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30/10/2018 | FRANCE | N°16/09655

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 30 octobre 2018, 16/09655


1ère Chambre





ARRÊT N°418/2018



N° RG 16/09655 - N° Portalis DBVL-V-B7A-NSC7













DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES



C/



M. [B] [Q]



















Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée















Copie exécutoire délivrée



le :



à :







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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2018





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur :...

1ère Chambre

ARRÊT N°418/2018

N° RG 16/09655 - N° Portalis DBVL-V-B7A-NSC7

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES PUBLIQUES

C/

M. [B] [Q]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 30 OCTOBRE 2018

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Françoise COCCHIELLO, Présidente de Chambre,

Assesseur : Madame Brigitte ANDRÉ, Conseillère, entendue en son rapport

Assesseur : Madame Christine GROS, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 18 Septembre 2018

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 30 Octobre 2018 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Le Directeur en charge de la Direction de contrôle fiscal Ouest

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [B] [Q]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 3]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représenté par Me Yann DRÉVÈS, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [B] [Q], né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 3] (22), a développé la quincaillerie fondée en 1933 par M. [S] [Q] à [Localité 3] pour en faire le groupe BL Quincaillerie, spécialisé dans le négoce de quincaillerie et de fournitures industrielles. A la tête de ce groupe jusqu'en 2007, il en a ensuite confié la direction à ses enfants et a pris sa retraite. Pour l'établissement de l'impôt de solidarité sur la fortune, il s'est prévalu, en 2008, 2009 et 2010, d'une résidence fiscale en Tunisie tout en déclarant la valeur des titres qu'il a conservés, pour l'essentiel en usufruit, dans la société holding BL Investissement.

Les services fiscaux ont réévalué la valeur des titres BL Investissement assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune et celle du passif venant en déduction pour les années 2008, 2009 et 2010.

Par ailleurs, ils ont entrepris l'examen de la situation fiscale personnelle de M. [Q] au cours des années 2008, 2009 et 2010, concluant qu'il devait être considéré comme résident fiscal de l'Etat français en application de l'article 4 B du code général des impôts (CGI) et de l'artic1e 3 de la convention fiscale franco-tunisienne. En conséquence, ils ont inclus dans l'assiette de l'ISF des années 2009 et 2010 les sommes déposées sur ses comptes bancaires.

Après prise en compte des observations présentées par l'intéressé, l'administration fiscale a opéré :

au titre de l'année 2008, un redressement portant sur la sous-évaluation de ses parts de la société holding BL Investissement, d'un montant de 7 574 euros en droits et de 1 272 euros en intérêts ;

au titre des années 2009 et 2010, un redressement portant sur la sous-évaluation de ses parts de la société BL Investissement et sur l'omission des liquidités déposées sur ses comptes pour respectivement 916 135 euros et 1 091 106 euros, d'un montant de respectivement 20 981 euros et 23.913 euros en droits ainsi que de 3 356 euros et de 2 677 euros en intérêts.

Dans une réclamation reçue le 18 février 2015, M. [Q] a contesté avoir une domiciliation fiscale en France, contestation qui a été rejetée par décision du 2 avril 2015 notifiée le 7 avril 2015. Par acte du 21 décembre 2016, il a assigné le directeur de la Direction de contrôle fiscal Ouest afin d'obtenir l'annulation de la décision de rejet et la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur la fortune pour un montant de 68 731 euros, demande qui a été accueillie par un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Brieuc en date du 6 décembre 2016, l'administration fiscale étant en outre condamnée à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Direction générale des Finances publiques a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de l'infirmer et de :

- confirmer la décision de rejet prise le 2 avril 2015 ;

- mettre à la charge de M. [Q] les cotisations supplémentaires d'impôt de solidarité sur la fortune et les majorations y afférentes à l'exception des majorations pour manquement délibéré auxquelles elle renonce.

M. [Q] demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et sollicite une somme supplémentaire de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par l'appelant le 10 avril 2018 et par l'intimé le 6 juin 2018.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Aux termes de l'article 885 A du code général des impôts, 'Sont soumises à l'impôt annuel de solidarité sur la fortune, lorsque la valeur de leurs biens est supérieure à la limite de la première tranche du tarif fixé à l'article 885 U :

1° Les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France ou hors de France. (...)

2° Les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France, à raison de leurs biens situés en France. (...)

Les conditions d'assujettissement sont appréciées au 1er janvier de chaque année.'

Sur le redressement relatif à la réévaluation des titres de la société BL Investissement

La proposition de rectification afférente à l'année 2008 porte uniquement sur le redressement de la valeur déclarée par M. [Q] au titre des actions de la SAS BL Investissement, devenue le 26 mars 2012 BL Quincaillerie, société holding du groupe BL, au capital de 2 416 000 euros, domiciliée à [Localité 3].

Dans sa déclaration au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune souscrite pour l'année 2008, M. [Q] a déclaré les 2.530 titres de la société BL Investissement qu'il détient en propriété ou en usufruit pour une valeur de 6 564 673 euros en y appliquant un abattement de 75 %. Ceci révèle qu'il était parfaitement informé de la réglementation applicable à ces biens mobiliers.

En 2009 et 2010, il a déclaré ces titres pour une valeur de respectivement 6 564 180 euros et 5 962 197 euros, toujours en appliquant un abattement de 75 %. Des rectifications ont aussi été opérées par l'administration fiscale pour ces deux exercices de sorte que le redressement y afférent a également en partie pour assiette, la réévaluation des dits titres.

M. [Q] n'a jamais remis en cause la pertinence de ses déclarations, ni le paiement de l'impôt qu'il a effectué sur la base de celles-ci. Dans ses différentes réclamations à l'administration avant l'actuelle procédure, il n'a jamais contesté le caractère imposable des actions BL Investissement. Lors de la procédure de rectification de la valeur de ces titres mise en oeuvre par l'administration fiscale, il a discuté les modalités de calcul des redressements et le montant du passif admis en déduction, mais n'a jamais remis en cause le principe de l'imposition. Ses observations ayant été partiellement prises en compte, il n'a pas, dans le cadre de la procédure judiciaire, critiqué les modalités de calcul concrètes retenues par l'administration pour opérer le redressement et a fortiori n'a pas tenté d'en démontrer l'inexactitude. Tout au plus dans ses observations complémentaires adressées le 30 novembre 2012 (sa pièce 38), il se borne sur ce sujet à indiquer : 'Ainsi, nous rejetons l'évaluation faite des titres de la société SAS BL INVESTISSEMENTS, qui ne tient pas compte des réalités économiques et financières de la société', sans développer plus avant sa position.

Profitant du fait que les premiers juges n'ont opéré, sans l'expliquer, aucune distinction entre les deux motifs de redressement, ne s'attachant qu'à la question de sa résidence fiscale qui ne conditionnait pourtant pas le bien-fondé du redressement opéré sur les titres de participation, M. [Q] soutient dorénavant que ceux-ci ont la nature de simples placements financiers au sens de l'article 885 L du code général des impôts et ne seraient dès lors pas imposables dans la mesure où il conteste être résident fiscal de l'Etat français. Pourtant paradoxalement, il ne remet pas en cause ses propres déclarations, ni le paiement de l'impôt qui en est résulté.

A l'appui de sa contestation, il fait uniquement valoir qu'il n'existe aucune définition légale des titres de participation et que, selon la jurisprudence judiciaire, les actions d'une société n'entrent dans l'assiette de calcul de l'impôt de solidarité sur la fortune des non-résidents que s'il est démontré que les associés exercent, pendant la période en cause, une influence sur la gestion et le fonctionnement de la société, la détention durable des titres (qu'il ne conteste pas) n'étant pas une condition suffisante pour démontrer cette influence. Il se prévaut uniquement, sans aucune argumentation circonstanciée, de la prétendue défaillance de l'appelante dans l'administration de cette preuve.

Doivent en effet être considérés comme des titres de participation, ceux qui permettent d'exercer une certaine influence dans la société émettrice. A cet égard sont présumés titres de participation, les titres représentant au moins 10 % du capital d'une entreprise, dès lors qu'ils ont été soit souscrits à l'émission, soit conservés pendant deux ans au moins.

Or l'administration fiscale expose, sans être démentie, que M. [Q], fondateur de la société BL Investissement, holding du groupe qu'il a seul développé, détient depuis l'origine 83,77 % de ses titres et qu'après en avoir cédé la présidence à ses enfants en 2007, il est resté membre du directoire. Ces éléments démontrent qu'il a conservé une influence prépondérante dans la société BL Investissement puisqu'en sa qualité d'associé ultra majoritaire, il exerce un contrôle total de cette société et qu'il y a de surcroît conservé un pouvoir de direction. Ses titres de participation ne peuvent donc être assimilés, ainsi qu'il l'a d'ailleurs reconnu en les incluant en pleine connaissance de cause dans les déclarations effectuées au titre de l' ISF, à de simples placements financiers.

Le jugement sera en conséquence réformé de ce chef.

Sur le redressement effectué en 2009 et en 2010 sur les placements financiers

Les déclarations de revenus communiquées par M. [Q] pour 2008 et 2009 confirment la proposition de rectification du 2 octobre 2012 selon laquelle il a déclaré, au 1er janvier 2009 et 2010, une adresse sise [Adresse 5] tout en indiquant être résident tunisien pendant plus de 183 jours par an. Ses actuelles dénégations quant à sa résidence dans la maison de [Localité 5], qui ne sont soutenues par aucune pièce probante, sont au contraire contredites par l'ensemble des éléments recueillis par l'administration et par ses propres déclarations fiscales. A cet égard, le fait qu'il ait obtenu le 30 janvier 2015 un certificat de résident de l'Etat Tunisien depuis le 1er octobre 2007 ne démontre pas qu'il ait résidé en permanence, ni même majoritairement, dans ce pays pendant les années 2008 à 2010.

M. [Q] soutient qu'en application de l'article 885 L du code général des impôts selon lequel les personnes physiques qui n'ont pas en France leur domicile fiscal ne sont pas imposables sur leurs placements financiers, la réintégration, dans l'assiette de calcul de son impôt de solidarité sur la fortune des années 2009 et 2010, des liquidités déposées sur ses comptes bancaires est injustifiée, étant rappelé que ces réintégrations portent sur un montant de 916 135 euros en 2009 et de 1 091 106 euros en 2010.

Il convient dès lors de rechercher si au regard des articles 4 B du code général des impôts et 3 de la convention fiscale franco-tunisienne, M. [Q] doit être ou non considéré comme ayant son domicile fiscal en France.

L'article 3 de la convention franco-tunisienne stipule que l'expression 'résident d'un Etat contractant' désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujetti à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. En dépit de la prééminence de la convention dans la hiérarchie des normes applicables, il convient dès lors de rechercher en premier lieu si M. [Q] peut, au regard de l'article 4 B du code général des impôts, être considéré en droit interne comme ayant son domicile fiscal en France pour, dans l'affirmative, déterminer au regard de la Convention franco-tunisienne la résidence fiscale qui doit être retenue le concernant.

I La résidence fiscale de M. [Q] au regard du droit français

Selon l'article 4 B 1 du code général des impôts, sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France :

- les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;

- celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ;

- celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques.

Ces critères étant alternatifs et d'égale importance, il suffit que l'un d'eux soit rempli pour qu'une personne soit fiscalement domiciliée en France au regard du droit interne. Il convient dès lors de les examiner successivement.

A) Le foyer de M. [Q] ou, à défaut, le lieu de son séjour principal

M. [Q] soutient avoir fixé son foyer en Tunisie, où il a, le 25 octobre 2007, fait l'acquisition d'une maison et où il indique vivre avec une nouvelle compagne rencontrée en 2007, Mme [V] [A].

Mais il est établi qu'il possède également en France non seulement un appartement situé à [Adresse 3], actuellement imposé comme bien vacant (pièce n° 32 de l'administration), mais aussi une maison sise [Adresse 5], acquise en indivision avec sa précédente compagne Mme [W], mère de sa fille alors mineure comme née le [Date naissance 2] 1995, maison dont il possède l'usufruit et a déclaré à l'Administration fiscale se réserver le deuxième étage, le surplus étant occupé par sa fille mineure et la mère de celle-ci.

Contrairement à ce qu'il a soutenu, la maison qu'il occupe à [Localité 5] ne constitue pas une simple domiciliation postale puisqu'il y résidait habituellement pendant les années en cause, y domiciliait, en 2008, seize de ses comptes bancaires et les années suivantes, huit des dits comptes après clôture des autres, y était abonné annuellement à Canal + abonnement et à [Adresse 4] et déduisait en 2008 et 2009 de ses impôts sur le revenu les salaires versés à des employés à domicile pour son entretien, ce qui représentait un montant en 2009 de 11 520 euros. Il a également acquitté au moins jusqu'en 2012 la taxe d'habitation et la contribution à l'audiovisuel afférentes à ce logement, ce qui constitue une imposition personnelle et non du chef et pour le compte de son ancienne compagne qui n'était d'ailleurs pas désignée comme occupante de ce logement. Il sera encore relevé que lorsqu'il a participé en décembre 2009 à la constitution d'une nouvelle société domiciliée à [Localité 4], la SAS Algeastream, il s'est domicilié [Adresse 5], sans raison particulière sinon que ceci correspondait toujours à la situation de fait. Il ne conteste pas que telle est également l'adresse donnée sur la liste des actionnaires de la société BL Quincaillerie déclarée annuellement.

En Tunisie, il entretenait déjà des liens affectifs avec sa nouvelle compagne et participait à des activités de loisirs, ayant été trésorier de l'association du Golf de Djerba en 2008, 2009 et 2010 et assurant bénévolement un soutien au gérant de la société Djerbalgue.

Ses séjours réguliers à [Localité 5] lui permettaient non seulement de participer à l'éducation de sa fille mineure mais encore d'entretenir des liens affectifs avec ses trois enfants majeurs auxquels il avait confié la direction du groupe qu'il avait fondé et développé et qu'il contrôlait toujours. En outre, il mettait ses séjours à [Localité 5] à profit pour s'assurer un suivi médical régulier en rapport avec son âge, puisque l'administration a établi qu'affilié à la sécurité sociale et réglant une mutuelle en France, il s'y est fait rembourser par la CPAM des actes médicaux multiples exposés régulièrement pendant le cours des années 2009 et 2010.

Les recherches effectuées par l'Administration fiscale à partir de ses paiements par cartes bancaires et de ses retraits révèlent que pendant la période 2009 - 2010, il a au minimum, sans que la durée exacte de chacun de ses séjours ne puisse être déterminée :

- en 2009, séjourné en France pendant 118 jours et en Tunisie pendant 131 jours,

- en 2010, séjourné en France pendant 75 jours et en Tunisie pendant 132 jours.

Ces éléments ne permettent pas d'établir que son foyer, ou subsidiairement, son lieu de séjour principal, était en France de sorte que ce critère ne sera pas retenu pour justifier sa domiciliation fiscale en France au sens du droit interne.

B) L'activité professionnelle de M. [Q]

M. [Q] étant retraité, ce critère n'est pas très significatif. Cependant, il sera relevé qu'il exerçait à titre individuel une entreprise de loueur de fonds immatriculée en France, domiciliée [Adresse 3], où il a souscrit en 2009, une déclaration de bénéfices industriels et commerciaux faisant état d'un bénéfice imposable de 89 623 euros au titre de l'année 2008. Il est également le gérant des SCI Mabo, [M] et Cepa domiciliées à Saint-Brieuc, détentrices d'un patrimoine immobilier à usage locatif considérable, le caractère privé de ce patrimoine n'excluant pas, en raison de son importance, le caractère professionnel de l'activité déployée de ce chef. Il a présidé, jusqu'au mois de juin 2009, les sociétés Quincaillerie Boschat et JMC et jusqu'au mois de juillet 2012, la société Etablissements Joseph Laveix, activité là encore de nature professionnelle.

Il indique avoir participé en Tunisie en 2007 à la constitution de la société Tunisie Isolation et Confort dans laquelle il n'exerce cependant aucune fonction et qui ne lui procurait pendant les années en cause aucun revenu. La société Spiru Invest n'a quant à elle été fondée qu'en juin 2014 bien après la période examinée de sorte que l'argumentation longuement développée de ce chef est inopérante.

Il résulte de ces éléments que l'activité professionnelle de M. [Q], résiduelle par rapport à son activité antérieure mais non accessoire à une autre activité, était exclusivement exercée en France.

C) Le centre des intérêts économiques de M. [Q]

M. [Q] dispose en France d'un patrimoine mobilier et immobilier considérable constitué par des biens immobiliers détenus personnellement ou par l'intermédiaire de sociétés civiles immobilières dont il assure la gestion et par des participations dans différentes sociétés de son groupe BL Quincaillerie. Il lui est ainsi reconnu en France un patrimoine d'une valeur globale nette de 2 587 955 euros en 2008, de 3 428 060 euros en 2009 et de 3 279 541 euros en 2010 (abstraction faite de ses liquidités).

En comparaison, son patrimoine immobilier en Tunisie est limité à la valeur de sa maison, soit 283 268 euros, et à celle de sa voiture Renault Clio achetée en avril 2008.

Le patrimoine qu'il détient en France lui a procuré en 2008, 2009 et 2010 respectivement :

- des revenus locatifs nets de 45 940 euros, 36 800 euros et 25 212 euros,

- des revenus versés par six SCI domiciliées à Saint-Brieuc d'un montant total de 301 265 euros, 267 212 euros et 299 251 euros,

- des dividendes versés par la SAS BL Investissement et les sociétés du groupe pour un montant de 88 550 euros, 60 112 euros et 72 306 euros.

Son patrimoine situé et géré en France ainsi que le confirme la domiciliation tant des sociétés que des comptes bancaires lui a donc procuré un revenu net cumulé de 435 755 euros en 2008, 364 124 euros en 2009 et 396 769 euros en 2010. Pendant la même période, son patrimoine tunisien, constitué de sa maison et d'une participation dans la société Tunisie Isolation et Confort ne lui a procuré aucun revenu.

Par application de ces deux derniers critères, c'est à juste titre que l'administration fiscale a considéré qu'au sens de la loi nationale, M. [Q] devait être considéré comme résident fiscal de l'Etat français.

II Sur la résidence fiscale de M. [Q] au regard de la Convention franco-tunisienne

L'article 3 2ème de la convention franco-tunisienne dispose que :

Lorsque... une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes :

a) cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

b) Si l'Etat contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou qu'elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ;

c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des Etats contractants..., elle est considérée comme résident de l'Etat contractant dont elle possède la nationalité.

Il résulte de ces stipulations que toute résidence dont une personne dispose de manière durable est pour elle, au sens de la convention, un foyer d'habitation permanent. En l'espèce, il est établi, ainsi qu'il l'a été examiné supra, que pendant la période en cause (2008 à 2010), M. [Q] s'est réservé et a aménagé à son usage personnel, de manière durable et permanente, un logement dans la maison dont il possède l'usufruit au [Adresse 2]. Il disposait donc d'un foyer d'habitation permanent en France tout comme il en possédait également un dans sa maison de Djerba en Tunisie.

Il convient dès lors de s'interroger sur le centre de ses intérêts vitaux au sens de la convention franco-tunisienne, lequel doit être déterminé en considération tant de ses liens personnels qu'économiques.

A cet égard, il entretenait des liens affectifs en Tunisie avec sa nouvelle compagne qui en possède la nationalité sans cependant y être retenue par l'exercice d'une activité professionnelle puisqu'elle se déclare dans son attestation sans emploi. Pendant la période en cause, il entretenait concurremment des liens personnels et affectifs réguliers avec ses quatre enfants tous domiciliés en France, et notamment avec sa dernière fille, alors jeune adolescente avec laquelle il avait vécu jusqu'en 2006, et envers laquelle il exerçait toujours les droits et les devoirs inhérents à l'autorité parentale. Ses liens personnels l'attachaient dès lors à l'un et à l'autre des Etats, ses liens affectifs avec la famille qu'il avait fondée en France étant néanmoins plus anciens et plus stables, tandis que ses centres d'intérêt et la satisfaction de ses besoins essentiels étaient partagés puisque si ses loisirs avaient plutôt pour cadre la Tunisie, le suivi régulier de sa santé était assuré en France.

Ses intérêts économiques considérables, fruits d'une réussite personnelle remarquable, l'attachaient quasi exclusivement à la France où il avait conservé la jouissance des titres de la holding contrôlant son groupe dont il avait confié à ses enfants majeurs la direction, tout en restant membre du directoire. Il avait également conservé des fonctions de direction dans d'autres sociétés du groupe, étant resté président des sociétés Quincaillerie Boschat et JMC jusqu'au mois de juin 2009 et des établissements [D] [X] jusqu'au mois de juillet 2012. Il gérait aussi un patrimoine immobilier important implanté en France et détenu directement ou par l'intermédiaire de six SCI domiciliées à Saint-Brieuc, lequel imposait sa présence régulière en France. M. [Q] tirait enfin l'intégralité des revenus du patrimoine qu'il s'était constitué des biens dont il était propriétaire en France, ses pensions de retraite lui étant également versées par des organismes français.

Dès lors à l'époque considérée, au regard de l'ensemble de ces éléments, le centre de ses intérêts vitaux se situait toujours en France.

Il sera relevé à titre superfétatoire que le critère subsidiaire énoncé par la Convention s'agissant de la résidence habituelle dans l'un ou l'autre pays ne suffirait pas à écarter l'application de la loi fiscale française dès lors qu'il est établi que M. [Q] a alterné, pendant les années en cause, de manière habituelle, des séjours prolongés dans chacun des Etats. En effet contrairement à ce qu'il soutient, la Convention n'exige pas, pour l'application de ce critère, de retenir la durée annuelle cumulée mathématiquement la plus longue, au demeurant non démontrée, puisqu'elle admet, pour écarter ce critère, que le résident en cause puisse séjourner de manière habituelle dans chacun des deux Etats. Il conviendrait dès lors d'appliquer le paragraphe c) de l'article 3 de la Convention, à savoir le critère de sa nationalité en l'occurrence française.

Le jugement critiqué sera en conséquence infirmé, sauf en ce qui concerne les majorations pour manquement délibéré que l'administration ne revendique plus.

L'administration n'ayant pas repris dans le dispositif de ses dernières écritures, sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, celle-ci est irrecevable. M. [Q] qui succombe supportera les dépens et ne peut dès lors bénéficier de ces dispositions.

PAR CES MOTIFS , LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc sauf en ce qui concerne la décharge des majorations réclamées pour manquement délibéré ;

Statuant à nouveau,

Confirme la décision prise le 2 avril 2015 par le Directeur de la Dircofi Ouest de rejeter la demande en restitution formée par M. [Q] le 13 février 2015 ;

Met à la charge de M. [B] [Q] les cotisations supplémentaires d'impôt de solidarité sur la fortune et les majorations afférentes au titre des années 2008, 2009 et 2010 à l'exception des majorations pour manquement délibéré, à savoir :

- au titre de l'année 2008, 8 846 euros,

- au titre de l'année 2009, 24 337 euros,

- au titre de l'année 2010, 26 590 euros ;

Rejette la demande formée par M. [B] [Q] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [B] [Q] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 16/09655
Date de la décision : 30/10/2018

Références :

Cour d'appel de Rennes 1A, arrêt n°16/09655 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-30;16.09655 ?
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