue entre les époux [R] et les époux [O] en ce qu'elle porte sur le passage cadastré à leur initiative, ZS n° [Cadastre 12]. Cependant cette disposition édicte une nullité relative en faveur de l'acheteur qui a seul qualité pour l'invoquer. En conséquence il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il n'a pas annulé l'acte du 12 décembre 2004 portant cession par les époux [R] de la parcelle ZS [Cadastre 12] aux époux [O], mais l'a déclaré inopposable à M. [U] son véritable propriétaire.

Par l'effet de l'exécution provisoire du jugement rendu le 31 mai 2011, M. [U] a pu être juridiquement remis en possession du passage dont la propriété lui avait été contestée en 2009. Si l'arrêt cassé du 27 janvier 2015 lui en déniait la propriété, il écartait tout autant la revendication de propriété formée par les époux [O] tandis que la commune de [Localité 1] a continué à se désintéresser de ce bien de sorte que M. [U] a pu continuer à en jouir dans les mêmes conditions que précédemment. Il ne produit d'ailleurs pas de pièces justificatives démontrant que la contestation émise par les époux [O] lui a interdit de développer un projet le concernant et a eu des incidences sur la jouissance de sa propriété dans son ensemble. Il ne justifie donc pas avoir subi un préjudice excédant celui déjà justement réparé par les premiers juges dont la décision sur ce point sera confirmée.

M. [U] demande la remise en état de la parcelle par les époux [O]. Mais de ses conclusions, il ressort que les rhododendrons dont il demandait l'enlèvement ont bien été retirés (page 13 de ses conclusions). Il soutient que des haies (sans autre précision) ont été détruites mais n'en justifie pas. De manière contradictoire, il reproche aux époux [O] d'avoir remis en place, en janvier 2019, des arbres qui sont de nature à remplacer la haie prétendument détruite par eux. Au regard de l'imprécision de ses prétentions sur ce point, ces plantations seront considérées comme satisfactoires de la remise en état réclamée.

La propriété du passage étant reconnue à M. [U], celui-ci peut en interdire l'usage aux époux [O]. Cependant M. [U] peut assurer le respect de sa propriété en la clôturant et/ou en l'aménageant de manière à en interdire le passage depuis le pont appartenant aux époux [O] de sorte que le prononcé d'une astreinte ne se justifie pas.

En équité, une indemnité de 10 000 euros sera mise à la charge des époux [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les époux [O] ne sollicitent pas dans le dispositif de leurs dernières écritures la garantie des époux [R] de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par ceux-ci de ce chef.

La demande de M. [U] ayant été accueillie, la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par les époux [R] à son encontre n'est pas fondée. De même succombant dans leurs prétentions, il n'y a pas lieu de faire droit à leur demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Vu l'arrêt mixte en date du 3 décembre 2013 qui a :

- confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Quimper du 31 mai 2011 en ce qu'il a déclaré inopposable à M. [U] et sans le moindre effet juridique à son égard l'acte de notoriété acquisitive établi le 13 août 2004 par Me [D], notaire à [Localité 12] et ordonné la publication de cette disposition à la Conservation des Hypothèques de Quimper ;

- sursis à statuer pour le surplus et invité M. [W] [U] à appeler à la cause la commune de [Localité 1] ;

Vu l'arrêt en date du 27 janvier 2015 devenu définitif en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de prescription de l'action exercée par M. [U] ;

Confirme le jugement rendu le 31 mai 2011 par le tribunal de grande instance de Quimper en ce qu'il a :

- déclaré les demandes de M. [U] recevables,

- dit que [W] [U] est seul légitime propriétaire de la parcelle sise à [Localité 1], lieu-dit [Localité 9], cadastrée section ZS [Cadastre 12] ;

- déclaré inopposable à M. [W] [U] la vente consentie par les époux [R] aux époux [O], le 10 décembre 2004, portant sur la parcelle cadastrée ZS n° [Cadastre 12] ;

- ordonné la publication du jugement ;

- condamné les époux [O]-[W] à payer à M. [W] [U] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;

- débouté les époux [O]-[W] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- condamné les époux [O] à payer à M. [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné les époux [O] aux dépens.

Le réformant pour le surplus,

Rejette la demande de remise en état de la parcelle ZS n° [Cadastre 12] ;

Fait interdiction à M. [T] [O] et Mme [P] [W] épouse [O] d'utiliser le passage aménagé sur la parcelle ZS n° [Cadastre 12] sans l'autorisation de M. [W] [U] ;

Constate que M. [T] [O] et Mme [P] [W] épouse [O] ne forment plus de demande de garantie à l'encontre de M. [M] [R] et Mme [Q] [S] épouse [R] ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par M. [M] [R] et Mme [Q] [S] épouse [R] ;

Condamne M. [T] [O] et Mme [P] [W] épouse [O] à verser à M. [W] [U] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne M. [T] [O] et Mme [P] [W] épouse [O] aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris les dépens afférents à l'arrêt du 27 janvier 2015 et dit qu'ils seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18/06431
Date de la décision : 23/04/2019

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°18/06431 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-23;18.06431 ?
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