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26/03/2019 | FRANCE | N°17/00126

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 26 mars 2019, 17/00126


1ère Chambre





ARRÊT N°145/2019



N° RG 17/00126 - N° Portalis DBVL-V-B7B-NTLV













M. [E] [I]

Mme [R] [R] [H] épouse [I]

Mme [C] [C] épouse [H]



C/



Mme [Y] [J] veuve [A]

Mme [J] [B] épouse [W]

Mme [B] [A] épouse [Q]

Mme [H] [A] épouse [F]

M. [T] [U]

Mme [U] [M] épouse [U]

M. [Z] [N] [L] [P]

Mme [D] [A] [W] [K] épouse [P]

SCI MAEL-BEAUBOURG














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Copie exécutoire délivrée



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à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2019





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Françoise COCCHIELLO, P...

1ère Chambre

ARRÊT N°145/2019

N° RG 17/00126 - N° Portalis DBVL-V-B7B-NTLV

M. [E] [I]

Mme [R] [R] [H] épouse [I]

Mme [C] [C] épouse [H]

C/

Mme [Y] [J] veuve [A]

Mme [J] [B] épouse [W]

Mme [B] [A] épouse [Q]

Mme [H] [A] épouse [F]

M. [T] [U]

Mme [U] [M] épouse [U]

M. [Z] [N] [L] [P]

Mme [D] [A] [W] [K] épouse [P]

SCI MAEL-BEAUBOURG

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 MARS 2019

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 05 Février 2019

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Mars 2019 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [E] [I]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Danaé PAUBLAN de l'ASSOCIATION LAURET - PAUBLAN, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [R] [R] [H] épouse [I]

née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Danaé PAUBLAN de l'ASSOCIATION LAURET - PAUBLAN, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [C] [C] épouse [H]

née le [Date naissance 3] 1937 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Danaé PAUBLAN de l'ASSOCIATION LAURET - PAUBLAN, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉS :

Madame [Y] [J] veuve [A]

née le [Date naissance 1] 1935 à [Localité 5]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [J] [B] épouse [W]

née le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [B] [A] épouse [Q]

née le [Date naissance 5] 1958 à [Localité 3]

[Adresse 5]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [H] [A] épouse [F]

née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 3]

[Adresse 7]

[Localité 8]

Représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

SCI MAEL-BEAUBOURG, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

Chez M. et/ou Mme [D]

[Adresse 8]

[Localité 9]

Représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [D] [A] [W] [K] épouse [P]

née le [Date naissance 6] 1957 à [Localité 10]

[Adresse 9]

[Localité 11]

Intervenante volontaire, représentée par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Monsieur [Z] [N] [L] [P]

né le [Date naissance 7] 1964 à [Localité 12]

[Adresse 9]

[Localité 11]

Intervenant volontaire, représenté par Me Anne GUILLERME, avocat au barreau de QUIMPER

Monsieur [T] [U]

né le [Date naissance 8] 1962 à [Localité 13]

[Localité 14]

[Localité 4]

Représenté par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Sylvie COUTURON, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

Madame [U] [M] épouse [U]

née le [Date naissance 9] 1963 à [Localité 15]

[Localité 14]

[Localité 4]

Représentée par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Sylvie COUTURON, Plaidant, avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DU LITIGE

Les époux [I] sont propriétaires au [Localité 14], à [Localité 4], des parcelles cadastrées section AO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] (les parcelles [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] issues de la parcelle [Cadastre 7] étant dorénavant cadastrées AO[Cadastre 8]). La parcelle [Cadastre 5] est traversée par le [Adresse 10], goudronné par la commune en 1971, qui relie la [Adresse 11] à l'Ouest au village de [Adresse 12] à l'anse de [Adresse 13] à l'Est. Avec l'accord des propriétaires, la portion de ce chemin comprise entre la route départementale et la parcelle [Cadastre 5] a été incluse dans le domaine communal en 1972. Ce chemin constitue actuellement la voie d'accès de différents fonds et notamment :

- des parcelles cadastrées section AO n° [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12] appartenant aux époux [U],

- de la parcelle [Cadastre 13] appartenant à l'indivision [H]-[C] dont Mme [H], mère de Mme [I],

- des parcelles [Cadastre 14] et [Cadastre 15] appartenant aux époux [Y], cette dernière étant issue de la division de la parcelle AO n° [Cadastre 16] en [Cadastre 17], [Cadastre 18], [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5],

- des parcelles [Cadastre 19], [Cadastre 20] et [Cadastre 21] appartenant à la SCI Maël Beaubourg,

- des fonds des résidents du hameau de [Adresse 12] à l'Est.

L'acte de cession du 20 avril 2000 par M. [Z] (auteur de [I]) aux époux [Y] des immeubles 368 et 374 indiquait que les parcelles [Cadastre 22] de 1 a 16 ca et [Cadastre 23] de 1 a 85 ca devaient faire l'objet d'une cession à la Commune de [Localité 4] de même que la parcelle [Cadastre 6] de 30 ca. Le projet de cession était confirmé par la délibération du conseil municipal du 31 août 2000 tel que préparé par un document d'arpentage du 23 juin 1999. Cependant, le projet de cession, rappelé dans l'acte de vente du 15 novembre 2004 des parcelles [Cadastre 1] et 51 par M. [Z] aux époux [I], n'a pas abouti. Aussi la commune de [Localité 4] a entrepris une procédure d'intégration de cette portion du [Adresse 10] dans le domaine public communal en application de l'article L318-3 du code de la voirie routière. Par arrêté du 3 mars 2017, le préfet a procédé au classement de partie de la parcelle AO [Cadastre 8] dans le domaine public communal mais un recours contre cet arrêté est actuellement pendant devant les juridictions administratives. Le 3 décembre 2018, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours en annulation de l'arrêté préfectoral. Appel a été formé à l'encontre ce jugement.

Voulant s'opposer au passage sur le [Adresse 10] à hauteur de leur propriété cadastrée section AO n° [Cadastre 8], les époux [I] ont fait établir, par Mme [L], expert inscrit sur la liste des experts judiciaires, un rapport amiable tendant à proposer la réorganisation de la desserte des villages de [Adresse 10] et de [Adresse 12], puis a obtenu, par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Quimper datée du 12 décembre 2012, l'organisation d'une expertise judiciaire qui a été confiée à M. [O]. Celui-ci a déposé son rapport le 15 octobre 2013.

Les époux [I] et Mme [H], ayant par actes des 22 septembre, 1er octobre, 14 novembre 2014 et 6 mai 2015 fait assigner les consorts [A], les époux [U], la SCI Maël Beaubourg et Mme [W] devant le tribunal de grande instance de Quimper, celui-ci a par jugement du 6 décembre 2016 :

- dit recevables les demandes formées à l'encontre de Mme [W] régulièrement appelée en la cause ;

- dit n'y avoir lieu à annuler le rapport d'expertise judiciaire de M. [O] ;

- dit que le [Adresse 10] est une voie commune à tous les riverains en ce y compris la portion de la parcelle AO [Cadastre 8] propriété des époux [I] ;

- débouté les époux [I] et Mme [H] de leur demande de nouvelle expertise,

- homologué le rapport d'expertise de M. [O] en date du 15 octobre 2013 ;

- débouté les époux [I] et Mme [H] de l'ensemble de leurs demandes ;

- dit que le chemin dit de [Adresse 10] est une voie commune ;

- dit que les parcelles sises sur le territoire de la Commune de [Localité 4] au [Localité 14] cadastrées section AO [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12] appartenant aux époux [U] bénéficient d'une servitude de passage à exercer, à partir du chemin rural de [Adresse 10] dit [Adresse 10], qui part de la route départementale n°316 pour aboutir en bordure de l'anse de [Localité 16], sur la parcelle AO n° [Cadastre 8], propriété privée des époux [I] pour rejoindre le chemin d'exploitation Sud longeant leurs parcelles ;

- dit que les frais de publicité de la présente servitude de passage seront à la charge des époux [U] ;

- débouté les époux [U] de leur demande tendant à voir enlever sous astreinte les blocs de pierre entravant le passage ;

- dit que les époux [I] devront tenir la servitude de passage libre de toute entrave et qu'à défaut ils pourront être condamnés sous astreinte à libérer le passage ;

- débouté les consorts [A] et la SCI Maël Beaubourg de leur demande en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer aux époux [U] la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts  ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer aux consorts [A] et aux époux [U] chacun la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer à Mme [W] et à la SCI Maël Beaubourg chacun, la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] aux entiers dépens en ce compris les frais de référé et les frais d'expertise.

Les époux [I] et Mme [H] ont relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de :

- constater l'intervention volontaire des époux [Z] [P] suivant conclusions en intervention volontaire du 1er mars 2018 ;

- constater que les époux [I] entendent reprendre leurs demandes telles que formulées à l'encontre de Mme [W] à l'encontre des époux [P] nouvellement propriétaires ;

- réformer purement et simplement le jugement dont appel ;

- prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire déposé par M. [O] le 15 octobre 2013 ;

- avant-dire droit, ordonner une nouvelle expertise avec la même mission que celle confiée à M. [O] ;

- en tout état de cause, constater que les chemins Nord et Sud tels que visés au rapport de l'expert judiciaire sont des chemins d'exploitation ;

S'agissant du chemin situé au Sud

- condamner Mme [Y] [J] épouse de M. [A] et Mmes [B] [Q] née [V] et [H] [F] née [A], filles de M. [K] [A] décédé, à procéder à l'enlèvement de toute entrave située sur l'assiette de ce chemin situé sur la parcelle AO [Cadastre 24] et ce dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir ;

- dire que passé ce délai, elles seront condamnées au paiement d'une somme de 150 euros par jour de retard ;

- faire défense aux époux [U], dès rétablissement du passage, de passer sur la parcelle section AO [Cadastre 5] ;

- dire qu'à défaut ces derniers seront condamnés au paiement d'une astreinte de 1 000 euros par passage dûment constaté ;

- constater en conséquence que les époux [U] ne sauraient en aucun cas se prévaloir d'un quelconque état d'enclave ;

S'agissant du chemin d'exploitation situé au Nord entre les parcelles cadastrées section AO numéros [Cadastre 25] [Cadastre 19] et [Cadastre 20] propriété de la société Maël Beaubourg et M. et Mme [W] désormais propriété [P]

- constater qu'en première instance Mme [W] a été dûment appelée à la cause ;

- constater qu'aux termes d'un acte authentique en date du 12 septembre 2016, Mme [W] a procédé à la vente de son bien aux époux [Z] [P] ;

- s'agissant des demandes formulées à l'encontre de Mme [W], dire qu'il sera procédé à l'enlèvement du monticule de terre aux frais avancés de la partie la plus diligente, à charge pour elle de se retourner vers les autres parties en l'occurrence la SCI Maël Beaubourg, Mme [W] ou M. et Mme [Z] [P] afin d'en obtenir le remboursement par parts viriles sur présentation le cas échéant de la facture y ayant trait ;

- dire qu'en tant que de besoin le présent jugement vaut condamnation par part virile du montant des frais pris en charge par la partie la plus diligente

- s'agissant des demandes formulées à l'encontre des époux [P], condamner ces derniers à procéder à l'enlèvement de la clôture mise en 'uvre par leurs soins le 24 juillet 2018 dans le délai d'un mois à compter la décision à intervenir ;

- dire que passé ce délai, ces derniers seront condamnés au paiement d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ;

- le cas échéant, dire qu'il sera procédé aux frais avancés des époux [I] pour le compte des époux [P] à la dépose de cette clôture ;

- condamner les époux [P] au paiement des frais de dépose de la clôture exposés sur simple signification de la dite facture ;

- débouter purement et simplement l'ensemble des défendeurs de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;

- débouter les intimés de toutes leurs demandes de dommages et intérêts et des demandes sous astreinte de voir enlever les blocs de pierres en l'absence de toute entrave ;

- condamner M. [T] [U] et Mme [U] [M] épouse [U], Mme [Y] [J] épouse [A], Mmes [B] [Q] née [V] et [H] [F] née [A], filles de M. [K] [A] décédé, Mme [J] [W], M. et Mme [Z] [P] et la SCI Maël Beaubourg à leur payer à chacun d'eux une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens.

Les époux [U] demandent à la cour de :

- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par les époux [I] et Mme [H] ;

- les débouter de toutes leurs demandes,

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- condamner les époux [E] [I] à rétablir le passage sur la parcelle cadastrée AO nº [Cadastre 8] dont l'enlèvement des blocs de pierre disposés en travers du passage, le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- les condamner solidairement au paiement de la somme additionnelle de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour ce fait établi ;

- les condamner solidairement aux entiers dépens, en ceux compris les frais de constats et de bornage, et au paiement d'une somme supplémentaire en appel de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [W] leur ayant cédé son immeuble le 12 septembre 2016, les époux [P] sont intervenus à la procédure à ses côtés par conclusions du 28 février 2018. Les consorts [A], la SCI Maël-Beaubourg, Mme [W] et les époux [Z] [P] demandent à la cour de confirmer le jugement et y additant de :

- déclarer irrecevable la demande de nullité du rapport d'expertise judiciaire ;

- condamner les époux [I] et Mme [H] à verser à chacun des consorts [A] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

- les condamner à payer à chacun des consorts [A], à la SCI Maël Beaubourg et à Mme [W] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la procédure abusive ;

- les condamner à payer aux consorts [A] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner à payer à la SCI Maël Beaubourg la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner à payer à Mme [W] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les appelants le 4 janvier 2019, par les époux [U] le 13 décembre 2018 et par les consorts [A], la SCI Maël-Beaubourg, Mme [W] et les époux [P] le 21 janvier 2019.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur les conclusions de procédure

Les époux [U] ont déposé, le 22 janvier 2019, des conclusions de procédure demandant à la cour de rejeter des débats les conclusions notifiées et la pièce communiquée le lundi 21 janvier 2019 à 16 heures par les époux [I] et Mme [C] [H] alors que la clôture déjà reportée une première fois de leur fait devait intervenir le 22 janvier à 9 heures.

Ils font valoir qu'après avoir conclu le 4 janvier 2019 alors qu'ils avaient été avisés le 1er octobre 2018 que l'ordonnance de clôture serait rendue le 8 janvier à 9 heures, contraignant ainsi le conseiller de la mise en état à reporter la clôture au 22 janvier 2019, les appelants ont à nouveau déposé des conclusions le 21 janvier 2019 à 16 heures en communiquant une nouvelle pièce (la pièce 120).

Ils soutiennent que les nouvelles écritures des appelants ne constituent pas une simple réponse aux conclusions adverses mais invoquent un nouvel élément, à savoir la consultation qu'ils ont commandée pour les besoins de la cause à la SELARL Valadou Josselin & Associés que cette dernière a rendu officielle dans le seul but d'en faire état dans le cadre de la présente procédure.

Il ressort en effet de la procédure que les appelants ont communiqué le 4 janvier dix nouvelles pièces, puis la veille de l'ordonnance de l'ordonnance de clôture une nouvelle pièce n° 120 alors que la clôture de la procédure, déjà reportée une première fois en raison de leurs conclusions tardives, était imminente. Par ailleurs, contrairement aux engagements déontologiques contractés et aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, ils n'ont pas matérialisé les modifications figurant dans leurs conclusions de 49 pages datées du 22 janvier par rapport à celles du 4 janvier de sorte qu'ils ne permettaient pas à leurs adversaires d'en apprécier le contenu et la portée avant le prononcé de l'ordonnance de clôture.

Ces dernières écritures et cette nouvelle pièce, versées aux débats à quelques heures de la clôture, portent une atteinte grave à la loyauté des débats et au respect du contradictoire dès lors que les autres parties n'ont pas eu matériellement le temps d'en prendre connaissance et a fortiori de les critiquer avant la date de la clôture qui ne pouvait plus être reportée puisque l'audience était fixée au 5 février et que les parties avaient l'obligation procédurale de déposer leurs dossiers dès le jour de la clôture, celle-ci précédant l'audience de seulement deux semaines.

Les conclusions déposées par les époux [I] et Mme [H] le 21 janvier 2019 et la pièce n° 120 seront en conséquence écartées des débats.

Sur le rapport d'expertise

Les intimés n'exposent pas en quoi la demande de nullité du rapport d'expertise serait irrecevable de sorte qu'il y a lieu d'examiner cette demande.

Les appelants reprochent à l'expert judiciaire de n'avoir pas totalement rempli sa mission dans la mesure où il n'a pas obtenu, malgré sa demande, tous les titres des parties. Cependant ils n'indiquent pas quel titre, utile à la solution du litige, n'a pas été examiné au cours des opérations d'expertise. Dans le cas contraire, rien n'empêchait d'ailleurs la partie qui souhaitait s'en prévaloir d'en obtenir la communication auprès du service de la publicité foncière. Le moyen n'est en tout état de cause pas de nature à justifier l'annulation du rapport d'expertise, étant au demeurant relevé que dans le cadre de l'actuelle procédure de première instance et d'appel, le juge de la mise en état et le conseiller de la mise en état n'ont pas été saisis d'une quelconque demande de production de pièces.

Les appelants reprochent également à l'expert le non-respect du contradictoire. Ce moyen n'est pas davantage fondé, l'expert ayant, après avoir reçu deux dires des demandeurs à l'expertise les 6 juin et 19 juillet 2013, déposé un pré-rapport le 3 août 2013 et laissé aux parties un délai suffisant pour faire valoir leurs observations. Ce délai a été mis à profit par les appelants pour déposer un troisième dire le 19 septembre 2013. L'expert a pris en considération les pièces produites et répondu à l'ensemble des dires qui lui étaient adressés de sorte que la violation du contradictoire n'est pas établie. Celle-ci ne peut non plus résulter du grief fait à l'expert d'avoir déposé son rapport trop vite alors que des délais qui lui étaient impartis par le juge des référés expiraient le 31 juillet et qu'il n'a déposé son rapport que le 15 octobre 2013.

Il n'y a pas lieu dès lors à annulation du rapport d'expertise et à organisation d'une nouvelle expertise. Au demeurant en sus des constations effectuées par l'expert et des pièces analysées par lui et à nouveau soumises à la cour, les parties ont produit de nouvelles pièces de sorte que quelle que soit la pertinence des critiques de fond formées à l'encontre du rapport d'expertise, aucune mesure d'investigation complémentaire ne serait utile à la solution du litige.

Afin d'éviter toute discussion sur la portée du rapport d'expertise judiciaire et partant sur la décision judiciaire, il n'y a pas lieu de confirmer la décision des premiers juges consistant à homologuer le dit rapport, ce qui d'ailleurs n'ajoutait aucun élément utile à la décision critiquée.

Sur le contexte du litige

Le litige provient de la volonté des époux [I] et de la mère de Mme [I] d'interdire l'usage du [Adresse 10] sur la portion empruntant l'ancienne parcelle cadastrée [Cadastre 23], en déviant la desserte du village de [Adresse 12] vers la rue du Pont Du et celle des propriétés situées au Sud du village de [Adresse 10] vers la rue de [Adresse 14], via deux chemins d'exploitation l'un situé au Nord, l'autre au Sud.

Afin d'éviter toute ambiguïté terminologique, il convient de rappeler les règles juridiques applicables aux chemins ruraux et d'exploitation.

Aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime, les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. En cas de contestation de cette qualification, les voies ouvertes à la circulation ne peuvent être qualifiées par le juge judiciaire de chemin rural qu'en présence de la collectivité publique concernée. C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont refusé de se prononcer sur la nature du [Adresse 10] s'agissant de la partie comprise entre la propriété des appelants et son extrémité Est.

Des pièces produites, il ressort que la portion du [Adresse 10] comprise entre la [Adresse 11] et la parcelle anciennement cadastrée [Cadastre 23] a été intégrée au domaine communal en 1972 (pièce 21 des époux [U]), la contestation de cette décision par l'expert amiable des époux [I] étant sans incidence sur la solution du présent litige. La portion du [Adresse 10] empruntant la parcelle cadastrée anciennement [Cadastre 23] fait quant à elle l'objet d'une procédure d'intégration dans le domaine public communal mais cette procédure est toujours en cours.

Aux termes de l'article L.162-1 du code rural et de la pêche maritime, 'Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public.'

Les époux [I] et Mme [H] soutiennent que le [Adresse 10] a le statut de chemin d'exploitation sur la portion comprise entre la limite Est de leur propriété anciennement cadastrée [Cadastre 23] et son débouché sur l'anse de [Adresse 13] tandis que la commune de [Localité 4] estime qu'il s'agit d'une voie communale relevant du domaine public de la commune. Aussi statuant sur l'action en bornage de cette portion du chemin, le tribunal d'instance de Quimper a, le 15 octobre 2018, sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive des juridictions administratives statuant sur l'appartenance au domaine public de cette voie au droit des propriétés dont le bornage était sollicité.

En toute hypothèse, la qualification en chemin d'exploitation, en chemin rural ou en voie communale du dit chemin n'a pas de conséquence sur la solution du présent litige, sauf à faire remarquer que le droit d'usage d'un chemin d'exploitation n'est pas lié à la propriété du sol. En l'espèce, il n'y aurait donc, si cette qualification était retenue, aucune raison de considérer que le dit chemin d'exploitation s'arrête à la limite Est de la parcelle [Cadastre 5] alors que matériellement il se poursuit jusqu'au chemin dépendant du domaine communal situé à l'Ouest de cette parcelle et que son utilité principale réside dans l'accès à la voie publique qu'il ouvre aux fonds riverains.

En toute hypothèse, la cour n'étant pas saisie d'un litige portant sur la qualification du [Adresse 10], il n'y a pas lieu de maintenir la disposition du jugement constatant que ce chemin est 'une voie commune' puisqu'il ne peut en être tiré de conséquences juridiques.

Sur la revendication d'un chemin d'exploitation Nord

Les appelants soutiennent qu'il existait un chemin d'exploitation prenant naissance entre les parcelles [Cadastre 21] et [Cadastre 20], se poursuivant sur la parcelle [Cadastre 19], puis traversant la parcelle [Cadastre 25] cédée par Mme [W] aux époux [P] jusqu'à son débouché sur la rue [Adresse 15]. Ils revendiquent la réouverture de ce chemin.

Mais force est de constater, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, que les époux [I] et Mme [H] ne sont pas riverains du chemin allégué. Celui-ci n'aboutirait pas non plus à la parcelle [Cadastre 26] appartenant aux époux [I] mais seulement au chemin qu'ils qualifient eux-mêmes de chemin d'exploitation de [Adresse 10]. Or le régime de l'indivision n'est pas applicable aux chemins d'exploitation. A défaut de titre, chaque riverain s'en partage la propriété 'en droit soi', c'est-à-dire que chaque riverain est propriétaire du chemin selon une droite perpendiculaire à la limite de sa propriété jusqu'au point où elle rencontre les droits similaires du voisin lui faisant face, soit au milieu de sa largeur. Il s'ensuit que les époux [I] ne sont pas propriétaires de la portion du chemin d'exploitation sur laquelle déboucherait le dit chemin du Nord, cette propriété appartenant exclusivement à la SCI Maël Beaubourg.

En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu'ils n'avaient pas intérêt et qualité à revendiquer l'ouverture de ce chemin d'exploitation qui n'est pas partie intégrante du [Adresse 10].

A titre superfétatoire, pour être complet, il sera constaté que le but qu'ils poursuivaient ainsi était voué à l'échec puisque les propriétés bâties et non bâties du village de [Adresse 12], non riveraines de ce prétendu chemin d'exploitation, n'auraient eu aucun droit de l'emprunter. Enfin à les suivre dans leur argumentation, il apparaît que le chemin revendiqué, n'aurait été riverain que des propriétés de la SCI Maël-Beaubourg et de Mme [W] (actuellement [P]) de sorte que sa suppression, du consentement de tous les propriétaires ayant le droit de s'en servir, était possible en application de l'article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime. Il était dès lors inutile de rechercher si un tel chemin avait pu exister par le passé puisque sa suppression ne pouvait, en tout état de cause, être contestée par les tiers et donc par les appelants.

Sur le chemin d'exploitation Sud

L'expert judiciaire conclut s'agissant de ce chemin que 'Sauf à faire valoir un changement d'usage lié à l'évolution de l'état des lieux depuis le jugement de 1920, le débouché Sud était réservé aux piétons à l'angle Sud-ouest du n° [Cadastre 24]. Ce passage a été totalement supprimé sur la propriété [V] n° [Cadastre 24]. Au droit des parcelles [Cadastre 27]-[Cadastre 28]-[Cadastre 13]-[Cadastre 29] qu'il dessert, le chemin Sud a les caractéristiques d'un chemin d'exploitation. Les parcelles contiguës à l'ouest n'y ont pas accès en raison de la présence d'un talus important, elles sont desservies par l'ouest. Le chemin Sud débouche au Nord sur les parcelles n° [Cadastre 3]-[Cadastre 6] des époux [I].'

Plus précisément, il se déduit du plan (annexe 3) et des photographies jointes au rapport d'expertise qu'il existe un chemin d'exploitation débouchant au Nord sur l'ancienne parcelle [Cadastre 23] des époux [I] empruntée par le [Adresse 10], lequel longe, sur l'ancienne parcelle [Cadastre 30], le pignon de l'immeuble bâti édifié sur la parcelle [Cadastre 31] (photographie 1 annexe 4) et se poursuit ensuite jusqu'au niveau de la limite Sud de la parcelle [Cadastre 32] (fonds Jackson).

Il ressort du rapport d'expertise que ce chemin n'est pas bitumé, que sa largeur s'élève à 2,35 mètres à son extrémité Nord, laquelle est ensuite réduite à 2,25 mètres, cette largeur n'ayant pu être plus importante par le passé puisque le dit chemin est bordé de mur ou de talus à parement de pierres. Selon les conclusions des appelants, il serait encore plus étroit au Nord des propriétés [G], [H] et [T] où il ne ferait plus que 1,30 m (page 34 des écritures). Il ne pouvait donc avoir qu'une vocation agricole et n'a jamais été adapté à la circulation des véhicules automobiles. Ceci explique d'ailleurs que M. [A] ait dans sa jeunesse fait construire un garage en bois en bordure du Chemin de Beg ar Lann, aucune desserte automobile n'étant possible par ce chemin Sud. Pourtant les photographies aériennes démontrent que son emprise au Nord a une largeur plus importante que le passage apparaissant en 1951 dans son prolongement Sud vers le chemin de Beg ar Lann, lui-même plus étroit que l'actuelle route de [Adresse 14] élargie dans les années 1960.

La demande formée par les époux [I] et Mme [H] qui porte sur la reconnaissance d'un chemin d'exploitation reliant leur héritage au Nord à la rue de [Adresse 14] au Sud n'est pas irrecevable puisque le chemin revendiqué longerait et aboutirait à la propriété des premiers et serait riverain de la parcelle [Cadastre 13] dépendant de l'indivision [H]-[C].

Cependant si l'ensemble des éléments du dossier confirme qu'un tel chemin a existé et existe toujours jusqu'à la limite Nord de la parcelle [Cadastre 24], ce qui correspond à l'état des lieux actuel, aux témoignages produits, aux indications cadastrales et aux photographies aériennes, il est établi que le dit chemin d'exploitation (beaucoup plus étroit que celui [Adresse 10]e) ne se poursuivait pas jusqu'au chemin de Beg ar Lann, devenue rue de [Adresse 14].

Il a certes existé un cheminement piéton reliant le dit chemin d'exploitation (qui sera ci-après dénommé chemin d'exploitation Sud) au chemin de Beg ar Lann. Ce passage ne présentait cependant pas les caractéristiques d'un sentier d'exploitation dès lors qu'il n'avait pas pour objet et ne permettait pas la communication entre les fonds riverains et/ou leur exploitation mais servait seulement d'accès piéton au chemin de Beg ar Lann, desservant alors des landes non exploitées en bordure de l'anse de [Adresse 13].

La configuration des lieux a été objectivement et précisément constatée et décrite dans la décision rendue par le juge de paix du canton de [Localité 3] le 30 septembre 1920, après transport sur les lieux, enquête et contre-enquête, à la suite du conflit qui s'était élevé entre les auteurs des époux [A] (les époux [R]) et leurs voisins propriétaires de la parcelle [Cadastre 33] (actuelle parcelle AO [Cadastre 34] contiguë à l'Ouest). Ces derniers revendiquaient un droit de passage sur la parcelle dépendant aujourd'hui du fonds [A], alors cadastrée [Cadastre 35], pour accéder à leur parcelle contiguë cadastrée [Cadastre 36]. Selon cette décision confirmée par un jugement du tribunal civil de première instance, la parcelle [Cadastre 37] était entièrement close au Sud par un fossé se terminant en sa partie ouest par un muretin en pierres et une petite barrière fixe enfoncée en terre, laquelle interceptait tout passage avec charrette ou même brouette et ce, 'depuis un temps immémorial'. La prétention des appelants de la décision du juge de paix, à voir reconnaître l'existence d'un chemin d'exploitation prolongeant le chemin d'exploitation Sud était écartée par le tribunal civil qui confirmait la décision du juge de paix. Il en ressort sans contestation possible qu'aucun chemin d'exploitation n'empiétait sur, ni ne longeait la propriété [A] avant 1921.

Les attestations produites par les intimés et notamment celles de M. [S] [G], né en [Date naissance 10], dont les parents possédaient l'actuel fonds Sartore desservi par le chemin d'exploitation Sud, de Mme [F] [G], née en [Date naissance 11], dont le jardin parental (parcelle [Cadastre 38]) joignait à l'Ouest le dit chemin d'exploitation, de Mme Guennou, née en [Date naissance 11], ou de Mme [E], née en [Date naissance 11], confirment qu'il n'existait pas de chemin d'exploitation débouchant sur le chemin de Beg ar Lann et que seul un passage à pied était possible pour accéder du chemin d'exploitation Sud au chemin de Beg ar Lann, ce sentier piétonnier étant fermé par un obstacle (pierre, barrière ou talus) qu'il fallait enjamber. Des explications concordantes des témoins, ayant habité le lieudit et participé à l'exploitation des terres familiales voisines, il ressort que la disposition décrite en 1920 par le juge de paix était toujours la même jusqu'en 1965 (cf. attestation de [F] [G] en pièce 72). M. [X], fréquentant le lieudit dès avant guerre et ayant fait construire, en 1964, une maison en face de celle des époux [A], atteste également de cette situation de fait.

De l'attestation de M. [K] [G], né en [Date naissance 12], dont les parents étaient propriétaires de la parcelle [Cadastre 39], il ressort qu'il a personnellement emprunté à pied ce passage. En revanche, il ne dit pas avoir constaté l'existence d'une voie charretière dont lui aurait seulement parlé son père, ce ouï-dire n'étant pas corroboré par les éléments objectifs produits. De même, de l'attestation de M. [N] (né en [Date naissance 12]), il est seulement possible de déduire qu'il a emprunté le sentier à pied, ce qui ne contredit pas les attestations adverses.

La photographie aérienne de 1952 corrobore les témoignages dès lors qu'elle révèle que le chemin litigieux était plus étroit au Sud alors qu'il ne dépassait déjà pas, à son extrémité Nord, 2,35 mètres (et était même limité à 1,3 mètre plus bas selon les appelants). Ceci confirme que le passage situé au Sud du chemin d'exploitation n'avait pas vocation de sentier d'exploitation même à usage purement agricole. Il débouchait en outre sur un chemin dépourvu d'utilité pour l'exploitation de la ferme et des terres du village. Le passage en cause ne pouvait donc être utile à l'exploitation des terres riveraines du chemin d'exploitation qu'il prolongeait, ni a fortiori constituer l'accès au village de [Adresse 10], lequel était directement relié à la route départementale par le [Adresse 10], beaucoup plus large et plus court.

Les consorts [A] établissent par la production de la facture correspondante ainsi que d'un constat d'huissier et de photographies prouvant que sa construction n'a pas été effectuée en plusieurs étapes, que le mur de leur propriété établi en limite de la rue de [Adresse 14] a été édifié en 1967. Dès cette date, plus aucun passage, même piéton, n'était possible via leur propriété, un poteau électrique étant d'ailleurs implanté à l'endroit où il débouchait auparavant.

Ils démontrent également que Me [S], huissier de justice, leur a transmis le 4 avril 1967 le procès-verbal de bornage amiable de leur propriété établi le 1er avril 1967 qui portait sur la limite Ouest de leur propriété contiguë de celle de M. [P] [P] (parcelle [Cadastre 40]). Cette pièce particulièrement révélatrice confirme pleinement les conclusions de l'expert judiciaire qui n'en avait pourtant pas connaissance. Elle démontre qu'en 1967, il n'existait entre ces deux fonds aucun chemin, fût-il piétonnier, mais seulement un talus dépendant de la propriété de M. [P]. Conformément aux usages (droit de douve), la limite de la propriété [P] a été fixée à une distance de 82 cm à l'est de la base de ce talus, la ligne séparative aboutissant au pilier Sud-Ouest du mur de clôture du jardin [A] qui existait donc déjà contrairement à ce qu'a soutenu Mme [L] pour les besoins de son raisonnement. La limite ainsi fixée a été immédiatement matérialisée par une clôture grillagée bâtie à frais commun, Me [S] ayant constaté dans son procès-verbal du 1er avril 1967, signé par MM [A] et [P], que des poteaux ciment avaient été placés par les parties et que contre ces poteaux ciment avait été fixé un grillage métallique fourni par M. [P] (pièce 75).

Il se déduit avec certitude de ces éléments que le cheminement piéton décrit par les témoins, apparaissant encore sur certaines photographies postérieures (pièces 84 des appelants) correspond à l'emprise de cette douve dépendant de la parcelle [Cadastre 41] et non du fonds [A]. Ces éléments éclairent l'attestation de M. [K] [G], lequel indique qu'il 'jouait avec les familles [P] propriétaire de la parcelle [Cadastre 34]', en ce que le passage qu'il évoque est à l'évidence celui ménagé sur son propre fonds et pour les besoins de celui-ci par M. [P] [P] et non un prétendu chemin d'exploitation obérant le fonds [A].

Ces éléments objectifs mettent en évidence le caractère grossièrement mensonger de l'attestation rédigée par M. [EE], petit-fils de M. [P] [P], né en [Date naissance 13], lequel prétend avoir constaté jusqu'en 1988 l'existence d'un chemin d'exploitation d'une largeur de 3 mètres sur la propriété [A]. En effet, après la construction du mur de clôture Sud en 1967 et l'édification contemporaine de la clôture séparant les fonds [V] et [P], le seul cheminement possible entre la rue de [Adresse 14] et le chemin d'exploitation Sud empruntait la propriété [P] et ne pouvait avoir une largeur de plus de 80 cm tant que le talus existant en 1967 n'avait pas été arasé, circonstance que le rédacteur de l'attestation omet de préciser. En toute hypothèse, ce témoin ne peut de bonne foi soutenir qu'il existait, entre 1967 et 1988, un passage de 3 mètres de large sur le fonds [A] alors qu'il est objectivement démontré que ce fonds était entièrement clôturé à l'Ouest et au Sud et que le rédacteur de l'attestation ne pouvait au mieux que le longer en empruntant la propriété de sa famille.

Mme [H] qui habitait sur place ne peut avoir ignoré le caractère mensonger de cette attestation qu'elle n'a pourtant pas craint d'invoquer en justice, donnant du crédit aux griefs adverses selon lesquels les appelants ne reculent devant aucune déloyauté pour tenter de faire triompher leur cause.

L'expert judiciaire a avec pertinence caractérisé en quoi la parcelle [Cadastre 13] dépendant de l'indivision [H]-[C] n'est pas enclavée, ayant toujours bénéficié - comme les autres fonds le bordant à l'Est - du chemin d'exploitation débouchant au Nord sur les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5] (réunies en AO [Cadastre 8]) lesquelles sont elles-mêmes riveraines de la voie publique. En tout état de cause, elle ne pourrait se prévaloir, au détriment des consorts [A], d'un potentiel état d'enclave dès lors qu'il résulterait d'une décision délibérée de sa part, ayant de manière inexplicable sinon par une volonté de fraude, choisi de se défaire des parcelles réunies en AO [Cadastre 8] sans se faire reconnaître concomitamment le bénéfice d'une servitude sur les dits fonds alors que l'assiette de celle-ci existait déjà pour avoir été initialement consentie sur les mêmes fonds au profit des parcelles [Cadastre 1] et [Cadastre 2], seules acquises à l'origine par sa fille et son gendre.

Le jugement ne peut donc qu'être confirmé en ce qu'il a rejeté la prétention des appelants à voir créer sur la parcelle [Cadastre 24] un passage prolongeant le chemin d'exploitation Sud s'achevant en impasse au Nord de leur propriété, les consorts [A] ayant démontré qu'un tel chemin n'a jamais existé.

Sur la demande des époux [U]

La propriété bâtie des époux [U], d'origine ancienne puisqu'apparaissant déjà dans un titre de 1903, est desservie par la partie Nord du chemin d'exploitation Sud lequel débouche sur le [Adresse 10] au niveau de l'ancienne parcelle [Cadastre 23]. Les pièces produites et la situation de fait qui n'est pas contredite par son exposition au Sud-Ouest, argument inopérant, démontrent que cet immeuble a toujours été desservi par le [Adresse 10], le chemin d'exploitation Sud beaucoup trop étroit, non carrossable et se terminant en impasse, n'ayant jamais servi à sa desserte, ce que confirme l'édification d'un garage par M. [A] en bordure du Chemin de Beg ar Lann. Les époux [U], n'étant pas riverains du [Adresse 10] ne pourraient en revendiquer l'usage si son classement dans le domaine public communal n'était pas confirmé. N'ayant pas d'autre accès possible à la voie publique, leur propriété est donc potentiellement enclavée.

La motivation des premiers juges sera confirmée en ce qu'elle a retenu que l'origine commune des biens [U] et [V] est en l'espèce sans incidence sur les modalités de la desserte du fonds [U] dès lors que l'enclave pré-existait aux actes de division et que l'assiette de la servitude pour cause d'enclave a été prescrite par un usage établi depuis plus de 30 ans.

Dans la mesure où il existe une incertitude quant au classement définitif du [Adresse 10] dans sa totalité dans la voirie communale, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence d'une servitude de passage pour cause d'enclave au profit du fonds détenu par les époux [U] sauf à rédiger différemment la disposition correspondante puisque la qualification de chemin rural de l'ensemble du [Adresse 10] ne peut être affirmée.

Devant les premiers juges, les appelants ont contesté avoir mis en place des blocs de pierre en bordure de leurs parcelles AO [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5]. Pourtant lors d'une enquête de gendarmerie effectuée en 2006, Mme [H] exposait être à l'origine de l'enrochement réalisé en bordure de la parcelle [Cadastre 5] (pièce 33). Le constat d'huissier établi le 4 septembre 2012 révèle que ces blocs de pierre ont été ensuite déplacés (selon un témoin, par M. [I]) d'une distance variant de 70 cm à un mètre sur l'assiette du passage de manière à empêcher le passage ou au moins à le rendre difficile. Devant le tribunal administratif, les époux [I] ont revendiqué le placement de ces blocs de pierre dans le but de manifester leur opposition à l'usage de la voie. Il convient d'en tirer les conséquences et de les condamner à retirer ceux se trouvant sur l'assiette du passage bénéficiant aux époux [U] dès lors qu'ils ont expressément pour seul but d'entraver ce passage dont l'assiette a été acquise par prescription et qu'ils présentent un danger pour les bénéficiaires de la servitude.

La décision des premiers juges accordant aux époux [U] une indemnisation de 5 000 euros sera confirmée pour les motifs qu'ils ont retenus, les pièces nouvelles produites devant la cour et notamment le constat de Me [S], huissier de justice, en date du 4 avril 1967 confirmant si besoin était que les époux [I], liés à Mme [H], ne pouvaient se méprendre sur l'étendue de leurs droits et que c'est de manière abusive qu'ils ont tenté d'interdire aux époux [U] la desserte de leur propriété par l'unique accès dont elle disposait depuis au minimum 50 ans.

Par ailleurs, les époux [I] n'ont pas craint de soutenir devant les premiers juges qu'ils n'étaient pas responsables du placement des pierres sur le passage pour ensuite adopter une position strictement inverse devant le tribunal administratif, témoignant ainsi de leur mauvaise foi. Ces affirmations mensongères leur ont permis d' entraver le passage et de mettre en péril la sécurité des époux [U] pendant plus de six ans. Ceci justifie l'octroi des dommages-intérêts supplémentaires réclamés.

Sur les autres demandes de dommages-intérêts

Les consorts [A] ont été, de 2012 à ce jour, gravement troublés dans la jouissance paisible de la propriété de leur bien qui constituait la résidence principale des époux [A] depuis 1966. Ils ont dû combattre les allégations diffamatoires de Mme [H] s'agissant notamment de la complicité dont ils auraient prétendument bénéficié de la part de l'ancien maire de [Localité 4] (qui n'était pourtant pas maire au moment de la construction de leur habitation) et de la municipalité dans son ensemble ainsi que l'attestation mensongère de M. [EE] versée aux débats par les appelants en pleine connaissance de son caractère fallacieux. Ils ont dû solliciter de nombreuses attestations pour démontrer la réalité historique de la configuration des lieux, sciemment déformée par les appelants qui, originaire des lieux et/ou y ayant toujours vécu, la connaissait pourtant parfaitement. Ils n'ont finalement pu prouver leur bonne foi, constamment remise en cause, que grâce à des pièces souvent anciennes (factures, procès-verbal d'huissier, demandes de permis de construire, photographies...) qu'ils avaient pris la précaution de conserver. Il est établi que ces prétentions abusives ont gravement perturbé M. [A], personne âgée attachée à son bien d'origine familiale, et a assombri les dernières années de sa vie.

En conséquence, les consorts [A] justifient avoir subi un préjudice moral grave et prolongé provoqué par les prétentions sciemment non fondées des époux [I] et de Mme [H], par les moyens déloyaux mis en oeuvre par eux et par leur obstination à tenter d'obtenir en justice leur expropriation déguisée malgré les résultats du rapport d'expertise reposant sur des pièces objectives incontestables. Ceci justifie l'octroi d'une indemnité de 5 000 euros en réparation de leur préjudice toutes causes confondues.

L'action intentée à l'encontre de Mme [W] et de la SCI Maël-Beaubourg n'a en revanche pas excédé les limites acceptables d'une action en justice même non fondée.

Les indemnités fondées sur l'article 700 du code de procédure civile doivent comprendre les frais et notamment les constats d'huissier auxquels les intimés ont dû avoir recours, frais qui ne doivent pas être inclus dans les dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Donne acte aux époux [Z] [P] et [D] [K] de leur intervention volontaire ;

Ecarte des débats les conclusions n° 5 notifiées et déposées par les appelants le 21 janvier 2019 et leur pièce n° 120 ;

Rejette la demande tendant à faire déclarer l'appel irrecevable formé par les époux [U] laquelle ne repose sur aucun moyen ;

Confirme le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Quimper en ce qu'il a :

- dit recevables les demandes formées à l'encontre de Mme [W] régulièrement appelée en la cause ;

- dit n'y avoir lieu à annuler le rapport d'expertise judiciaire de M. [O] ;

- débouté les époux [I] et Mme [H] de leur demande de nouvelle expertise ;

- débouté les époux [I] et Mme [H] de l'ensemble de leurs demandes ;

- reconnu l'existence d'une servitude de passage pour cause d'enclave au profit des parcelles cadastrées section AO n° [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12] appartenant aux époux [U] s'exerçant sur le fonds section AO n° [Cadastre 8] appartenant aux époux [I] ;

- dit que les frais de publicité de la servitude de passage seront à la charge des époux [U] ;

- dit que les époux [I] devront tenir la servitude de passage libre de toute entrave et qu'à défaut ils pourront être condamnés sous astreinte à libérer le passage ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer aux époux [U] la somme de 5000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer aux consorts [A] et aux époux [U], chacun, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] à payer à Mme [W] et à la SCI Maël Beaubourg, chacun, la somme de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement les époux [I] et Mme [H] aux entiers dépens en ce compris les frais de référé et les frais d'expertise ;

Le réformant pour le surplus et statuant à nouveau,

Dit que les parcelles sises sur le territoire de la Commune de [Localité 4] au [Localité 14], cadastrées section AO n° [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12], appartenant aux époux [U], bénéficient d'une servitude de passage pour cause d'enclave grevant la parcelle cadastrée section AO n° [Cadastre 8] appartenant aux époux [I], qui s'exerce sur la portion du [Adresse 10] située sur la parcelle section AO n° [Cadastre 8] comprise entre, d'une part, le débouché du chemin d'exploitation desservant les parcelles AO [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12] au Sud et, d'autre part, la partie du [Adresse 10] dépendant du domaine communal à l'Ouest en direction de la [Adresse 11] ;

Condamne M. [E] [I] et Mme [R] [H] épouse [I] à enlever les blocs de pierre qu'ils ont disposés sur et le long de l'assiette de ce passage dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Dit que passé ce délai, ils seront passibles d'une astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard courant pendant un délai de trois mois, passé lequel à défaut d'exécution, les époux [U] pourront saisir le juge de l'exécution d'une demande de liquidation de cette astreinte et de fixation d'une nouvelle astreinte ;

Condamne solidairement M. [E] [I] et Mme [R] [H] épouse [I] à payer à M. [T] [U] et Mme [U] [M] épouse [U] une somme supplémentaire de 5000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne solidairement M. [E] [I] et Mme [R] [H] épouse [I] à payer M. [T] [U] et Mme [U] [M] épouse [U] une somme supplémentaire de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne solidairement M. [E] [I] et Mme [R] [H] épouse [I] et Mme [C] [C] épouse [H] à payer aux consorts [A] une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne solidairement M. [E] [I] et Mme [R] [H] épouse [I] et Mme [C] [C] épouse [H] à payer :

- à la SCI Maël-Beaubourg, une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- à Mme [Y] [J] épouse [A], Mmes [B] [Q] née [V] et [H] [F] née [A] une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- à Mme [W], une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

Condamne solidairement M. [E] [I] et Mme [R] [R] [H] épouse [I] et Mme [C] [C] épouse [H] aux dépens d'appel tels que définis par les dispositions du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 17/00126
Date de la décision : 26/03/2019

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°17/00126 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-26;17.00126 ?
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